.. | I. - Bellum Asiaticum. - Victa ad occasum Hispania populus Romanus ad orientem pacem agebat, nec pacem modo, sed inusitata et incognita quadam felicitate relictae regiis hereditatibus opes et tota insimul regna veniebant. |
.... | I. - Guerre d'Asie. - (An de Rome 622-623.) - Vainqueur de l'Espagne en Occident, le peuple romain était en paix avec 1'Orient. Bien plus, par un bonheur inouï et sans exemple, des richesses royales, et en même temps des royaumes entiers lui étaient laissés en héritage. |
.. |
.. | Attalus, rex Pergamenorum,
regis Eumenis filius, socii quondam commilitonique nostri testamentum reliquit:
"populus Romanus bonorum meorum heres esto. In bonis regiis hanc fuerunt".
Adita igitur hereditate provinciam populus Romanus non quidem bello nec
armis, sed, quod aequius, testamenti vire retinebat. Sed hanc difficile
dictu est utrum facilius amiserit populus Romanus an recuperaverit. Aristonicus,
regii sanguinis ferox iuvenis, urbis regibus parere consuetas ferox iuvenis,
urbis regibus parere consuetas partim facile sollicitat, paucas resistentis,
Myndon, Samon, Colophona vi recepit, Crassi quoque praetoris cecidit exercitum
ipsumque cepit. Sed ille memor et familiae et Romani nominis custodem sui
barbarum virgula excaecat et in exitium sui, quod volebat, ita concitat.
Mox a Perperna domitus et captus et per deditionem in vinculis habitus.
Aquilius Asiatici belli reliquias confecit, mixtis - nefas! - veneno fontibus
ad deditionem quarundam urbium. Quae res ut maturam, ita infamem fecit
victoriam, quippe quum contra fas deum moresque majorum medicaminibus inpuris
in id tempus sacrosancta Romana arma violasset. |
.... | Attale, roi de Pergame,
fils du roi Eumènes, autrefois notre allié et notre compagnon
d'armes, laissa ce testament : “J'institue le peuple romain héritier
de mes biens.” Dans les biens du roi était compris son royaume.
Le peuple romain avait donc recueilli l'héritage, et possédait
cette province, non par le droit de la guerre, ni par la force des armes,
mais, ce qui est plus légitime, en vertu d'un testament. Il la perdit
cependant, et la recouvra avec une égale facilité. Aristonicus,
prince du sang royal, jeune homme entreprenant, gagna aisément la
plupart des villes accoutumées à obéir à des
rois : il réduisit par la force le petit nombre de celles qui lui
resistèrent, Minde, Samos, Colophon. Il tailla en pièces
l’armée du préteur Crassus, et le fit lui-même prisonnier.
Mais Crassus, se souvenant de la gloire de sa famille et du nom romain,
creva l’œil avec une baguette, au Barbare commis à sa garde, et
le contraignit ainsi à lui donner la mort qu'il désirait.
Bientôt après, vaincu par Perperna, et forcé de se
rendre, Andronicus fut jeté dans les fers. Aquilius étouffa
les restes de cette guerre d'Asie par un odieux moyen : il empoisonna les
fontaines pour réduire quelques villes. Cette perfidie accéléra
mais flétrit sa victoire; c’était, au mépris des lois
divines et des usages de nos pères, souiller, par d'infâmes
empoisonnements, l'honneur, jusque-là sans tache, des armes romaines. |
.. |
.. | II. - Bellum Jugurthinum.
- Haec ad orientem; sed non ad Meridianam plagam eadem quies. Quis speraret
post Carthaginem aliquod in Africa bellum? Atqui non leviter se Numidia
concussit, et fuit in Jugurtha quod post Hannibales timeretur. Quippe rex
callidissimus populum Romanum, armis inclytum et invictum, opibus aggressus
est; et citra spem omnium fortuna cessit, ut rex fraude praecipuus fraude
caperetur. |
.... | II. - Guerre de Jugurtha.
- ( An de Rome 644-647 ) - Tel était l’état l'Orient ; mais
la même tranquillité ne régnait pas au Midi. Qui aurait
cru qu'après la ruine de Carthage il pût y avoir quelque guerre
en Afrique? Cependant la Numidie s'ébranla violemment, et Rome trouva
dans Jugurtha un ennemi encore redoutable après Annibal. Ce prince
artificieux, voyant le peuple romain illustre et invincible dans les combats,
lui fit la guerre avec de l'or; mais la fortune voulut, contre l'attente
générale, que le plus rusé des rois fût lui-même
victime de la ruse. |
.. |
.. | Hic, avo Masinissa,
et Micipsa patre per adoptionem, quum interficere fratres statuisset, agitatus
regni cupiditate, nec illo magis quam senatum populumque Romanum, quorum
in fide et clientela regnum erat, metueret, primum scelus mandat insidiis;
potitusque Hiempsalis capite, quum se in Adherbalem convertisset, isque
Romam profugisset, missa per legatos pecunia, traxit in sententiam suam
senatum. Et haec fuit de nobis ejus prima victoria. Missos deinde, qui
regnum inter illum Adherbalemque dividerent, similiter aggressus, quum
in Scauro ipsos Romani imperii mores expugnasset, inchoatum nefas perfecit
audacius. Sed non diu latent scelera : corruptae nefas legationis erupit;
placuitque persequi bello parricidam. |
.... | Il avait Massinissa
pour aïeul, et Micipsa pour père par adoption. Dévoré
de la passion de régner, il avait formé le dessein d'ôter
la vie à ses frères, et il ne les craignait pas plus que
le sénat et le peuple romain, sous la foi et la protection desquels
était le royaume. Son premier crime est le fruit de la trahison,
et la tête d'Hiempsal est bientôt en son pouvoir. Il se tourne
alors contre Adherbal, lequel s'enfuit à Rome; il y envoie de l'argent
par ses ambassadeurs, entraîne le sénat dans son parti; ce
fut là sa première victoire sur nous. Attaquant ensuite,
par un semblable moyen, la fidélité des commissaires chargés
de partager la Numidie entre lui et Adherbal, il triomphe dans Scaurus
des moeurs même de l'empire romain, et consomme avec plus d'audace
son crime inachevé. Mais les forfaits ne restent pas longtemps cachés;
le secret honteux de la corruption des commissaires est dévoilé,
et la guerre résolue contre le parricide. |
.. |
.. | Primus in Numidiam
Calpurnium Bestia consul immittitur; sed rex peritus fortius adversus Romanos
aurum esse quam ferrum, pacem emit. Cujus flagitii reus, quum interveniente
publica fide, a senatu arcesseretur, pari audacia et venit, et competitorem
imperii Massinissae immisso percussore confecit. Haec altera contra regem
fuit causa bellandi. Igitur sequens ultio mandatur Albino. Sed hujus quoque
- pro dedecus! - ita corrupit exercitum, ut voluntaria nostrorum fuga vinceret
Numida, castrisque poteretur; addito etiam turpi foedere in pretium salutis,
quem prius emerat, dimisit exercitus. |
.... | Le consul Calpurnius
Bestia est envoyé le premier en Numidie; mais le roi, sachant que
l’or est plus puissant que le fer contre les Romains, achète la
paix. Accusé de ce crime, et cité par le sénat à
comparaître sous la garantie de la foi publique, il ose à
la fois et se présenter et faire assassiner Massiva, son compétiteur
au trône de Massinissa. Ce meurtre est une autre cause de guerre
coutre lui. On confie donc à Albinus le soin de cette nouvelle vengeance.
Mais, ô honte! Jugurtha corrompt aussi cette armée; et nos
soldats, par une fuite volontaire, abandonnent au Numide la victoire et
le camp. Enfin, après un traite honteux, prix de la vie qu'il lui
laisse, il renvoie cette armée qu'il avait d'abord achetée. |
.. |
.. | Eodem tempore in ultionem
non tam imperii Romani quam pudoris, Metellus assurgit : qui callidissime
hostem nunc precibus, nunc minis, jam simulata, jamque vera fuga eludentem,
artibus suis aggressus est. Agrorum atque vicorum populatione non contentus,
in ipsa Numidiae capita impetum fecit, et Zamam quidem frustra diu voluit;
caeterum Thalam, gravem armis, thensaurosque regis, diripuit. Tunc urbibus
exutum regem, et jam finium suorum regnique fugitivum per Mauros atque
Gaetuliam sequebatur. |
.... | Métellus se
lève alors pour venger, non pas tant les pertes, que l'honneur de
l’empire romain. Son astucieux ennemi tâchait d’éluder ses
coups, tantôt par des prières ou par des menaces, tantôt
par une fuite simulée ou véritable; Métellus l'attaque
par ses propres artifices. Non content de ravager les campagnes et les
bourgs, il fond sur les principales villes de la Numidie, et s'il fait
sur Zama une longue et inutile tentative, du moins il pille Thala, vaste
dépôt d'armes, et les trésors du roi. Bientôt,
après l'avoir dépouillé de ses villes et forcé
de fuir au-delà des frontières de son royaume, il le poursuit
chez les Maures et dans la Gétulie. |
.. |
.. | Postremo Marius, auctis
admodum copiis, quum pro obscuritate generis sui capite censos sacramento
adegisset, jam fusum et saucium regem adortus, non facilius tamen vicit,
quam si integrum ac recentem. Hic et urbem Herculi conditam Capsam, in
media Africa sitam, anguibus arenisque vallatam, mira quadam felicitate
superavit, et saxeo inditam monti Muluccham urbem, per Ligurem, aditu arduo
inaccessoque penetravit. Mox non ipsum modo, sed Bocchum quoque, Mauritaniae
regem, jure sanguinis Numidam vindicantem, apud oppidum Cirtam graviter
cecidit. Qui ubi, diffisus rebus suis, alienae cladis accessio fieri timet,
pretium foederis atque amicitiae regem facit. Sic fraudulentissimus regum
fraude soceri sui in insidias deductus est, et Syllae in manum traditus;
tandemque opertum catenis Jugurtham in triumpho populus Romanus adspexit.
Sed ille quoque, quamvis victus ac vinctus, vidit Urbem, quam venalem,
et quandoque perituram, si habuisset emptorem, frustra cecinerat. Jam,
ut venalis fuisset, habuit emptorem; et quum ille non evaserit, certum
erit eam non esse perituram. |
.... | Enfin Marius grossit
l'armée d'une foule de prolétaires que l’obscurité
de sa naissance lui faisait, de préférence, soumettre au
serment militaire, et il tombe sur Jugurtha déjà en déroute
et accablé; il a cependant autant de peine à le vaincre qu'un
ennemi nouveau et dans toute sa force. Il se rend maître, par un
bonheur en quelque sorte merveilleux , de la ville de Capsa, consacrée
à Hercule, située au milieu de l'Afrique, et que les serpents
et les sables défendent comme un rempart. Pour pénétrer
dans la ville de Mulucha, placée sur un rocher, un Ligurien lui
découvre un chemin escarpé et jusque-là inaccessible.
Bientôt après, dans un sanglant combat, près de la
place de Cirta, il écrase en même temps Jugurtha et Bocchus,
roi de Mauritanie, qui, docile à la voix du sang, avait voulu venger
le Numide. Dès lors Bocchus, désespérant du succès,
tremble d’être enveloppé dans la perte d'autrui, et achète,
en livrant le roi, l’alliance et l'amitié des Romains. Ainsi le
plus fourbe des rois tombe dans les pièges dressés par la
ruse de son beau-père; il est remis entre les mains de Sylla; et
le peuple romain voit enfin Jugurtha chargé de fers et mené
en triomphe. Quant à lui, il vit aussi, mais vaincu et enchaîné,
la ville qu'il avait appelée vénale, et qui, selon ses vaines
prédictions, devait périr, si elle trouvait un acheteur.
Eh bien! comme si elle eût été à vendre,
elle trouva cet acheteur, et ce fut lui qui ne put échapper à
Rome, preuve certaine qu'elle ne périra pas. |
.. |
.. | III. - Bellum Allobrogicum.
- Sic ad Meridiem populus Romanus. Multo atrocius et multipliciter magis
a Septentrione saevitum. Nihil hac plaga infestius : atrox caelum, perinde
ingenia. Omni igitur tractu violentus hostis, a dextris atque laevis et
medio Septentrionis erupit.
|
.... | III. - Guerre des
Allobroges. - (An de Rome 623 - 659). -Tels furent les succès du
peuple romain dans le Midi. Il eut à soutenir vers le Septentrion
des combats beaucoup plus terribles, et plus multipliés. Nulle région
n’est plus affreuse que celle-là; le ciel y communique sa rudesse
au génie des habitants. De tous les points de ces contrées
septentrionales, de la droite, de la gauche, du centre, s’élancèrent
d’impétueux ennemis. |
.. |
.. | Prima trans Alpes
arma nostra sensere Salyi, quum de incursionibus eorum fidissima atque
amicissima civitas Massilia quereretur; Allobroges deinde et Arverni, quum
adversus eos similes Haeduorum querelae opem et auxilium nostrum flagitarent;
Varusque victoriae testis, Isaraque et Vindelicus amnes et inpiger fluminum
Rhodanus. Maximus barbaris terror elephanti fuere, immanitati gentium pares.
Nil tam conspicuum in triumpho quam rex ipse Bituitus, discoloribus in
armis, argenteoque carpento, qualis pugnaverat. |
.... | La première
nation transalpine qui sentit la force de nos armes fut celle des Saliens,
dont les incursions avaient forcé la ville de Marseille, notre très
fidèle amie et alliée, à se plaindre à nous.
Nous domptâmes ensuite les Allobroges et les Arvernes, contre lesquels
les Eduens nous adressèrent de semblables plaintes, et implorèrent
notre aide et notre secours. Nous eûmes pour témoins de nos
victoires, et le Var, et l'Isère, et la Sorgue, et le Rhône,
le plus rapide des fleuves. Les Barbares éprouvèrent la plus
grande terreur à la vue des éléphants, dignes de se
mesurer avec ces nations farouches. Rien, dans le triomphe, ne fut aussi
remarquable que le roi Bituitus, couvert d'armes de diverses couleurs,
et monté sur un char d'argent, comme il avait combattu. |
.. |
.. | Vtriusque victoriae
quod quantumque gaudium fuerit, vel hinc existimari potest, quod et Domitius
Aenobarbus et Fabius Maximus, ipsis quibus dimicaverant in locis, saxeas
erexere turres et desuper exornata armis hostilibus tropea fixere, quum
hic mos inusitatus fuerit nostris. Numquam enim populus Romanus hostibus
domitis victoriam suam exprobravit. |
.... | On peut juger de la
joie qu'excitèrent ces deux victoires, par le soin que prirent Domitius
Aenobarbus et Fabius Maximus d’élever sur le lieu même du
combat des tours de pierres, et d'y ériger des trophées ornés
des armes ennemies, usage inconnu à nos ancêtres. Jamais,
en effet, le peuple romain n'insulta à la défaite d'un ennemi
terrassé. |
.. |
.. | IV. - Bellum Cimbricum,
Teutonicum, ac Tigurinum. - Cimbri, Teutoni atque Tigurini ab extremis
Galliae profugi, quum terras eorum inundasset Oceanus, novas sedes toto
orbe quaerebant; exclusique Gallia et Hispania, quum in Italiam demigrarent,
misere legatos in castra Silani, inde ad senatum, petentes ut Martius populus
aliquid sibi terrae daret, quasi stipendium, ceterum, ut vellet, manibus
atque armis suis uteretur. Sed quas daret terras populus Romanus agrariis
legibus intra se dimicaturus? Repulsi igitur, quod nequiverant precibus,
armis petere coeperunt. |
.... | IV. - Guerre des Cimbres,
des Teutons et des Tigurins. - (An de Rome 644-652.) Les Cimbres, les Teutons
et les Tigurins, fuyant l’Océan qui avait inondé leurs terres,
étaient partis des extrémités de la Gaule, et cherchaient
par tout l'univers de nouvelles demeures. Chassés de la Gaule et
de l'Espagne, ils remontent vers l'Italie, et envoient des députés
dans le camp de Silanus, et de là au sénat; ils demandent
que le peuple de Mars leur donne quelques terres, à titre de solde,
et promettent, à cette condition, d'employer à son service
leurs bras et leurs armes. Mais quelles terres aurait pu donner le peuple
romain, chez qui les lois agraires allaient exciter la guerre civile? Leur
demande est donc rejetée; et ils arrêtent, puisque leurs prières
ont été vaines, d'en appeler aux armes. |
.. |
.. | Sed nec primum impetum
barbarorum Silanus, nec secundum Manlius, nec tertium Caepio sustinere
potuerunt. Omnes fugati, exuti castris. Actum erat, nisi Marius illi saeculo
contigisset. Ille quoque non ausus congredi statim militem tenuit in castris,
donec invicta illa rabies et impetus, quem pro virtute barbari habent,
consenesceret. Recessere igitur increpantes et - tanta erat capiendae Urbis
fiducia! - consulentes, si quid ad uxores suas mandarent. Nec segnius quam
minati fuerant, tripartito agmine per Alpes, id est claustra Italiae, ferebantur.
|
.... | Silanus ne put, il
est vrai, soutenir le premier choc des Barbares; ni Manlius, le second;
ni Caepion, le troisième. Tous furent mis en fuite et chassés
de leur camp. C’en était fait de Rome si ce siècle n'eût
produit Marius. N'osant pas en venir aux mains sur-le-champ, il retint
ses soldats dans leur camp, pour laisser à cette invincible rage
et à cette fougue qui tiennent lieu de valeur aux Barbares le temps
de se ralentir. Ceux-ci décampèrent enfin, en insultant aux
Romains, et leur demandant, tant ils comptaient sur la prise de Rome! s'ils
n’avaient rien à mander à leurs femmes. Prompts à
exécuter leurs menaces, ils s’avançaient déjà
en trois corps, par les Alpes, barrière de l'Italie. |
.. |
.. | Marius, mira statim
velocitate occupatis compendiis, praevenit hostem; prioresque Teutonas
sub ipsis Alpium radicibus assecutus in loco quem Aquas Sextias vocant
quo - fidem numinum! - proelio oppressit! Vallem fluviumque medium hostes
tenebant. Nostris aquarum nulla copia. Consultone id egerit imperator,
an errorem in consilium verterit, dubium. Certe necessitate aucta virtus
causa victoriae fuit. Nam flagitante aquam exercitu, "viri", inquit, "estis,
en, illic habetis". Itaque tanto ardore pugnatum est eaque caedes hostium
fuit, ut victor Romanus de cruento flumine non plus aquae biberit quam
sanguinis barbarorum. Certe rex ipse Teutobodus, quaternos senosque equos
transilire solitus, vix unum, quum fugeret, adscendit; proximoque in saltu
comprehensus, insigne spectaculum triumphi fuit : quippe vir proceritatis
eximiae super tropaea sua eminebat. |
.... | Marius prévint
1'ennemi en occupant aussitôt, avec une merveilleuse célérité,
les plus courts chemins. Il atteignit d'abord les Teutons, au pied même
des Alpes, dans un lieu nommé les Eaux Sextiennes; quelle bataille,
grands dieux! il leur livra! Les ennemis étaient maîtres de
la vallée et du fleuve qui la traverse. Nos soldats manquaient absolument
d'eau. Que Marius l'ait fait à dessein, ou qu'il ait su tourner
sa faute à son avantage, on l'ignore. Il est certain, du moins,
que la nécessité de vaincre, imposée au courage de
ses soldats, leur donna la victoire. En effet, comme ils lui demandaient
de l'eau : « Vous êtes des hommes, leur dit-il, vous en avez
là devant vous ». Aussi on se battit avec une telle ardeur,
et on fit des ennemis un tel carnage, que le vainqueur, en se désaltérant
dans le fleuve chargé de morts, but moins d'eau que de sang. Leur
roi lui-même, Teutobochus, accoutumé à sauter successivement
sur quatre et sur six chevaux, put à peine en monter un pour fuir.
