.. |
Proemium. - Populus Romanus a rege Romulo in Caesarem Augustum septingentos per annos, tantum operum pace belloque gessit, ut, si quis magnitudinem imperii cum annis conferat, aetatem ultra putet. Ita late per orbem terrarum arma circumtulit, ut qui res ejus legunt, non unius populi, sed generis humani facta discant. Nam tot in laboribus periculisque jactatus est, ut, ad constituendum ejus imperium, contendisse Virtus et Fortuna videantur. |
.... |
Avant-propos. - Le peuple romain, depuis le roi Romulus jusqu'à César Auguste, a, pendant sept cents ans, accompli tant de choses dans la paix et dans la guerre, que, si l'on compare la grandeur de son empire avec sa durée, on le croira plus ancien. Il a porté ses armes si avant dans l'univers, qu'en lisant ses annales ce n'est pas l'histoire d'un seul peuple que l'on apprend, mais celle du genre humain. Il a été en butte à tant d'agitations et de périls, que, pour établir sa puissance, le courage et la fortune semblent avoir réuni leurs efforts. |
.. |
.. |
Qua re quum praecipua
quaeque operae pretium sit cognoscere sigillatim, tamen quia ipsa sibi
obstat magnitudo rerumque diversitas aciem intentionis abrumpit, faciam,
quod solent qui terrarum situs pingunt: in brevi quasi tabella totam ejus
imaginem amplectar, non nihil, ut spero, ad admirationem principis populi
collaturus, si pariter atque insimul universam magnitudinem ejus ostendero.
|
.... |
Aussi
ce sont principalement ses progrès qu'il importe de connaître
: cependant, comme le plus grand obstacle à une entreprise est son
étendue, et que la diversité des objets émousse l'attention,
je ferai ce qu'ont l'habitude de faire ceux qui décrivent les contrées
de la terre; j'embrasserai, comme dans un cadre étroit, le tableau
entier de l'empire, avec l’intention de contribuer quelque peu, je l’espère,
à l’admiration qu’inspire le peuple roi., si je parviens à
retracer dans ses proportions et dans son ensemble son universelle grandeur.
|
.. |
.. |
Si quis ergo populum
Romanum quasi hominem consideret, totamque ejus aetatem percenseat, ut
coeperit, utque adoleverit, ut quasi ad quemdam juventae florem pervenerit,
ut postea velut consenuerit, quatuor gradus processusque ejus inveniet.
|
.... |
Si
donc l'on considère le peuple romain comme un seul homme, si l'on
envisage toute la suite de son âge, sa naissance, son adolescence,
la fleur, pour ainsi dire, de sa jeunesse, et enfin l'espèce de
vieillesse où il est arrivé, on trouvera son existence partagée
en quatre phases et périodes.
|
.. |
.. |
Prima aetas sub regibus
fuit, prope ducentos [quinquaginta] per annos, quibus circum ipsam matrem
suam cum finitimis luctatus est. Haec erit ejus infantia.
|
.... |
Son
premier âge se passa sous les rois, dans l'espace de près
de deux cent cinquante années, pendant lesquelles il lutta, autour
de sa propre mère patrie, contre les nations voisines. Ce sera là
son enfance.
|
.. |
.. |
Sequens a Bruto Collatinoque
consulibus in Appium Claudium Quinctum Fulvium consules ducentos quinquaginta
annos patet, quibus Italiam subegit. Hoc fuit tempus viris, armisque incitatissimum
: ideo quis adolescentiam dixerit.
|
.... |
L'âge
suivant, depuis le consulat de Brutus et de Collatin jusqu'à celui
d'Appius Claudius et de Quinctus Fulvius, embrasse deux cent cinquante
ans, durant lesquels il soumit l'Italie. Cette période agitée
fut féconde en guerriers, en combats; aussi peut-on l'appeler son
adolescence.
|
.. |
.. |
Deinc ad Caesarem
Augustum ducenti anni, quibus totum orbem pacavit : hic jam ipsa juventa
imperii, et quasi robusta maturitas.
|
.... |
De
là, jusqu'à César Auguste, s'écoulèrent
deux cents années, qu'il employa à pacifier tout l'univers.
C'est alors la jeunesse de l'empire et sa robuste maturité.
|
.. |
.. |
A Caesare Augusto
in saeculum nostrum haud multo minus anni ducenti, quibus inertia Caesarum
quasi consenuit atque decoxit; nisi quod sub Trajano principe movet
lacertos; et praeter spem omnium senectus imperii, quasi reddita juventute,
revirescit.
|
.... |
Depuis
César Auguste jusqu'à nos jours, on ne compte pas beaucoup
moins de deux cents ans, pendant lesquels l'inertie des Césars l'a
en quelque sorte fait vieillir et décroître entièrement.
Mais, sous le règne de Trajan, il retrouve ses forces, et, contre
toute espérance, ce vieil empire, comme rendu à la jeunesse,
reprend sa vigueur.
|
.. |
.. |
I. - De Romulo. -
Primus ille et urbis et imperii conditor Romulus fuit, Marte genitus, et
Rhea Silvia. Hoc de se sacerdos gravida confessa est; nec mox Fama dubitavit,
cum Amulii imperio abjectus in profluentem cum Remo fratre, non potuit
exstingui : siquidem et Tiberinus amnem repressit; et, relictis catulis,
lupa secuta vagitum ubera admovit infantibus, matremque se gessit. Sic
repertos apud arborem, Faustulus, regis pastor, tulit in casam atque educavit.
Alba tunc erat Latio caput, Iuli opus: nam Lavinium patris Aeneae contemserat.
Ab his Amulius jam [bis] septima subole regnabat, fratre pulso Numitore,
cujus ex filia Romulus. Igitur statim prima juventae face, patruum Amulium
ab arce deturbat, avum reponit. Ipse fulminis amator et montium, apud quod
erat educatus, moenia novae urbis agitabat. Gemini erant : uter auspicaretur
et regeret, adhibere placuit deos. Remus montem Aventinum, hic Palatinum
occupat. Prior ille sex vultures, hic postea, sed duodecim vidit. Sic victor
augurio urbem excitat, plenus spei, bellatricem fore : ita illi assuetae
sanguine et praeda aves pollicebantur.
|
.... |
I. - De Romulus -
(An de Rome 1-58.) - Le premier fondateur et de Rome et de l'empire fut
Romulus, né de Mars et de Rhéa Sylvia. Cette vestale en fit
l'aveu pendant sa grossesse; et l'on n'en douta bientôt plus, lorsqu'ayant
été, par l'ordre d'Amulius, jeté dans le fleuve avec
Rémus, son frère, il ne put y trouver la mort : le Tibre
arrêta son cours; et une louve, abandonnant ses petits, accourut
aux cris de ces enfants, leur présenta ses mamelles, et leur servit
de mère. C'est ainsi que Faustulus, berger du roi, les trouva auprès
d'un arbre; il les emporta dans sa cabane, et les éleva. Albe était
alors la capitale du Latium. Iule l'avait bâtie, dédaignant
Lavinium, fondée par son père Énée. Amulius,
quatorzième descendant de ces rois, régnait, après
avoir chassé soit frère Numitor, dont la fille était
mère de Romulus. Celui-ci, dans le premier feu de sa jeunesse, renverse
du trône son oncle Amulius, et y replace son aïeul. Chérissant
le fleuve et les montagnes qui l'avaient vu élever, il y méditait
la fondation d'une nouvelle ville. Rémus et lui étaient jumeaux;
pour savoir lequel des deux lui donnerait son nom et ses lois, ils convinrent
d'avoir recours aux dieux. Rémus se place sur le mont Aventin, son
frère sur le mont Palatin. Rémus, le premier, aperçoit
six vautours; mais Romulus en voit ensuite douze. Vainqueur par cet augure,
il presse les travaux de sa ville, plein de l'espoir qu'elle sera belliqueuse
: ainsi le lui promettaient ces oiseaux habitués au sang et au carnage.
|
.. |
.. |
Ad tutelam novae urbis
sufficere vallum videbatur : cujus dum irridet angustias Remus, idque increpat
saltu, dubium an jussu fratris, occisus est : prima certe victima fuit,
munitionemque urbis novae sanguine suo consecravit. Imaginem urbis magis
quam urbem fecerat: incolae deerant. Erat in proximo lucus : hunc asylum
facit; et statim mira vis hominum, Latini Tuscique pastores; quidam etiam
transmarini, Phryges qui sub Aenea, Arcades qui sub Evandro duce influxerant.
Ita ex variis quasi elementis congregavit corpus unum; populumque Romanum
ipse fecit.
|
.... |
Pour la défense
de la nouvelle ville, un retranchement semblait suffire; Rémus se
moque de cette étroite barrière, et la franchit d'un saut
par dérision; on le tua, et on ne sait si ce fut sur l'ordre de
son frère. II fut du moins la première victime qui consacra
de son sang les murailles de la ville naissante. C'était plutôt
l'image d'une ville qu'une ville véritable que Romulus avait créée;
les habitants manquaient. Dans le voisinage était un bois sacré;
il en fait un asile; et soudain accourent une multitude prodigieuse d'hommes,
des pâtres latins et toscans, quelques étrangers d'outre-mer,
des Phrygiens qui, sous la conduite d'Énée, et des Arcadiens
qui, sous celle d'Evandre, s'étaient répandus dans le pays.
De ces éléments divers il composa un seul corps, et il en
fit le peuple romain.
|
.. |
.. |
Res erat unius aetatis,
populus virorum. Itaque matrimonia a finitimis petita : quia non inpetrabantur,
manu capta sunt. Simulatis quippe ludis equestribus, virgines, quae ad
spectaculum venerant, praeda fuere. Et statim causa bellorum. Pulsi fugatique
Veientes. Caeninensium captum ac dirutum est oppidum. Spolia insuper opima
de rege Feretrio Jovi manibus suis rex reportavit. Sabinis proditae portae
per virginem; nec dolo : sed puella pretium rei, quae gerebant in sinistris,
petierat; dubium clipeos an armillas. Illi, ut et fidem solverent et ulciscerentur,
clypeis obruere. Ita admissis intra moenia hostibus, atrox in ipso foro
pugna, adeo ut Romulus Jovem oraret, foedam suorum fugam sisteret; hinc
templum et Stator Juppiter. Tandem saevientibus intervenere raptae,
laceris comis. Sic pax facta cum Tatio foedusque percussum; secutaque res
mira dictu, ut, relictis sedibus suis, novam in urbem hostes demigrarent
et cum generis suis avitas opes pro dote sociarent.
|
.... |
La cité se
bornait à une seule génération, un peuple d'hommes.
II demanda donc des épouses à ses voisins; et, ne les ayant
pas obtenues, il les enleva de vive force. On feignit, dans ce dessein,
de célébrer des jeux équestres : les jeunes filles,
qui étaient venues à ce spectacle, devinrent la proie des
Romains, et en même temps une cause de guerre. Les Véiens
furent battus et mis en fuite. On prit et on ruina la ville des Céniniens.
De plus, les dépouilles opimes de leur roi furent rapportées
à Jupiter Férétrien par les mains du roi de Rome.
Une jeune fille livra les portes de la ville aux Sabins : ce n'était
pas par trahison; seulement, elle leur avait demandé, pour prix
de son action, ce qu'ils portaient à leur bras gauche, sans désigner
leurs boucliers ou leurs bracelets, Les Sabins, pour dégager leur
parole et punir en même temps sa perfidie, l'accablèrent sous
leurs boucliers. Quand, par ce moyen, ils eurent été introduits
dans les murs, il se livra, sur la place publique, un combat si sanglant
que Romulus pria Jupiter d'arrêter la fuite honteuse des siens. De
là, le temple et le nom de Jupiter Stator. Enfin, les femmes enlevées
se précipitèrent entre les combattants en fureur, les cheveux
épars. La paix fut faite alors avec Tatius, et l'alliance conclue:
par un retour surprenant, les ennemis, abandonnant leurs foyers, passèrent
dans la nouvelle ville, et apportèrent, pour dot, à leurs
gendres, les richesses de leurs aïeux.
|
.. |
.. |
Auctis brevi viribus,
hunc rex sapientissimus statum reipublicae imposuit: juventus divisa per
tribus in equis et armis ut ad subita belli excubaret : consilium reipublicae
penes senes esset, qui ex auctoritate Patres, ob aetatem senatus vocabantur.
|
.... |
Rome, ayant en peu
de temps accru ses forces, voici la forme que le roi, dans sa haute sagesse,
imposa à la république. La jeunesse, divisée par tribus,
était toujours à cheval et sous les armes, prête à
combattre au premier signal; le conseil de la république fut confié
aux vieillards, que leur autorité fit appeler Pères, et leur
âge Sénateurs.
|
.. |
.. |
His ita ordinatis,
repente, quum concionem haberet ante urbem, apud Caprae paludem, e conspectu
ablatus est. Discerptum aliqui a senatu putant ob asperius ingenium : sed
oborta tempestas solisque defectio consecrationis speciem praebuere. Cui
mox Julius Proculus fidem fecit, visum a se Romulum affirmans augustiore
forma quam fuisset; mandare praeterea ut se pro numine acciperent; Quirinum
in caelo vocari placitum diis; ita gentium Roma potiretur.
