PAPYRUS
et PAPYRUM (πάπυρος).
— Plante de la famille des cypéracées (cyperus
papyrus Linnaei), avec laquelle les anciens fabriquaient
leur
"papier" (étym.
papyrus) ; on la cultivait spécialement dans la
vallée du Nil
inférieur, surtout dans le Delta. Sa grande utilité fut de fournir aux
Egyptiens d'abord, puis aux peuples de l'antiquité classique, la
matière la plus communément usitée pour recevoir l'écriture.
Sur
l'histoire el la fabrication du papier de papyrus nous avons dans Pline
l'Ancien un texte précieux, quoique discuté. Une partie en est
empruntée à Théophraste; une autre, probablement, à des
auteurs
alexandrins, qui avaient trouvé sur place les renseignements les plus
sûrs. Il débute cependant par une erreur lorsqu'il rapporte, d'après
Varron, que le papier de papyrus "fut inventé lors des conquêtes
d’Alexandre le Grand et de la fondation d'Alexandrie en Egypte". Nous
savons aujourd'hui que ce papier était connu dans l'Egypte pharaonique
dès l'an 3000 av. J.-C.; de là il fut importé en Grèce vers le
VI è
siècle, el depuis lors s'y maintint sans interruption; il faut
reconnaître cependant que la fondation d'Alexandrie contribua beaucoup
à le répandre au dehors et à en vulgariser la consommation.
Pour
ce qui est de Rome, on racontait dans l'antiquité que le roi Numa
avait laissé des ouvrages de philosophie et de droit religieux, écrits
sur papier, qui auraient été retrouvés dans sa tombe en l'an 181 av.
J.-C. Il n'y a aucun fond à faire sur cette légende, puisque au temps
de Numa la Grèce elle-même ne connaissait pas le papyrus. Suivant
d’autres, ce serait Plolémée Philométor (181-110 av. J.-C.) qui en
aurait envoyé les premiers spécimens à Rome. Ce qui parait probable,
c'est que cette marchandise y fut introduite progressivement par le
commerce alexandrin. On ne peut se tromper beaucoup en supposant que
l’usage du papyrus chez les Romains a dû coïncider à peu près avec les
débuts de leur littérature; il remonterait par conséquent au milieu du
III è
siècle avant notre ère.
On
le fabriquait avec la moelle (βύϐλος, βίϐλος)
de la plante
par des procédés d'une extrême simplicité. D'abord on séparait la
moelle dans toute la longueur de la tige à l'aide d'une aiguille ou
d'un instrument tranchant; on obtenait ainsi des bandes (φιλύραι,
philyrae, schidae, inae) d'un tissu très mince: il y avait
intérêt à
ce qu'elles fussent aussi larges que possible. On considérait comme les
meilleures celles qui étaient les plus voisines du centre de la tige,
parce qu'elles étaient plus fines
et plus souples que celles qui garnissaient la périphérie,
immédiatement au-dessous de l’écorce. Ensuite les bandes étaient
rangées les unes à côté dos autres sur une table inclinée, humectée
avec de l'eau du Nil; on formait ainsi une première couche de bandes
verticales, ayant toute la hauteur des tiges ; seulement, comme cette
hauteur était assez variable, on l'égalisait en rognant les deux bouts,
en haut et en bas. Puis, par-dessus cette première couche on posait
d'autres bandes par rangées horizontales. Le tout était donc comparable
à un tissu avec cette différence que les bandes étaient, non pas
entrelacées, mais simplement superposées; les bandes verticales
représentaient la chaîne {statumen) et formaient le fond ou le verso du
papier; les bandes horizontales représentaient la trame {subtegmen) el
formaient le recto, ce qui se comprend de soi-même ; la pointe du
roseau avec lequel on écrivait courait bien plus facilement, elle avait
moins de chances de rencontrer des aspérités sur des libres
horizontales, il résultait de cette disposition qu'une feuille de
papier, étant formée d'un assemblage de bandes perpendiculaires les
unes aux autres, présentait toujours l'aspect d'un quadrillage ; on
peut s'en rendre compte si on jette les yeux sur un papyrus quelconque
de nos collections mais surtout si on
l'examine par transparence. De là vient que les anciens ont
quelquefois
donné à la feuille de papier le nom de plagula, diminutif
de plaga,
qui désignait un filet. Dans cette préparation, l'eau du Nil ne semble
pas avoir eu d'autre effet que de maintenir les bandes de papyrus en
état de fraîcheur, de les rendre plus maniables et de les faire adhérer
les unes aux autres, sans qu'il fût besoin, pour obtenir ce résultat,
de la mélanger à de la colle; suivant Pline, le limon dont elle était
chargée lui aurait donné une vertu agglutinante; mais cette explication
n'est probablement pas nécessaire.
Au
sortir de la table d'apprêt, la feuille était mise sous une presse
(prelum)
et séchée au soleil. Puis venait un travail de triage ; on
assortissait les feuilles d'après leur qualité, en commençant par les
meilleures pour finir par les plus mauvaises. On formait de la sorte
des paquets de vingt feuilles, dont chacun représentait un volume moyen
ou scapus
et par conséquent ces paquets étaient inégaux en
qualité et ne devaient pas se vendre le même prix. A partir de ce
moment, le papier (χάρτης,
charta) était fait, mais pourtant il
n'était pas encore prêt à servir ; on le soumettait à une nouvelle
série d'opérations qui avaient pour but d'atténuer les
défauts de la matière et d'en accroître la consistance On polissait les
aspérités avec un outil d'ivoire ou un coquillage ; mais il ne
fallait pas pousser cette opération trop loin ; comme le fait observer
Pline, elle donnait au papier plus de brillant, mais l'empêchait de
bien prendre l'encre. Ensuite ou battait la feuille avec un maillet et
on passait à la surface une couche de colle. S'il se produisait
encore des rides, on battait de nouveau la feuille au maillet jusqu'à
ce qu'elle fût parfaitement unie. Il pouvait arriver aussi que la
feuille eût été imparfaitement séchée, soit qu'on l'eût trop mouillée
au début, soit qu'on eût trop précipité les opérations. On s’en
apercevait en battant avec le maillet, parce qu'il faisait ressortir
l'humidité ; ou bien on en était averti par l'odorat, et dans l'un
comme dans l'autre cas, il n'y avait qu'à laisser sécher davantage
avant d'encoller. Mais si après l'encollage on voyait paraître des
taches de moisissure (lentigines) entre les bandes dont se composait la
feuille, si le papier buvait l'encre, il n'y avait plus d'autre remède
à la faute de l'ouvrier que de recommencer tout te travail. Pline
recommande de n'employer pour ces opérations que de la colle de farine
additionnée de quelques gouttes de vinaigre, la colle de menuisier
(glutinum fabrile) et la gomme (cummis) ayant le défaut de rendre le
papier cassant. La colle de farine elle-même ne devait avoir ni plus ni
moins d’un jour. On distinguait plusieurs sortes de papier,
classées d'après la finesse, le corps, la blancheur et le poli, et
aussi d’après les dimensions; le prix de la feuille était proportionné
en grande partie à sa largeur.
Georges Lafaye
cf. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines
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