Saisi dans un bois voisin, il fut le plus beau spectacle du triomphe; cet
homme d’une taille gigantesque s'élevait au-dessus même des
trophées de sa défaite. |
.. |
.. | Sublatis funditus
Teutonis, in Cimbros convertitur. Hi jam - quis crederet? - per hiemem,
quae altius Alpes levat, Tridentinis jugis in Italiam provoluti ruina descenderant.
Athesim flumen non ponte nec navibus, sed quadam stoliditate barbarica
primum corporibus aggressi, postquam retinere amnem manibus et clypeis
frustra tentaverant, ingesta obrutum silva transiluere: et si statim infesto
agmine Urbem petissent, grande discrimen esset; sed in Venetia, quo fere
tractu Italia mollissima est, ipsa soli caelique clementia robur elanguit.
Ad hoc panis usu carnisque coctae et dulcedine uni mitigatos Marius in
tempore aggressus est. Jam diem pugnae a nostro imperatore petierunt, et
sic proximum dedit. In patentissimo, quem Raudium vocant, campo concurrere.
Millia inde ad sexaginta ceciderunt; hinc trecentis minus; per omnem diem
conciditur barbarus. Istic quoque imperator addiderat, virtuti dolum secutus
Hannibalem artemque Cannarum; primum nebulosum nanctus diem, ut hosti inopinatus
occurreret; tum ventosum quoque, ut pulvis in oculos et ora ferretur; tum
acie conversa in Orientem, ut, quod ex captivis mox cognitum est, ex splendore
galearum ac repercussu, quasi ardere caelum videretur. |
.... | Les Teutons exterminés,
on se tourne contre les Cimbres. Déjà - qui le croirait?
- malgré l’hiver, qui ajoute à l’élévation
des Alpes, ils avaient roulé le long des abîmes, du haut des
montagnes de Tridentum , et étaient descendus en Italie. Ce n’est
pas sur un pont ni sur des bateaux qu'ils veulent passer l'Athesis; mais,
par une sorte de stupidité barbare, ils opposent d'abord à
ce fleuve la masse de leurs corps. Après de vains efforts pour l'arrêter
avec leurs mains et leurs boucliers, ils y jettent toute une forêt,
le comblent et le traversent. Si leurs redoutables bataillons eussent aussitôt
marché sur Rome, le danger eût été grand; mais,
dans la Vénétie, la plus délicieuse peut-être
des régions de l'Italie, la douce influence de sol et du ciel énerva
leurs forces. Ils s'amollirent encore par l'usage du pain, de la viande
cuite et des vins exquis. C'est dans cette conjoncture que Marius les attaqua.
Eux-mêmes demandèrent à notre général
de fixer le jour du combat; il leur assigna le lendemain. La bataille se
donna dans une très vaste plaine, appelée le champ Raudien.
Il périt, d’un côté, jusqu'à soixante mille
hommes; il y eut, de l'autre, moins de trois cents morts. Le carnage qu'on
fit des Barbares dura tout le jour. Marius, imitant Annibal et ses habiles
dispositions à Cannes, avait joint la ruse à la valeur. D’abord,
il choisit un jour où le ciel était couvert de nuages, afin
de pouvoir surprendre les ennemis, et où soufflait en outre un grand
vent qui devait porter la poussière dans leurs yeux et leur visage.
Ensuite, il tourna ses lignes vers l'orient; de cette manière, comme
on le sut bientôt des prisonniers, la lumière du soleil, réfléchie
par les casques resplendissants des Romains, faisait paraître le
ciel tout en feu. |
.. |
.. | Nec minor cum uxoribus
eorum pugna quam cum ipsis fuit; quum objectis undique plaustris atque
carpentis altae desuper, quasi e turribus, lanceis contisque pugnarent.
Perinde speciosa mors earum fuit quam pugna. Nam quum missa ad Marium legatione
libertatem ac sacerdotium non impetrassent - nec fas erat - suffocatis
elisisque passim infantibus suis aut mutuis concidere vulneribus; aut,
vinculo e crinibus suis facto, ab arboribus jugisque plaustrorum pependerunt.
Bojorix rex in acie dimicans inpigre nec inultus occubuit. |
.... | Le combat ne fut pas
moins rude contre les femmes des Barbares, que contre ceux-ci. Elles s’étaient
partout retranchées derrière des chars et des bagages; et
de là, comme du haut de tours, elles combattirent avec des piques
et des bâtons ferrés. Leur mort fut aussi belle que leur défense.
Une députation, envoyée à Marius, ayant vainement
demandé pour elles la liberté et le sacerdoce, prétention
que rejetaient nos usages, elles étouffèrent pêle-mêle
et écrasèrent leurs enfants, puis elles se donnèrent
mutuellement des blessures mortelles ou, formant des liens de leurs cheveux,
elles se pendirent aux arbres et au timon des chariots. Leur roi, Bojorix,
resta sur le champ de bataille, non sans avoir combattu vaillamment, ni
sans vengeance. |
.. |
.. | Tertia Tigurinorum
manus, quae quasi in subsidio Noricos insederat Alpium tumulos, in diversa
lapsi, fuga ignobili et latrociniis evanuit. |
.... | Le troisième
corps, composé des Tigurins, qui s'était posté, comme
en réserve, sur le sommet des Alpes Noriques, se dispersa par divers
chemins; après cette fuite honteuse, accompagnée de brigandages,
il s'évanouit. |
.. |
.. | Hunc tam laetum tamque
felicem liberatae Italiae, assertique imperii nuntium, non per homines,
ut solebat, populus Romanus accepit, sed per ipsos, si credere fas est,
deos. Quippe eodem die quo gesta res est visi pro aede Pollicis et Castoris
juvenes laureati praetori litteras tradere; frequensque in spectaculo rumor
victoriae Cimbricae : "feliciter!" dixit. Quo quid admirabilius, quid insignius
fieri potest? Quippe velut elata montibus suis Roma spectaculo belli interesset,
quod in gladiatorio munere fieri solet, uno eodemque momento, quum in acie
Cimbri succumberent, populus in urbe plaudebat. |
.... | Cette nouvelle si
agréable et si heureuse, de la délivrance de l'Italie et
du salut de l'empire, ce ne fut pas par l'entremise ordinaire des hommes
qu'elle parvint au peuple romain, mais, s'il est permis de le croire,
par celle même des dieux. Le jour où cette bataille eut lieu,
on vit, devant le temple de Castor, deux jeunes hommes couronnés
de laurier remettre des lettres au préteur; et le bruit de la défaite
des Cimbres, répandu au théâtre, y fit de tous côtés
crier : «Victoire!» Quel prodige plus admirable, plus éclatant!
On eût dit que Rome, du haut de ses collines, assistait au spectacle
de cette guerre, comme à un combat de gladiateurs, puisqu'au moment
même où les Cimbres succombaient sur le champ de bataille,
le peuple romain applaudissait dans ses murs. |
.. |
.. | V. - Bellum Thracium.
- Post Macedonas, si diis placet, Thraces rebellabant, ipsi quondam tributarii
Macedonum; nec in proximas modo provincias contenti incurrere, Thessaliam
atque Dalmatiam, in Adriaticum mare usque venerunt; eoque fine contenti,
quasi interveniente natura, contorta in ipsas aquas tela miserunt. |
.... | V. - Guerre coutre
les Thraces. - (An de Rome 659-682.) - Après les Macédoniens,
les Thraces, autrefois leurs tributaires, osèrent, le croira-t-on?
se révolter contre nous. Non contents de faire des incursions dans
les provinces voisines, telles que la Thessalie et la Dalmatie, ils les
poussèrent jusqu'à la mer Adriatique, où, arrêtés
par les barrières que la nature semblait leur opposer, ils lancèrent
leurs traits contre les eaux. |
.. |
.. | Nihil interim per
id omne tempus residuum crudelitatis fuit in captivos saevientibus: litare
diis sanguine humano, bibere in ossibus capitum, et cujusque modi ludibrio
foedare mortem tam igni quam fumo; partus quoque gravidarum mulierum extorquere
tormentis. |
.... | Il n'est aucun raffinement
de cruauté que, pendant tout le cours de ces invasions, ils ne fissent
souffrir à leurs prisonniers. Ils offraient aux dieux des libations
de sang humain, buvaient dans des crânes, et, ajoutant même
un horrible jeu aux supplices de la mort, faisaient périr ceux-ci
par le feu, ceux-là par la fumée; ils arrachaient aussi,
à force de tourments, du sein des femmes enceintes, le fruit qu'elles
portaient. |
.. |
.. | Saevissimi omnium
Thracum Scordisci fuere, sed calliditas quoque ad robur accesserat. Silvarum
et montium situ cum ingenio consentiebant. Itaque non fusus modo ab his,
aut fugatus, sed - simile prodigio! - omnino totus interceptus exercitus
quem duxerat Cato. Didius vagos et libera populatione diffusos intra suam
reppulit Thraciam. Drusus ulterius egit et vetuit transire Danubium. Minucius
toto vastavit Hebro, multis quidem amissis, dum per perfidum glacie flumen
equitatur. Piso Rhodopen Caucasumque penetravit. Curio Dacia tenus venit,
sed tenebras saltuum expavit. Appius in Sarmatas usque pervenit, Lucullus
ad terminum gentium Tanaim lacumque Maeotim. Nec aliter cruentissimi hostium
quam suis moribus domiti. Quippe in captivos igni ferroque saevitum est;
sed nihil barbaris atrocius visum est, quam quod abscissis manibus relicti,
vivere superstites poenae suae jubebantur. |
.... | Les plus féroces
de tous les Thraces étaient les Scordisques, qui alliaient d'ailleurs
la ruse au courage. La disposition de leurs forêts et de leurs montagnes
favorisait ces moeurs. Non seulement ils battirent et mirent en fuite,
mais, ce qui ressemble à un prodige, ils anéantirent toute
l’armée que Caton conduisit contre eux. Didius les ayant trouvés
errants et dispersés sans ordre pour piller, les repoussa dans la
Thrace. Drusus les chassa plus loin, et leur interdit le passage du Danube.
Minucius ravagea leur pays tout le long de l'Ebre, non sans perdre un grand
nombre de soldats, en les faisant passer à cheval sur la glace perfide
du fleuve. Pison franchit le Rhodope et le Caucase; Curion s'avança
jusqu'aux frontières de la Dacie; mais il recula devant leurs ténébreuses
forêts. Appius pénétra jusque chez les Sarmates; Lucullus,
jusqu'au Tanaïs et aux Palus-Méotides, dernières limites
de ces nations. On ne put dompter ces sanguinaires ennemis qu'en imitant
leurs usages. On tourmenta donc les prisonniers par le fer et par le feu.
Mais rien ne parut plus affreux à ces Barbares, que de se voir,
quand on leur eut coupé les mains, forcés de survivre à
leur supplice. |
.. |
.. | VI.- Bellum Mithridaticum.
- Ponticae gentes a Septentrione in sinistrum jacent, a Pontico cognominatae
mari. Harum gentium atque regionum rex antiquissimus Aeetes : post Artabazes,
a septem Persis oriundus, inde Mithridates, omnium longe maximus. Quippe
quum quattuor Pyrrho, decem et septem anni Annibali suffecerint, ille per
quadraginta annos restitit, donec tribus ingentibus bellis subactus, felicitate
Sullae, virtute Luculli, magnitudine PompeiI, consumeretur. |
.... | VI. -Guerre de Mithridate.
- (An de Rome 664-690.) - Les nations pontiques s’étendent du septentrion
au Pont-Euxin, dont elles tirent leur nom. Aétès est le plus
ancien roi de ces peuples et de ces régions. Plus tard, elles furent
gouvernées par Artabaze, issu des sept Perses, et depuis par Mithridate,
le plus grand, sans contredit, de tous ces princes. Il nous avait suffi
de quatre ans de combats contre Pyrrhus, de dix-sept contre Annibal. Mithridate
nous résista pendant quarante années, jusqu’à ce que,
vaincu dans trois guerres sanglantes, il fût accablé par le
bonheur de Sylla, le courage de Lucullus, la grandeur de Pompée. |
.. |
.. | Causam quidem illius
belli praetenderat apud Cassium legatum, attrectari terminos suos a Nicomede
Bithynico; caeterum elatus animis ingentibus, Asiae totius, et, si posset,
Europae cupiditate flagrabat. Spem ac fiduciam dabant nostra vitia; quippe
quum civilibus bellis disjungeremur, invitabat occasio, nudumque latus
imperi ostendebant procul Marius, Sulla, Sertorius. Inter haec reipublicae
vulnera, et hos tumultus, repente, quasi captato tempore, in lassos simul
atque districtos subitus turbo Pontici belli ab ultima veluti specula Septentrionis
erupit. Primus statim impetus belli Bithyniam rapuit; Asia inde pari terrore
correpta est, nec cunctanter ad regem ab urbibus nostris populisque descitum
est. Aderat, instabat; saevitia quasi virtute utebatur. Nam quid atrocius
uno ejus edicto, quum omnes qui in Asia forent Romanae civitatis homines
interfici jussit? Tum quidem domus, templa et arae, humana omnia atque
divina jura violata sunt. Sed hic terror Asiae Europam quoque regi aperiebat.
Itaque, missis Archelao Neoptolemoque praefectis, excepta Rhodo, quae pro
nobis firmius stetis ceteris, Cyclades, Delos, Euboea et ipsum Graeciae
decus, Athenae, tenebantur. Italiam jam ipsamque urbem Romam regius terror
afflabat.
|
.... | Le motif de ces hostilités,
celui qu'il allégua à l’ambassadeur Cassius, était
l'invasion de ses frontières par Nicomède, roi de Bithynie.
Mais, dans le fait, plein d'orgueil et d'ambition, il aspirait à
la possession de l'Asie entière, de l'Europe même, si la conquête
en était possible. Nos vices lui donnaient cet espoir audacieux.
Les guerres civiles qui nous divisaient lui semblaient une occasion favorable;
Marius, Sylla, Sertorius lui montraient de loin les flancs de l'empire
sans défense. Au milieu de ces plaies de la république et
de ces agitations tumultueuses, le tourbillon de la guerre pontique, formé
sur les hauteurs les plus éloignées du septentrion, vient
tout à coup, et comme après avoir choisi le moment, éclater
sur les Romains fatigués et livrés aux déchirements.
La Bithynie est emportée aussitôt, dans le premier effort
de la guerre. L'Asie est bientôt saisie de cette terreur contagieuse;
les villes et les peuples de notre domination s'empressent de se ranger
sous celle du roi. Présent partout, il pressait ses conquêtes,
et la cruauté lui servait de courage. Quoi de plus atroce en effet
que ce seul édit par lequel il ordonna le massacre de tous les hommes
de la cité de Rome qui se trouvaient en Asie? Alors furent violés
les maisons, les temples, les autels, tous les droits humains et divins.
L'effroi de l’Asie ouvrait encore au roi le chemin de L'Europe. Ses lieutenants,
Archélaüs et Néoptolème, qu'il avait détachés
de son armée, occupèrent les Cyclades, Délos, l'Eubée,
Athènes même, l'ornement de la Grèce; mais Rhodes resta
plus fidèle à notre cause. La terreur qu'inspirait ce roi
s’était déjà répandue dans l'Italie et même
jusque dans la ville de Rome. |
.. |
.. | Itaque Lucius Sylla
festinat, vir armis optimus, parique violentia ruentem ulterius hostem
quadam quasi manu repulit. Primumque Athenas urbem - quis crederet? - frugum
parentem, obsidione ac fame ad humanos cibos compulit. Mox subruto Piraeei
portu, sex quoque et amplius muris cinctus. Postquam domuerat ingratissimos,
ut ipse dixit, hominum, in honorem tamen mortuorum, sacris suis famaeque
donavit. Mox quum Euboea atque Boeotia praesidia regis dispulisset, omnes
copias uno apud Chaeroniam, apud Orchomenon altero bello dissipavit, statimque
in Asiam transgressus, ipsum opprimit. Et debellatum foret, nisi de Mithridate
triumphare cito quam vere maluisset. |
.... | Lucius Sylla, ce grand
homme de guerre, se hâte, et, opposant à l’ennemi une impétuosité
égale à la sienne, il le repousse. Il fait d'abord le siège
d’Athènes; il la presse par la famine, et qui le croirait? il réduit
cette ville, la mère des moissons, à se nourrir de chair
humaine. Il ruine bientôt le port du Pyrée, renverse plus
de six enceintes de murailles; et, après avoir dompté les
plus ingrats des hommes (c'est ainsi qu'il appelait les Athéniens),
il leur pardonne cependant en considération de leurs ancêtres,
de leurs cérémonies sacrées et de leur célébrité.