|
.... |
Cet ordre établi,
un jour que Romulus tenait une assemblée devant la ville, près
du marais de Capréa, tout à coup il disparut à tous
les regards. Quelques-uns pensent qu'il fut, à cause de son caractère
trop âpre, mis en pièces par le sénat; mais un orage
qui s'éleva et une éclipse de soleil donnèrent à
cet événement l'apparence d'une apothéose. Julius
Proculus accrédita bientôt cette idée, en affirmant
que Romulus s'était fait voir à lui sous une forme plus auguste
que pendant sa vie; qu'il voulait qu'on l'honorât désormais
comme une divinité; que, dans le ciel, il s'appelait Quirinus, les
dieux l'ayant ainsi arrêté; qu'à ce prix, Rome deviendrait
la maîtresse des nations.
|
.. |
.. |
II. - De Numa Pompilio.
- Succedit Romulo Numa Pompilius, quem Curibus Sabinis agentem ultro petivere
ob inclytam viri religionem. Ille sacra et caerimonias omnemque cultum
deorum inmortalium docuit; ille pontifices, augures, salios caeteraque
populi Romani sacerdotia creavit, annum quoque in duodecim menses,
fastos dies nefastoque descripsit. Ille ancilia atque Palladium,
secreta quaedam imperii pignora, Janumque geminum, fidem pacis ac belli,
in primis focum Vestae virginibus colendum dedit, ut ad simulacrum caelestium
siderum custos imperii flamma vigilaret. Haec omnia quasi monitu deae Egeriae,
quo magis barbari acciperent. Eo denique ferocem populum redegit, ut, quod
vi et injuria occupaverat imperium, religione atque justitia gubernaret.
|
.... |
II. - De Numa Pompilius.
- (An de Rome 59. ) - A Romulus succéda Numa Pompilius, qui vivait
à Cures, chez les Sabins, où les Romains allèrent
d'eux-mêmes le chercher, sur la réputation de son insigne
piété. Ce fut lui qui leur enseigna les sacrifices, les cérémonies,
et tout le culte des dieux immortels; qui établit les pontifes,
les augures, les saliens et les autres sacerdoces du peuple romain; qui
divisa l'année en douze mois, et les jours en fastes et néfastes;
lui enfin qui institua les boucliers sacrés, le Palladium, quelques
autres gages mystérieux de l'empire, le Janus au double visage,
et surtout le feu de Vesta, dont il commit l'entretien à des vierges,
afin qu'à l'image des astres du ciel, cette flamme tutélaire
ne cessât de veiller. II attribua toutes ces choses aux conseils
de la déesse Egérie, pour que les Romains, encore barbares,
les accueillissent avec plus de respect. Enfin, il sut si bien apprivoiser
ce peuple farouche, qu'un empire fondé par la violence et l'usurpation
fut gouverné par la religion et la justice.
|
.. |
.. |
III. - De Tullo Hostilio.
- Excipit Pompilium Numam Tullus Hostilius, cui in honorem virtutis regnum
ultro datum. Hic omnem militarem disciplinam artemque bellandi condidit.
Itaque mirum in modum exercita juventute, provocare ausus Albanos, gravem
et diu principem populum. Sed quum pari robore frequentibus proeliis utrique
comminuerentur, misso in compendium bello, Horatiis Curiatiisque, tergeminis
hinc atque inde fratribus, utriusque populi fata permissa sunt. Anceps
et pulchra contentio exituque ipso mirabilis. Tribus quippe illinc vulneratis,
hinc duobus occisis, qui supererat Horatius, addito ad virtutem dolo, ut
distraheret hostem, simulat fugam; singulosque, prout sequi poterant, adortus
exsuperat. Sic (rarum alias decus) unius manu parta victoria est; quam
ille mox parricidio foedavit. Flentem spolia circa se sponsi quidem, sed
hostis, sororem viderat. Hunc tam inmaturum amorem virginis ultus est ferro.
Citavere leges nefas : sed abstulit virtus parricidam et facinus infra
gloriam fuit. Nec diu in fide Albanus. Nam Fidenate bello missi in auxilium
ex foedere, medii inter duos exspectavere fortunam. Sed rex callidus, ubi
inclinare socios ad hostem videt, tollit animos, quasi ipse mandasset.
Spes inde nostris, metus hostibus. Sic fraus proditorum irrita fuit. Itaque
hoste victo ruptorem foederis Mettum Fufetium religatum inter duos currus
pernicibus equis distrahit, Albamque ipsam quamvis parentem, aemulam tamen
diruit, quum prius opes urbis ipsumque populum Romam transtulisset: prorsus
ut consanguinea civitas non periisse, sed in suum corpus rediisse rursus
videretur.
|
.... |
III. - De Tullus Hostilius.
- (An de Rome 82.) - Numa Pompilius eut pour successeur Tullus Hostilius,
à qui l'on donna librement le trône pour honorer son courage.
II fonda toute la discipline militaire et l'art de la guerre. Lorsqu'il
eut parfaitement exercé la jeunesse, il osa provoquer les Albains,
peuple redoutable, et qui avait longtemps tenu le premier rang. Mais comme,
par l'égalité de leurs forces, les deux nations s'affaiblissaient
dans de fréquents combats, on voulut abréger la guerre; trois
frères de part et d'autre, les Horaces et les Curiaces, furent chargés
des destinées de leur pays. La lutte incertaine, mais glorieuse,
eut une issue miraculeuse. D'un côté, en effet, les trois
combattants étaient blessés; de l'autre, deux avaient été
tués; l'Horace qui survivait ajouta la ruse au courage; pour diviser
les ennemis, il feint de prendre la fuite; et, dans la mesure où
ils pouvaient le suivre, il les attaque et les terrasse l'un après
l'autre. Ainsi, gloire donnée à peu de nations! la main d'un
seul homme nous obtint la victoire; il la souilla bientôt par un
parricide. Il vit sa soeur pleurer auprès de lui sur les dépouilles
d'un Curiace, son fiancé, mais l'ennemi de Rome. Horace punit par
le fer les larmes intempestives de cette jeune fille. Les lois réclamèrent
le châtiment du coupable; mais la valeur fit oublier le parricide,
et le crime disparut devant la gloire. Cependant les Albains ne furent
pas longtemps fidèles : car, dans une guerre contre les Fidénates,
où, d'après le traité, ils servaient comme auxiliaires,
ils attendirent, immobiles entre les deux armées, que la fortune
se déclarât. Mais l'adroit Hostilius vit à peine ces
alliés s'avancer vers l'ennemi, que, pour rassurer les esprits,
il feignit d'avoir lui-même ordonné ce mouvement, feinte qui
remplit d'espérance nos soldats, et les Fidénates d'effroi.
Le dessein des traîtres demeura ainsi sans effet. Les ennemis, ayant
été vaincus, l'infracteur du traité, Mettus Fufétius,
fut lié entre deux chars et écartelé par des chevaux
fougueux. Quant à la ville d'Albe, mère, il est vrai, mais
rivale de la nôtre, Tullus la fit raser, après avoir transféré
à Rome ses richesses et même sa population; de sorte qu'il
sembla moins avoir détruit une cité qui avait avec Rome des
liens de parenté, qu'avoir réuni les membres d'un même
corps.
|
.. |
.. |
IV. - De Anco Marcio.
- Ancus deinde Marcius, nepos Pompilii, pari ingenio. Hic igitur
et moenia muro amplexus est, et interfluentem Urbi Tiberinum ponte commisit;
Ostiamque in ipso maris fluminisque confinio coloniam posuit : jam tum
videlicet praesagiens animo futurum ut totius mundi opes et commeatus illo,
veluti maritimo urbis hospitio, reciperentur.
|
.... |
IV. - D'Ancus Marcius.
- (An de Rome 114.) - Ensuite vint Ancus Marcius, petit-fils de Numa, dont
il eut le caractère. Il entoura d'une muraille les retranchements
de la ville, joignit par un pont les rives du Tibre qui la traverse, et
fonda une colonie à Ostie, à l'embouchure même de ce
fleuve; sans doute son esprit pressentait déjà que les richesses
et les productions du monde entier y seraient reçues comme dans
l'entrepôt maritime de Rome.
|
.. |
.. |
V. - De Tarquinio
Prisco. - Tarquinius postea Priscus, quamvis transmarinae originis, regnum
ultro petens accepit, ob industriam atque elegantiam : quippe qui oriundus
Corintho Graecum ingenium Italicis artibus miscuisset. Hic et senatus majestatem
numero ampliavit, et centuriis tribus auxit, quatenus Attius Navius numerum
augere prohibebat, vir summus augurio. Quem rex in experimentum rogavit,
"fierine posset, quod ipse mente conceperat." Ille rem expertus augurio,
posse respondit. "Atqui hoc", inquit, "agitabam, an cotem illam secare
novacula possem". Augur " Potes ergo", inquit, et secuit. Inde Romanis
sacer auguratus.
|
.... |
V. - De Tarquin l'Ancien.
- (An de Rome 159.) - Tarquin l'Ancien, qui lui succéda, quoique,
d'une famille venue d'au-delà des mers, osa aspirer au trône;
il le dut à son adresse et à l'élégance de
ses moeurs : originaire de Corinthe, il alliait la subtilité grecque
à la souplesse italienne. II rehaussa la majesté du sénat
en multipliant ses membres, et, par de nouvelles centuries, il étendit
les tribus dont Attius Navius, savant augure, lui défendait d'augmenter
le nombre. Le roi, pour l'éprouver, lui demande " si la chose à
laquelle il pensait en ce moment pouvait s'exécuter. " Navius, ayant
consulté son art, répond qu'elle est possible. " Eh bien
! dit le roi, je songeais en moi-même si je pourrais couper ce caillou
avec un rasoir. - Vous le pouvez, repartit l'augure; " il le coupa en effet.
Depuis ce temps, la dignité d'augure fut sacrée pour les
Romains.
|
.. |
.. |
Neque pace Tarquinius
quam bello promptior : duodecim namque Tusciae populos frequentibus armis
subegit. Inde fasces, trabeae, curules, annuli, phalerae, paludamenta,
praetexta, inde, quod aureo curru, quatuor equis triumphatur; togae pictae
tunicaeque palmatae; omnia denique decora et insignia, quibus imperii dignitas
eminet.
|
.... |
Tarquin ne fut pas
moins entreprenant dans la guerre que dans la paix. Il soumit les douze
peuples de l'Etrurie dans de nombreux combats. De là nous sont venus
les faisceaux, les toges des souverains magistrats, les chaises curules,
les anneaux, les colliers des chevaliers, les manteaux militaires, la robe
prétexte; de là aussi le char doré des triomphateurs,
traîné par quatre chevaux, les robes peintes, les tuniques
à palmes; enfin tous les ornements et les insignes qui relèvent
la dignité de l'empire.
|
.. |
.. |
VI. - De Servio Tullio.
- Servius Tullius deinceps gubernacula Urbis invadit, nec obscuritas inhibuit
quamvis matre serva creatum; nam eximiam indolem uxor Tarquinii Tanaquil
liberaliter educaverat; et clarum fore visa circa caput flamma promiserat.
Ergo inter Tarquinii mortem, adnitente regina, substitutus in locum regis
quasi ad tempus, regnum dolo partum sic egit industrie, ut jure adeptus
videretur. Ab hoc populus Romanus relatus in censum, digestus in classes,
curiis atque collegiis distributus; summaque regis solertia ita est ordinata
respublica, ut omnia patrimonii, dignitatis, aetatis, artium officiorumque
discrimina in tabulas referentur; ac sic maxima civitas minimae domus diligentia
contineretur.
|
.... |
VI. - De Servius Tullius.-
(An de Rome 175.) - Servius Tullius se saisit ensuite du gouvernement de
Rome, malgré l'obscurité de sa naissance, et quoiqu'il fût
né d'une mère esclave, Tanaquil, épouse de Tarquin,
avait cultivé, par une éducation libérale, l'heureux
naturel de ce jeune homme; une flamme, qu'elle avait vue autour de sa tête,
lui avait présagé sa gloire future. Dans les derniers moments
de Tarquin, Servius fut, par les soins de la reine, mis à la place
du roi, comme à titre provisoire; et il gouverna avec tant d'habileté
un royaume acquis par la ruse, qu'il parut l'avoir légitimement
obtenu. Ce fut par lui que le peuple romain fut soumis au cens, rangé
par classes, distribué en curies et en collèges. Ce roi établit,
par la supériorité de sa sagesse, un tel ordre dans la république,
que tous les détails sur le patrimoine, la dignité, l'âge,
les professions et les emplois de chacun étaient portés sur
des tables; de cette manière, cette grande cité fut réglée
avec autant d'exactitude que la maison du moindre particulier.
|
.. |
.. |
VII. - De Tarquinio
Superbo. - Postremus omnium fuit regum Tarquinius, cui cognomen Superbo
ex moribus datum. Hic regnum avitum, quod a Servio tenebatur, rapere maluit
quam exspectare : inmissisque in eum percussoribus scelere partam potestatem
non melius egit quam adquisierat. Nec abhorrebat moribus uxor Tullia, quae,
ut virum regem salutarat, supra cruentum patrem, vecta carpento, consternatos
equos egit.
|
.... |
VII. - Tarquin le
Superbe. - ( An de Rome 220.) - Le dernier de tous les rois fut Tarquin,
à qui son caractère fit donner le surnom de Superbe. Le trône
de son aïeul était occupé par Servius; il aima mieux
le ravir que l'attendre : après avoir fait assassiner ce roi, il
n'exerça pas mieux qu'il ne l'avait acquise une puissance obtenue
par le crime. Sa femme Tullie ne répugnait pas à ses sanguinaires
habitudes : comme elle accourait, dans son char, saluer roi son époux,
elle fit passer sur le corps sanglant de son père ses chevaux épouvantés.
|
.. |
.. |
Sed ipse in senatum
caedibus, in omnes superbia, quae crudelitate gravior est bonis, grassatus,
quum saevitiam jam domi fatigasset, tandem in hostes conversus est. Sic
valida oppida in Latio capta sunt, Ardea, Ocriculum, Gabii, Suessa Pometia.
