.. | I. - Catilinam luxuria primum, tum hinc conflata egestas rei familiaris, simul occasio, quod in extremis finibus mundi arma Romana peregrinabantur, in nefaria consilia opprimendae patriae suae compulere. Senatum confodere, consules trucidare, distringere incendiis Urbem, diripere aerarium, totam denique rem publicam funditus tollere, et quidquid nec Annibal videretur optasse, quibus id - o nefas! - sociis adgressus est. Ipse patricius; sed hoc minus est: Curii, Porcii, Syllae, Cethegi, Autronii, Varguntei atque Longini, quae familiae! quae senatus insignia! Lentulus quoque quum maxime praetor! Hos omnes immanissimi facinoris satellites habuit. Additum est pignus conjurationis, sanguis humanus, quem circumlatum pateris bibere: summum nefas, nisi amplius esset, propter quod biberunt! |
.... | I. - Guerre de Catilina. - (An de Rome 690.) - La débauche, puis la ruine de son patrimoine, qui en fut la suite, et en même temps l’occasion que lui offrait l'éloignement des armées romaines, occupées auux extrémités du monde, inspirèrent à Catilina l’horrible projet d'opprimer sa patrie. Il voulait massacrer le sénat, poignarder les consuls, consumer Rome dans un vaste incendie, piller le trésor, renverser enfin toute la république de fond en comble et aller, dans ses forfaits contre elle, au-delà même de tout ce que semblait avoir souhaité Annibal. Et quels furent, grands dieux! les complices de son attentat! Lui-même était patricien ; mais c’est peu, à considérer les Curius, les Porcius, les Sylla, les Céthégus, les Autronius, les Varguntéius, les Longinus; quels noms! quels ornements du sénat! Il y avait aussi Lentulus, alors préteur. Catilina les eut tous pour satellites dans l’exécution de sa monstrueuse entreprise. Le gage de leur union fut du sang humain bu dans des coupes qui circulèrent de main en main; crime sans égal, s'il n'eût été surpassé par celui dont ce breuvage fut le prélude. |
.. |
.. | Actum erat de
pulcherrimo imperio, nisi illa conjuratio in Ciceronem et Antonium consules
incidisset, quorum alter industria rem patefecit, alter manu oppressit.
Tanti sceleris indicium per Fulviam emersit, vilissimum scortum, sed parricidii
innocens. Tum consul, habito senatu, in praesentem reum Cicero peroravit;
sed non amplius profectum, quam ut hostis evaderet, seque ex professo incendium
suum restincturum ruina minaretur. Et ille quidem ad praeparatum a Manlio
in Etruria exercitum proficiscitur, signa illaturus Urbi. Lentulus destinatum
familiae suae Sibyllinis versibus regnum sibi vaticinans, ad praestitutum
a Catilina diem urbe tota viros, faces, tela disponit. Nec civili conspiratione
contentus, legatis Allobrogum, qui tum forte aderant, in arma sollicitatis,
isset ultra Alpes furor, nisi, altera proditione Volturcii, praetoris litterae
tenerentur. Statim Ciceronis imperio injecta est barbaris manus. Palam
praetor in senatu convincitur. De supplicio agentibus, Caesar parcendum
dignitati, Cato, animadvertendum pro scelere, censebat. Quam sententiam
secutis omnibus in carcere parricidae strangulantur. |
.... | C'en était
fait d'un si bel empire, si cette conjuration ne se fût tramée
sous le consulat de Cicéron et d'Antoine, dont l’un la découvrit
par sa vigilance, et l’autre l’étouffa par les armes. Le premier
indice de cet exécrable forfait fut donné par Fulvie, vile
courtisane, mais qui n’avait pas trempé dans ce complot parricide.