Ensuite, ayant chassé de l'Eubée et de la Béotie les
garnisons du roi, il disperse toutes ses troupes dans deux batailles, à
Chéronée, à Orchomène. Il passe sur-le-champ
en Asie, et accable Mithridate lui-même. C'en était fait de
ce prince, si Sylla n'eût mieux aimé précipiter qu'assurer
son triomphe. |
.. |
.. | Ac tunc quidem hunc
Asiae statum Sylla dederat. Ictum cum Ponticis foedus. Recepit Bithyniam
a rege Nicomedes, Ariobarzanes Cappadociam: ac si erat Asia rursus nostra,
ut coeperat; Mithridates tantum repulsus. Itaque non fregit ea res Ponticos,
sed incendit. Quippe rex Asia et Europa quodam modo inescatus non jam quasi
alienam, sed, quia amiserat, quasi raptam, belli jure repetebat. |
.... | Voici l'état
où Sylla laissait l'Asie. Il conclut avec le roi de Pont un traité
qui rendit la Bithynie à Nicomède, la Cappadoce à
Ariobarzane; et, de cette manière, l'Asie rentra sous notre domination,
comme par le passé. Mais Mithridate n’était que repoussé,
et ses revers l'avaient moins abattu qu'irrité. Amorcé, pour
ainsi dire, par la conquête de l'Asie et de l'Europe, il ne les regardait
plus comme des provinces étrangères mais comme un bien qu'il
avait perdu, qu'on lui avait ravi, et que le droit de la guerre devait
lui restituer. |
.. |
.. | Igitur ut exstincta
parum fideliter incendia majore flamma reviviscunt; ita ille de integro,
auctis majorem in modum copiis, tota denique regni sui mole, in Asiam rursus
mari, terra, fluminibusque veniebat. Cyzicum, nobilis civitas, arce, moenibus,
portu turribusque marmoreis, Asiaticae plagae litora illustrat. Hanc ille,
quasi alteram Romam, toto invaserat bello; sed fiduciam oppidanis resistendi
nuntius fecit, docens adventare Lucullum: qui - horribile dictu - per medias
hostium naves utre suspensus, et pedibus iter adgubernans, videntibus procul,
quasi marina pristix, evaserat. Mox clade conversa, quum ex mora obsidentem
regem fames, ex fame pestilentia urgeret, recedentem Lucullus assequitur,
adeoque cecidit, ut Granicus et Aesepus amnes cruenti redderentur. Rex
callidus, Romanaeque avaritiae peritus, spargi a fugientibus sarcinas et
pecuniam jussit, qua sequentes moraretur. Nec felicior in mari quam in
terra fuga. Quippe centum amplius navium classem, apparatumque belli gravem,
in Pontico mari aggressa tempestas, tam foeda strage laceravit, ut navalis
belli instar efficeret; plane quasi Lucullus, quodam cum fluctibus procellisque
commercio, debellandum tradidisse regem ventis videretur.
|
.... | Comme les flammes
d'un incendie mal éteint renaissent plus furieuses, ainsi Mithridate,
renouvelant ses entreprises, à la tête de troupes plus nombreuses,
marche de nouveau vers l’Asie, cette fois avec toutes les forces de son
royaume, dont il avait couvert la mer, la terre et les fleuves. Cyzique,
ville fameuse, est, par sa forteresse, ses remparts, son port et ses tours
de marbre, l’ornement du rivage asiatique. C’est pour lui comme une autre
Rome, contre laquelle il tourne tous les efforts de ses armes; mais les
habitants sont encouragés dans leur résistance par un messager
qui leur annonce l’approche de Lucullus. Porté sur une outre qu'il
gouvernait avec ses pieds, cet émissaire avait, à la faveur
d'un stratagème aussi audacieux, passé au milieu des vaisseaux
ennemis, qui l'avaient pris de loin pour un monstre marin. Bientôt
la fortune change; la longueur du siège engendre dans le camp du
roi la famine, et la famine la peste; Mithridate se retire, Lucullus le
suit, et fait de ses troupes un tel carnage, que les eaux du Granique et
de l’Esape en sont ensanglantées. Le rusé monarque, connaissant
l'avarice des Romains, ordonne à ses soldats en fuite de disperser
les bagages et l'argent, pour retarder la poursuite des vainqueurs. Sa
retraite n’est pas plus heureuse sur mer que sur terre. Sa flotte, composée
de plus de cent vaisseaux, et chargée d'un immense appareil de guerre,
est assaillie par une tempête dans la mer de Pont, et si horriblement
fracassée qu'elle n'offrait plus que les débris d'une bataille
navale. On eût dit que, d'intelligence avec les flots, les orages
et les vents, Lucullus leur avait donné à consommer la défaite
du roi. |
.. |
.. | Attritae jam omnes
validissimi regni vires erant; sed animus malis augebatur. Itaque conversus
ad proximas gentes, totum paene Orientem ac Septentrionem ruina sua involvit.
Iberi, Caspii, Albani et utraeque sollicitabantur Armeniae; perque omnia
et decus et nomen et titulos Pompeio suo Fortuna quaerebat. Qui, ubi novis
motibus ardere Asiam videt, aliosque ex aliis prodire reges, nihil cunctandum
ratus, priusquam inter se gentium robora coirent, statim ponte navibus
facto, omnium ante se primus transit Euphratem; regemque fugientem media
nactus Armenia - quanta felicitas viri! - uno proelio confecit.
|
.... | Toutes les forces
de ce puissant monarque étaient anéanties; mais les revers
augmentaient son courage. Il se tourna donc vers les nations voisines;
et il enveloppa dans sa ruine presque tout l’Orient et le Septentrion.
Il sollicita les Ibériens, les peuples de la mer Caspienne, les
Albaniens et les deux Arménies. La fortune cherchait ainsi de tous
côtés à Pompée, son favori, des sujets de renommée,
de gloire et de triomphe. Voyant l’Asie ébranlée et embrasée
de nouveau, et les rois s'y succéder en foule, il sentit qu'il n'y
avait pas de temps à perdre. Prévenant la jonction des forces
de tant de nations, le premier de tous les généraux Romains,
il passa l’Euphrate sur un pont de bateaux; il atteignit le roi fugitif
au milieu de l’Arménie, et, tant était grande sa fortune!
il l’accabla sans retour dans une seule bataille. |
.. |
.. | Nocturna ea dimicatio
fuit et luna in partibus. Quippe quasi commilitans, quum a ergo se hostibus,
a facie Romanis praebuisset, Pontici per errorem longius cadentes umbras
suas, quasi hostium corpora, petebant. Et Mithridates quidem nocte illa
debellatus est; nihil enim postea valuit, quamquam omnia expertus, more
anguium, qui obtrito capite, postremum cauda minantur. Quippe quum effugisset
hostem per Colchos, Siciliae quoque litora et Campaniam nostram subito
adventu terrere voluit : Colchis tenus jungere Bosporon; inde per Thraciam
Macedoniamque et Graeciam transilire; sic Italiam nec opinatus invadere:
tantum cogitavit! Nam per defectionem civium, Pharnacisque filii scelere
praeventus, male tentatum veneno spiritum ferro expulit. |
.... | L’action s'engagea
pendant la nuit, et la lune y prit part. En effet, comme si elle eût
combattu pour nous, elle se montra derrière les ennemis et en face
des Romains; de sorte que les soldats du roi de Pont, trompés par
la grandeur démesurée de leurs propres ombres, dirigeaient
leurs corps sur elles en croyant frapper leurs ennemis. Enfin, cette nuit
consomma la ruine de Mithridate; et, depuis, nul effort ne lui réussit,
bien qu'il ait tenté tous les moyens de se relever; tel qu'un serpent
qui, ayant la tête écrasée, fait avec sa queue de dernières
menaces. Ainsi, après s’être réfugié à
Colchos, il voulut jeter l’épouvante sur les côtes de Sicile
et jusque dans notre Campanie, par une subite apparition. Il comptait associer
à ses desseins tous les pays situés entre Colchos et le Bosphore,
traverser en courant la Thrace, la Macédoine et la Grèce,
puis envahir inopinément l’Italie. Cc ne fut qu'un projet; car,
prévenu par la défection de ses sujets et par la trahison
de Pharnace, son fils, il se délivra par le fer d'une vie qui avait
résisté à l’essai du poison. |
.. |
.. | Cnaeus interim Magnus
rebelles Asiae reliquias sequens, per diversa gentium terrarumque volitabat.
Nam sub Orientem secutus Armenios, captis in ipso capite gentis Artaxatis,
supplicem jussit regnare Tigranem. At in Septentrionem Scythicum iter,
tamquam in mari, stellis secutus, Colchos cecidit, ignovit Iiberiae, pepercit
Albanis; regemque horum Orodem, positis sub ipso Caucaso castris, jussit
in plana descendere; Arthocen, qui Iberis imperabat, et obsides liberos
dare. Orodem etiam remuneratus est, ultro ab Albania sua lectulum aureum
et alia dona mittentem. Nec non et in Meridiem verso agmine, Libanum Syriae,
Damascumque transgressus, per memoria illa odorata, per turis et balsami
silvas, Romana circumtulit signa. Arabes, si quid imperaret, praesto fuere.
Hierosolymam defendere tentavere Judaei; verum hanc quoque intravit, et
vidit illud grande inpiae gentis arcanum patens, sub aureo uti caelo. Dissidentibusque
de regno fratribus arbiter factus, regnare jussit Hircanum; Aristobulo,
quia renovabat eam rem, catenas dedit. |
.... | Cependant le grand
Pompée poursuivait, d'un vol rapide, à travers les différentes
contrées de la terre, les restes de la rébellion de l’Asie.
Du côté de l'Orient, il pénétra chez les Arméniens,
s'empara d'Artaxate, capitale de ce peuple, et laissa le trône à
Tigrane, réduit à le supplier. Du côté du Septentrion,
il rentra en Scythie, guidé par les étoiles, comme sur mer,
soumit la Colchide, pardonna à l'Ibérie, et épargna
les Albaniens. De son camp, placé au pied même du Caucase,
il contraignit Orode, roi d'Albanie, à descendre dans la plaine,
et Arthoce, qui commandait aux Ibériens, à lui livrer ses
enfants en otage. Il récompensa Orode, qui lui avait, de son propre
mouvement, envoyé d'Albanie un lit d'or et d'autres présents.
Conduisant ensuite son armée vers le midi, il franchit le Liban
dans la Syrie, s'avança au-delà de Damas, et porta les étendards
romains à travers ces bois odorants, ces forêts renommées
par leur encens et leur baume. Les Arabes s’empressèrent de lui
offrir leurs services. Les Juifs tentèrent de défendre Jérusalem;
mais il s'en ouvrit aussi l’entrée, et vit à découvert
l’objet mystérieux que cette nation impie tient caché sous
un ciel d'or. Deux frères se disputaient la couronne; choisi pour
arbitre, il adjugea le trône à Hircan, et fit mettre dans
les fers Aristobule, qui renouvelait cette querelle. |
.. |
.. | Sic Pompeio duce,
populus Romanus totam, qua latissima est, Asiam pervagatus, quam extremam
habebat imperii provinciam, mediam fecit. Exceptis quippe Parthis, qui
foedus maluerunt, et Indis, qui adhuc nos non noverant; omnis Asia inter
Rubrum mare et Caspium et Oceanum, Pompeianis domita vel oppressa signis
tenebatur. |
.... | C'est ainsi que, sous
la conduite de Pompée, les Romains parcoururent l’Asie dans toute
son étendue, et que cette province, qui formait la limite de l'empire,
en devint le centre. Car, exceptés les Parthes, qui préférèrent
notre alliance, et les Indiens qui ne nous connaissaient pas encore, toute
la partie de l'Asie située entre la mer Rouge, la mer Caspienne
et l’Océan, était assujettie, par les armes ou par la seule
terreur, au pouvoir de Pompée. |
.. |
.. | VII. - Bellum Piraticum.
- Interim dum populus Romanus per diversa terrarum districtus est, Cilices
invaserant maria; sublatisque commerciis, rupto foedere generis humani,
sic maria bello quasi tempestate praecluserant. Audaciam perditis furiosisque
latronibus dabat inquieta Mithridaticis proeliis Asia, dum sub alieni belli
tumultu exterique regis invidia impune grassantur. Ac primum, duce Isidoro,
contenti proximo mari, Cretam inter atque Cyrenas et Achaiam, sinumque
Maleum, quod a spoliis Aureum ipsi vocavere, latrocinabantur. Missusque
in eos Publius Servilius, quamvis leves et fugaces myoparonas gravi et
Martia classe turbaret, non incruenta victoria superat. Sed nec mari submovisse
contentus, validissimas urbes eorum et diutina praeda abundantes, Phaselin
et Olympon evertit, Isauronque ipsam arcem Ciliciae, unde, conscius sibi
magni laboris, Isaurici cognomen adamavit. Non ideo tamen tot cladibus
domiti, terra se continere potuerunt; sed ut quaedam animalia, quibus aquam
terramque colendi gemina natura est, sub ipso hostis recessu, impatientes
soli, in aquas suas resiluerunt, et aliquando latius quam prius. |
.... | VII. – Guerre des
Pirates. – (An de Rome 675 - 685.) - Tandis que le peuple romain était
occupé dans les différentes parties de la terre, les Ciliciens
avaient envahi les mers. Coupant les communications, et brisant le lien
qui unit le genre humain, la guerre qu'ils faisaient, avait, comme la tempête,
fermé la mer aux vaisseaux. Les troubles de l’Asie, qu’agitaient
nos combats contre Mithridate, donnaient à ces brigands voués
au crime une audace effrénée. A la faveur du désordre
causé par une guerre étrangère, et de la haine qu'inspirait
le roi ennemi, ils exerçaient impunément leurs violences.
S’étant d'abord contentés, sous leur chef Isidore, d’infester
les mers voisines, ils étendirent bientôt leurs brigandages
sur celle de Crète, de Cyrène, d'Achaïe, sur le golfe
de Malée, auquel les richesses qu'ils y capturaient leur avaient
fait donner le nom de Golfe d'or. Publius Servilius, envoyé contre
eux , dispersa avec ses gros vaisseaux de guerre leurs brigantins légers
et faits pour la fuite; mais la victoire qu'il remporta ne laissa pas d'être
sanglante. Non content néanmoins d'en avoir purgé la mer,
il détruisit leurs villes particulièrent bien fortifiées,
où ils avaient accumulé leur butin journalier, Phasélis,
Olympe, Isaure même, le boulevard de la Cilicie; et le souvenir des
grands travaux que lui coûta cette guerre, lui rendit bien cher le
surnom d'Isaurique. Tant de pertes ne domptèrent cependant pas les
pirates qui ne purent vivre sur le continent. Semblables à certains
animaux, qui ont le double privilège d'habiter l'eau et la terre,
à peine l’ennemi se fut-il retiré, qu'impatients du sol,
ils s’élancèrent de nouveau sur leur élément,
et poussèrent leurs courses encore plus loin qu'auparavant. |
.. |
.. | Sic ille ante felix
Pompeius, nunc dignus victoria visus est; et Mithridaticae provinciae facta
accessio. Ille dispersam toto mari pestem semel et in perpetuum volens
exstinguere, divino quodam apparatu aggressus est. Quippe quum classibus
suis et socialibus Rhodiorum abundaret, pluribus legatis atque praefectis
utraque Ponti et Oceani ora complexus est. Gellius Tusco mari impositus,
Plotius Siculo; Gratilius Ligusticum sinum, Pomponius Gallicum obsedit,
Torquatus Balearicum, Tiberius Nero Gaditanum fretum, qua primum maris
nostri limen aperitur; Lentulus Libycum, Marcellinus Aegyptium, Pompei
juvenes, Adriaticum, Varro Terentius Aegaeum et Ponticum, Pamphylium
Metellus, Asiaticum Caepio; ipsas Propontidis fauces Porcius Cato sic obditis
navibus quasi portam obseravit. |
.... | Pompée, ce
général naguère si heureux, fut encore jugé
digne de les vaincre; et ce soin lui fut confié, comme un accessoire
de département de la guerre contre Mithridate. Voulant détruire
d'un seul coup, et pour jamais, ce fléau de toutes les mers, il
fit contre eux des préparatifs plus qu’humains : ses vaisseaux et
ceux des Rhodiens, nos alliés, formèrent une flotte immense,
qui, partagée entre un grand nombre de lieutenants et de préfets,
occupa tous les passages de Pont-Euxin et de l’Océan. Gellius bloqua
la mer de la Toscane; Plotius, celle de Sicile; Gratilius, le golfe de
Ligurie; Pomponius, celui des Gaules; Torquatus, celui des îles Baléares;
Tibérius Néron, le détroit de Gadès, qui forme
l’entrée de notre mer; Lentulus, la mer de Libye; Marcellinus, celle
d'Egypte; les jeunes Pompée, l’Adriatique; Terentius Varron, la
mer Egée et la mer Pontique; Métellus, celle de Pamphilie;
Coepion, celle d'Asie; les embouchures même de la Propontide furent
fermées, comme une porte, par les vaisseaux de Porcius Caton. |
.. |
.. | Sic per omnes aequoris
portus, sinus, latebras, recessus, promontoria, freta, paeninsulas, quidquid
piratarum fuit, quadam indagine inclusum et oppressum est. Ipse Pompeius
in originem fontemque belli Ciliciam versus est. Nec hostes detrectavere
certamen, non ex fiducia, sed quia oppressi erant, ausi videbantur; sed
nihil tamen amplius, quam ut ad primum ictum concurrerent. Mox ubi circumfusa
undique rostra viderunt, abjectis statim telis remisque, plausu undique
pari, quod supplicantium signum fuit, vitam petiverunt. Non alias tam incruenta
victoria usi unquam sumus; sed nec fidelior in posterum reperta gens ulla
est. Idque prospectum singulari consilio ducis, qui maritimum genus a conspectu
longe removit maris, et mediterraneis agris quasi obligavit; eodemque tempore
et usum maris navibus recuperavit et terrae homines suos reddidit. Quid
prius in hac mirere victoria? velocitatem, quod quadragesimo die parta
est? an felicitatem, quod ne una quidem navis amissa est? an vero perpetuitatem,
quod amplius piratae non fuerunt?
|
.... | Ainsi les ports, les
golfes, les retraites, les repaires, les promontoires, les détroits,
les péninsules, tout ce qui servait de refuge aux pirates fut enveloppé,
fut pris comme dans un filet. Quant à Pompée , il se porta
vers la Cilicie, l’origine et le foyer de la guerre. Les ennemis ne refusèrent
pas le combat, non dans l’espoir de vaincre; mais, ne pouvant résister,
ils voulaient du moins faire preuve d'audace. Leur résolution ne
se soutint cependant pas au delà du premier choc. Bientôt,
se voyant assaillis de tous côtés par les éperons de
nos vaisseaux, ils se hâtèrent de jeter loin d'eux leurs traits
et leurs rames, et, battant des mains à l’envi, en signe de supplication,
ils demandèrent la vie. Jamais nous ne remportâmes une victoire
moins sanglante; jamais aussi nation ne nous fut désormais plus
fidèle. Ce résultat fut le fruit de la rare sagesse du général,
qui transporta bien loin de la mer, et enchaîna pour ainsi dire,
au milieu du continent, ce peuple maritime, rendant ainsi tout à
la fois aux vaisseaux l'usage de la mer et à la terre ses habitants.