Tum quoque cruentus in suos. Neque enim filium verberare dubitavit, ut
simulanti transfugam apud hostes hinc fides esset. Cui Gabiis, ut voluerat,
recepto, atque per nuntios consulenti quid fieri vellet, eminentia forte
papaverum capita virgula excutiens, quum per hoc interficiendos esse principes
intelligi vellet - quae superbia! - sic respondit.
|
.... |
Quant à Tarquin,
il décima le sénat par des meurtres, accabla tous les Romains
d'un orgueil plus insupportable aux gens de bien que la cruauté;
et quand il eut lassé sa fureur par des violences domestiques, il
la tourna enfin contre les ennemis. Ainsi furent prises dans le Latium
de solides places fortifiées, Ardée, Ocriculum, Gabie, Suessa
Pométia. Alors même il fut cruel envers les siens. Il n'hésita
pas à faire battre de verges son fils, afin que, passant chez les
ennemis comme transfuge, il gagnât leur confiance. Après avoir
été reçu dans Gabie, comme Tarquin l'avait désiré,
ce jeune homme envoya prendre les ordres de son père, lequel lui
répondit en abattant avec une baguette les têtes de pavots
les plus élevées qui se trouvaient là, voulant faire
entendre par là, ô excès d'orgueil! qu'il fallait tuer
les premiers de la ville.
|
.. |
.. |
Tamen de manubiis
captarum urbium templum erexit, quod quum inauguraretur, cedentibus caeteris
deis - mira res dictu - restitere Juventas et Terminus. Placuit vatibus
contumacia numinum, siquidem firma omnia et aeterna pollicebantur. Sed
illud horrendum, quod molientibus aedem in fundamentis humanum repertum
est caput; nec dubitavere cuncti, monstrum pulcherrimum imperii sedem
caputque terrarum promittere.
|
.... |
Toutefois, il bâtit
un temple avec les dépouilles des villes qu'il avait prises. Lorsqu'on
l'inaugura, les autres dieux cédèrent leur place; mais, ô
prodige! la Jeunesse et le dieu Terme firent résistance. Les devins
interprétèrent favorablement l'opiniâtreté de
ces divinités, qui promettaient ainsi à Rome une puissance
inébranlable et éternelle. Mais ce qui parut plus étrange
encore, c'est qu'en creusant les fondations du temple, on trouva une tête
d'homme; personne ne douta qu'un prodige aussi éclatant n'annonçât
que Rome serait le siège de l'empire et la tête de l'univers.
|
.. |
.. |
Tamdiu superbiam regis
populus Romanus perpessus est, donec aberat libido : hanc ex liberis ejus
importunitatem tolerare non potuit. Quorum quum alter ornatissimae feminae
Lucretiae stuprum intulisset, matrona dedecus ferro expiavit. Imperium
tum regibus abrogatum.
|
.... |
Le peuple romain souffrit
l'orgueil du roi, tant que l'incontinence ne s'y joignit pas. II ne put
supporter ce dernier outrage de la part de ses enfants. L'un d'eux ayant
déshonoré Lucrèce, la plus illustre des femmes, cette
Romaine expia sa honte en se poignardant. Alors fut abrogée la puissance
des rois.
|
.. |
.. |
VIII. - Anacephalaeosis
de septem regibus. - Haec est prima aetas populi Romani, et quasi infantia,
quam habuit sub regibus septem, quadam fatorum industria, tam variis ingenio,
ut reipublicae ratio et utilitas postulabat. Nam quid Romulo ardentius?
Tali opus fuit, ut invaderet regnum. Quid Numa religiosius? Ita res poposcit,
ut ferox populus deorum metu mitigaretur. Quid ille militiae artifex Tullius?
bellatoribus viris quam necessarius, ut acueret ratione virtutem! Quid
aedificator Ancus? ut urbem colonia extenderet, ponte jungeret, muro tueretur?
Jam vero Tarquinii ornamenta et insignia quantam principi populo
addiderunt ex ipso habitu dignitatem! Actus a Servio census quid effecit,
nisi ut ipsa se nosset Romana respublica? Postremo Superbi illius importuna
dominatio nonnihil, immo vel plurimum profuit; sic enim effectum est, ut
agitatus injuriis populus, cupiditate libertatis incenderetur.
|
.... |
VIII. - Résumé
sur les sept rois. - Voilà le premier âge du peuple romain,
et pour ainsi dire son enfance; il la passa sous sept rois, dont le génie
différent fut, par un heureux arrangement des destins, approprié
aux intérêts et aux besoins de la république. En effet,
quel génie plus ardent que celui de Romulus? Il fallait un tel homme
pour saisir le gouvernement. Quel prince plus religieux que Numa? le bien
de l'état le demandait ainsi, afin qu'un peuple farouche fût
adouci par la crainte des dieux. Combien le créateur de l'art militaire,
Tullius, n'était-il pas nécessaire à des hommes belliqueux?
La science devait perfectionner leur courage. De quelle utilité
ne fut pas, dans Ancus, le goût des constructions? Il donna à
la ville une colonie pour son agrandissement, un pont pour la facilité
des communications, un mur pour sa défense. Quant aux ornements
et aux insignes de Tarquin, combien leur usage seul n'a-t-il pas ajouté
à la dignité du peuple roi? Le cens établi par Servius
n'eut-il pas pour effet d'apprendre à la république à
se connaître elle-même? Enfin l'intolérable domination
de Tarquin le Superbe, loin d'avoir été sans résultat,
en fut au contraire un très avantageux; elle fit que le peuple,
soulevé par les outrages, s'enflamma d'amour pour la liberté.
|
.. |
.. |
IX. - De mutatione
Reipublicae. - Igitur Bruto Collatinoque ducibus et auctoribus, quibus
ultionem sui moriens matrona mandaverat, populus Romanus ad vindicandum
libertatis ac pudicitiae decus, quodam quasi instinctu deorum concitatus,
regem repente destituit, bona diripit, agrum Marti suo consecrat, imperium
in eosdem libertatis suae vindices transfert, mutato tamen nomine et jure.
Quippe ex perpetuo annuum placuit, ex singulari duplex, ne potestas solitudine
vel mora corrumperetur, consulesque appellavit pro regibus, ut consulere
se civibus suis debere meminissent. Tantumque libertatis novae gaudium
incesserat, ut vix mutati status fidem caperent; alterumque ex consulibus,
tantum ob nomen et genus regium, fascibus abrogatis, Urbe dimitterent.
Itaque substitutus Valerius Publicola, ex summo studio adnixus est ad augendam
liberi populi majestatem. Nam et fasces ei pro contione submisit, et jus
provocationis adversus ipsos dedit, et, ne specie arcis offenderet, eminentes
aedes suas in plana submisit. Brutus vero favori civium etiam domus suae
clade et parricidio velificatus est. Quippe quum studere revocandis in
Urbem regibus liberos suos comperisset, protraxit in forum, et contione
media virgis cecidit, et securi percussit : ut plane publicus parens in
locum liberorum adoptasse sibi populum videretur.
|
.... |
IX. - Du changement
du gouvernement. - (An de Rome 244.) - Ainsi, sous la conduite, et par
les conseils de Brutus et de Collatin, à qui Lucrèce, en
mourant, avait confié le soin de sa vengeance, le peuple romain,
excité, comme par une inspiration des dieux, à punir l'outrage
fait à la liberté et à la pudeur, déposa aussitôt
le roi, pilla ses biens, consacra son domaine à Mars, protecteur
de Rome, et transféra aux vengeurs de sa liberté la suprême
puissance dont il changea toutefois le nom et les droits. En effet, de
perpétuelle, elle devint annuelle; unique auparavant, elle fut partagée;
on voulait prévenir la corruption attachée à l'unité
ou à la durée du pouvoir; le nom de rois fit place à
celui de consuls, qui rappelait à ces magistrats qu'ils ne devaient
consulter que les intérêts de leurs concitoyens. Tel fut l'excès
de la joie qu'inspira la liberté nouvelle, qu'à peine put-on
croire au changement opéré dans l'état; et qu'à
cause de son nom seulement et de sa naissance royale, un des consuls se
vit enlever ses faisceaux et banni de la ville. Valérius Poplicola,
qui lui fut substitué, travailla avec le plus grand zèle
à augmenter la majesté d'un peuple libre. Il fit abaisser
ses faisceaux devant lui, dans les assemblées, et lui donna le droit
d'appel contre les consuls eux-mêmes. Enfin, de peur qu'on ne prît
ombrage de ce que sa maison, placée sur une éminence, offrait
l'apparence d'une citadelle, il la fit rebâtir dans la plaine. Quant
à Brutus, ce fut par le sang de sa famille et par le parricide qu'il
s'éleva au faîte de la faveur populaire. Ayant découvert
que ses fils travaillaient à rappeler les rois dans la ville, il
les fit traîner sur la place publique, battre de verges au milieu
de l'assemblée du peuple, et frapper de la hache. Il parut, aux
yeux de tous, être ainsi devenu le père de la patrie, et avoir,
à la place de ses enfants, adopté le peuple romain.
|
.. |
.. |
Liber jam hinc populus
Romanus prima adversus exteros arma pro libertate corripuit, mox pro finibus,
deinde pro sociis, tum gloria et imperio, lacessentibus assidue usquequaque
finitimis. Quippe cui patrii soli gleba nulla, sed statim hostile pomoerium,
mediusque inter Latium et Tuscos quasi in quodam bivio collocatus, omnibus
portis in hostem incurreret; donec quasi contagione quadam, per singulos
itum est et, proximis quibusque correptis, totam Italiam sub se redegerunt.
|
.... |
Libre désormais,
Rome prit les armes contre les étrangers, d'abord pour sa liberté,
bientôt après pour ses limites, ensuite pour ses alliés,
enfin pour la gloire et pour l'empire, contre les continuelles attaques
des nations voisines. En effet, sans territoire qu'ils pussent appeler
le sol de la patrie, ayant à combattre au sortir même de leurs
murs, placés entre le Latium et l'Étrurie, comme entre deux
grands chemins, les Romains à toutes leurs portes rencontraient
un ennemi; mais toujours marchant de proche en proche, ils soumirent les
unes après les autres les nations voisines, et rangèrent
toute l'Italie sous leur domination.
|
.. |
.. |
X. - Bellum etruscum
regi Posenae. - Pulsis ex Urbe regibus, prima pro libertate arma corripuit.
Nam Porsena, rex Etruscorum, ingentibus copiis aderat, et Tarquinios manu
reducebat. Hunc tamen, quamvis et armis et fame urgeret, occupatoque Janiculo,
ipsis Urbis faucibus incubaret, sustinuit, repulit; novissime etiam tanta
admiratione perculit, ut superior ultro cum paene victis amicitiae foedera
feriret. Tum illa Romana prodigia atque miracula, Horatius, Mucius, Cloelia
: quae, nisi in annalibus forent, hodie fabulae viderentur. Quippe Horatius
Cocles, postquam hostes undique instantes solus submovere non poterat,
ponte reciso, transnatat Tiberim nec arma dimittit. Mucius Scaevola regem
per insidias in castris ipsius aggreditur; sed, ubi frustrato circa purpuratum
ejus ictu, tenetur, ardentibus focis injicit manum terroremque geminat
dolo. "Ut scias" inquit, "quem virum effugeris; idem trecenti juravimus";
quum interim - inmane dictu - hic interritus, ille trepidaret, tamquam
manus regis arderet. Sic quidem viri. Sed ne qui sexus a laude cessaret,
ecce et virginum virtus. Una ex obsidibus regi data, elapsa custodiam,
Cloelia, per patrium flumen equitabat. Et rex quidem tot tantisque virtutum
territus monstris, valere, liberosque esse jussit. Tarquinii tamen tam
diu dimicaverunt, donec Arruntem, filium regis, manu sua Brutus occidit,
superque ipsum mutuo vulnere exspiravit, plane quasi adulterum ad inferos
usque sequeretur.
|
.... |
X. - Guerre contre
Porsena, roi des Etrusques. - (An de Rome 246 ). - Après l'expulsion
des rois, ce fut d'abord pour la liberté que Rome prit les armes.