Alors le consul Cicéron, ayant assemblé le sénat,
accusa le coupable en sa présence même; mais le seul fruit
de sa harangue fut l’évasion de cet ennemi de la patrie, et la menace
qu’il osa faire “d’éteindre sous des ruines l’incendie allumé
contre lui”. Il va joindre alors l’armée que Manlius tenait
prête en Etrurie. Lentulus s'appliquant des vers Sibyllins
qui promettaient la royauté de sa famille, dispose dans toute la
ville, au jour marqué par Catilina, des soldats, des torches et
des armes. Non content d'avoir machiné une conspiration domestique,
il sollicite le secours des Allobroges, qui avaient alors par hasard des
députés à Rome; et la fureur des conjurés se
serait répandue au-delà des Alpes si, par une seconde trahison
de Vulturcius, on ne détenait pas la lettre du préteur. Par
l’ordre de Cicéron, on met sur-le-champ la main sur les Barbares.
Le préteur est convaincu en plein sénat. On délibère
sur le supplice des conspirateurs; César conseille la clémence,
eu égard à leur dignité, Caton, la rigueur, à
cause de leur crime. Cet avis réunit toutes les voix , et les parricides
sont étranglés dans leur prison. |
.. |
.. | Quamvis parte
conjurationis oppressa, tamen ab incoepto Catilina non destitit; sed infestis
ab Etruria signis patriam petens, obvio Antonii exercitu opprimitur. Quam
atrociter dimicatum sit, exitus docuit. Nemo hostium bello superfuit. Quem
quis in pugnando ceperat locum, eum amissa anima corpore tegebat. Catilina
longe a suis inter hostium cadavera repertus est; pulcherrima morte, si
pro patria sic concidisset! |
.... | Quoique la conjuration
soit en partie étouffée, Catilina ne se désiste cependant
pas de son entreprise : il déploie, du fond de l’Etrurie, l’étendard
de la rébellion, marche contre Rome, rencontre l’armée d’Antoine,
et est vaincu. On apprit, après la victoire, avec quel féroce
acharnement elle avait été disputée. Pas un des rebelles
ne survécut à cette bataille. Chacun d’eux , en rendant le
dernier soupir, couvrait de son corps la place qu’il occupait dans le combat.
Catilina fut trouvé loin des siens, au milieu de cadavres ennemis;
mort glorieuse, s’il eût ainsi succombé pour la patrie! |
.. |
.. | II. - Bellum
Caesaris et Pompeii. - Jam paene toto orbe pacato, majus erat imperium
Romanum, quam ut ullis externis viribus opprimi posset. Itaque invidens
Fortuna principi gentium populo ipsum illum in exitium sui armavit.
Ac Mariana quidem Cinnanaque rabies jam intra urbem se proluserat, quasi experiretur. Syllana tempestas latius, intra Italiam tamen detonuerat. Caesaris furor atque Pompei Urbem, Italiam, gentes, nationes, totum denique qua patebat imperium quodam quasi diluvio et inflammatione corripuit, adeo ut non recte tantum civile dicatur, ac ne sociale quidem, sed nec externum, sed potius commune quoddam ex omnibus et plus quam bellum. |
.... | II. - Guerre
de César contre Pompée. – (An de Rome 703-709.) - Presque
tout l’univers était en paix, et l’empire romain désormais
trop puissant pour qu’aucune force étrangère pût le
détruire. C’est alors que la fortune, jalouse du peuple-roi, l’arma
contre lui-même. La rage de Marius et de Cinna, concentrée
dans Rome, avait été le prélude et comme l’essai des
guerres civiles. L’orage excité par Sylla avait grondé plus
loin, mais, néanmoins, dans la seule Italie. Les fureurs de César
et de Pompée enveloppèrent Rome, l’Italie, les peuples, les
nations, enfin toute l’étendue de l’empire, comme dans un déluge
ou un vaste embrasement. On ne peut donc appeler justement cette guerre
ni civile ni même sociale; et cependant ce n’est pas une guerre étrangère;
c’est plutôt un composé de toutes celles-là, et quelque
chose de plus qu’une guerre. |
.. |
.. | Quippe si duces
ejus inspicias, totus senatus in partibus; si exercitus, hinc undecim legiones,
inde decem et octo, flos omnis et robur Italici sanguinis; si auxilia sociorum,
hinc Gallici Germanique delectus, inde Dejotarus, Ariobarzanes, Tarcondimotus,
Cotys, omne Thraciae, Cappadociaeque, Ciliciae, Macedoniae, Graeciae, Aetoliae,
totiusque robur Orientis; si moram belli, quattuor anni, et pro clade rerum
breve tempus; si locum et spatium ubi commissum est, intra Italiam; inde
se in Galliam Hispaniamque deflexit, reversumque ab Occasu, totis viribus
in Epiro Thessaliaque consedit; hinc in Aegyptum subito transiliit, inde
respexit Asiam, Africae incubuit; postremo in Hispaniam regyravit et ibi
aliquando defecit. Sed non et odia partium finita cum bello. Non enim prius
quievere, quam in ipsa Urbe, medio senatu, eorum qui victi erant, odia
victoris sese caede satiarent.