Que doit-on le plus admirer dans cette victoire? la rapidité? quarante
jours suffirent pour nous la donner; le bonheur? elle ne coûta pas
même un seul vaisseau; la durée de ses résultats? les
pirates furent détruits sans retour. |
.. |
.. | VIII. - Bellum Creticum.
- Creticum bellum, si vera volumus noscere, nos fecimus sola vincendi nobilem
insulam cupiditate. Favisse Mithridati videbatur: hoc placuit armis vindicare.
Primus invasit insulam Marcus Antonius, cum ingenti quidem victoriae spe
atque fiducia, adeo ut plures catenas in navibus quam arma portaret. Dedit
itaque poenas vecordiae : nam plerasque naves intercepere hostes; captivaque
corpora religata velis ac funibus pependere, ac sic velificantes triumphantium
in modum Cretes portubus suis adremigaverunt. Metellus deinde totam insulam
igni ferroque populatus, intra castella et urbes redegit, et Gnossum, et
Erythraeam, et, ut Graeci dicere solent, urbium matrem, Cydoniam; adeoque
saeve in captivos consulebatur, ut veneno se plerique conficerent, alii
deditionem suam ad Pompeium absentem mitterent. Et quum ille res in Asia
gerens, eo quoque praefectum misisset Antonium, in aliena provincia inclytus
fuit; eoque infestior Metellus in hostes jus victoris exercuit; victisque
Lasthene et Panare, Cydoniae ducibus, victor rediit. Nec quidquam amplius
tamen de tam famosa victoria quam cognomen Creticum reportavit. |
.... | VIII. - Guerre de
Crète. -(An de Rome 679-655.) - Si nous voulons bien reconnaître
la vérité, nous avons fait la guerre de Crète, par
le seul désir de vaincre cette île célèbre.
Elle semblait avoir favorisé Mithridate; on décida de s'en
venger par les armes. Marcus Antonius l’envahit le premier, avec un si
grand espoir et une si ferme assurance de la victoire qu'il portait sur
sa flotte plus de chaînes que d'armes. Il fut bientôt puni
de sa folle témérité: les ennemis lui enlevèrent
la plus grande partie de ses vaisseaux; ils attachèrent et pendirent
les corps des prisonniers aux antennes et aux cordages; et, déployant
toutes leurs voiles, ils cinglèrent, comme en triomphe, vers les
ports de la Crète. Plus tard, Métellus porta la flamme et
le fer par toute leur île, on les enferma dans leurs châteaux
et dans leurs places fortes, telles que Gnosse, Erythrée et Cydonie,
la mère des villes, ainsi que l’appellent les Grecs. Il traitait
si cruellement les prisonniers que la plupart des Crétois mirent
fin à leurs jours par le poison, et que les autres firent porter
leur soumission à Pompée absent. Ce général,
alors occupé en Asie, leur envoya Antonius, son préfet, et
se rendit illustre jusque dans la province d'un autre. Métellus
ne s'en montra que plus ardent à exercer contre les Crétois
les droits du vainqueur. Après avoir défait Lasthène
et Panarès, chefs des Cydoniens, il revint triomphant à Rome.
Il ne remporta néanmoins d'une si fameuse campagne que le surnom
de Crétique. |
.. |
.. | IX. - Bellum Balearicum.
- Quatenus Metelli Macedonici domus bellicis nominibus assueverat, altero
ex liberis ejus Cretico facto, mora non fuit quin alter quoque Balearicus
vocaretur. |
.... | IX. - Guerre contre
les îles Baléares. – (An de Rome 650. ) - La famille de Métellus
le Macédonique était en quelque sorte habituée à
tirer ses noms des guerres qu'elle faisait. L'un des fils de ce Romain
ayant été surnommé le Crétique, un autre ne
tarda pas à être appelé le Baléarique. |
.. |
.. | Baleares per idem
tempus insulae piratica rabie corruperant maria. Homines feros atque silvestres
mireris ausos a scopulis suis saltem maria prospicere. Adscendere etiam
inconditas rates, et praenavigantes subinde inopinato impetu terruere.
Sed quum venientem ab alto Romanam classem prospexissent, praedam putantes,
ausi etiam occurrere; et primo impetu ingenti lapidum saxorumque nimbo
classem operuerunt. Tribus quisque fundis proeliatur. Certos esse quis
miretur ictus, quum haec sola genti arma sint, id unum ab infantia studium?
Cibum puer a matre non accipit, nisi quem, ipsa monstrante, percussit.
Sed non diu lapidatione terruere Romanos. Postquam cominus ventum est expertique
rostra et pila venientia, pecudum in morem, clamore sublato, petierunt
fuga litora. Dilapsi in proximos tumulos quaerendi fuerunt ut vincerentur.
|
.... | Les insulaires des
Baléares infestaient alors la mer de leur piraterie forcenée.
On doit s’étonner de voir ces hommes farouches et sauvages oser
seulement la contempler du haut de leurs rochers. Toutefois, montés
sur de frêles bateaux, ils étaient devenus, par leurs attaques
soudaines, la terreur de ceux qui naviguaient près de leurs îles.
Ayant aperçu la flotte romaine qui, de la haute mer, cinglait vers
eux, ils la regardent comme une proie, et poussent l’audace jusqu'à
l’assaillir. Du premier choc, ils la couvrent d’une grêle effroyable
de pierres et de cailloux. Chacun d’eux combat avec trois frondes. Faut-il
s’étonner que leurs coups soient sûrs, quand c'est, chez cette
nation , la seule arme et l’unique exercice dès l’âge le plus
tendre? l’enfant ne reçoit de nourriture que celle qu'atteint sa
fronde au but que lui montre sa mère. Cependant ce déluge
de pierres n’épouvanta pas longtemps les Romains. Quand on en vint
à combattre de près et que les insulaires eurent fait l’expérience
de nos éperons et de nos javelots, ils poussèrent, comme
des troupeaux, un grand cri, et s'enfuirent vers leurs rivages. S’étant
dispersés dans les montagnes voisines, il fallut les chercher pour
les vaincre. |
.. |
.. | X. - Expeditio in
Cypron. - Aderat fatum insularum; igitur et Cypros recepta sine bello.
Insulam veteribus divitiis abundantem et ob hoc Veneri sacram, Ptolemaeus
regebat. Et divitiarum tanta erat fama, nec falso, ut victor gentium populus,
et donare regna consuetus, P. Clodio tribuno duce, socii vivique regis
confiscationem mandaverit. Et ille quidem ad rei famam veneno fata praecepit.
Ceterum Porcius Cato Cyprias opes Liburnis per Tiberinum ostium invexit;
quae res latius aerarium populi Romani quam ullus triumphus implevit. |
.... | X. – Expédition
de Chypre. – ( An de Rome 695. ) - L'heure fatale des îles était
arrivée; et Chypre fut à nous sans combat. Cette île,
abondante en richesses antiques et consacrée à Vénus,
avait Ptolémée pour roi. La renommée de son opulence
était si grande et si fondée que le peuple vainqueur des
nations et dispensateur des royaumes, sur la proposition de tribun Publius
Clodius, ordonna, du vivant de ce roi, notre allié, la confiscation
de ses biens. Averti de cette résolution, Ptolémée
avança par le poison le terme de ses jours. Porcius Caton transporta
à Rome, par l'embouchure du Tibre, sur des brigantins, les richesses
de Chypre, qui grossirent plus qu'aucun triomphe le trésor du peuple
romain. |
.. |
.. | XI. - Bellum Gallicum.
- Asia Pompeii manibus subacta, reliqua quae restabant in Europa, Fortuna
in Caesarem transtulit. Restabant autem immanissimi gentium Galli atque
Germani; et quamvis toto orbe divisa, tamen qui vinceret, habuit Britannia. |
.... | XI. - Guerre des Gaules.
- ( An de Rome 695-704.) -L'Asie soumise par les armes de Pompée,
la fortune choisit César pour achever la conquête de l’Europe.
Restaient encore les Gaulois et les Germains, les plus féroces de
tous les peuples, et la Bretagne, qui, bien que séparée de
tout l'univers, trouva cependant un vainqueur. |
.. |
.. | Primus Galliae motus
ab Helvetiis coepit, qui Rhodanum inter et Rhenum siti, non sufficientibus
terris, venere sedem petitum, incensis moenibus suis; hoc sacramentum fuit,
ne redirent. Sed petito tempore ad deliberandum, quum inter moras Caesar,
Rhodani ponte rescisso, abstulisset fugam, statim bellicosissimam gentem
sic in sedes suas, quasi greges in stabula pastor, deduxit. |
.... | Le premier mouvement
de la Gaule commença par les Helvètes, qui, situés
entre le Rhône et le Rhin, dans un territoire insuffisant, vinrent
réclamer des habitations, après avoir incendié leurs
villes, faisant ainsi le serment de ne pas y revenir. César a demandé
du temps pour délibérer : dans l'intervalle, il rompit le
pont du Rhône, afin de leur ôter tout moyen de retraite, et
fit rentrer aussitôt cette belliqueuse nation dans ses foyers, comme
un pasteur, son troupeau dans le bercail. |
.. |
.. | Sequens longeque cruentior
pugna Belgarum, quippe pro libertate pugnantium. Hic quum multa Romanorum
militum insignia, tum illud egregium ipsius ducis, quod, nutante in fugam
exercitu, rapto fugientis e manu scuto, in primam volitans aciem, manu
proelium restituit. |
.... | La guerre des Belges,
qui suivit, fut beaucoup plus sanglante; car ils combattaient pour la liberté.
Si les soldats romains firent des prodiges de valeur, leur chef se signala
par un exploit bien mémorable. Notre armée pliait, prête
à prendre la fuite; il arrache un bouclier des mains d'un
des fuyards, vole à la première ligne, et rétablit
le combat par sa valeur. |
.. |
.. | Inde cum Venetis etiam
navale bellum; sed major cum Oceano quam cum ipsis navibus rixa; quippe
illae rudes et informes et statim naufragae, quum rostra sensissent; sed
haerebat in vadis pugna, quum aestibus solitis cum ipso certamine subductus
Oceanus intercedere bello videretur. |
.... | Il soutint ensuite
une guerre maritime contre les Vénètes; mais il eut plus
à lutter contre l’Océan que contre leurs vaisseaux qui, grossiers
et informes, étaient naufragés dès la première
atteinte de nos éperons. L’Océan s’étant, à
l’heure du reflux, retiré pendant le combat, comme pour y mettre
fin, l’action n'en continua pas moins sur la grève. |
.. |
.. | Illae quoque accessere
diversitates, pro gentium locorumque natura. Aquitani, callidum genus,
in speluncas se recipiebant: jussit includi. Morini dilabebantur in silvas:
jussit incendi. Nemo tantum feroces dixerit Gallos: fraudibus agunt. Induciomarus
Treveros, Ambiorix convocavit Eburones. Utrique, absente Caesare, conjuratione
facta, invenere legatos. Sed ille fortiter a Dolabella submotus est, relatumque
regis caput; hic, insidiis in valle dispositis, dolo perculit. Itaque et
castra direpta sunt et aurum ablatum. Cottam cum Titurio Sabino legatos
ibi amisimus. Nec ulla de rege mox ultio; quippe perpetua trans Rhenum
fuga latuit. Nec Rhenus ergo immunis, nec enim fas erat ut liber esset
receptator hostium atque defensor.
|
.... | Voici les divers incidents
de cette guerre, d’après la nature des nations et des lieux. Les
Aquitains, race astucieuse, se retirèrent dans des cavernes; César
les y fit enfermer. Les Morins se dispersaient dans les bois; il ordonna
d'y mettre le feu. Qu'on ne dise pas que les Gaulois ne sont que féroces;
ils ont recours à la ruse. Induciomare rassembla les Trévires;
Ambiorix, les Eburons. Tous deux se liguèrent pendant l’absence
de César et attaquèrent ses lieutenants. Mais le premier
fut vigoureusement repoussé par Dolabella, qui rapporta la tête
du roi barbare. L'autre, avant dressé une embuscade dans un vallon,
nous surprit, nous accabla, pilla notre camp et en emporta l’or. Nous perdîmes,
dans cette rencontre, les lieutenants Cotta et Titurius Sabinus. On ne
put pas même tirer une prompte vengeance de ce roi, qui s’enfuit
et resta toujours caché au-delà du Rhin. Ce fleuve toutefois
ne fut pas à l’abri de nos armes; il n'était pas juste qu’il
pût impunément receler et protéger les ennemis. |
.. |
.. | Sed prima contra Germanos
illius pugna, justissimis quidem ex causis: Aedui enim de incursionibus
eorum querebantur. Quae Ariovisti regis superbia! Quum legati dicerent
"veni ad Caesarem" et " quis est autem Caesar?" et "si vult, veniat" inquit;
et "quid ad illum, quid agat nostra Germania? Num ego me interpono Romanis?"
Itaque tantum gentis novae terror in castris, ut testamenta passim etiam
in principiis scriberentur. Sed illa immania corpora, quo majora erant,
eo magis gladiis ferroque patuerunt. Qui calor in proeliando militum fuerit,
nullo magis exprimi potest quam quod, elatis super caput scutis quum se
testudine barbarus tegeret, super ipsa Romani scuta salierunt; et inde
in jugulos gladiis descendebant. |
.... | La première
guerre de César contre les Germais fut fondée sur les plus
justes motifs. Les Eduens en effet se plaignaient de leurs incursions.
Quel orgueil ne montra pas Arioviste lorsque, invité par les députes
à venir trouver César, il répondit : - Eh! quel est
César? qu'il vienne, s'il le veut, lui-même. Que lui importe,
que lui fait notre Germanie? Me mêlé-je, moi, des affaires
des Romains? » Ces nouveaux ennemis répandirent dans le camp
une telle terreur que partout, même dans la tente des plus braves,
on faisait son testament. Mais plus les corps énormes des Germains
présentaient d’étendue, plus ils offraient de prise aux glaives
et aux javelots. Quelle ne fut pas, dans cette bataille, l’ardeur de nos
soldats! Rien ne peut mieux la faire comprendre que ce fait : les Barbares
élevaient leur bouclier au-dessus de leur tête et formaient
ainsi la tortue; les Romains s'élançaient sur cette voûte,
et, de là, leur plongeaient l’épée dans la gorge. |
.. |
.. | Iterum de Germano
Tencteri querebantur. Hic vero jam Caesar ultro Mosellam navali ponte transgreditur
ipsumque Rhenum; et Hercyniis hostem quaerit in silvis; sed in saltus ac
paludes genus omne diffugerat: tantum pavoris incussit intra ripam subito
Romana vis! |
.... | Les Tenctères
se plaignirent aussi des Germains. César résolut alors de
passer la Moselle, et même le Rhin, sur un pont de bateaux. Il chercha
l’ennemi dans la forêt d'Hercynie; mais toute la nation s’était
dispersée dans les bois et dans les marais : tant la puissance romaine
avait subitement jeté l’épouvante sur la rive du fleuve! |
.. |
.. | Nec semel Rhenus,
sed iterum quoque, et quidem ponte facto, penetratus est. Sed major aliquanto
trepidatio. Quippe quum Rhenum suum sic ponte quasi jugo captum viderent,
fuga rursus in silvas et paludes; et, quod acerbissimum Caesari fuit, non
fuere qui vincerentur.
|
.... | César avait
passé le Rhin une fois; il le traversa une seconde fois sur un pont
qu'il y fit construire. Mais l'effroi fut plus grand encore. A la vue de
ce pont, qui était comme un joug imposé à leur fleuve
captif, les Germains s'enfuirent de nouveau dans les forêts et les
marécages; et ce qui causa le plus vif regret à César,
c'est qu'il ne trouva pas d'ennemis à vaincre. |
.. |
.. | Omnibus terra marique
captis, respexit Oceanum; et, quasi hic Romanis orbis non sufficeret, alterum
cogitavit. Classe igitur comparata, Britanniam petit. Transit mira celeritate;
quippe qui tertia vigilia Morino solvisset a portu, minus quam medio die
insulam ingressus est. Plena erant tumultu hostico litora, et trepidantia
ad conspectum rei novae carpenta volitabant. Itaque trepidatio pro victoria
fuit. Arma et obsides accepit a trepidis et ulterius iisset, nisi improbam
classem naufragio castigasset Oceanus. |
.... | Maître de tout
sur terre et sur mer, il jeta ses yeux sur l'Océan; et, comme si
le monde conquis n'eût pas suffi aux Romains, il en convoita un autre.
Ayant donc équipé une flotte, il passa en Bretagne. Il traversa
la mer avec une étonnante célérité : sorti
du port des Morins à la troisième veille de la nuit, il aborda
dans l’île avant le milieu du jour. Son arrivée causa sur
le rivage ennemi un tumulte général, et les insulaires, épouvantés
par un spectacle si nouveau, faisaient voler leurs chars de tous côtés.
Cet effroi nous tint lieu d'une victoire. César reçut des
Bretons tremblants leurs armes et des otages; et il eût pénétré
plus avant, si l’Océan n'eût châtié, par un naufrage,
sa flotte téméraire. |
.. |
.. | Reversus igitur in
Galliam, classe majore auctisque copiis, in eumdem rursus Oceanum, eosdemque
rursus Britannos, Calidonias secutus in silvas, unum quoque e regibus
Cavelianis in vincula dedit. Contentus his - non enim provinciae, sed nomini
studebatur - cum majore quam prius, praeda revectus est, ipso quoque Oceano
tranquillo magis, et propitio, quasi imparem se fateretur. |
.... | Alors il revint en
Gaule, accrut sa flotte, augmenta ses troupes, affronta de nouveau ce même
Océan, et ces mêmes Bretons, les poursuivit dans les forêts
de la Calédonie, et donna des fers à un des rois vassaux
de Cavelian. Content de ce succès (car ce n’était pas la
conquête d'une province, mais la gloire qu'il ambitionnait), il repassa
la mer avec un plus riche butin que la première fois. L’Océan
lui-même, plus tranquille et plus propice, semblait s'avouer vaincu. |
.. |
.. | Sed maxima omnium,
eademque novissima conjuratio fuit Galliarum, quum omnes pariter Arvernos
atque Biturigas, Carnutas simul Sequanosque contraxit ille, corpore, armis
spirituque terribilis, nomine etiam quasi terrore composito, Vercingetorix.