Porsena, roi des Étrusques, s'avançait à la tête
d'une puissante armée et ramenait avec lui les Tarquins. Mais, malgré
le fer et la famine qui pressaient les Romains, malgré la prise
du Janicule, d'où ce roi, déjà maître des portes
de leur ville, paraissait les dominer, on se soutint, on le repoussa. Bien
plus, on le frappa de tant d'étonnement, que, supérieur en
forces, il se hâta de conclure, avec des ennemis à demi vaincus,
un traité d'alliance. Alors parurent ces modèles et ces prodiges
de l'intrépidité romaine, Horatius, Mucius et Clélie,
prodiges qui, s'ils n'étaient consignés dans nos annales,
passeraient aujourd'hui pour des fables. Horatius Coclès, n'ayant
pu repousser lui seul les ennemis qui le pressaient de toutes parts, fait
couper le pont où il combattait, et passe le Tibre à la nage
sans abandonner ses armes. Muscius Scévola pénètre
par ruse dans le camp du roi; mais croyant le frapper, c'est un de ses
courtisans qu'il atteint. On l'arrête; il met sa main dans un brasier
ardent, et redoublant par un adroit mensonge la terreur qu'il inspire :
" Tu vois, dit-il au roi, à quel homme tu as échappé;
eh bien! nous sommes trois cents qui avons fait le même serment.
" Pendant cette action, chose prodigieuse! il était impassible,
et le roi tremblait comme si c'eût été sa main que
dévorait la flamme. Voilà ce que firent les hommes; mais
les deux sexes rivalisèrent de gloire, et les jeunes filles eurent
aussi leur héroïsme. Clélie, une de celles qu'on avait
données en otage à Porsena, échappée à
ses gardes, traversa à cheval le fleuve de la patrie. Enfin le roi,
effrayé de tant de prodiges de courage, s'éloigna des Romains,
et les laissa libres. Les Tarquins continuèrent la guerre jusqu'au
moment où Aruns, fils du roi, fut tué de la main de Brutus,
lequel, blessé en même temps par son ennemi, expira sur son
corps, comme s'il eût voulu montrer qu'il poursuivait l'adultère
jusqu'aux enfers.
|
.. |
.. |
XI. - Bellum Latinum.
- Latini quoque Tarquinios asserebant aemulatione et invidia : ut populus,
qui foris dominabatur, saltem domi serviret. Igitur omne Latium, Mamilio
Tusculano duce, quasi in regis ultionem, tollit animos. Apud Regilli lacum
dimicatur diu, Marte vario, donec Postumius ipse dictator signum in hostes
jaculatus est : novum et insigne commentum, uti peteretur cursu. Cossus
equitum magister exuere frenos imperavit - et hoc novum - quo acrius incurrerent.
Ea denique atrocitas fuit proelii, ut interfuisse spectaculo deos Fama
tradiderit duos in candidis equis: Castorem atque Pollucem nemo dubitavit.
Itaque et imperator veneratus est, pactusque victoriam templa promisit;
et reddidit, plane quasi stipendium commilitonibus diis.
|
.... |
XI. - Guerre contre
les Latins. - ( An de Rome 258 - 298 ). - Les latins soutenaient aussi
les Tarquins par un esprit de rivalité et d'envie contre un peuple
qu'ils auraient voulu, puisqu'il dominait au dehors, voir du moins esclave
dans ses murs. Tout le Latium se leva donc, sous la conduite de Mamilius
de Tusculum, comme pour venger le roi. On combattit longtemps près
du lac Régille, avec un succès incertain; enfin le dictateur
Postumius jeta lui-même une enseigne au milieu des ennemis, tactique
nouvelle et ingénieuse pour amener les Romains à se précipiter
pour la reprendre. Cossus, maître de la cavalerie, par un expédient
également sans exemple, fit ôter les freins des chevaux, pour
faciliter l'impétuosité de leur course. Telle fut enfin la
fureur du combat, que la renommée y mentionna l'intervention des
dieux, comme spectateurs; l'on en vit deux montés sur des chevaux
blancs; personne ne douta que ce ne fussent Castor et Pollux. Aussi, le
général leur adressa-t-il ses vœux : pour prix de la victoire,
il leur promit et leur éleva des temples qui furent comme la solde
de ces divins compagnons d'armes.
|
.. |
.. |
Hactenus pro libertate
: mox de finibus cum eisdem Latinis assidue, et sine intermissione pugnatum
est. Cora - quis credat? - et Algidum terrori fuerunt; Satricum atque Corniculum
provinciae. De Verulis et Bovillis pudet; sed triumphavimus. Tibur, nunc
suburbanum, et aestivae Praeneste deliciae, nuncupatis in Capitolio votis,
petebantur. Idem tunc Faesulae, quod Carrae nuper; idem nemus Aricinum,
quod Hercynius saltus; Fregellae, quod Gesoriacum; Tiberis, quod Euphrates.
Coriolos quoque - proh pudor! - victos adeo gloriae fuisse, ut captum oppidum
Caius Marcius Coriolanus, quasi Numantiam aut Africam, nomini indueret.
Exstant et parta de Antio spolia, quae Maenius in suggestu fori, capta
hostium classe, suffixit : si tamen illa classis, nam sex fuere rostratae.
Sed hic numerus illis initiis navale bellum fuit.
|
.... |
Jusqu'ici Rome avait
combattu pour la liberté; bientôt elle fit pour ses limites,
et contre les mêmes Latins, une guerre sans fin et sans relâche.
Sora et Algidum, qui le croirait? furent la terreur des Romains; Satricum
et Corniculum, furent des provinces romaines. Je rougis de le dire, mais
nous avons triomphé de Vérule et de Bovile. Nous n'allions
à Tibur, maintenant faubourg de Rome, et à Préneste,
nos délices d'été, qu'après avoir fait des
vœux au Capitole. Alors Fésules était pour les Romains ce
que Carres fut depuis; le bois d'Aricie était leur Forêt Hercynienne;
Frégelles, leur Gesoriacum; le Tibre, leur Euphrate. Coriole même,
quelle honte! Coriole, réduite par les armes, fut un si beau litre
de gloire, que le vainqueur de cette place, Caïus Marcius, joignit
à son nom celui de Coriolan, comme s'il eût conquis Numance
ou l'Afrique. On voit encore dans le Forum les dépouilles d'Antium,
que Ménius suspendit à la tribune aux harangues, après
la prise de la flotte ennemie; si toutefois l'on peut appeler flotte six
navires armés d'éperons; mais ce nombre suffisait, dans ces
premiers temps, pour une guerre maritime.
|
.. |
.. |
Pervicacissimi tamen
Latinorum Aequi et Volsci fuere, et quotidiani, ut ita dixerim, hostes.
Sed hos praecipue Lucius Quinctius domuit, ille dictator ab aratro : qui
obsessa ac paene jam capta Marci Minucii consulis castra egregia virtute
servavit. Medium erat forte tempus sementis, quum patricium virum innixum
aratro suo lictor in ipso opere deprehendit. Inde in aciem profectus, victos
more pecudum sub jugum misit. Sic expeditione finita, rediit ad boves rursus,
triumphalis agricola. Fidem numinum! qua velocitate! intra quindecim dies
coeptum peractumque bellum, prorsus ut festinasse dictator ad relictum
opus videretur.
|
.... |
Les plus opiniâtres
des Latins furent les Eques et les Volsques; c'étaient, pour ainsi
dire, des ennemis de tous les jours. Mais celui qui contribua le plus à
les dompter fut Lucius Quinctius, ce dictateur tiré de la charrue,
et dont la valeur extraordinaire sauva le consul Marcus Minucius, assiégé
et déjà presque pris dans son camp. On était alors
dans la saison des semailles; et le licteur trouva ce patricien courbé
sur sa charrue et occupé du labourage. C'est de là que, s'élançant
aux combats, Quinctius, pour y conserver quelque image de ses travaux rustiques,
traita les vaincus comme un troupeau, en les faisant passer sous le joug.
L'expédition ainsi terminée, on vit retourner à ses
boeufs ce laboureur décoré d'un triomphe. Grands dieux! quelle
rapidité une guerre, en quinze jours, commencée et finie,
comme si le dictateur eût voulu se hâter de retourner à
ses travaux interrompus.
|
.. |
.. |
XII. - Bellum cum
Etruscis, Faliscis et Fidenatibus. - Assidui vero et anniversarii hostes
ab Etruria fuere Veientes, adeo ut extraordinariam manum adversus eos promiserit,
privatumque gesserit bellum gens una Fabiorum. Satis superque idonea clades.
Caesi apud Cremeram trecenti, patricius exercitus; id scelerato signata
nomine, quae proficiscentes in proelium porta dimisit. Sed ea clades ingentibus
expiata victoriis, postquam per alios atque alios robustissima capta sunt
oppida, vario quidem eventu. Falisci se sponte dediderunt. Cremati suo
igne Fidenates; rapti funditus deletique Veientes. Falisci quum obsiderentur,
mira visa est fides imperatoris, nec inmerito, quod ludi magistrum, urbis
proditorem, cum iis quos adduxerat pueris, vinctum sibi ultro remisisset.
Eam namque vir sanctus et sapiens veram sciebat esse victoriam, quae salva
fide et integra dignitate pareretur. Fidenae, quia pares non erant ferro,
ad terrorem movendum facibus armatae et discoloribus, serpentum in modum,
vittis, furiali more processerant; sed habitus ille feralis eversionis
omen fuit. Veientium quanta res fuerit, indicat decennis obsidio. Tum primum
hiematum sub pellibus, taxata stipendio hiberna, adactus miles sua sponte
jurejurando "nisi capta urbe, non remearet". Spolia de Larte Tolumnio rege
ad Feretrium reportata. Denique non scalis nec irruptione, sed cuniculo
et subterraneis dolis peractum urbis excidium. Ea denique visa est praedae
magnitudo, cujus decimae Apollini Pythio mitterentur, universusque populus
Romanus ad direptionem urbis vocaretur. Hoc tunc Veii fuere; nunc fuisse
quis meminit? quae reliquiae? quod vestigium? Laborat annalium fides, ut
Veios fuisse credamus.
|
.... |
XII. - Guerre contre
les Étrusques, les Falisques et les Fidénates. - (An de Rome
274 - 560.) - Les Véiens, peuple de l'Étrurie, nos ennemis
perpétuels, armaient chaque année. Tant d'acharnement porta
la famille des Fabius à lever contre eux une troupe vraiment extraordinaire,
et à soutenir seule les frais de la guerre. Sa défaite ne
fut que trop signalée. Trois cents guerriers, armée patricienne,
furent taillés en pièces près du Crémère;
et le nom de scélérate désigna la porte qui leur ouvrit,
à leur départ, le chemin du combat. Mais ce désastre
fut expié par d'éclatantes victoires; et nos divers généraux
prirent de très robustes places fortifiées, avec des circonstances,
il est vrai, bien différentes. La soumission des Falisqnes fut volontaire.
Les Fidénates périrent dans les flammes qu'ils avaient allumées;
les Véiens furent pris et entièrement exterminés.
Les Falisques, pendant qu'on les tenait assiégés, durent
accorder une juste admiration à la loyauté de notre général
, lequel, faisant charger de chaînes un maître d'école
qui voulait livrer sa patrie, s'empressa de le leur renvoyer avec les enfants
qu'il avait amenés. Il savait en effet, cet homme sage et vertueux,
qu'il n'y a de véritable victoire que celle qui s'obtient sans violer
la bonne foi et sans porter atteinte à l'honneur. Les Fidénates,
inférieurs aux Romains dans les combats, crurent les frapper d'épouvante,
en s'avançant comme des furieux, armés de torches, et hérissés
de bandelettes de diverses couleurs qui s'agitaient en forme de serpents
; mais ce lugubre appareil fut le présage de leur destruction. Quant
aux Véiens, un siège de dix ans indique assez leur puissance.
Alors, pour la première fois, on hiverna sous des tentes faites
de peaux, et l'on distribua une solde pendant les quartiers d'hiver : le
soldat s'était engagé, par un serment volontaire, " à
ne rentrer dans Rome qu'après avoir pris Véies. Les dépouilles
du roi Lars Tolumnius furent portées à Jupiter Férétrien.
Enfin, sans escalade et sans assaut, mais par la mine et par des travaux
souterrains, fut consommée la ruine de Véies. Le butin parut
si considérable que la dixième partie en fut envoyée
à Apollon Pythien, et que tout le peuple romain fut convié
au pillage de la ville. Voilà ce que Véies était alors;
qui se rappelle aujourd'hui qu'elle ait existé? quels débris
en reste-t-il? quel vestige? Il faut toute l'autorité des annales
pour nous persuader qu'il y eut une ville de Véies.
|
.. |
.. |
XIII. - Bellum Gallicum.
- Hic sive invidia deum sive fato rapidissimus procurrentis imperii cursus
parumper Gallorum Senonum incursione supprimitur. Quod tempus populo Romano
nescio utrum clade funestius fuerit, an virtutum experimentis speciosius.
Ea certe fuit vis calamitatis, ut in experimentum illatam putem divinitus,
scire volentibus inmortalibus diis, an Romana virtus imperium orbis mereretur.
|
.... |
XIII. - Guerre contre
les Gaulois. - ( An de Rome 564 -569 ). - Alors, soit jalousie des dieux,
soit arrêt du destin, le cours rapide des conquêtes de Rome
fut un instant interrompu par une incursion des Gaulois Sénonais.