|
.... | Veut-on, en
effet, considérer les chefs? tout le sénat prit parti ; les
armées? on voit onze légions d’un côté, dix-huit
de l’autre, toute la fleur, toute la force du sang italien; les secours
fournis par les alliés? ici ce sont les levées de la Gaule
et de la Germanie; là, Déjoratus, Ariobarzanes, Tarcondimotus,
Cotys, les forces réunies de la Thrace et de la Cappadoce, de la
Cilicie, de la Macédoine, de la Grèce, de l’Italie, en un
mot de l’Orient tout entier. Quant à la durée de la guerre,
elle fut de quatre ans, court espace pour l’étendue de ses ravages.
Veut-on savoir enfin quels lieux et quels pays en furent le théâtre
? Ce fut d’abord l’Italie; de là elle se détourna contre
la Gaule et l’Espagne; puis, revenant de l’Occident, elle accabla de tout
son poids l’Epire et la Thessalie, d’où elle s’élança
tout à coup sur l’Egypte; puis, après avoir menacé
l’Asie, elle s’acharna sur l’Afrique; enfin, elle se replia sur l’Espagne,
et y expira. Mais la fureur des partis ne s’éteignit pas avec celle
des combats. La haine des vaincus ne s’apaisa qu’après s’être
assouvie dans le sang du vainqueur, versé au sein même de
Rome, et au milieu du sénat. |
.. |
.. | Causa tantae
calamitatis eadem quae omnium, nimia felicitas. Siquidem Quincto Metello,
Lucio Afranio consulibus, quum Romana majestas toto urbe polleret, recentesque
victorias. Ponticos et Armenios triumphos, in Pompeianis theatris Roma
cantaret, nimia Pompeii potentia apud otiosos, ut solet, cives movit invidiam.
Metellus ob imminutum Cretae triumphum, Cato adversus potentes semper obliquus,
detrectare Pompeium, actisque ejus obstrepere. Hinc dolor transversum egit
et ad praesidia dignitati paranda impulit. |
.... | La cause d’une
si grande calamité fut la même qui avait produit toutes les
autres, l’excès de la prospérité. Sous le consulat
de Quinctus Métellus et de Lucius Afranius, tandis que la majesté
romaine éclatait dans tout l’univers, et que Rome chantait, sur
les théâtres de Pompée, ses victoires récentes,
et ses triomphes sur les peuples du Pont et de l’Arménie, le pouvoir
illimité de ce général excita, comme c’est l’ordinaire,
l’envie des citoyens oisifs Métellus, irrité d’avoir vu diminuer
l’éclat de son triomphe de Crète; Caton, l’adversaire des
hommes puissants qu’il traversait toujours, ne cessaient de décrier
Pompée et de censurer ses actes. De là le ressentiment qui
poussa celui-ci contre ses ennemis, et le contraignit à chercher
des appuis pour soutenir son crédit. |
.. |
.. | Forte tunc Crassus
genere, divitiis, dignitate florebat; vellet tamen auctiores opes; Caius
Caesar eloquentia et spiritu, ecce jam et consulatu allevabatur : Pompeius
tamen inter utrumque eminebat. Sic igitur Caesare dignitatem comparare,
Crasso augere, Pompeio retinere cupientibus, omnibusque pariter potentia
cupidis, de invadenda re publica facile convenit. Ergo quum mutuis viribus
in suum quisque decus niteretur, Gallicam Caesar invadit, Crassus Asiam,
Pompeius Hispaniam, tres maximos exercitus, et sic orbis imperium societate
trium principum occupatur. |
.... | Crassus brillait
alors par l’éclat de sa naissance, par ses richesses, par son influence;
avantages qu’il aurait cependant voulu augmenter encore. Caius César
puisait dans son éloquence, dans son courage et dans le consulat,
qu’il venait d’obtenir, de hautes espérances. Toutefois, Pompée
s’élevait au-dessus de l’un et de l’autre. César aspirait
donc ainsi à fonder, Crassus à accroître, Pompée
à conserver sa puissance; et tous, également avides d’autorité,
s’accordèrent sans peine pour se saisir de la république.