Ille festis diebus et conciliabulis, quum frequentissimos in lucis haberet,
ferocibus dictis ad jus pristinum libertatis erexit. Aberat tunc Caesar,
Ravennae delectum agens, et hieme creverant Alpes: sic interclusum putabant
iter. Sed ille, qualis erat ad nuntium - rem felicissimae temeritatis -
per invios ad id tempus montium tumulos, per intactas vias et nives, expedita
manu emersus occupat Galliam, et ex distantibus hibernis castra contraxit,
et ante in media Gallia fuit quam ab ultima timeretur. Tum ipsa capita
belli aggressus urbes, Avaricum cum quadraginta milibus propugnantium sustulit;
Alexiam ducentorum quinquaginta milium juventute subnixam flammis adaequavit.
Circa Gergoviam Arvernorum tota belli moles fuit; quippe quum octoginta
milia muro et arce et abruptis defenderet, maximam civitatem, vallo,
sudibus et fossa inductoque fossae flumine, ad hoc decem et octo castellis,
ingentique lorica circumdatam, primum fame domuit; mox audentem eruptiones,
in vallo gladiis sudibusque concidit; novissime in deditionem redegit.
Ipse ille rex, maximum victoriae decus, supplex quum in castra venisset,
tum et phaleras et sua arma ante Caesaris genua projecit: "Habes", inquit,
"fortem virum, vir fortissime, vicisti". |
.... | Mais la plus formidable,
et en même temps la dernière ligne des Gaulois, fut celle
où l'on vit entrer à la fois les Arvernes et les Bituriges,
les Carnutes et les Séquanes. Ils y furent entraînés
par un homme dont la stature, les armes et la valeur répandaient
l’épouvante, et dont le nom même avait quelque chose de terrible;
c’était Vercingétorix. Dans les jours de fêtes et dans
les conciliabules, pour lesquels les Gaulois se réunissaient en
foule dans les bois sacrés, il les excitait par des discours pleins
d'audace à reconquérir leur légitime et ancienne liberté.
César était alors absent, et faisait des levées à
Ravenne. L'hiver avait accru la hauteur des Alpes et les Barbares pensaient
que le passage nous en était fermé. Mais, à la première
nouvelle de ces mouvements, César, toujours heureux dans sa témérité,
franchit des montagnes jusqu'alors inaccessibles, des routes et des neiges
que nul n’avait foulées, et pénètre tout à
coup dans la Gaule avec quelques troupes armées à la légère.
Il rassemble ses légions distribuées dans des quartiers d'hiver
éloignés, et se montre au milieu de la Gaule avant qu'on
le crût sur les frontières. Alors il attaque les villes mêmes
qui avaient suscité la guerre; et Avaricum succombe avec ses quarante
mille défenseurs. Alexia, malgré les efforts de deux cent
cinquante mille Gaulois, est détruite de fond en comble. C'est surtout
sur Gergovie des Arvernes que tombe tout le poids de la guerre. Elle était
défendue par quatre-vingt mille combattants, par ses murailles,
sa forteresse et ses rochers escarpés. César entoure cette
grande ville d'un fossé, dans lequel il détourne la rivière
qui l’arrose, d'un long retranchement bien palissadé et flanqué
de dix-huit tours, et il commence par l'affamer. L’ennemi ose cependant
tenter des sorties, mais il trouve la mort dans la tranchée sous
les glaives et les pieux de nos soldats; enfin ils sont forcés de
se rendre. Leur roi lui-même, le plus bel ornement de la victoire,
vient en suppliant dans le camp romain; il jette alors aux pieds de César
les harnais de son cheval et ses armes : "C'en est fait, lui dit-il; ton
courage est supérieur au mien; tu as vaincu." |
.. |
.. | XII. - Bellum Parthicum.
- Dum Gallos per Caesarem in septentrione debellat, ipse interim ad Orientem
grave vulnus a Parthis populus Romanus accepit. Nec de fortuna queri possumus;
caret solacio clades. Adversis et diis et hominibus, cupiditas consulis
Crassi, dum Parthico inhiat auro, undecim strage legionum et ipsius capite
multata est. Et tribunus plebi Metellus exeuntem ducem hostilibus diris
devoverat; et quum Zeugma transisset exercitus, rapta subitis signa turbinibus
hausit Euphrates, et quum apud Nicephorium castra posuisset, missi ab Orode
rege legati denuntiavere, "percussorum cum Pompeio foederum Syllaque meminisset".
Regis inhians ille thesauris, nihil ne imaginario quidem jure, sed "Seleuciae
se responsurum esse", respondit. Itaque dii foederum ultores nec insidiis
nec virtuti hostium defuerunt. |
.... | XII. - Guerre des
Parthes. - (An de Rome 699. - Tandis que, par les armes de César,
le peuple romain soumet les Gaulois au septentrion, il reçoit, dans
l’Orient, une cruelle blessure de la main des Parthes. Nous ne pouvons
toutefois nous plaindre de la fortune; cette consolation manque à
notre malheur. La cupidité du consul Crassus, qui, malgré
les dieux et les hommes, voulait s'assouvir de l’or des Parthes, fut punie
par le massacre de onze légions, et par la perte de sa propre vie.
Le tribun du peuple Métellus, au moment où ce général
partait, l’avait dévoué aux divinités infernales.
Lorsque l’armée traversait Zeugma, ses enseignes, emportées
par un tourbillon subit, furent englouties dans l’Euphrate. Crassus campait
à Nicéphorium, quand des ambassadeurs envoyés par
le roi Orode, vinrent lui rappeler les traités conclus avec Pompée
et Sylla. Affamé des trésors de ce prince, il ne daigna pas
même imaginer un prétexte pour colorer son injustice, et dit
seulement qu'il répondrait dans Séleucie. Aussi les dieux,
vengeurs de la foi des traités, favorisèrent les ruses et
la valeur des ennemis. |
.. |
.. | Jam primum, qui solus
et subvehere commeatus, et munire poterat a tergo, relictus Euphrates.
Tum simulato transfugae cuidam Mazarae Syro creditur, dum in mediam camporum
vastitatem, eodem duce, ductus exercitus, ut undique hosti exponeretur.
Itaque vixdum venerat Carras, quum undique praefecti regis, Silaces et
Surenas, ostendere signa auro sericisque vexillis vibrantia. Tum sine mora
circumfusi undique equitatus, in modum grandinis atque nimborum densa pariter
tela fuderunt. Sic miserabili strage deletus exercitus. Ipse in colloquium
sollicitatus, signo dato, vivus in hostium manus incidisset, nisi, tribunis
reluctantibus, fugam ducis barbari ferro occupassent. Sic quoque relatum
caput ludibrio hosti fuit. Filium ducis paene in conspectu patris eisdem
telis operuere. Reliquiae infelicis exercitus, quo quemque rapuit
fuga, in Armeniam, Ciliciam Syriamque distractae, vix nuntium cladis retulerunt.
Caput ejus recisum, cum dextera manu, ad regem deportatum ludibrio fuit,
neque indigno. Aurum enim liquidum in rictum oris infusum est, ut cujus
animus arserat auri cupiditate, ejus etiam mortuum et exsangue corpus auro
ureretur. |
.... | D'abord Crassus s’éloigna
de l’Euphrate, qui pouvait seul transporter les convois et couvrir les
derrières de son armée. Il se confia ensuite à un
Syrien, Mazara, prétendu transfuge, qui, servant de guide à
l’armée, l’égara au milieu de vastes plaines, où elle
se trouva exposée, sur tous les points, aux attaques de l'ennemi.
A peine Crassus fut-il arrivé à Carres que l’on vit les préfets
du roi, Sillace et Suréna agiter de toutes parts leurs drapeaux
étincelants d'or et de soie. Leur cavalerie nous enveloppa aussitôt
de tous côtés et fit pleuvoir sur nous une grêle de
traits. Telle fut la déplorable catastrophe qui détruisit
notre armée. Le général lui-même, attiré
à une conférence, serait, à un signal donné,
tombé vivant entre les mains des ennemis, si la résistance
des tribuns n'eût obligé les Barbares à le tuer pour
prévenir sa fuite. Mais ils emportèrent sa tête qui
leur servit de jouet. Déjà ils avaient fait périr
à coups de flèches le fils de Crassus, presque sous les yeux
de son père. Les débris de cette malheureuse armée,
fuyant au hasard, se dispersèrent dans l’Arménie, la Cilicie
et la Syrie; et à peine revint-il un soldat pour annoncer ce désastre.
La main droite de Crassus et sa tête, séparée du tronc,
furent présentées au roi, qui en fit un objet d'ironie trop
méritée. On versa en effet de l’or fondu dans sa bouche,
afin que l’or consumât même les restes inanimés et insensibles
de l’homme dont le cœur avait brûlé de la soif de l’or. |
.. |
.. | XIII. - Anacephaloeosis.
- Haec est illa tertia aetas populi Romani transmarina, qua, Italia progredi
ausus, orbe toto arma circumtulit. Cujus aetatis superiores centum anni
sancti, pii, et, ut diximus, aurei, sine flagitio, sine scelere, dum sincera
adhuc et innoxia pastoriae illius sectae integritas, dumque Poenorum hostium
imminens metus disciplinam veterem continebat. Postremi centum, quos a
Carthaginis, Corinthi Numantiaeque excidiis et Attali regis Asiatica hereditate
deduximus in Caesarem et Pompeium, secutumque hos, de quo dicemus, Augustum
ut claritate, rerum bellicarum magnifici, ita domesticis cladibus miseri
et erubescendi. Quippe sicut Galliam, Thraciam, Ciliciam, Cappadociam,
uberrimas validissimasque provincias, Armenios etiam, et Britannos, ut
non in usum, ita ad imperii speciem, magna nomina acquisisse, pulchrum
ac decorum; ita eodem tempore dimicasse domi cum civibus, sociis, mancipiis,
gladiatoribus, totoque inter se senatu, turpe atque miserandum. |
.... | XIII. - Récapitulation.
- C'est là le troisième âge du peuple romain, âge
qu'il passa au-delà des mers, et pendant lequel, osant sortir de
l’Italie, il porta ses armes dans le monde entier. Les cent premières
années de cet âge furent une époque de justice, de
piété, et, comme nous l'avons dit, un siècle d'or,
que ne souillèrent ni la corruption ni le crime. Alors, l’innocence
et la simplicité de la vie pastorale étaient encore en honneur;
alors, la crainte perpétuelle qu'inspiraient les Carthaginois, nos
ennemis, entretenait les moeurs antiques. Les cent dernières années
qui s’écoulèrent depuis la ruine de Carthage, de Corinthe
et de Numance, et la succession d'Attale, roi d'Asie, jusqu'au temps de
César, de Pompée et d'Auguste, postérieur à
eux, et dont nous parlerons, présentent un tableau magnifique d'exploits
brillants, mais aussi de malheurs domestiques dont il faut gémir
et rougir. Sans doute la Gaule, la Thrace, la Cilicie, la Cappadoce, ces
provinces si fertiles et si puissantes, et enfin l’Arménie et la
Bretagne, furent des conquêtes, sinon utiles, du moins belles, brillantes,
glorieuses pour l’empire, par les grands noms qu'elles rappellent; mais
ce fut aussi le temps de nos guerres domestiques et civiles, des guerres
contre les alliés, contre les esclaves, des gladiateurs, des sanglantes
dissensions du sénat; époque honteuse et déplorable. |
.. |
.. | Ac nescio an satius
fuerit populo Romano, Sicilia et Africa contento fuisse, aut his etiam
ipsis carere, dominanti in Italia sua, quam eo magnitudinis crescere, ut
viribus suis conficeretur. Quae enim res alia civiles furores peperit quam
nimia felicitas? Syria prima nos victa corrupit; mox Asiatica Pergameni
regis hereditas. Illae opes atque divitiae afflixere saeculi mores, mersamque
vitiis suis, quasi sentina, rem publicam pessum dedere. Unde enim populus
Romanus a tribunis agros et cibaria flagitaret, nisi per famem, quam luxu
fecerat? Hinc ergo Gracchana prima et secunda et illa tertia Apuleiana
seditio. Unde regnaret judiciariis legibus divulsus a senatu eques, nisi
ex avaritia, ut vectigalia rei publicae, atque ipsa judicia in quaestu
haberentur? Hinc rursus et promissa civitas Latio, et per hoc arma sociorum.
Quid autem bella servilia? unde nobis, nisi ex abundantia familiarum? unde
gladiatorii adversus dominos suos exercitus, nisi ad conciliandum plebis
favorem effusa largitio, quum spectaculis indulget, supplicia quondam hostium
artem facit? Jam ut speciosiora vitia tangamus, nonne ambitus honorum ab
iisdem divitiis concitatus? Atqui inde Mariana, inde Syllana tempestas.
Aut magnificus apparatus conviviorum, et sumptuosa largitio, nonne ab opulentia
paritura mox egestatem? Haec Catilinam patriae suae impegit. Denique illa
ipsa principatus et dominandi cupido, unde, nisi ex nimiis opibus venit?
Atqui haec Caesarem atque Pompeium furialibus in exitium rei publicae fascibus
armavit. |
.... | Je ne sais s'il n'eût
pas été plus avantageux au peuple romain de se contenter
de la Sicile et de l’Afrique, ou, sans même avoir conquis ces provinces,
de se borner à la domination de l’Italie, que de s’élever
à ce point de grandeur où il devait succomber sous ses propres
forces. Quelle autre cause, en effet, enfanta nos fureurs civiles que l’excès
de la prospérité? La Syrie vaincue nous corrompit la première,
et, après elle, cet héritage légué en Asie
par le roi de Pergame. Cette opulence et ces richesses portèrent
un coup mortel aux moeurs de ce siècle et précipitèrent
la république comme dans un gouffre impur creusé par ses
vices. Le peuple romain eût-il demandé aux tribuns des terres
et des vivres, s'il n'y eût été réduit par la
famine que le luxe avait produite? De là les deux séditions
des Gracches, et celle d'Apuléius. Les chevaliers se seraient-ils
séparés du sénat, pour régner par le pouvoir
judiciaire, si leur avarice ne se fût proposé de trafiquer
des revenus de la république et de la justice même? De là
encore la promesse du droit de cité faite aux Latins, et qui arma
nos alliés contre nous. Quelle fut la cause de la guerre servile,
si ce n’est la multitude des esclaves? Des armées de gladiateurs
se seraient-elles levées contre leurs maîtres, si, pour se
concilier la faveur d'un peuple idolâtre de spectacles, une prodigalité
sans frein n'eût fait un art, de ce qui servait autrefois au supplice
des ennemis. Enfin, pour en venir à des vices plus brillants, ces
mêmes richesses n'ont-elles pas donné naissance à l'ambition
des honneurs, source des orages suscités par Marius et par Sylla?
Et ce magnifique appareil de festins, ces somptueuses largesses, qui les
rendit possibles si ce n’est l’opulence, d'où devait naître
bientôt la pauvreté, qui déchaîna Catilina contre
sa patrie? Enfin, cette passion pour l’empire et pour la domination, d'où
vint-elle, si ce n'est de l’excès de nos richesses? Voilà
ce qui arma César et Pompée de ces torches infernales qui
embrasèrent la république. |
.. |
.. | Hoc igitur populi
Romani omnes domesticos motus separatos ab externis justisque bellis ex
ordine prosequemur. |
.... | Nous allons exposer
dans leur ordre toutes ces agitations domestiques du peuple romain, séparées
des guerres étrangères et légitimes. |
.. |
.. | XIV. - Causa seditionum
tribunitia potestas. - Seditionum omnium causas tribunicia potestas excitavit,
quae, specie quidem plebis tuendae, cujus in auxilium comparata est, re
autem, dominationem sibi acquirens, studium populi ac favorem agrariis,
frumentariis, judiciariis legibus aucupabatur. Inerat omnibus species aequitatis.
Quid enim tam justum quam recipere plebem jus suum a patribus? ne populus
gentium victor, orbisque possessor, extorris laris ac focis ageret? Quid
tam aequum quam inopem populum vivere ex aerario suo? Quid ad jus libertatis
aequandae magis efficax quam ut, senatu regente provincias, ordinis equestris
auctoritas saltem judiciorum regno niteretur? Sed haec ipsa in perniciem
redibant; et misera res publica in exitium suum sui merces erat. Nam et
a senatu in equitem translata judiciorum potestas vectigalia, id est, imperii
patrimonium, supprimebat, et emptio frumenti, ipsos rei publicae nervos,
exhauriebat aerarium. Reduci plebs in agros unde poterat sine possidentium
eversione, qui ipsi pars populi erant? et tamen relictas sibi a majoribus
sedes aetate, quasi jure possidebant? |
.... | XIV. - Séditions
excitées par les tribuns. - Toutes les séditions ont eu pour
cause et pour principe la puissance des tribuns. Sous prétexte de
protéger le peuple, dont la défense leur était confiée,
ils n'aspiraient en réalité qu'à la domination, et
captaient l’affection et la faveur de la multitude par des lois sur le
partage des terres, la distribution des grains et l’administration de la
justice. Elles avaient toutes une apparence d'équité. N’était-il
pas juste, en effet, que la plèbe rentrât en possession de
leurs droits usurpés par les patriciens? qu'un peuple, vainqueur
des nations et maître de l'univers, ne fût pas exproprié
de ses autels et de ses foyers? Quoi de plus équitable que ce peuple,
devenu pauvre, vécût du revenu de son trésor? Qu'y
avait-il de plus propre à établir l’égalité,
si nécessaire à la liberté, que de contrebalancer
l’autorité du sénat, administrateur des provinces, par celle
de l’ordre équestre, en lui déférant au moins le droit
de juger sans appel? Mais ces réformes eurent de pernicieux résultats;
et la malheureuse république devait devenir le prix de sa propre
ruine. En effet, le pouvoir de juger, transporté des sénateurs
aux chevaliers, anéantissait les tributs, c’est-à-dire le
patrimoine de l’empire; et l’achat du grain épuisait le trésor,
ce nerf de la république. Pouvait-on enfin rétablir le peuple
dans ses terres sans ruiner les possesseurs, qui étaient eux-mêmes
une partie du peuple? Comme d'ailleurs ces domaines leur avaient été
laissés par leurs ancêtres, le temps leur donnait à
cette possession une sorte de droit héréditaire. |
.. |
.. | XV. - Seditio Tiberii
Gracchi. - Primam certaminum facem Tiberius Gracchus accendit, genere,
forma, eloquentia facile princeps. Sed hic, sive Mancinianae deditionis,
quia sponsor foederis fuerat, contagium timens et inde popularis; sive
aequo et bono ductus, quia depulsam agris suis plebem miseratus est, ne
populus gentium victor orbisque possessor laribus ac focis suis exsularet,
quacumque mente, rem ausus ingentem. Postquam rogationis dies aderat, ingenti
stipatus agmine rostra conscendit; nec deerat obvia manu tota inde nobilitas,
et tribuni in partibus. Sed ubi intercedentem legibus suis C. Octavium
videt Gracchus, contra fas collegii, ius potestatis, injecta manu, depulit
rostris; adeoque praesentis metu mortis exterruit, ut abdicare se magistratu
cogeretur; sic triumvir creatus dividendis agris. Quum ad perpetranda coepta,
die comitiorum, prorogari sibi vellet imperium, obvia nobilium manu,
eorumque, quos agris moverat, caedes a foro coepit. Inde quum in Capitolium
profugisset, plebemque ab defensionem salutis suae, manu caput tangens,
hortaretur, praebuit speciem regnum sibi et diadema poscentis; atque ita,
duce Scipione Nasica, concitato in arma populo, quasi jure oppressus est.
|
.... | XV. – Sédition
de Tibérius Gracchus. - (An de Rome 620.) - Le premier qui alluma
le flambeau de nos discordes fut Tibérius Gracchus, que sa naissance,
sa figure, son éloquence plaçaient à la tête
de la république. Soit que la crainte de partager le châtiment
infligé à Mancinus, dont il avait garanti le traité,
l’eût jeté dans le parti populaire, soit que, guidé
par la justice et par l’humanité, il eût gémi de voir
les plébéiens chassés de leurs terres, et le peuple
vainqueur des nations et possesseur du monde banni de ses demeures et de
ses foyers, il osa, quel que fût son motif, s'engager dans l’entreprise
la plus difficile. Le jour de la présentation de sa loi, escorté
d'une multitude immense, il monta à la tribune aux harangues. Toute
la noblesse, s’étant avancée en un corps, se trouvait à
cette assemblée; elle avait même des tribuns dans son parti.