Je ne sais si cette époque fut plus funeste aux Romains, par leurs
désastres, que glorieuse par les épreuve où elle mit
leurs vertus. Telle fut du moins la grandeur de leurs maux, que je les
croirais envoyés par les dieux immortels, pour éprouver si
la vertu romaine méritait l'empire du monde.
|
.. |
.. |
Galli Senones, gens
natura ferox, moribus incondita, ad hoc ipsa corporum mole, perinde armis
ingentibus, adeo omni genere terribilis fuit, ut plane nata ad hominum
interitum, urbium stragem videretur. Hi quondam ab ultimis terrarum oris
et cingente omnia Oceano, ingenti agmine profecti, quum jam media vastassent,
positis inter Alpes et Padum sedibus, ne his quidem contenti, per Italiam
vagabantur. Tum Clusium obsidebant. Pro sociis ac foederatis populus Romanus
intervenit. Missi ex more legati. Sed quod jus apud barbaros? ferocius
agunt, et inde certamen. Conversis igitur a Clusio, Romamque venientibus
ad Alliam flumen cum exercitu Fabius consul occurrit. Non temere foedior
clades. Itaque hunc diem fastis Roma damnavit. Fuso exercitu, jam moenibus
Urbis propinquabant. Erant nulla praesidia. Tum igitur, aut numquam alias,
apparuit vera illa Romana virtus. Jam primum majores natu, amplissimis
usi honoribus, in forum coeunt. Ibi, devovente pontifice, diis se Manibus
consecrant; statimque in suas quisque aedes regressi, sic ut in trabeis
erant, et amplissimo cultu, in curulibus sellis sese reposuerunt; ut, quum
venisset hostis, in sua dignitate morerentur. Pontifices et flamines, quidquid
religiosissimi in templis erat, partim in doleis defossa terra recondunt;
partim imposita plaustris secum avehunt. Virgines simul ex sacerdotio Vestae,
nudo pede fugientia sacra comitantur. Tamen excepisse fugientes unus e
plebe fertur Albinius, qui, depositis uxore et liberis, virgines in plaustrum
recepit; adeo tum quoque in ultimis religio publica privatis affectibus
antecellebat. Juventus vero, quam satis constat vix mille hominum fuisse,
duce Manlio, arcem Capitolini montis insedit, obtestata ipsum quasi praesentem
Jovem, "ut quem admodum ipsi ad defendendum templum ejus concurrissent,
ita ille virtutem eorum numine suo tueretur".
|
.... |
Les Gaulois Sénonais,
nation d'un naturel farouche, et de moeurs grossières, étaient
par leur taille gigantesque, ainsi que par leurs armes énormes,
si effrayants de toute manière, qu'ils semblaient nés uniquement
pour l'extermination des hommes et la destruction des villes. Parties autrefois
des extrémités de la terre et des rivages de l'Océan,
qui ceint l'univers, leurs innombrables hordes, après avoir tout
dévasté sur leur passage, s'étaient établies
entre les Alpes et le Pô; et, non contents de ces conquêtes,
ils se promenaient dans l'Italie. Ils assiégeaient alors Clusium.
Le peuple romain intervint en faveur de ses alliés et de ses amis.
Il envoya des ambassadeurs, selon l'usage. Mais quelle justice attendre
des Barbares? ils se montrent plus arrogants : ils se tournent contre nous,
et la guerre s'allume. Dès lors, abandonnant Clusium, ils marchent
sur Rome jusqu'au fleuve Allia, où le consul Fabius les arrête
avec une armée. Aucune défaite ne fut, sans contredit, plus
horrible. Aussi Rome, dans ses fastes, plaça-t-elle cette journée
au nombre des jours funestes. Les Gaulois, après la déroute
de notre armée, approchaient déjà des murs de la ville.
Elle était sans défense. C'est alors, ou jamais, qu'éclata
le courage romain. D'abord les vieillards qui avaient été
élevés aux premiers honneurs se rassemblèrent dans
le Forum. Là, tandis que le pontife prononçait les solennelles
imprécations, ils se dévouèrent aux dieux Mânes;
et, de retour dans leurs demeures, revêtus de la robe magistrale
et des ornements les plus pompeux, ils se placèrent sur leurs chaises
curules, voulant, lorsque viendrait l'ennemi, mourir dans toute leur dignité.
Les pontifes et les flammes enlèvent tout ce que les temples renferment
de plus révéré; ils en cachent une partie dans des
tonneaux qu'ils enfouissent sous terre, et, chargeant le reste sur des
chariots, ils le transportent loin de la ville. Les vierges attachées
au sacerdoce de Vesta accompagnent, pieds nus, la fuite des objets sacrés.
On dit cependant que ce cortège fugitif fut recueilli par un plébéien,
Lucius Albinus, qui fit descendre de son chariot sa femme et ses enfants,
pour y placer les prêtresses; tant il est vrai que, même dans
les dernières extrémités, la religion publique l'emportait
alors sur les affections particulières. Quant à la jeunesse,
qui, on le sait, se composait à peine de mille hommes, elle se retrancha,
sous la conduite de Manlius, dans la citadelle du mont Capitolin; et là,
comme en présence de Jupiter, ils le conjurèrent " puisqu'ils
s'étaient réunis pour défendre son temple, d'accorder
à leur valeur l'appui de sa divinité. "
|
.. |
.. |
Aderant interim Galli,
apertamque Urbem primo trepidi, ne qui subesset dolus, mox ubi solitudinem
vident, pari clamore et impetu invadunt. Patentes passim domos adeunt.
Ubi sedentes in curulibus suis praetextato senes, velut deos geniosque
venerati, mox eosdem, postquam esse homines liquebat, alioqui nihil respondere
dignantes, pari vecordia mactant, facesque tectis injiciunt; et totam urbem
igni, ferro, manibus exaequant. Sex mensibus barbari - quis crederet? -
circa montem unum pependerunt, nec diebus modo, sed noctibus quoque omnia
experti; quum tandem Manlius nocte subeuntes, clangore anseris excitatus,
a summa rupe dejecit; et ut spem hostibus demeret, quamquam in summa fame,
tamen ad speciem fiduciae, panes ab arce jaculatus est. Et stato quodam
die per medias hostium custodias Fabium pontificem ab arce demisit, qui
solemne in Quirinali monte conficeret. Atque ille per media hostium tela
incolumis religionis auxilio rediit propitiosque deos renuntiavit.
|
.... |
Cependant les Gaulois
arrivent; la ville était ouverte; ils pénètrent en
tremblant d'abord, de peur de quelque embûche secrète; bientôt,
ne voyant qu'une solitude, ils s'élancent avec des cris aussi terribles
que leur impétuosité, et se répandent de tous côtés
dans les maisons ouvertes. Assis sur leurs chaises curules et revêtus
de la prétexte, les vieillards leur semblent des dieux et des génies,
et ils se prosternent devant eux; bientôt, reconnaissant que ce sont
des hommes, qui d'ailleurs ne daignent pas leur répondre, ils les
immolent avec cruauté, embrasent les maisons; et, la flamme et le
fer à la main, ils mettent la ville au niveau du sol. Pendant six
mois, qui le croirait? Les Barbares restèrent comme suspendus autour
d'un seul roc, faisant le jour, la nuit même, de nombreuses tentatives
pour l'emporter. Une nuit enfin qu'ils y pénétraient, Manlius,
éveillé par les cris d'une oie, les rejeta du haut du rocher;
et, afin de leur ôter tout espoir par une apparente confiance, il
lança, malgré l'extrême disette, des pains par-dessus
les murs de la citadelle. Il fit même, dans un jour consacré,
sortir du Capitole, à travers les gardes ennemis, le pontife Fabius,
qui avait un sacrifice solennel à faire sur le mont Quirinal. Fabius
revint sans blessure au milieu des traits des ennemis, sous la protection
divine : et il annonça que les dieux étaient propices.
|
.. |
.. |
Novissime quum jam
obsidio sua barbaros fatigasset, mille pondo auri recessum suum venditantes,
idque ipsum per insolentiam, quum ad iniqua pondera addito adhuc gladio,
superbe "vae victis" increparent, subito aggressus a tergo Camillus adeo
cecidit, ut omnia incendiorum vestigia Gallici sanguinis inundatione deleret.
Agere gratias diis inmortalibus ipso tantae cladis nomine libet. Pastorum
casas ignis ille, et flamma paupertatem Romuli abscondit. Incendium illud
quid egit aliud, nisi ut destinata hominum ac deorum domicilio civitas,
non obruta, sed expiata potius et lustrata videatur?
|
.... |
Fatigués enfin
de la longueur du siège, les Barbares nous vendent leur retraite
au prix de mille livres d'or; ils ont même l'insolence d'ajouter
encore à de faux poids celui d'une épée; puis, comme
ils répétaient dans leur orgueil : "Malheur aux vaincus!"
soudain Camille les attaque par derrière, et en fait un tel carnage
qu'il efface dans des torrents de sang gaulois toutes les traces de l'incendie.
Grâces soient rendues aux dieux immortels, même pour cet affreux
désastre. Sous ce feu disparurent les cabanes de pasteurs; sous
la flamme, la pauvreté de Romulus. Cet embrasement d'une cité,
le domicile prédestiné des hommes et des dieux, eut-il un
autre résultat que de la montrer non pas détruite, non pas
ruinée, mais plutôt purifiée et consacrée?
|
.. |
.. |
Igitur post assertam
a Manlio, restitutam a Camillo Urbem, acrius etiam vehementiusque in finitimos
resurrexit. Ac primum omnium illa ipsam Gallicam gentem non contentus
moenibus expulisse, quum per Italiam naufragia sua latius traherent, sic
persecutus est, duce Camillo, ut hodie nulla Senonum vestigia supersint.
Semel apud Anienem trucidati, quum singulari certamine Manlius aureum torquem
barbaro inter spolia detraxit; unde Torquati. Iterum Pomptino agro, quum
in simili pugna Valerius, insidente galeae sacra alite adjutus, retulit
spolia; et inde Corvini. Tandem post aliquot annos, omnes reliquias eorum
in Etruria ad lacum Vadimonis Dolabella delevit, ne quis exstaret ex ea
gente, quae incensam a se Romanam urbem gloriaretur.
|
.... |
Ainsi donc, sauvée
par Manlius et rétablie par Camille, Rome se releva plus fière
et plus terrible pour ses voisins. Et d'abord, c'était peu d'avoir
chassé de la ville cette race de Gaulois; les voyant encore traîner
par toute l'Italie les vastes débris de leur naufrage, les Romains
les poursuivirent si vivement, sous la conduite de Camille, qu'il ne reste
plus aujourd'hui aucun vestige des Sénonais. on les massacra une
première fois près de l'Anio, où Manlius, dans un
comtat singulier contre un de ces Barbares, lui arracha, entre autres dépouilles,
un collier d'or : de là le nom de Torquatus. Ils furent encore défaits
aux champs Pontins; là, dans un semblable combat, Lucius Valérius,
secondé par un oiseau sacré qui s'attacha au casque du Gaulois,
conquit les dépouilles de son ennemi et le surnom de Corvinus. Enfin,
quelques années après, les derniers restes de ce peuple furent
anéantis en Etrurie, par Dolabella, près le lac de Vadimon,
afin qu'il n'existât plus dans cette nation un seul homme qui pût
se glorifier d'avoir incendié la ville de Rome.
|
.. |
.. |
XIV. - Bellum Latinum.
- Conversus a Gallis in Latinos, Manlio Torquato Decio Mure consulibus,
semper quidem aemulatione imperii infestos, tum vero contemptu Urbis incensae,
quum jus civitatis, partem imperii et magistratuum posceret, atque jam
amplius quam congredi auderent. Quo tempore quis cessisse hostem mirabitur,
quum alter consulum filium suum, quia contra imperium pugnaverat, quamvis
victorem occiderit ostenderit, quasi plus in imperio esset quam in victoria;
alter, quasi monitu deorum, capite velato, primam ante aciem diis Manibus
se devoverit, ut in confertissima se hostium tela jaculatus novum ad victoriam
iter sanguinis sui semita aperiret.
|
.... |
XIV. - Guerre contre
les latins. - (An de Rome 414 - 417. ) - Des Gaulois on marcha contre les
Latins, sous le consulat de Manlius Torquatus et de Décius Mus.