Aussi, se prêtant, pour leur élévation particulière,
le mutuel appui de leurs forces, ils s’emparent, César de la Gaule,
Crassus de l’Asie, Pompée de l’Espagne; ils disposent de trois grandes
armées, et cette association donne à trois chefs l’empire
du monde. |
.. |
.. | Decem annos
traxit ista dominatio, quia mutuo metu tenebantur. Crassi morte apud Parthos,
et morte Juliae, Caesaris filiae, quae nupta Pompeio, generi socerique
concordiam matrimonii foedere tenebat, statim aemulatio erupit. Jam Pompeio
suspectae Caesaris opes, et Caesari Pompeiana dignitas gravis. Nec hic
ferebat parem, nec ille superiorem. Pro nefas! sic de principatu laborabant,
tamquam duos tanti imperii Fortuna non caperet. |
.... | Cette domination
dura dix ans parce qu'ils restaient unis par une crainte mutuelle. A la
suite de la mort de Crassus chez les Parthes, et de celle de Julie, fille
de César, qui, mariée avec Pompée, avait maintenu,
par ce mariage, la concorde entre le gendre et le beau-père, la
jalousie (des deux hommes) éclata aussitôt. Le crédit
de César était déjà suspect à Pompée,
et l’autorité de Pompée insupportable à César.
Celui-ci ne voulait pas d’égal, celui-là, de supérieur.
Dans leur criminelle rivalité, ils se disputaient la première
place, comme si la fortune d’un empire aussi vaste n’eût pu suffire
à tous les deux. |
.. |
.. | Ergo Lentulo
Marcelloque consulibus rupta primum conjurationis fide, de successione
Caesaris senatus, id est, Pompeius, agitabat, nec ille abnuebat, si ratio
sui proximis comitiis haberetur. Consulatus absenti, quem decem tribuni
favente Pompeio nuper decreverant, tum dissimulante eodem negabatur: veniret
et peteret more majorum. Ille contra flagitare decreta, ac, nisi in fide
permanerent, non se remittere exercitum. Ergo ut in hostem decernitur.
His Caesar agitatus statuit praemia armorum armis defendere. |
.... | Sous le consulat
de Lentulus et de Marcellus, le premier lien de cette conjuration contre
la république étant brisé, le sénat, c'est-à-dire
Pompée, délibéra sur le remplacement de César.
Celui-ci ne refusait pas un successeur, pourvu qu’on tînt compte
de lui dans les prochains comices. Le consulat, que les dix tribuns lui
avaient naguère, grâce à Pompée, décerné
en son absence, le même Pompée intriguait alors sourdement
pour l’en écarter. On exigeait qu’il vînt, selon l’antique
usage, solliciter en personne. A ces prétentions, il ne cessait
d’opposer le décret rendu en sa faveur. Il ne congédierait
son armée, qu’autant que ce décret serait fidèlement
exécuté. On le déclara donc ennemi public. Outré
de ces rigueurs, il résolut de défendre les armes à
la main ce qu’il avait acquis par les armes. |
.. |
.. | Prima civilis
belli arena Italia fuit, cujus arces levibus praesidis Pompeius insederat;
sed omnia subito Caesaris impetu oppressa sunt. Prima Arimino signa cecinerunt.
Tum pulsus Etruria Libo, Umbria, Thermus. Domitius Corfinio. Et peractum
erat bellum sine sanguine, si Pompeium Brundisii opprimere potuisset. Et
coeperat; sed ille per obsessi claustra portus nocturna fuga evasit. Turpe
dictu! modo princeps Patrum, pacis bellique moderator, per triumphatum
a se mare, lacera et paene inermi nave fugiebat. |
.... | Le premier théâtre
de la guerre civile fut l’Italie, où Pompée n’avait mis dans
les places fortes que de faibles garnisons. La brusque impétuosité
de César lui soumit tout. La trompette sonna d’abord à Ariminum.