Voyant Cnaeus Octavius s'opposer à ses lois, Gracchus, sans respect
pour un collègue et pour le droit de sa charge, le fait saisir et
arracher de la tribune, le menace de le faire mourir sur-le-champ, et le
force, par la terreur, d'abdiquer sa magistrature. Gracchus est, par ce
moyen, créé triumvir pour la répartition des terres.
Pour consommer ses entreprises, il veut, au jour des comices, se faire
proroger dans le tribunat; les nobles et ceux qu'il avait dépossédés
de leurs terres, s'avancent en armes, et le sang coule d'abord dans le
Forum. Gracchus se réfugie sur le Capitole, et, voyant sa vie en
danger, il porte la main à sa tête pour exhorter le peuple
à le défendre, et laisse présumer ainsi qu'il demande
la royauté et le diadème. Scipion Nasica soulève alors
la multitude armée, et le fait périr avec quelque apparence
de justice. |
.. |
.. | XVI. - Seditio Caii
Gracchi. - Statim et mortis et legum fratris sui vindex, non minore impetu
incaluit Caius Gracchus. Qui quum pari tumultu atque terrore plebem in
avitos agros arcesseret, et recentem Attali hereditatem in alimenta populo
polliceretur, jamque nimius et potens altero tribunatu, secunda plebe volitaret,
obrogare auso legibus suis Minucio tribuno, fretus comitum manu, fatale
familiae suae Capitolium invasit. Inde proximorum caede depulsus, quum
se in Aventinum recepisset, inde quoque obvia senatus manu, ab Opimio consule
oppressus est. Insultatum quoque mortis reliquiis; et illud sacrosanctum
caput tribuni plebis percussoribus auro repensatum est. |
.... | XVI. - Sédition
de Caius Gracchus. - (An de Rome 629-652 ) - Caius Gracchus entreprit aussitôt
de venger la mort et les lois de son frère, et ne montra pas moins
d'ardeur et d'impétuosité que lui. Il eut pareillement recours
au désordre et à la terreur pour exciter les plébéiens
à reprendre l’héritage de leurs ancêtres ; en outre
, il promit au peuple, pour sa subsistance, la succession récente
d'Attale. Bientôt son orgueil et sa puissance furent au comble, grâce
à un second consulat et à la faveur populaire. Le tribun
Minucius ose s'opposer à ses lois. Gracchus, soutenu par ses partisans,
s'empare du Capitole, lieu fatal à sa famille. Il en est chassé
par le massacre de ceux qui l’entourent et se réfugie sur le mont
Aventin, où il est poursuivi par le parti du sénat et tué
par l’ordre du consul Opimius. On insulta jusqu'à ses restes inanimés;
et la tête inviolable et sacrée d'un tribun du peuple fut
payée au poids de l’or à ses meurtriers. |
.. |
.. | XVII. - Seditio Apuleiana.
- Nihilo minus Apuleius Saturnius Gracchanas asserere leges non destitit
: tantum animorum viro Marius dabat! qui nobilitati semper inimicus, consulatu
suo praeterea confisus, occiso palam comitiis Annio, competitore tribunatus,
subrogare conatus est in ejus locum Caium Gracchum, hominem sine tribu,
sine nomine; sed subdito titulo, in familiam ipse se adoptabat. Quum tot
tantisque ludibriis exsultaret impune, rogandis Gracchorum legibus ita
vehementer incubuit, ut senatum quoque cogeret in verba jurare, quum abnuentibus
aqua et igni interdicturum se minaretur. Unus tamen exstitit, qui mallet
exsilium. Igitur, post Metelli fugam, omni nobilitate perculsa, quum jam
tertium annum dominaretur, eo vesaniae progressus est, ut consularia quoque
comitia nova caede turbaret. Quippe ut satellitem furoris sui Clauciam
consulem faceret, Caium Memmium competitorem interfici jussit, et in eo
tumultu regem ex satellitibus suis se appellatum laetus accepit. Tum vero
jam conspiratione senatus, ipso quoque jam Mario consule, quia tueri non
poterat, adverso, directae in foro acies. Expulsus inde, Capitolium invasit;
sed quum abruptis fistulis obsideretur, senatuique per legatos paenitentiae
fidem faceret, ab arce degressus, cum ducibus factionis receptus in curiam
est. Ibi eum, facta irruptione, populus fustibus saxisque coopertum in
ipsa quoque morte laceravit. |
.... | XVII. -Sédition
d'Apuléius Saturninus. - (An de Rome 650-655.) - Apuléius
Saturninus n’en soutint pas avec moins d'opiniâtreté les lois
des Gracches, tant l’appui de Marius lui donnait d'assurance! Eternel ennemi
de la noblesse, ce tribun, enhardi d'ailleurs par un consulat qu’il regardait
comme le sien, fit assassiner publiquement, dans les comices, Annius, son
compétiteur au tribunat, et s’efforça de lui subroger Caius
Gracchus, homme sans naissance et sans nom, qui, sous un titre supposé,
se plaçait lui-même dans cette famille. Fier de voir impunis
les outrages qu'il s’était fait un jeu de prodiguer à la
république, Saturninus travailla si ardemment à faire recevoir
les lois des Gracches qu'il força même les sénateurs
à en jurer l'observation; il menaçait d'interdire l'eau et
le feu à ceux qui refuseraient ce serment. Un seul cependant se
trouva, qui préféra l’exil. Le bannissement de Métellus
avait consterné toute la noblesse, et le tribun, qui dominait déjà
depuis trois ans, alla, dans l’excès de son délire, jusqu'à
troubler les comices consulaires par un nouveau meurtre. Pour élever
au consulat Glaucias, le satellite que s'était donné sa fureur,
il fit assassiner Caius Memmius son compétiteur; et il apprit avec
joie que, dans le tumulte, ses satellites l’avaient lui-même appelé
roi. Mais alors le sénat conspira sa perte, et aussitôt le
consul Marius lui-même, ne pouvant plus le soutenir, se déclara
contre lui. On en vint aux mains dans le Forum. Saturninus en fut chassé,
et courut se saisir du Capitole. Mais, voyant qu'on l'assiégeait
et qu’on avait coupé les conduits qui y amenaient de l’eau, il envoya
témoigner au sénat son repentir, descendit de la citadelle
avec les chefs de sa faction, et fut reçu dans cette assemblée.
Le peuple y fit une irruption, accabla le tribun de coups de bâton
et de pierres, et mutila son cadavre. |
.. |
.. | XVIII. - Drusiana
Seditio. - Postremo Livius Drusus, non tribunatus modo viribus, sed ipsius
etiam senatus auctoritate, totiusque Italiae consensu, easdem leges asserere
conatus, dum aliud captat ex alio, tantum conflavit incendium, ut nec prima
illius flamma posset sustineri; et subita morte correptus, hereditarium
in posteros suos bellum propagaret. |
.... | XVIII. - Sédition
de Drusus. - (An de Rome 662.) - Enfin, Livius Drusus entreprit d'assurer
le triomphe de ces même lois, non seulement par la puissance tribunitienne,
mais encore par l’autorité du sénat lui-même, et par
l’assentiment de toute l’Italie. S’élevant d'une prétention
à une autre, il alluma un si furieux incendie qu'on ne put en arrêter
les premières flammes; et, frappé d'une mort soudaine, il
légua à ceux qui lui survivaient la guerre en héritage. |
.. |
.. | Judiciaria lege Gracchi
diviserant populum Romanum, et bicipitem ex una fecerant civitatem. Equites
Romani tanta potestate subnixi, ut qui fata fortunasque principum haberent
in manu, interceptis vectigalibus, peculabantur suo jure rem publicam.
Senatus exsilio Metelli, damnatione Rutilii debilitatus, omne decus majestatis
amiserat. |
.... | Par la loi sur les
jugements, les Gracches avaient mis la division dans Rome, et donné
deux têtes à l’Etat. Les chevaliers romains s’étaient
élevées à une telle puissance, qu'ayant entre leurs
mains la destinée et la fortune des principaux citoyens, ils détournaient
les deniers publics et pillaient impunément la république.
Le sénat, affaibli par l’exil de Métellus, par la condamnation
de Rutilius, avait perdu tout l’éclat de sa majesté. |
.. |
.. | In hoc statu rerum,
pares opibus, animis, dignitate (unde et nata Livio Druso aemulatio exarserat)
equitem Servilius Caepio, senatum Livius Drusus asserere. Signa, et aquilae,
et vexilla aderant: ceterum sic urbe in una, quasi in binis castris, dissidebatur.
Prior Caepio in senatum impetu facto, reos ambitus Scaurum et Philippum
principes nobilitatis elegit. His motibus ut resisteret Drusus, plebem
ad se Gracchanis legibus evocavit, eisdem socios ad plebem spe civitatis
erexit. Exstat vox ipsius, nihil se ad largitionem ulli reliquisse, nisi
si quis aut caenum dividere vellet, aut caelum. Aderat promulgandi dies,
quum subito tanta vis hominum undique apparuit, ut hostium adventu obsessa
civitas videretur. Ausus tamen abrogare legibus consul Philippus; sed apprehensum
faucibus viator non ante dimisit quam sanguinis in ora et oculos redundaret.
Sic per vim latae iussaeque leges; sed pretium rogationis statim socii
flagitare; quum interim imparem Drusum, aegrumque rerum temere motarum,
matura, ut in tali discrimine, mors abstulit. Nec ideo minus socii promissa
Drusi a populo Romano reposcere armis desierunt. |
.... | Dans cet état
de choses, deux hommes égaux en richesses, en courage, en dignité
(et cette égalité même avait allumé la jalousie
de Livius Drusus), se déclaraient l'un, Servilius Caepion, pour
l'ordre des chevaliers, l’autre, Livius Drusus, pour le sénat. Les
enseignes, les aigles, les drapeaux étaient déployés
de part et d'autre, et les citoyens formaient ainsi comme deux camps ennemis
dans la même ville. Caepion, engageant la lutte contre le sénat,
accusa de brigue Scaurus et Philippe, chefs de la noblesse. Drusus, pour
résister à ces attaques, appela le peuple dans son parti,
en renouvelant les lois des Gracches, et attira les alliés dans
celui du peuple, par l’espoir du droit de cité. On rapporte de lui
cette parole: «Qu'il n'avait laissé aucune autre répartition
à faire que celle de la boue ou de l’air.» Le jour de la promulgation
de ces lois étant arrivé, on vit tout à coup paraître
de toutes parts une telle multitude d’étrangers, que la ville semblait
prise d'assaut par une armée ennemie. Le consul Philippe osa cependant
proposer une loi contraire; mais un huissier du tribun le saisit à
la gorge, et ne le lâcha qu'après lui avoir fait sortir le
sang par la bouche et par les yeux. Grâce à ces violences,
les lois furent proposées et confirmées. Mais les alliés
réclamèrent sur-le-champ le prix de leurs secours. Tandis
que, dans son impuissance à les satisfaire, Drusus gémissait
de ses téméraires innovations, la mort vint à propos
le tirer de cette position embarrassante. Les alliés en armes n'en
demandèrent pas moins au peuple romain l'exécution des promesses
de Drusus. |
.. |
.. | XIX. - Bellum Sociale.
- Sociale bellum vocetur licet, ut extenuemus invidiam; si verum tamen
volumus, illud civile bellum fuit. Quippe quum populus Romanus Etruscos,
Latinos Sabinosque sibi miscuerit, et unum ex omnibus sanguinem ducat,
corpus fecit ex membris, et ex omnibus unus est; nec minore flagitio socii
intra Italiam quam intra urbem cives rebellabant. |
.... | XIX. - Guerre sociale.
- (An de Rome 662-665.) - On peut nommer sociale la guerre des alliés,
pour en pallier l’horreur; si cependant nous voulons être sincères,
ce fut une guerre civile. En effet, le peuple romain étant un mélange
d'Etrusques, de Latins et de Sabins, et tenant par le sang à tous
ces peuples, formait un seul corps de ces différents membres, un
seul tout de ces diverses parties; et la rébellion des alliés
dans l’Italie n’était pas un crime moins grand que celle des citoyens
dans Rome. |
.. |
.. | Itaque quum jus civitatis,
quam viribus auxerant, socii justissime postularent, ad quam spem eos cupidine
dominationis Drusus erexerat; postquam ille domestico scelere oppressus
est, eadem fax, quae illum cremavit, socios in arma et expugnationem Urbis
accendit. Quid hac clade tristius? quid calamitosius? quum omne Latium
atque Picenum, Etruria omnis atque Campania, postremo Italia, contra matrem
ac parentem suam Urbem consurgerent; quum omne robur fortissimorum fidelissimorumque
sociorum sub suis quisque signis haberent municipalia illa prodigia;
Poppedius Marsos, et Latinos Afranius; Umbros totus et consules; Samnium
Lucaniamque Telesinus; ut, quum regum et gentium arbiter populus ipsum
se regere non posset, victrix Asiae Europaeque a Corfinio Roma peteretur! |
.... | Ces peuples demandaient
avec raison le droit de cité dans une ville qui devait ses accroissements
à leurs forces; ils voulaient qu'on réalisât l’espoir
que Drusus leur avait donné dans ses vues de domination. Dès
que ce tribun eut péri par un crime domestique, les feux mêmes
du bûcher qui le consuma enflammèrent les alliés, qui,
volant aux armes, se préparèrent à assiéger
Rome. Quoi de plus triste que cette guerre? Quoi de plus malheureux? Tout
le Latium, le Picentin, l’Etrurie entière, la Campanie, l'Italie
enfin, se soulèvent contre une ville, leur mère et leur nourrice.
On vit nos alliés les plus braves et les plus fidèles la
menacer de toutes leurs forces, et se ranger chacun sous ses enseignes,
guidés par ces prodiges qu'ont produits les villes municipales;
les Marses, par Popédius; les Latins, par Afranius; les Umbriens,
par un sénat et des consuls qu'ils avaient élus; les Samnites
et les Lucaniens, par Télésinus. Aussi, le peuple, arbitre
des rois et des nations, ne pouvant se gouverner lui-même, on vit
Rome, victorieuse de l’Asie et de l’Europe, avoir Corfinum pour rivale! |
.. |
.. | Primum fuit belli
in Albano monte consilium, ut festo die Latinarum Julius Caesar et Marcius
Philippus consules, inter sacra et aras, immolarentur. Postquam id nefas
proditione discussum est, Asculo furor omnis erupit, in ipsa quidem ludorum
frequentia trucidatis, qui tum aderant ab Urbe, legatis. Hoc fuit impii
belli sacramentum. Inde jam passim ab omni parte Italiae, duce et auctore
belli discursante Poppedio, diversa per populos et urbes signa cecinere.
Nec Annibalis nec Pyrrhi fuit tanta vastatio. Ecce Ocriculum, esse Grumentum,
ecce Faesulae, ecce Carseoli, Reate, Nuceria, et Picentia caedibus, ferro
et igne vastantur. Fusae Rutilii copiae, fusae Caepionis. Nam ipse Julius
Caesar, exercitu amisso, quum in urbem cruentus referretur, miserabili
funere mediam etiam urbem perviam fecit. Sed magna populi Romani fortuna,
et semper in malis major, totis denuo viribus insurrexit; aggressique singulos
populos, Cato discutit Etruscos, Gabinius Marsos, Carbo Lucanos, Sylla
Samnites; Strabo vero Pompeius, omnia flammis ferroque populatus, non prius
finem caedium fecit, quam Asculi eversione, Manibus tot exercituum, consulum,
direptarumque urbium diis litaretur.
|
.... | Le premier projet
de cette guerre fut formé sur le mont Albain; les alliés
décidèrent d'assassiner, le jour des féries latines,
au milieu des sacrifices et aux pieds des autels, les consuls Julius César
et Marcius Philippus. Le secret de cet horrible complot une fois trahi,
toute la fureur des conjurés éclata dans Asculum, où,
pendant la célébration des jeux, ils massacrèrent
les magistrats romains qui y assistaient. Ce fut là le serment par
lequel ils s’engagèrent dans cette guerre impie. Aussitôt
Popédius, le chef et l’auteur de la révolte, court dans toutes
les parties de l’Italie; et la trompette retentit de différents
côtés, au milieu des peuples et des villes. Ni Annibal ni
Pyrrhus ne firent tant de ravages. Ocriculum et Grumentum et Fésule
et Carséoli, Réate, et Nucéria, et Picentia, sont
en même temps dévastées par le fer et par le feu. Les
troupes de Rutilius, celles de Caepion sont vaincues. Julius César,
après avoir perdu son armée, est ramené à Rome
couvert de blessures; il expire, et laisse dans la ville les traces sanglantes
de son passage. Mais la fortune du peuple romain, toujours grande, et plus
grande encore dans l’adversité, rassemble toutes ses forces et se
relève. On oppose une armée à chaque peuple. Caton
dissipe les Etrusques; Gabinius, les Marses; Carbon, les Lucaniens; Sylla,
les Samnites. Pompéius Strabon, portant de tous côtés
le fer et la flamme, ne met fin à ses ravages qu'après avoir
satisfait, par la destruction d'Asculum, aux mânes de tant de guerriers
et de consuls, aux dieux de tant de villes saccagées. |
.. |
.. | XX. - Bellum servile.