La jalousie du commandement avait toujours rendu ces peuples ennemis de
Rome; mais alors, l'incendie de cette ville la leur faisant mépriser,
ils réclamaient le droit de cité, la participation au gouvernement
et aux magistratures; et ils osaient plus que nous combattre. Ils cèdent
à nos armes; qui pourra s'en étonner, quand on voit l'un
des consuls faire mourir son fils pour avoir combattu contre son ordre,
et montrer qu'il attache à la discipline plus de prix qu'à
la victoire; l'autre, comme par une inspiration divine, se couvrir la tête
d'un voile, se dévouer aux dieux Mânes devant le premier rang
de l'armée, se précipiter au milieu des traits innombrables
des ennemis, et nous frayer, par les traces de son sang, un nouveau chemin
vers la victoire ?
|
.. |
.. |
XV. - Bellum Sabinum.
- A Latinis aggressus est gentem Sabinorum, qui immemores factae sub Tito
Tatio affinitatis, quodam contagio belli se Latinis adjunxerant. Sed Curio
Dentato consule, omnem eum tractum, qua Nar, Anio, fontesque Velini, Aadriatico
tenus mari, igne ferroque vastavit. Qua victoria tantum hominum, tantum
agrorum redactum in potestatem, ut in utro plus esset, nec ipse posset
aestimare qui vicerat.
|
.... |
XV. - Guerre contre
les Sabins. - (An de Rome 465. ) - Les Latins soumis, on attaqua les Sabins
qui, oubliant l'alliance contractée sous Titus Tatius, et entraînés
à la guerre par une sorte de contagion, s'étaient joints
aux Latins. Mais le consul Curius Dentalus porta le fer et le feu dans
toute la contrée qui s'étend entre le Nar, l'Anio et les
fontaines Vélines, jusqu'à la mer Adriatique. Cette victoire
fit passer tant d'hommes, tant de territoire sous la puissance de Rome,
que le vainqueur lui-même ne pouvait décider laquelle de cette
double conquête était la plus considérable.
|
.. |
.. |
XVI. - Bellum Samniticum.
- Precibus deinde Campaniae motus, non pro se, sed, quod speciosius, pro
sociis, Samnitas invadit. Erat foedus cum utrisque percussum; sed hoc Campani
sanctius, et prius omnium suorum deditione fecerant. Sic ergo Romanus bellum
Samniticum tamquam sibi gessit.
|
.... |
XVI. - Guerre contre
les Samnites. - (An de Rome 410.) - Touché des prières de
la Campanie, le peuple romain, non pour son intérêt, mais,
ce qui est plus beau, pour celui de ses alliés, attaqua ensuite
les Samnites. Il existait une alliance conclue avec chacun de ces deux
peuples; mais les Campaniens avaient rendu la leur plus sacrée et
plus importante par la cession de tous leurs biens. Ainsi donc Rome fit
la guerre aux Samnites comme pour elle-même.
|
.. |
.. |
Omnium, non modo Italia,
sed toto orbe terrarum, pulcherrima Campaniae plaga est. Nihil mollius
caelo: denique bis floribus vernat. Nihil uberius solo: ideo Liberi Cererisque
certamen dicitur. Nihil hospitalius mari: hic illi nobiles portus, Caieta,
Misenus, et tepentes fontibus Baiae; Lucrinus et Avernus, quaedam maris
otia. Hic amicti vitibus montes Gaurus, Falernus, Massicus et pulcherrimus
omnium Vesuvius, Aetnaei ignis imitator. Vrbes ad mare Formiae, Cumae,
Puteoli, Neapolis, Herculaneum, Pompei, et ipsa caput urbium, Capua, quondam
inter tres maximas, Romam Carthaginemque numerata.
|
.... |
De toutes les contrées
non seulement de l'Italie, mais de l'univers entier, la plus belle est
la Campanie. Rien de plus doux que son climat; un double printemps y fleurit
chaque année. Rien de plus fertile que son territoire; aussi dit-on
que Bacchus et Cérès y rivalisent. Point de mer plus hospitalière.
Là sont les ports renommés de Caïète, de Misène,
de Baïes, aux sources toujours tièdes; le Lucrin et l'Averne,
où la mer semble venir se reposer. Là sont ces monts couronnés
de vignobles, le Gaurus, le Falerne, le Massique, et, le plus beau de tous,
le Vésuve, rival des feux de l'Etna. Près de la mer sont
les villes de Formies, Cumes, Pouzzoles, Naples, Herculanum, Pompéi,
et, la première de toutes, Capoue, comptée jadis au rang
des trois plus grandes cités du monde, avec Rome et Carthage.
|
.. |
.. |
Pro hac urbe, his
regionibus populus Romanus Samnitas invasit, gentem, si opulentiam quaeras,
aureis et argenteis armis, discolori veste, usque ad ambitum ornatam; si
fallaciam, saltibus fere et montium fraude grassantem; si rabiem ac furorem,
sacratis legibus humanisque hostiis in exitium Urbis agitatam; si pertinaciam,
sexies rupto foedere cladibusque ipsis animosiorem. Hos tamen quinquaginta
annis per Fabios ac Papirios patres, eorumque liberos ita subegit ac domuit;
ita ruinas ipsas urbium diruit, ut hodie Samnium in ipso Samnio requiratur;
nec facile appareat materia quatuor et viginti triumphorum. Maxime tamen
nota et illustris apud Caudinas furculas, Veturio Postumioque consulibus,
accepta est. Cluso per insidias intra eum saltum exercitu, unde non posset
evadere, stupens tanta occasione dux hostium Pontius, Herennium patrem
consuluit; et ille, "mitteret omnes vel occideret", sapienter ut senior
suaserat. Hic armis exutos mittere sub jugum maluit, ut nec amici forent
beneficio, et post flagitium, hostes magis. Itaque et consules statim magnifice
voluntaria deditione turpitudinem foederis dirimunt, et ultionem flagitans
miles, Papirio duce - horribile dictu - strictis ensibus per ipsam viam
ante pugnam furit; et "in congressu arsisse omnium oculos" hostis auctor
fuit. Nec prius finis caedibus datus, quam jugum et hostibus et duci capto
reposuerunt.
|
.... |
C'est pour cette ville,
pour ces contrées, que le peuple romain envahit le territoire des
Samnites. Veut-on connaître l'opulence de ce peuple? il prodiguait
jusqu'à la recherche l'or et l'argent sur ses armes, et les couleurs
sur ses vêlements. Sa perfidie? il combattait en dressant des pièges
dans les bois et dans les montagnes; son acharnement et sa fureur? C'était
par des lois inviolables, et par le sang de victimes humaines, qu'il s'excitait
à la ruine de Rome. Son opiniâtreté? rompant six fois
le traité, il ne se montrait que plus animé après
ses défaites. Toutefois, il ne fallut que cinquante ans aux Fabius,
aux Papirius et à leurs fils, pour le soumettre et le dompter; on
dispersa tellement les ruines mêmes de ces villes, que l'on cherche
aujourd'hui le Samnium dans le Samnium, et qu'il est difficile de retrouver
le pays qui a fourni la matière de vingt-quatre triomphes. Rome
n'en reçut pas moins de cette nation un affront célèbre
et fameux aux Fourches Caudines, sous les consuls Véturius et Postumius.
Enfermée par surprise dans ce défilé, notre armée
ne pouvait en sortir; le général ennemi, Pontius, tout étonné
d'une occasion si belle, conseilla son père Hérennius, qui
lui conseilla sagement "de laisser aller ou de tuer tous les Romains."
Pontius aima mieux les désarmer et les faire passer sous le joug;
ce n'était pas seulement dédaigner leur amitié en
retour d'un bienfait, c'était rendre, par un affront, leur inimitié
plus terrible. Bientôt les consuls, se livrant d'eux-mêmes
par une magnanime résolution, effacent la honte du traité;
le soldat, avide de vengeance, se précipite, sous la conduite de
Papirius, les épées nues, spectacle effrayant! et, pendant
la marche même, il prélude au combat par des frémissements
de fureur. " Dans l'action, tous les yeux lançaient des flammes,
" comme l'ennemi l'attesta; et l'on ne mit fin au carnage qu'après
avoir imposé le même joug aux ennemis et à leur général
captif.
|
.. |
.. |
XVII. - Bellum Etruscum
et Samniticum. - Hactenus populo Romano bellum cum singulis gentium, mox
acervatim; tamen sic quoque par omnibus fuit. Etruscorum duodecim populi,
Umbri in id tempus intacti, antiquissimus Italiae populus, Samnitum reliqui,
in excidium Romani nominis repente conjurant. Erat terror ingens tot simul
tantorumque populorum. Late per Etruriam infesta quatuor agminum signa
volitabant. Ciminius interim saltus in medio, ante invius, plane quasi
Calidonius vel Hercynius, adeo tunc terrori erat, ut senatus consuli denuntiaret,
ne tantum periculi ingredi auderet. Sed nihil horum terruit ducem; quin
fratre praemisso, explorat accessus. Ille per noctem pastorio habitu speculatus
omnia, refert tutum iter. Sic Fabius Maximus periculosissimum bellum sine
periculo explicavit. Nam subito inconditos atque palantes aggressus est;
captisque superioribus jugis, in subjectos suo iure detonuit. Ea namque
species fuit illius belli, quasi in terrigenas e caelo ac nubibus tela
mitterentur. Nec incruenta tamen illa victoria; nam oppressus in sinu vallis
alter consulum Decius, more patrio devotum diis Manibus obtulit caput;
sollemnemque familiae suae consecrationem in victoriae pretium redegit.
|
.... |
XVII. - Guerre contre
les Etrusques et les Samnites. - (An de Rome 455.) - Jusque-là le
peuple romain n'avait fait la guerre qu'à une seule nation à
la fois; bientôt il les combattit en masse, et sut cependant faire
face à toutes. Les douze peuples de l'Etrurie, les Ombriens, le
plus ancien peuple de l'Italie, qui avait jusqu'à cette époque
échappé à nos armes; le reste des Samnites se conjurèrent
tout à coup pour l'extinction du nom romain. La terreur fut à
son comble devant la ligue de tant de nations si puissantes. Les enseignes
de quatre armées ennemies flottaient au loin dans l'Etrurie. Entre
elles et nous s'étendait la forêt Ciminienne, jusqu'alors
impénétrable, comme celles de Calydon ou d'Hercynie. Ce passage
était si redouté, que le sénat défendit au
consul d'oser s'engager au milieu de tant de périls. Mais rien ne
put effrayer le général ; et il envoya son frère en
avant pour reconnaître les avenues de la forêt. Celui-ci, sous
l'habit d'un berger, observa tout pendant la nuit, et revint annoncer que
le passage était sûr. C'est ainsi que Fabius Maximus se tira
sans danger d'une guerre si aventureuse. Il surprit tout à coup
les ennemis en désordre et dispersés; et, s'étant
emparé des hauteurs, il les foudroya sans effort à ses pieds.
Ce fut comme une image de cette guerre où, du haut des cieux et
du sein des nuages, la foudre était lancée sur les enfants
de la terre. Toutefois, cette victoire ne laissa pas d'être sanglante;
car Décius, l'un des consuls, accablé par l'ennemi dans le
fond d'une vallée, dévoua, à l'exemple de son père,
sa tête aux dieux Mânes; et, au prix de ce sacrifice solennel,
ordinaire dans sa famille, il racheta la victoire.
|
.. |
.. |
XVIII. - Bellum Tarentinum
et Pyrrho rege. - Sequitur bellum Tarentinum, unum quidem titulo et nomine,
sed victoria multiplex. Hoc enim Campanos, Apulos atque lucanos et, caput
belli, Tarentinos, id est totam Italiam, et cum istis omnibus Pyrrhum,
clarissimum Graeciae regem, una veluti ruina pariter involvit; ut eodem
tempore et Italiam consummaret, et transmarinos triumphos auspicaretur.
|
.... |
XVIII. - Guerre contre
Tarente et contre le roi Pyrrhus. - (An de Rome 47l - 481.) Vient ensuite
la guerre de Tarente, que l'on croirait, d'après ce titre et ce
nom, dirigée contre un seul peuple; mais qui, par la victoire, en
embrasse plusieurs. En effet, les Campaniens, les Apuliens, les Lucaniens,
les Tarentins, auteurs de cette guerre, c'est-à-dire l'Italie entière,
et, avec tous ces états, Pyrrhus, le plus illustre roi de la Grèce
, furent comme enveloppés dans une ruine commune; de sorte qu'en
même temps cette guerre consommait la conquête de l'Italie,
et était le prélude de nos triomphes d'outre-mer.
|
.. |
.. |
Tarentus, Lacedaemoniorum
opus, Calabriae quondam, et Apuliae, totiusque Lucaniae caput, quum magnitudine
et muris portuque nobilis, tum mirabilis situ : quippe in ipsis Hadriatici
maris faucibus posita, in omnes terras, Istriam, Illyricum, Epirum, Achaiam,
Africam, Siciliam, vela mittit. Imminet portui ad prospectum maris positum
majus theatrum, quod quidem causa miserae civitati fuit omnium calamitatum.
Ludos forte celebrabant, quum adremigantem litori Romanam classem inde
vident; atque hostem rati emicant, sine discrimine insultant : "qui enim
aut unde Romani?" Nec satis : aderat sine mora querelam ferens legatio.
Hanc quoque foede per obscenam turpemque dictu contumeliam violant; et
hinc bellum. Sed apparatus horribilis, quum tot simul populi pro Tarentinis
consurgerent, omnibusque vehementior Pyrrhus, qui semigraecam ex Lacedaemoniis
conditoribus civitatem vindicaturus, cum totius viribus Epiri, Thessaliae,
Macedoniae, incognitisque in id tempus elephantis, mari, terra, viris,
equis, armis, addito insuper ferarum terrore, veniebat.
|
.... |
Tarente, ouvrage des
Lacédémoniens, autrefois capitale de la Calabre, de l'Apulie
et de toute la Lucanie, est aussi renommée pour sa grandeur, ses
remparts et son port, qu'admirable par sa position : en effet, située
à l'entrée même du golfe Adriatique, elle envoie ses
vaisseaux dans toutes les contrées, dans l'Istrie, l'Illyrie, l'Épire,
l'Achaïe, l'Afrique, la Sicile. Au-dessus du port, et en vue de la
mer, s'élève un vaste théâtre, qui fut l'origine
de tous les désastres de cette ville malheureuse. Les Tarentins
y célébraient par hasard des jeux, lorsqu'ils aperçurent
une flotte romaine ramant vers le rivage; persuadés que ce sont
des ennemis, ils se lèvent aussitôt, et, sans réfléchir,
ils se répandent en injures. " Qui sont, disent-ils, et d'où
viennent ces Romains? " Ce n'est pas assez : des ambassadeurs étaient
venus porter de justes plaintes; on en insulte la majesté par un
outrage obscène et qu'il serait honteux de rapporter; ce fut le
signal de la guerre. L'appareil en fut formidable, par le grand nombre
de peuples qui se levèrent à la fois en faveur des Tarentins;
Pyrrhus, plus ardent que tous les autres, et brûlant de venger une
ville à moitié grecque, qui avait les Lacédémoniens
pour fondateurs, venait par mer et par terre, avec toutes les forces de
l'Epire, de la Thessalie, de la Macédoine, avec des éléphants
jusqu'alors inconnus, et ajoutait encore à la force de ses guerriers,
de ses chevaux et de ses armes, la terreur qu'inspiraient ces animaux.
|
.. |
.. |
Apud Heracleam, et
Campaniae fluvium Lirim, Levino consule, prima pugna, quae tam atrox fuit
ut Ferentinae turmae praefectus Obsidius, invectus in regem, turbaverit
coegeritque, projectis insignibus, proelio excedere. Actum erat, nisi elephanti,
converso in spectaculum bello, procurrissent; quorum quum magnitudine
tum deformitate et novo odore simul ac stridore consternati equi, quum
incognitas sibi belluas amplius, quam erant, suspicarentur, fugam stragemque
late dederunt.
|
.... |
Ce fut près
d'Héraclée, sur les bords du Liris, fleuve de la Campanie,
et sous les ordres du consul Lévinus, que se livra le premier combat.
Il fut si terrible qu'Obsidius, commandant de la cavalerie Férentine,
ayant chargé le roi, le mit en désordre et le força
de sortir de la mêlée, dépouillé des marques
de sa dignité. C'en était fait de Pyrrhus, si n'étaient
pas accouru les éléphants qui changèrent, pour les
Romains, le combat en spectacle. Leur masse, leur difformité, leur
odeur inconnue, leur cri aigu, épouvantèrent les chevaux
qui, croyant ces ennemis nouveaux plus redoutables qu'ils n'étaient
en effet, causèrent, par leur fuite, une vaste et sanglante déroute.
|
.. |
.. |
In Apulia deinde apud
Asculum melius dimicatum est, Curio Fabricioque consulibus. Jam quippe
belluarum terror exoleverat; et Caius Minucius quartae legionis hastatus,
unius proboscide abscisa, mori posse belluas ostenderat. Itaque et in ipsas
pila congesta sunt, et in turres vibratae faces tota hostium agmina ardentibus
ruinis operuere : nec ante cladi finis fuit, quam nox dirimeret, postremusque
fugientium ipse rex a satellitibus humero saucius in armis suis referretur.
|
.... |
On combattit ensuite
avec plus de succès, près d'Asculum, en Apulie, sous les
consuls Curius et Fabricius. Déjà en effet l'épouvante
occasionnée par les éléphants s'était dissipée;
et Caïus Minucius, hastaire de la quatrième légion,
en coupant la trompe de l'un d'eux, avait montré que ces animaux
pouvaient mourir. Dès lors on les accabla aussi de traits, et des
torches lancées contre les tours couvrirent les bataillons ennemis
tout entiers de débris enflammés. Le carnage ne se termina
pas avant que la nuit séparât les combattants, et que le roi
lui-même, le dernier à fuir avec une blessure à l'épaule,
fût emporté par ses gardes sur son bouclier.
|
.. |
.. |
Lucaniae suprema pugna
sub Arusinis, quos vocant, campis, ducibus iisdem, qui superius; sed tunc
ad totam victoriam exitum, quem datura virtus fuit, casus dedit. Nam productis
in primam aciem rursus elephantis, unum ex his pullum adacti in caput teli
gravis ictus avertit; qui, quum per stragem suorum percurrens stridore
quereretur, mater agnovit et, quasi vindicaret, exsiluit; tum omnia circa
quasi hostilia gravi mole permiscuit. Ac sic eaedem ferae, quae primam
victoriam abstulerant, secundam parem fecerant, tertiam sine controversia
tradiderunt.
|
.... |
Une dernière
bataille fut livrée en Lucanie par les mêmes généraux
que j'ai nommés plus haut, dans les plaines qu'on nomme Arusines;
mais ici la victoire fut complète, et, pour la décider, le
hasard fit ce que d'ailleurs eût fait la valeur romaine. Les éléphants
étaient de nouveau placés sur le front de l'armée;
un d'eux, tout jeune encore, fut grièvement blessé d'un trait
qui lui perça la tête; il tourna le clos, et écrasa,
dans sa course, les soldats de cette armée. A ses cris douloureux,
sa mère le reconnut et s'élança comme pour le venger.
Tout lui paraît ennemi, et, par sa lourde masse, elle porte le désordre
autour d'elle. Ainsi ces mêmes animaux, qui avaient enlevé
la première victoire et balancé la seconde, nous livrèrent
la troisième sans résistance.
|
.. |
.. |
Nec vero tantum armis
et in campis, sed consiliis quoque et domi intra Urbem cum rege Pyrrho
dimicatum est. Quippe post primam victoriam rex callidus, intellecta virtute
Romana, statim desperavit armis, seque ad dolos contulit. Nam interemptos
cremavit, captivosque indulgenter habuit, et sine pretio restituit;
missisque deinde legatis in Urbem, omni modo adnixus est ut, facto foedere,
in amicitiam reciperetur. Sed bello et pace foris et domi, omnem in partem
Romana virtus tum se approbavit; nec alia magis quam Tarentina victoria
ostendit populi Romani fortitudinem, senatus sapientiam, ducum magnanimitatem.
Quinam illi fuerunt viri, quos ab elephantis primo proelio obtritos accepimus!
Omnium vulnera in pectore; quidam hostibus suis immortui; omnium
in manibus ensis, et relictae in vultibus minae, et in ipsa morte ira vivebat.
Quod adeo Pyrrhus miratus est ut diceret : "o quam facile erat orbis imperium
occupare, aut mihi, Romanis militibus, aut, me rege, Romanis"! Quae autem
eorum, qui superfuerunt, in reparando exercitu festinatio, quum Pyrrhus
"video me", inquit, "plane Herculis sidere procreatum, cui, quasi ab angue
Lernaeo, tot caesa hostium capita quasi de sanguine suo renascuntur"! Qui
autem ille senatus fuit, quum, perorante Appio Caeco, pulsi cum muneribus
suis ab Urbe legati, interroganti regi suo, quid de hostium sede sentirent
: "Urbem templum sibi visam; senatum regum consessum esse," confiterentur!
Qui porro ipsi duces, vel in castris, quum medicum venale regis Pyrrhi
caput offerentem Curius remisit; Fabricius oblatam sibi a rege imperii
partem repudiavit; vel in pace, quum Curius fictilia sua Samnitico praeferret
auro; Fabricius decem pondo argenti circa Rufinum, consularem virum, quasi
luxuriam censoria gravitate damnaret!
|
.... |
Ce ne fut pas seulement
par les armes et sur les champs de bataille, mais encore dans nos conseils
et au sein de notre ville, que l'on eut à combattre Pyrrhus. Ce
roi artificieux ayant, dès sa première victoire, reconnu
la valeur romaine, désespéra dès lors d'en triompher
par les armes, et recourut à la ruse. En conséquence, il
brûla nos morts, traita les prisonniers avec bonté, et les
rendit sans rançon. Ayant ensuite envoyé des ambassadeurs
à Rome, il s'efforça par tous les moyens de conclure un traité
et d'acquérir notre amitié. Mais, dans la paix comme dans
la guerre, au dedans comme au dehors, dans toutes les occasions, on vit
éclater la vertu romaine ; et, plus qu'aucune autre, la victoire
de Tarente montra le courage du peuple romain, la sagesse, du sénat,
la magnanimité de nos généraux. Quels hommes c'étaient
en effet que ceux qui, dans la première bataille, furent, nous dit-on,
écrasés sous les pieds des éléphants! Tous
avaient reçu leurs blessures à la poitrine; quelques-uns
étaient morts sur leurs ennemis; l'épée était
restée dans leurs mains, la menace sur leurs visages, et, dans la
mort même, leur courroux vivait encore. Aussi Pyrrhus dit-il plein
d'admiration : " Combien la conquête de l'univers serait facile,
ou à moi avec des soldats romains, ou aux Romains avec un roi tel
que moi! "Et quelle activité, dans ceux qui survécurent,
pour former une nouvelle armée!" Je le vois, dit encore Pyrrhus,
je suis né sous la constellation d'Hercule; comme celles de l'hydre
de Lerne, toutes les têtes abattues de mes ennemis renaissent de
leur sang. " Quelle grandeur encore dans ce sénat! Témoin
la réponse de ses ambassadeurs, chassés de Rome avec leurs
présents, après le discours d'Appius Coecus; Pyrrhus leur
demandait ce qu'ils pensaient de la demeure de. ses ennemis; ils avouèrent
" que Rome leur avait paru un temple et le sénat une assemblée
de rois. " Enfin, quels généraux que les nôtres! Voyez-les
dans leur camp : Curius renvoie le médecin de Pyrrhus, qui voulait
lui vendre la tête de ce prince; et Fabricius rejette l'offre, que
lui fait le roi, d'une partie de ses états. Voyez-les dans la paix
: Curius préfère ses vases d'argile à l'or des Samnites,
et Fabricius, dans l'austérité de sa censure, condamne comme
un luxe excessif les dix livres de vaisselle d'argent que possédait
Rufinus, personnage consulaire.
|
.. |
.. |
Quis ergo miretur
his moribus, hac virtute militum, victorem populum Romanum fuisse, unoque
bello Tarentino intra quadriennium maximam partem Italiae, fortissimas
gentes, opulentissimas urbes uberrimasque regiones in ditionem redegisse?
Aut quid adeo fidem superet, quam si principia belli cum exitu conferantur?
Victor primo proelio Pyrrhus, tota tremente, Campaniam, Lirim, Fregellasque
populatus, prope captam Urbem a Praenestina arce prospexit; et a vicesimo
lapide oculos trepidae civitatis fumo ac pulvere implevit. Eodem postea
bis exuto castris, bis saucio, et in Graeciam suam trans mare ac terras
fugato, pax et quies; et tanta de opulentissimis tot gentibus spolia, ut
victoriam suam Roma non caperet. Nec enim temere ullus pulchrior in Urbem
aut speciosior triumphus intravit. Ante hunc diem nihil praeter pecora
Volscorum, greges Sabinorum, carpenta Gallorum, fracta Samnitum arma vidisses:
tum si captivos adspiceres, Molossi, Thessali, Macedones, Bruttius, Apulus
atque Lucanus; si pompas, aurum, purpura, signa, tabulae, Tarentinaeque
deliciae. Sed nihil libentius populus Romanus adspexit quam illas, quas
timuerat, cum turribus suis belluas, quae non sine sensu captivitatis,
submissis cervicibus, victores equos sequebantur.
|
.... |
Qui s'étonnera
qu'avec ces moeurs, et avec le courage de ses soldats, le peuple romain
ait été vainqueur, et que, dans les quatre années
de la seule guerre de Tarente, il ait réduit sous sa domination
la plus grande partie de l'Italie, les peuples les plus courageux, les
villes les plus opulentes et les contrées les plus fertiles? Quoi
de plus incroyable que cette guerre, si l'on en compare le commencement
et l'issue? Vainqueur dans un premier combat, Pyrrhus, pendant que toute
l'Italie tremble, dévaste la Campanie, les bords du Liris et Frégelles;
des hauteurs de Préneste, il contemple Rome à demi soumise,
et, à la distance de vingt milles, il remplit de fumée et
de poussière les yeux des citoyens épouvantés. Ensuite,
deux fois chassé de son camp, blessé deux fois, repoussé
par mer et par terre jusque dans la Grèce, sa patrie, il nous laisse
la paix et le repos; et telles sont les dépouilles de tant de nations
opulentes, que Rome ne peut contenir les fruits de sa victoire. Jamais,
en effet, jamais triomphe plus beau, plus magnifique, n'était entré
dans ses murs. Jusqu'à ce jour, on n'avait vu que le bétail
des Volsques, les troupeaux des Sabins, les chariots des Gaulois, les armes
brisées des Samnites. Alors on remarquait comme captifs des Molosses,
des Thessaliens, des Macédoniens, des guerriers du Bruttium, de
l'Apulie, de la Lucanie; et, comme ornement de cette pompe, l'or, la pourpre,
des statues, des tableaux, et ce qui faisait les délices de Tarente.