- Utcumque, etsi cum sociis - nefas - cum liberis tamen et ingenuis dimicatum
est. Quis aequo animo ferat in principe gentium populo bella servorum?
Primum servile bellum inter initia Urbis, Herdonio duce Sabino, in ipsa
Urbe tentatum est; quum, occupata tribuniciis seditionibus civitate, Capitolium
obsessum est, et a consule captum; sed hic tumultus magis fuit quam bellum.
Mox, imperio per diversa terrarum occupato, quis crederet Siciliam multo
cruentius servili quam Punico bello esse vastatam? Terram frugum ferax,
et quodam modo suburbana provincia, latifundiis civium Romanorum tenebatur.
Hic ad cultum agri frequentia ergastula, catenatique cultores, materiam
bello praebuere. Syrus quidam nomine Eunus - magnitudo cladium facit ut
meminerimus - fanatico furore simulato, dum Syriae deae comas jactat, ad
libertatem et arma servos, quasi numinum imperio, concitavit; idque ut
divinitus fieri probaret, in ore abdita nuce, quam sulphure et igne stipaverat,
leniter inspirans, flammam inter verba fundebat. Hoc miraculum primum duo
milia ex obviis, mox jure belli refractis ergastulis, sexaginta amplius
milium fecit exercitum; regiisque, ne quid malis deesset, decoratus insignibus
castella, vicos, oppida miserabili direptione vastavit. Quin illud quoque
- ultimum dedecus belli! - capta sunt castra praetorum; nec nominare ipsos
pudebit; castra Manlii, Lentuli, Pisonis, Hypsaei. Itaque qui per fugitivarios
abstrahi debuissent, praetorios duces, profugos proelio, ipsi sequebantur. |
.... | XX. - Guerre contre
les esclaves. - (An de Rome 615-652.) - Si la guerre sociale fut un crime,
au moins la fit-on à des hommes de naissance et de condition libres.
Mais qui pourra voir sans indignation le peuple roi des nations combattre
des esclaves? Vers les commencements de Rome, une première guerre
servile avait été tentée dans cette ville même
par Herdonius Sabinus. Profitant des séditions excitées par
les tribuns, il se saisit du Capitole, qui fut repris par le consul. Mais
cet événement fut plutôt un tumulte qu'une guerre.
Qui eût cru que plus tard, et lorsque notre empire s’étendait
dans les diverses contrées de la terre, une guerre contre les esclaves
désolerait bien plus cruellement la Sicile que n'avait fait une
guerre punique? Cette terre fertile, cette province était en quelque
sorte un faubourg de l’Italie, où les citoyens romains possédaient
de vastes domaines. La culture de leurs champs les obligeait à avoir
de nombreux esclaves, et ces laboureurs à la chaîne devinrent
les instruments de la guerre. Un Syrien, dont le nom était Eunus
(la grandeur des désastres qu'il causa fait que nous nous en souvenons),
feignant un enthousiasme prophétique, et jurant par la chevelure
de la déesse des Syriens, appela les esclaves, comme par l’ordre
des dieux, aux armes et à la liberté. Pour prouver qu'une
divinité l’inspirait, cet homme, cachant dans sa bouche une noix
remplie de souffre allumé, et poussant doucement son haleine, jetait
des flammes en parlant. A la faveur de ce prodige, il fut d'abord suivi
de deux mille hommes qui vinrent s'offrir à lui. Bientôt,
les armes à la main, il brisa les portes des prisons, et se forma
une armée de plus de soixante mille hommes; puis, mettant le comble
à ses forfaits, il prit les insignes de la royauté, et porta
le pillage et la dévastation dans les forteresses, les villes et
les bourgs. Bien plus (et ce fut le dernier opprobre de cette guerre),
il força les camps de nos préteurs; je ne rougirai pas de
les nommer; c’étaient ceux de Manilius, de Lentulus, de Pison, d'Hipsoeus.
Ainsi, des esclaves que la justice aurait dû arrêter dans leur
fuite et ramener à leurs maîtres, poursuivaient eux-mêmes
des généraux prétoriens qu'ils voyaient fuir devant
eux. |
.. |
.. | Tandem Perperna imperatore,
supplicium de eis sumptum est. Hic enim victos, et apud Ennam novissime
obsessos, quum fame, ex qua pestilentia, consumpsisset, reliquias latronum
compedibus, catenis religavit, crucibusque punivit; fuitque de servis ovatione
contentus, ne dignitatem triumphi servili inscriptione violaret. |
.... | Enfin, Perperna, général
envoyé contre eux , en tira vengeance. Après les avoir vaincus,
et enfin assiégés dans Enna, où la famine, suivie
de la peste, acheva de les réduire, il chargea de fers et de chaînes
ce qui restait de ces brigands, et les punit du supplice de la croix. Il
se contenta de l'ovation, pour ne pas avilir la dignité du triomphe
par l'inscription d'une victoire sur des esclaves. |
.. |
.. | Vixdum respiraverat
insula, quum statim servi, et a Syro reditur ad Cilicem. Athenio pastor,
interfecto domino, familiam ergastulo liberatam sub signi ordinat. Ipse
veste purpurea, argenteoque baculo, et regium in morem fronte redimita,
non minorem quam ille fanaticus prior, conflat exercitum; acriusque multo,
quasi et illum vindicaret, vicos, castella, oppida diripiens, in dominos,
in servos infestius, quasi in transfugas saeviebat. Ab hoc quoque praetorii
exercitus caesi, capta Servilii castra, capta Luculli. Sed Aquilius, Perpernae
usus exemplo, interclusum hostem commeatibus ad extrema compulit, communitasque
copias fame facile delevit; dedidissent se, nisi suppliciorum metu voluntariam
mortem praetulissent. Ac ne de duce quidem supplicium exigi potuit, quamvis
vivus in manus venerit; quippe dum circa ad prehendendum eum multitudo
contendit, inter rixantium manus praeda lacerata est. |
.... | La Sicile respirait
à peine que les esclaves reprennent les armes, non plus sous un
Syrien, mais sous un Cilicien. Le pâtre Athénion, après
avoir assassiné son maître, délivre de prison ses compagnons
d'esclavage, et les range sous ses enseignes. Revêtu d'une robe de
pourpre, un sceptre d'argent à la main, et le front ceint du bandeau
royal, il rassemble une armée non moins nombreuse que celle de son
fanatique prédécesseur, et, comme pour le venger, il se livre
à de bien plus cruelles violences, pille les hameaux, les forteresses
et les villes, se montre impitoyable envers les maîtres, et surtout
envers les esclaves qu'il traite comme des transfuges. Il battit aussi
des armées prétoriennes; il prit le camp de Servilius, il
prit celui de Lucullus. Mais Aquilius, à l'exemple de Perperna,
réduisit cet ennemi à l’extrémité en lui coupant
les vivres, et détruisit sans peine, par la famine, des troupes
que leurs armes eussent longtemps défendues. Elles se seraient rendues
si la crainte des supplices ne leur eût fait préférer
une mort volontaire. On ne put même infliger à leur chef aucun
supplice, quoiqu'il fût tombé en notre pouvoir. Une foule
de soldats s'efforçant de saisir cette proie, il fut, dans la lutte,
déchiré entre leurs mains. |
.. |
.. | XXI. - Bellum Spartacium.
- Enimvero et servilium armorum dedecus feras; nam etsi per fortunam in
omnia obnoxii, tamen quasi secundum hominum genus sunt et in bona libertatis
nostrae adoptantur. Bellum Spartaco duce concitatum, quo nomine appellem,
nescio; quippe quum servi militaverint, gladiatores imperaverint, illi
infimae sortis homines, hi pessimae, auxere ludibriis calamitatem. |
.... | XXI. - Guerre contre
Spartacus. - (An de Rome 680-682.) - Peut-être encore supporterait-on
la honte d'avoir pris les armes contre des esclaves; car, si la fortune
les a exposés à tous les outrages, ils sont du moins comme
une seconde espèce d'hommes que nous pouvons même associer
aux avantages de notre liberté! Mais quel nom donnerai-je à
la guerre qu'alluma Spartacus? je ne le sais. Car on vit des esclaves combattre,
et des gladiateurs commander, les premiers, nés dans une condition
infime, les seconds, condamnés à la pire de toutes : ces
étranges ennemis ajoutèrent au désastre le ridicule. |
.. |
.. | Spartacus, Crixus,
Oenomaus, effracto Lentuli ludo, cum triginta aut amplius ejusdem fortunae
viris eruperunt Capua; servisque ad vexillum vocatis, quum statim decem
millia amplius coissent hominum, non modo effugisse contenti, jam et vindicari
volebant. Prima velut ara viris mons Vesuvius placuit. Ibi quum obsiderentur
a Clodio Glabro, per fauces cavi montis vitineis delapsi vinculis, ad imas
ejus descendere radices; et exitu invio, nihil tale opinantis ducis impetu
castra rapuerunt; inde alia castra. Deinceps Coram, totamque pervagarunt
Campaniam; nec villarum atque vicorum vastatione contenti, Nolam atque
Nuceriam. Thurios atque Metapontum terribili strage populantur.
|
.... | Spartacus, Crixus,
Aenomaus, gladiateurs de Lentulus, ayant forcé les portes de l’enceinte
où ils s’exerçaient, s'échappèrent de Capoue
avec trente au plus des compagnons de leur fortune, appelèrent les
esclaves sous leurs drapeaux, et réunirent bientôt plus de
dix mille hommes. Non contents d'avoir brisé leurs chaînes,
ils aspiraient à la vengeance. Le Vésuve fut comme le premier
sanctuaire où ils cherchèrent un asile. Là, se voyant
assiégés par Clodius Glaber, ils se glissèrent, suspendus
à des liens de sarments, le long des flancs caverneux de cette montagne,
et descendirent jusqu'à sa base; puis, s’avançant par des
sentiers impraticables, ils s’emparèrent tout à coup du camp
du général romain, qui était loin de s'attendre à
une telle attaque. Un autre camp est encore enlevé par eux. ils
se répandent ensuite dans les environs de Cora, et dans toute la
Campanie, ne se contentent pas de dévaster les maisons de campagne
et les bourgs, et exercent d'effroyables ravages dans les villes de Nole
et de Nucérie, de Thurium et de Métaponte. |
.. |
.. | Affluentibus in diem
copiis, quum jam esset justus exercitus, e viminibus pecudumque tegumentis,
inconditos sibi clypeos, e ferro ergastulorum recocto gladios ac tela fecerunt.
Ac ne quod decus justo desset exercitui, domitis obviis etiam gregibus,
paratur equitatus, captaque de praetoribus insignia et fasces ad ducem
detulere. Nec abnuit ille de stipendiario Thrace miles, de milite desertor,
inde latro, dein in honore virium gladiator; qui defunctorum quoque praelio
ducum funera imperatoriis celebravit exsequiis, captivosque circa rogum
jussit armis depugnare, quasi plane expiaturus omne praeteritum dedecus,
si de gladiatore munerator tum fuisset. Inde jam consulares quoque aggressus,
in Apennino Lentuli exercitum percecidit; apud Mutinam Caii Cassi castra
delevit. Quibus elatus victoriis, de invadenda urbe Romana - quod satis
est turpitudini nostrae - deliberavit. |
.... | Leurs forces grossissaient
de jour en jour et formaient déjà une armée régulière.
Ils se fabriquèrent alors des boucliers d'osier grossièrement
recouverts de peaux de bêtes; du fer de leurs chaînes, remis
au feu, ils firent des épées et des traits. Enfin, pour qu'il
ne leur manquât rien de l’appareil des troupes les mieux réglées,
ils se saisirent des chevaux qu'ils trouvèrent, en composèrent
leur cavalerie, et donnèrent à leur chef les ornements et
les faisceaux pris sur nos préteurs. Spartacus ne les refusa pas,
lui qui, de Thrace, mercenaire, était devenu soldat, de soldat déserteur,
puis brigand, enfin gladiateur, en considération de sa force. Il
célébra les funérailles de ceux de ses lieutenants
qui étaient morts dans les combats, avec la pompe consacrée
aux obsèques des généraux et força les prisonniers
à combattre armés autour de leur bûcher, comme s'il
eût cru effacer entièrement son infamie passée en donnant
des jeux de gladiateurs, après avoir cessé de l'être.
Osant dès lors attaquer des armées consulaires, il tailla
en pièces sur l’Apennin celle de Lentulus. Il ravagea, près
de Modène, le camp de Caius Cassius. Fier de ces victoires, il délibéra,
et c'en est assez pour notre honte, s'il marcherait sur la ville de Rome. |
.. |
.. | Tandem enim totis
imperii viribus contra mirmillonem consurgitur; pudoremque Romanum Licinius
Crassus asseruit, a quo pulsi fugatique - pudet dicere - hostes in extrema
Italiae refugerunt. Ibi circa Bruttium angulum clusi, quum fugam in Siciliam
pararent, neque navigia suppeterent, ratesque ex trabibus, et dolia connexa
virgultis in rapidissimo freto frustra experirentur, tandem eruptione facta,
dignam viris obiere mortem; et, quod sub gladiatore duce oportuit, sine
missione pugnatum est. Spartacus ipse in primo agmine fortissime dimicans,
quasi imperator, occisus est. |
.... | Enfin on soulève
contre un vil gladiateur toutes les forces de l’empire, et Licinius Crassus
efface la honte du nom romain. Les ennemis (je rougis de leur donner ce
nom), dissipés et mis en fuite par ce général, se
réfugièrent à l’extrémité de l’Italie.
Là, se voyant enfermés, resserrés dans le Bruttium,
ils se préparèrent à s'enfuir en Sicile, et, faute
de navires, ils tentèrent vainement, sur des radeaux formés
de claies et de tonneaux liés avec de l’osier, le passage de ce
détroit aux eaux si rapides. Alors ils tombèrent sur les
Romains et trouvèrent une mort digne d'hommes de cœur ; ainsi qu'il
convenait aux soldats d’un gladiateur, ils combattirent sans demander quartier.
Spartacus, après leur avoir lui-même donné l’exemple
du courage, périt à leur tête, comme un général
d’armée. |
.. |
.. | XXII. - Bellum civile
Marianum. - Hoc deerat unum populi Romani malis, jam ut ipse intra se parricidale
ferrum domi stringeret, et in urbe media ac foro, quasi arena, cives cum
civibus suis, gladiatorio more concurrerent. Aequiore animo utcumque ferrem,
si plebei duces, aut si nobiles mali saltem, ducatum sceleri praebuissent.
Jam vero - pro facinus! - qui viri! qui imperatores! decora et ornamenta
saeculi sui, Marius et Sylla, pessimo facinori suam etiam dignitatem praebuerunt.
|
.... | XXII. - Guerre civile
de Marius. - ( An de Rome 665-674. ) - Il ne manquait plus aux maux du
peuple romain que de tirer contre lui-même, dans ses propres foyers,
un fer parricide, et de faire de la ville et du Forum comme une arène
où les citoyens, armés contre les citoyens, s'égorgeaient
ainsi que des gladiateurs. J'en serais moins indigné, toutefois,
si des chefs plébéiens, ou du moins des nobles méprisables,
eussent dirigé ces manœuvres criminelles. Mais, ô forfait!
ce furent Marius et Sylla, quels hommes! quels généraux !
la gloire et l’ornement de leur siècle, qui prêtèrent
l’éclat de leur nom à cet horrible attentat. |
.. |
.. | Tribus, ut sic dixerim,
sideribus agitatum est; primo et levi et modico tumultu magis quam bello,
intra ipsos armorum duces subsistente saevitia; mox atrocius et cruentius,
per totius viscera senatus grassante victoria; ultimum non civicam modo,
sed hostilem quoque rabiem supergressum est; quum armorum furor totius
Italiae viribus niteretur, eo usque odiis saevientibus, donec deessent
qui occiderentur. |
.... | L'influence de trois
astres différents souleva ces tempêtes, si je puis m'exprimer
ainsi. Ce fut d'abord une légère et faible agitation, un
tumulte plutôt qu'une guerre, la barbarie des chefs ne s'exerçant
encore que contre eux-mêmes. Bientôt plus cruelle et plus sanglante,
la victoire déchira les entrailles du sénat tout entier.
Enfin le rage qui anime non seulement les partis mais des ennemis acharnés,
fut surpassée dans cette lutte, où la fureur se fit un appui
des forces de toute l’Italie; et la haine ne cessa d'immoler que lorsqu'elle
manqua de victimes. |
.. |
.. | Initium et causa belli
inexplebilis honorum Marii fames, dum decretam Syllae provinciam Sulpicia
lege sollicitat. Sed inpatiens injuriae statim Sylla legiones circumegit;
dilatoque Mithridate, Esquilina Collinaque porta geminum Urbi agmen infundit.
Unde quum consulto Sulpicius et Albinovanus objecissent catervas, sudesque
et saxa undique a moenibus ac tela jacerentur, ipse quoque jaculatus incendio
viam fecit, arcemque Capitolii, quae Poenos, quaeque Gallos etiam Senones
evaserat, quasi captivam, victor insedit. Tum ex consulto senatus adversariis
hostibus judicatis, in praesentem Tribunum, aliosque diversae factionis
jure saevitum est; Marium servilis fuga exemit; immo fortuna alteri bello
reservavit. |
.... | L'origine et la cause
de cette guerre furent cette soif insatiable d'honneurs qui poussa Marius
à solliciter, en vertu de la loi Sulpicia, la province échue
à Sylla. Celui-ci, impatient de venger cet outrage, ramène
aussitôt ses légions; et, suspendant la guerre contre Mithridate,
il fait entrer dans Rome, par les portes Esquiline et Colline, son armée
partagée en deux corps. Sulpicius et Albinovanus lui opposent de
concert quelques troupes; on lui lance de toutes parts, du haut des murailles,
des pieux, des pierres et des traits; les mêmes armes et l'incendie
lui ouvrent un passage; et le Capitole, cette citadelle qui avait échappé
aux mains des Carthaginois et des Gaulois Sénonais, reçoit
un vainqueur dans ses murs captifs. Alors un sénatus-consulte déclare
les adversaires de Sylla ennemis de la république, et le tribun
Sulpicius, qui était resté à Rome, est juridiquement
immolé, avec d'autres citoyens de la même faction. Marius
s'enfuit sous un habit d'esclave; la fortune le réserva pour une
autre guerre. |
.. |
.. | Cornelio Cinna, Cnaeo
Octavio consulibus, male obrutum resurrexit incendium, et quidem ab ipsorum
discordia, quum de revocandis, quos senatus hostes judicaverat, ad populum
referretur. Cincta quidem gladiis contione, sed vincentibus quibus pax
et quies potior, profugus patria sua Cinna confugit ad partes. Redit ab
Africa Marius clade major; si quidem carcer, catenae, fuga, exsilium horrificaverant
dignitatem. Itaque ad nomen tanti viri late concurritur; servitia - pro
nefas! - et ergastula armantur; et facile invenit exercitum miser imperator.