Mais rien ne fut plus agréable au peuple romain que la vue de ces
monstres qu'il avait tant redoutés, des éléphants
chargés de leurs tours, et qui, loin d'être étrangers
au sentiment de la captivité, suivaient, la tête baissée,
les chevaux victorieux.
|
.. |
.. |
XIX. - Bellum Picens.
- Omnis mox Italia pacem habuit : qui enim post Tarentum auderent? nisi
quod ultro persequi socios hostium placuit. Domiti ergo Picentes, et caput
gentis Asculum, Sempronio duce, qui tremente inter proelium campo, Tellurem
deam, promissa aede, placavit.
|
.... |
XIX. - Guerre contre
les Picentins. - ( An de Rome 486.) - Toute l'Italie jouit bientôt
de la paix; car, après Tarente, qui eût osé la rompre?
Mais les Romains voulurent attaquer et poursuivre les alliés de
leurs ennemis. Alors ou dompta les Picentins, et on prit leur capitale,
Asculum, sous le commandement de Sempronius, qui, ayant senti trembler
le champ de bataille pendant l'action, apaisa la déesse Tellus par
la promesse d'un temple.
|
.. |
.. |
XX. - Bellum Sallentinum.
- Sallentini Picentibus additi, caputque regionis Brundisium cum inclyto
portu, M. Atilio duce. Et in hoc certamine, victoriae pretium templum sibi
pastoria Pales ultro poposcit.
|
XX. - Guerre contre
les Sallentins. - ( An de Rome 485 ). A la soumission des Picentins succéda
celle des Sallentins et de Brundusium, capitale du pays, fameuse par son
port; ce fut la conquête de Marcus Atilius. Dans cette guerre, la
déesse des bergers, Palès, demanda un temple pour prix de
la victoire.
|
.. |
.. |
XXI. - Bellum Volsiniense.
- Postremi Italicorum in fidem venere Volsini, opulentissimi Etruscorum,
implorantes opem adversus servos quondam suos, qui libertatem a dominis
datam, in ipsos erexerant; translataque in se re publica dominabantur.
Sed hi quoque, duce Fabio Gurgite, poenas dederunt.
|
.... |
XXI. - Guerre contre
les Volsiniens. ( An de Rome 488 ). - Le dernier des peuples de l'Italie
qui se rangea sous notre domination fut les Volsiniens, les plus riches
des Étrusques. Ils implorèrent le secours de Rome contre
leurs anciens esclaves qui, tournant contre leurs maîtres la liberté
qu'ils en avaient reçue, s'étaient arrogé le pouvoir,
et dominaient dans la république. Mais ils furent châtiés
par notre général, Fabius Gurgès.
|
.. |
.. |
XXII. - De Seditionibus.
- Haec est secunda aetas populi Romani et quasi adulescentia, qua maxime
viruit et quodam flore virtutis exarsit ac ferbuit. Itaque inerat quaedam
adhuc ex pastoribus feritas, quae quiddam adhuc spirabat indomitum. Inde
est quod exercitus Postumium imperatorem, infitiantem, quas promiserat,
praedas, facta in castris seditione, lapidavit; quod sub Appio Claudio
noluit vincere hostem, quum posset; quod, duce Volerone, detrectantibus
plerisque militiam, fracti consulis fasces. Inde clarissimos principes,
quod adversarentur voluntati suae, exsulatione multavit, ut Coriolanum
colere agros jubentem; nec minus ille ferociter injuriam armis vindicasset,
nisi quod jam inferentem signa filium mater Veturia lacrymis suis exarmavit,
ut ipsum Camillum, quod inique inter plebem et exercitum divisisse Veientem
praedam videretur. Sed hic melior in capta Urbe consenuit, et mox supplices
de hoste Gallo vindicavit. Cum senatu quoque vehementius aequo bonoque
certatum est, adeo ut, relictis sedibus, solitudinem et interitum patriae
suae minaretur.
|
.... |
XXII. - Des séditions.
- C'est le second âge et comme l'adolescence du peuple romain; il
était alors dans toute sa force, et l'on voyait en lui la fleur
d'un ardent et impétueux courage. II conservait encore quelque chose
de la rudesse des pâtres; il respirait une sorte de fierté
indomptable. Aussi vit-on l'armée de Postumius, frustrée
du butin qu'il lui avait promis, se révolter dans son camp et lapider
son général; celle d'Appius Claudius ne pas vouloir vaincre
quand elle le pouvait; et la plus grande partie du peuple, soulevée
par Voleron, refuser de s'enrôler, et briser les faisceaux du consul.
Aussi les plus illustres patriciens, pour s'être opposés à
la volonté de la multitude, furent-ils punis par l'exil; témoin
Coriolan, qui exigeait qu'on cultivât les terres, et qui, au reste,
aurait cruellement vengé son injure par les armes, si, le voyant
prêt à planter ses étendards sur les murs de Rome,
sa mère Véturie ne l'eût désarmé par
ses larmes : témoin Camille lui-même, soupçonné
d'avoir fait entre le peuple et l'armée une injuste répartition
du butin de Véies. Mais, meilleur citoyen que Coriolan, il alla
languir dans la ville qu'il avait prise, et vengea bientôt des Gaulois
ses concitoyens suppliants. Le peuple soutint aussi contre le sénat
une lutte plus violente que ne le demandaient les convenances et la justice;
après avoir abandonné ses foyers, il menaça de changer
sa patrie en solitude et de la détruire de fond en comble .
|
.. |
.. |
XXIII. - Prima Seditio.
- Prima discordia ob impotentiam foeneratorum : quibus in terga quoque
serviliter saevientibus, in sacrum montem plebs armata secessit; aegreque,
nec nisi tribunos inpetrasset, Menenii Agrippae, facundi et sapientis viri,
auctoritate revocata est. Exstat orationis antiquae satis efficax ad concordiam
fabula, qua "dissedisse inter se quondam humanos dixit artus, quod, omnibus
opere fungentibus, solus venter immunis ageret; deinde moribundos ea sejunctione
rediisse in gratiam, quando sensissent quod ejus opera redactis in sanguinem
cibis irrigarentur."
|
.... |
XXIII. - Première
sédition. - ( An de Rome 259-260 ). - La première dissension
civile eut pour motif la tyrannie des usuriers, qui faisaient battre leurs
débiteurs comme des esclaves. Le peuple en armes se retira sur le
mont sacré; et ce ne fut qu'avec peine, et après avoir obtenu
des tribuns qu'il fut ramené par l'autorité de Ménénius
Agrippa, homme éloquent et sage. II reste, de sa harangue antique,
l'apologue qui fut assez puissant pour rétablir la concorde : "Autrefois,
dit-il, les membres du corps humain se séparèrent, se plaignant
que, tandis qu'ils avaient tous des fonctions à remplir, l'estomac
seul demeurât oisif. Devenus languissants par suite de cette séparation,
ils firent la paix quand ils eurent senti que, grâce au travail de
l'estomac, le sang, formé du suc des aliments, circulait dans leurs
veines."
|
.. |
.. |
XXIV. - Secunda Seditio.
- Secundam in Urbe media decemviratus libido conflavit. Allatas a Graecia
leges decem principes lecti, jubente populo, conscripserant; ordinataque
erat in duodecim tabulis tota justitia, quum tamen traditos fasces regio
quodam furore retinebant. Ante ceteros Appius eo insolentiae elatus est,
ut ingenuam virginem stupro destinaret, oblitus et Lucretiae et regnum
et juris quod ipse composuerat. Itaque quum oppressam judicio filiam trahi
in servitutem videret Virginius pater, nihil cunctatus, in medio foro manu
sua interfecit; admotisque signis commilitonum, totam eam dominationem
obsessam armis, in carcerem et catenas ab Aventino monte detraxit.
|
.... |
XXIV. - Deuxième
sédition. - ( An de Rome 502 - 509 ). - La licence du décemvirat
alluma dans le sein même de Rome la seconde sédition. Dix
des principaux citoyens avaient été choisis pour rédiger,
d'après la volonté du peuple les lois apportées de
la Grèce; déjà tout le droit était classé
dans les douze tables; mais possédés comme d'une fureur royale,
ils retenaient les faisceaux qu'on leur avait livrés. Plus audacieux
que les autres, Appius en vint à un tel degré d'insolence,
qu'il destinait à sa brutalité une jeune fille de condition
libre, oubliant et Lucrèce et les rois et le Code de lois que lui-même
avait composé. Voyant donc sa fille frappée par un jugement,
et traînée en servitude, Virginius n'hésite pas; il
la tue de sa main au milieu du Forum; et, faisant avancer ses compagnons
d'armes avec leurs enseignes, du haut du mont Aventin il assiège
les décemvirs, et précipite toute cette puissance dans les
prisons et dans les fers.
|
.. |
.. |
XXV. - Tertia Seditio.
- Tertiam seditionem excitavit matrimoniorum dignitas, ut plebeii cum patriciis
jungerentur; qui tumultus in monte Janiculo, duce Canuleio tribuno plebis,
exarsit.
|
.... |
XXV. - Troisième
sédition. - ( An de Rome 508 ). - La troisième sédition
fut excitée par l'ambition des mariages et par la prétention
des plébéiens, de s'allier aux patriciens; cette dissension
éclata sur le mont Janicule, à l'instigation de Canuléius,
tribun du peuple.
|
.. |
.. |
XXVI. - Quarta Seditio.
- Quartam honorum cupido, ut plebeii quoque magistratus crearentur. Fabius
Ambustus duarum pater, alteram Sulpicio patricii sanguinis dederat, alteram
plebeio Stoloni. Haec, quodam tempore, quod lictoriae virgae sonum ignotum
penatibus suis expaverat, a sorore satis insolenter irrisa, injuriam non
tulit. Itaque nactus tribunatum, honorum et magistratuum consortium, quamvis
invito, senatui extorsit.
|
.... |
XXVI. - Quatrième
sédition. - ( An de Rome 577-582 ). - La quatrième sédition
eut sa source dans la passion des honneurs, les plébéiens
voulant avoir part aux magistratures. Fabius Ambustus, père de deux
filles, avait marié l'une à Sulpicius, d'origine patricienne,
l'autre au plébéien Stolon. Celle-ci, entendant un jour dans
la maison de sa soeur, le bruit des verges du licteur, inconnu dans la
sienne, en ressentit une frayeur dont elle fut raillée par l'épouse
de Sulpicius d'une manière assez piquante. Elle ne put supporter
l'affront; aussi son mari, parvenu au tribunal, arracha-t-il au sénat,
malgré sa résistance, le partage des honneurs et des magistratures.
|
.. |
.. |
Verum in his ipsis
seditionibus principem populum non immerito suspexeris; si quidem nunc
libertatem, nunc pudicitiam, tum natalium dignitatem, honorum decora et
insignia vindicavit; interque haec omnia nullius acrior custos quam libertatis
fuit; nullaque in pretium ejus largitione corrumpi, quum, ut in magno,
et in dies majore populo, interim perniciosi cives existerent. Spurium
Cassium agraria lege, [Maelium] largitione suspectum regiae dominationis,
praesenti morte multavit. Ac de Spurio quidem supplicium pater ipsius sumpsit;
hunc Quinctii dictatoris imperio, in medio foro magister equitum Servilius
Ahala confodit. Manlium vero Capitolii vindicem, quia plerosque debitorum
liberaverat, altius se et incivilius efferentem, ab illa, quam defenderat,
arce dejecit.
|
.... |
Au reste, jusque dans
ces séditions, le peuple roi est digne d'admiration. En effet, tantôt
c'est pour la liberté, tantôt pour la pudeur, ici pour la
noblesse de la naissance, là pour la majesté et l'éclat
des honneurs, qu'il a combattu tour à tour : mais, au milieu de
toutes ces luttes, il ne fut de nul intérêt gardien plus vigilant
que de la liberté; et aucune largesse offerte pour prix de cette
liberté ne put le corrompre, bien que du sein d'une multitude nombreuse
et toujours croissante, il apparût de temps à autre des citoyens
dangereux. Spurius Cassius et Mélius, soupçonnés d'aspirer
à la royauté, l'un par la proposition de la loi Agraire,
l'autre par ses libéralités, furent punis par une mort prompte.
Ce fut son père même qui fit subir à Spurius son supplice;
Mélius fut tué au milieu du Forum par le maître de
la cavalerie, Servilius Abala, d'après l'ordre du dictateur Quinctius.
Quant à Manlius, le sauveur du Capitole, qui, pour avoir libéré
la plupart des débiteurs, affectait une hauteur contraire à
l'égalité, il fut précipité de cette forteresse
qu'il avait défendue.
|
.. |
.. |
Talis domi ac foris,
talis pace belloque populus Romanus fretum illud adulescentiae, id est,
secundam imperii aetatem habuit, in qua totam inter Alpes fretumque Italiam
armis subegit.
|
.... |
Tel fut le peuple
romain au dedans et au dehors, dans la paix et dans la guerre, pendant
la fougue de son adolescence, c'est-à-dire dans le second âge
de l'empire, intervalle durant lequel il soumit par ses armes toute l'Italie,
depuis les Alpes jusqu'au détroit.
|
.. |