Itaque vi patriam reposcens, unde vi fuerat expulsus, poterat videri jure
agere, nisi causam suam saevitia corrupisset.
|
.... | Sous le consulat de
Cornélius Cinna et de Cnaeus Octavius, l’incendie mal éteint
se ralluma par la dissension même des deux consuls, au sujet d’une
loi proposée au peuple pour le rappel de ceux que le sénat
avait déclarés ennemis publics. L’assemblée avait
même été investie par des soldats armés; mais,
vaincu par ceux qui voulaient la paix et le repos, Cinna s'enfuit de Rome
et rejoignit ses partisans. Marius revient d'Afrique, plus grand par sa
disgrâce: sa prison, ses chaînes, sa fuite, son exil avaient
donné à sa dignité quelque chose de terrible. Au seul
nom d'un si grand capitaine, on accourt de toutes parts. O crime! on arme
les esclaves, on ouvre les prisons, et le malheur de ce général
lui donne bientôt une armée. Ainsi, revendiquant par la force
sa patrie d'où la force l’avait chassé, sa conduite pouvait
paraître légitime, s'il n'eût souillé sa cause
par sa cruauté. |
.. |
.. | Sed quum diis hominibusque
infestus rediret, statim primo impetu cliens et alumna Urbis Ostia nefanda
strage diripitur; mox in urbem quadruplici agmine intratur. Divisere copias
Cinna, Marius, Carbo, Sertorius. Hic postquam manus omnis Octavii depulsa
Janiculo est, statim ad principum caedem signo dato, aliquando saevius
quam aut in Punica aut in Cimbrica urbe saevitur. Octavii consulis caput
pro rostris exponitur; Antonii consularis in Marii ipsius mensis;
Caesares a Fimbria in penatibus domorum suarum trucidantur; Crassi, pater
et filius, in mutuo alter alterius adspectu; Baebium atque Numitorium per
medium forum unci traxere carnificum; Catulus se ignis haustu ludibrio
hostium exemit; Merula, flamen Dialis, in Capitolio Jovis ipsius oculos
venarum cruore respersit; Ancharius, ipso vidente Mario, confossus est,
quia fatalem illam scilicet manum non porrexerat salutanti. Haec tot senatus
funera intra Kalendas et idus Januarii mensis septima illa Marii purpura
dedit; quid futurum fuit, si annum consulatus implesset? |
.... | Mais il revenait ulcéré
contre les dieux et les hommes. Ostie, la cliente et la nourrice de Rome,
est la première victime de sa fureur; il la livre au meurtre et
au pillage. Quatre armées entrent bientôt dans Rome; Cinna,
Marius, Carbon, Sertorius avaient divisé leurs forces. A peine toute
la troupe d'Octavius est-elle chassée du Janicule, que le signal
est donné pour le massacre des principaux citoyens, et les vengeances
sont plus cruelles que si on les eût exercées dans une ville
de Carthaginois ou de Cimbres. La tête du consul Octavius est exposée
sur la tribune aux harangues; celle du consulaire Antoine sur la table
même de Marius. Les deux César sont massacrés par Fimbria,
au milieu de leurs dieux domestiques; les deux Crassus, père et
fils, sous les yeux l’un de l’autre. Les crocs des bourreaux servent à
traîner, par la place publique, Baebius et Numitorius. Catulus respire
la vapeur de charbons enflammés, pour se dérober aux insultes
de ses ennemis. Mérula, flamine de Jupiter, se coupe les veines
dans le Capitole, et son sang rejaillit jusque sur la face du dieu. Ancharius
est percé de coups à la vue même de Marius, qui ne
lui avait pas présenté, pour répondre à son
salut, cette main dont le geste était un arrêt. C'est par
le meurtre de tant de sénateurs que Marius, alors revêtu pour
la septième fois de la pourpre, remplit l’intervalle des calendes
aux ides du mois de janvier. Qu'aurait-ce été s'il eût
achevé son année consulaire? |
.. |
.. | Scipione Norbanoque
consulibus, tertius ille turbo civilis insaniae toto furore detonuit; quippe
quum hinc octo legiones, inde quingintae cohortes starent in armis, inde
ab Asia cum victore exercitu Sylla properaret. Et sane quum tam ferus in
Syllanos Marius fuisset, quanta saevitia opus erat, ut Sulla de Mario vindicaretur?
Primum apud Capuam sub amne Volturno signa concurrunt, et statim Norbani
fusus exercitus; statim omnes Scipionis copiae, ostentata spe pacis, oppressae. |
.... | Sous le consulat de
Scipion et de Norbanus éclata, dans toute sa fureur, le troisième
orage des guerres civiles. D'une part, en effet, huit légions et
cinq cents cohortes étaient sous les armes; de l'autre, Sylla accourait
de l’Asie avec une armée victorieuse. Marius, s’étant montré
si barbare envers les partisans de Sylla, que de cruautés ne fallait-il
pas pour venger Sylla de Marius? La première bataille se livre près
de Capoue, sur la rive du Vulturne. L’armée de Norbanus est aussitôt
mise en déroute ; et Scipion, se laissant tromper par l’espoir de
la paix, perd bientôt toutes ses troupes. |
.. |
.. | Tum Marius juvenis,
et Carbo consules, quasi desperata victoria, ne inulti perirent, in antecessum
sanguine senatus sibi parentabant; obsessaque curia, sic de senatu, quasi
de carcere, qui jugularentur, educti. Quid funerum in foro, in circo, in
patentibus templis! nam Quinctus Mucius Scaevola pontifex, Vestales amplexus
aras, tantum non eodem igne sepelitur. Lamponius atque Telesinus, Samnitium
duces, atrocius Pyrrho et Annibale Campaniam Etruriamque populantur; et
sub specie partium, se vindicant. |
.... | Le jeune Marius, et
Carbon, tous deux consuls, désespérant presque de la victoire,
mais ne voulant pas périr sans vengeance, préludaient alors
à leurs funérailles en répandant le sang des sénateurs.
Le lieu des assemblées fut investi; et l’on tirait du sénat,
comme d'une prison, ceux qu'on voulait égorger. Que de meurtres
dans le Forum, dans le Cirque, dans l'enceinte même des temples!
Le pontife Quinctus Mucius Scaevola fut tué comme il tenait embrassé
l’autel de Vesta, et peu s'en fallut qu'il n'eût le feu sacré
pour sépulture. Cependant Lamponius et Télésinus,
chefs des Samnites, dévastaient la Campanie et l'Etrurie avec plus
de fureur que Pyrrhus et Annibal; et, sous prétexte de soutenir
un parti, ils vengeaient leurs injures. |
.. |
.. | Apud Sacriportum
Collinamque portam debellatae omnes hostium copiae. Ibi Marius, hic Telesinus
oppressi. Nec idem tamen caedium, qui belli, finis fuit. Stricti enim et
in pace gladii; animadversumque in eos, qui se sponte dediderant. Minus
est, quod apud Sacriportum, et apud Collinam portam, septuaginta amplius
millia Sylla concidit: bellum erat. Quattuor millia deditorum inermium
civium in villa publica interfici jussit. Isti tot in pace, non plures
sunt? Quis autem illos potest computare, quos in Urbe passim, quisquis
voluit occidit? donec admonente Furfidio "vivere aliquos debere, ut essent
quibus imperarent", proposita est ingens illa tabula; et ex ipso equestris
ordinis flore ac senatus duo millia electi, qui mori juberentur: novi generis
edictum. |
.... | Toutes les troupes
ennemies furent vaincues à Sacriport et près de la porte
Colline; là fut défait Marius, ici Télésinus.
Toutefois, la fin de la guerre ne fut pas celle des massacres. Le glaive
resta tiré pendant la paix, et l'on sévit contre ceux qui
s'étaient soumis volontairement. Que Sylla ait taillé en
pièces, à Sacriport et près de la porte Colline, plus
de soixante-dix mille hommes, c’était le droit de la guerre; mais
qu'il ait fait égorger, dans un édifice public, quatre mille
citoyens désarmés et qui s’étaient rendus, tant de
victimes en pleine paix, n’est-ce pas un massacre plus grand? Qui pourrait
compter ceux qu’immolèrent de tous côtés, dans Rome,
des vengeances particulières? Furfidius, ayant enfin représenté
à Sylla « qu'au moins devait-il laisser vivre quelques citoyens,
pour avoir à qui commander, » on vit paraître cette
longue table qui contenait les noms de deux mille Romains, choisis parmi
la fleur de l’ordre équestre et du sénat, et auxquels il
était ordonné de mourir: premier exemple d'un pareil édit. |
.. |
.. | Piget post haec referre
ludibrio habita fata Carbonis, fata Sorani praetoris, atque Venuleii; Baebium
sine ferro, ritu ferarum, inter manus laniatum; Marium, ducis ipsius fratrem,
apud Catuli sepulchrum, oculis, manibus cruribusque defossis, servatum
aliquamdiu, ut per singula membra moreretur. |
.... | Parlerai-je, après
tant d’horreurs, des outrages qui accompagnèrent la mort de Carbon,
celle du préteur Soranus, celle de Vénuléius? Parlerai-je
de Baebius, déchiré non par le fer, mais par les mains de
ses assassins, véritables bêtes féroces, de Marius,
le frère du général, traîné au tombeau
de Catulus, les yeux crevés, les mains et les jambes coupées,
et qui fut laissé quelque temps dans cet état, pour qu'il
se sentît mourir par tous ses membres? |
.. |
.. | Positis singulorum
hominum singulorum fere poenis, municipia Italiae splendidissima sub hasta
venierunt, Spoletium, Interamnium, Praeneste, Florentia. Nam Sulmonem,
vetus oppidum socium atque amicum - facinus indignum! - nondum expugnatum,
ut obsides jure belli, et modo morte damnati duci jubentur; sic damnatam
civitatem jussit Sylla deleri. |
.... | Les supplices individuels
sont presque abandonnés, et l’on met à l'encan les plus belles
villes municipales de l’Italie, Spolète, Intéramnium, Préneste,
Florence. Quant à Sulmone, cette antique cité, l’alliée
et l’amie de Rome, Sylla, par un indigne attentat envers une ville qu'il
n'avait pas encore prise d'assaut, en exige des otages, comme usant du
droit de la guerre, les condamne à la mort et les y fait conduire.
Ce fut comme la condamnation de cette cité, qu'il ordonna de détruire. |
.. |
.. | XXIII. - Bellum Sertorianum.
- Bellum Sertorianum quid aliud quam Syllanae proscriptionis hereditas
fuit? Hostile potius an civile dixerim nescio, quippe quod Lusitani Celtiberique
Romano gesserint duce. |
.... | XXIII. - Guerre de
Sertorius. --(An de Rome 675-679.) - La guerre de Sertorius fut-elle autre
chose que l’héritage des proscriptions de Sylla? Je ne sais si je
dois l’appeler étrangère ou civile; faite, il est vrai, par
les Lusitaniens et les Celtibères, elle le fut sous un général
romain. |
.. |
.. | Exsul et profugus
feralis illius tabulae, vir summae quidem sed calamitosae virtutis, malis
suis maria terrasque permiscuit; et jam Africae, jam Balearibus insulis,
fortunam expertus, missusque in Oceanum, Fortunatasque insulas penetravit:
tandem Hispaniam armavit. Viro cum viris facile convenit; nec alias magis
apparuit Hispani militis vigor quam Romano duce. Quamquam ille non contentus
Hispania, ad Mithridatem quoque Ponticosque respexit, regemque classe juvit.
Et quid futurum fuit? satis tanto hosti, cui uno imperatore resistere res
Romana non potuit: additus Metello Cnaeus Pompeius. Hi copias viri diu,
et ancipiti semper acie attrivere; nec tamen prius bello quam suorum scelere
et insidiis exstinctus est.
|
.... | Fuyant dans l'exil
les tables de mort, Sertorius, cet homme d'une héroïque mais
bien funeste vertu, remplit de ses disgrâces la terre et les mers.
Après avoir tenté la fortune et en Afrique et dans les îles
Baléares, il s'engagea sur l’Océan et pénétra
jusqu'aux îles Fortunées. Enfin il arma l’Espagne. Un homme
de cœur trouve facilement à s'allier à des gens qui lui ressemblent.
Jamais la valeur du soldat espagnol n’éclata davantage que sous
un général romain. Non content de l'appui de l'Espagne, celui-ci
jeta les yeux sur Mithridate, sur les peuples du Pont, et fournit une flotte
à ce roi. Quels dangers cette alliance ne présageait-elle
pas? Rome ne pouvait résister avec un seul général
à un si puissant ennemi. A Métellus on adjoignit Cnaeus Pompée.
Ils affaiblirent, par des combats multipliés, mais toujours sans
résultat définitif, les forces de Sertorius, qui succomba
enfin, non pas à nos armes, mais à la scélératesse
et à la perfidie des siens. On poursuivit ses troupes par toute
l'Espagne, et on les accabla par des batailles fréquentes et jamais
décisives. |
.. |
.. | Prima per legatos
habita certamina, quum hinc Domitius et Thorius, inde Herculeii proluderent:
mox his apud Segoviam, illis apud Anam flumen oppressis, ipsi duces cominus
invicem experti, apud Lauronem atque Sucronem aequavere clades. Tum illis
ad populationem agrorum, his ad urbium excidia conversis, misera inter
Romanos duces Hispania discordiae poenas dabat; donec, oppresso domestica
fraude Sertorio, victo deditoque Perperna, ipsae quoque in Romanam fidem
venere urbes Osca, Termes, Clunia, Valentia, Auxima et infame nihil non
experta Calaguris. Sic recepta in pacem Hispania. Victores duces externum
id magis quam civile bellum videri voluerunt, ut triumpharent. |
.... | Les lieutenants de
chaque parti engagèrent les premiers combats. Domitius et Thorius
d'un côté, les deux Herculéius de l’autre préludèrent
à la guerre. Ceux-ci furent vaincus près de Ségovie,
ceux-là sur les bords de l’Ana; et les généraux, se
mesurant bientôt eux-mêmes, à leur tour, essuyèrent
chacun une égale défaite près de Laurone et de Sucrone.
Les uns se mirent alors à ravager les campagnes, les autres à
ruiner les villes; et la malheureuse Espagne porta la peine de la discorde
qui régnait entre les généraux romains. Enfin Sertorius
périt par une trahison domestique; Perperna fut vaincu et livré
aux Romains, qui reçurent alors la soumission des villes d'Osca,
de Termes, de Tutia, de Valence, d'Auxime et de Calaguris, qui avait souffert
toutes les horreurs de la famine. Ainsi l’Espagne fut rendue à la
paix. Les généraux vainqueurs voulurent faire regarder cette
guerre plutôt comme étrangère que comme civile, pour
obtenir le triomphe. |
.. |
.. | XXIV. - Bellum civile
sub Lepido. - Marco Lepido, Quincto Catulo consulibus, civile bellum paene
citius oppressum est quam inciperet: sed quantum lateque fax illius motus
ab ipso Syllae rogo exarsit! Cupidus namque rerum novarum per insolentiam
Lepidus, acta tanti viri rescindere parabat; nec immerito, si tamen posset
sine magna clade rei publicae. Nam quum jure belli Sulla dictator proscripsisset
inimicos, qui supererant, revocante Lepido, quid aliud quam ad bellum vocabantur?
quumque damnatorum civium bona, addicente Sylla, quamvis male capta, jure
tamen, repetitio eorum procul dubio labefactabat compositam civitatem.
Expediebat ergo quasi aegrae sauciaeque rei publicae requiescere quomodocumque,
ne vulnera curatione ipsa rescinderentur. |
.... | XXIV. - Guerre civile
de Lépidus. - (An de Rome 675.) - Sous le consulat de Marcus Lépidus
et de Quinctus Catulus s’éleva une guerre civile qui fut étouffée
presque à sa naissance. Mais, allumé au bûcher de Sylla,
combien le flambeau de cette discorde devait étendre au loin l'incendie!
Lépidus, avide de nouveautés, eut la présomption de
vouloir abolir les actes de cet homme extraordinaire; entreprise qui ne
laissait pas que d’être juste, si toutefois son exécution
n’eût pas causé un grand dommage à la république.
Sylla, étant dictateur, avait, par le droit de la guerre, proscrit
ses ennemis; rappeler ceux qui survivaient, n’était-ce pas, de la
part de Lépidus, les appeler aux armes? Les biens des citoyens condamnés,
adjugés par Sylla, étaient injustement mais juridiquement
acquis. En demander la restitution, c’était évidemment ébranler
l’Etat dans ses nouvelles bases. Il fallait à la république,
malade et blessée, du repos à quelque prix que ce fût;
vouloir guérir ses plaies, c'était risquer de les rouvrir. |
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.. | Ergo quum turbidis
concionibus, velut classico, civitatem terruisset, profectus in Etruriam,
arma inde et exercitum Urbi admoverat. Sed jam Milvium pontem collemque
Janiculum Lutatius Catulus, Cnaeusque Pompeius, Syllanae dominationis duces
atque signiferi, alio exercitu insederant. A quibus primo statim impetu
retro pulsus, hostisque a senatu judicatus, incruenta fuga Etruriam, inde
Sardiniam recessit, ibique morbo et poenitentia interiit. Victores,
quod non temere alias in civilibus bellis, pace contenti fuerunt. |
.... | Quand les turbulentes
harangues de Lépidus eurent, comme le clairon des batailles, sonné
l’alarme dans la ville, il alla en Etrurie lever une armée qu'il
fit marcher sur Rome. Mais Lutatius Catulus et Cnaeus Pompée, les
chefs du parti de Sylla, dont leur nom était comme le drapeau, occupèrent,
avec une autre armée, le pont Milvius et le mont Janicule. Repoussé
dès le premier choc, et déclaré ennemi public par
le sénat, Lépidus s'enfuit, sans vouloir verser de sang,
en Etrurie, et de là en Sardaigne, où il mourut de maladie
et de regret. Les vainqueurs, exemple unique dans les guerres civiles,
se contentèrent d'avoir rétabli la paix. |
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