Aussitôt Libon fut chassé de l’Etrurie, Thermus, de l’Ombrie;
Domitius, de Corfinium ; et la guerre était terminée sans
effusion de sang, si César eût pu prendre Pompée dans
Brundisium, dont il avait commencé le siège; mais, franchissant
les digues qui devaient former le port, son rival s’échappa pendant
la nuit. O honte! le premier des sénateurs, l’arbitre de la paix
et de la guerre, fuyait alors dans un vaisseau délabré et
presque désarmé, sur une mer où il avait triomphé. |
.. |
.. | Nec Pompei ab
Italia quam senatus ab Urbe fuga turpior: quam paene vacuam metu Caesar
ingressus consulem ipse se fecit. Aerarium quoque sanctum, quia tardius
aperiebant tribuni jussit effringi; censumque et patrimonium populi Romani
ante rapuit quam imperium. Pulso fugatoque Pompeio, maluit prius ordinare
provincias quam ipsum sequi. Siciliam et Sardiniam, annonae pignora, per
legatos habet. Nihil hostile erat in Gallia; pacem ipse fecerat. Sed ad
Hispanienses Pompeii exercitus transeunti per eam duci portas claudere
ausa Massilia est. Misera dum cupit pacem, belli metum in bellum incidit;
sed quia tuta muris erat, vinci eam sibi jussit absenti. Graecula civitas
non pro mollitie nominis et vallum rumpere et incendere machinam ausa,
et congredi navibus; sed Brutus, cui mandatum erat bellum, victos terra
marique perdomuit. Mox dedentibus sese ablata omnia praeter quam potiorem
omnibus habebant libertatem.
|
.... | L'abandon de
l'Italie par Pompée n'était pas plus déshonorant que
l'abandon de Rome par le Sénat. César entre dans cette ville,
que l’épouvante avait rendue presque déserte, et se fait
lui-même consul. Les tribuns tardant trop à lui ouvrir le
trésor sacré, il ordonne d’en briser la porte, et ravit,
avant l’empire, les revenus et le patrimoine du peuple romain. Après
l’expulsion et la fuite de Pompée, il jugea bon de régler
les affaires des provinces avant de le poursuivre. Il occupa, par ses lieutenants,
la Sicile et la Sardaigne, pour assurer les subsistances. Aucune hostilité
n’était à craindre du côté de la Gaule; lui-même
y avait établi la paix. Mais, comme il allait combattre les armées
que Pompée avait en Espagne, Marseille osa lui fermer ses portes.
Ville infortunée! elle ne désirait que la paix; et la crainte
de la guerre la précipita dans la guerre! Comme elle était
défendue par de fortes murailles, il ordonna qu’en son absence on
la réduisît en son pouvoir. Cette colonie grecque, qui, malgré
son origine, ne connaissait pas la mollesse, osa forcer les retranchements
des assiégeants, incendier leurs machines, attaquer leur flotte.
Mais Brutus, chargé de cette guerre, vainquit, dompta ces ennemis
sur terre et sur mer. Ils se rendirent bientôt, et tous leurs biens
leur furent enlevés, excepté celui qu’ils préféraient
à tous les autres, la liberté. |
.. |
.. | Anceps variumque
sed incruentum in Hispaniam bellum cum legatis Cnaei Pompeii, Petreio et
Afranio, quos Ilerdae castra habentes apud Sicorim amnem obsidere, et ab
oppido intercludere aggreditur. Interim abundatione verni fluminis commeatibus
prohibetur: sic fame castra tentata sunt, obsessorque ipse quasi obsidebatur.
Sed ubi pax fluminis rediit, populationibus et pugnae campos aperuit, iterum
ferox instat: et cedentes ad Celtiberiam consecutus, aggere et vallo, ac
per haec siti ad deditionem compulit. Sic citerior Hispania recepta est,
nec ulterior moram fecit : quid enim una post quinque legiones? Itaque
ultro cedente Varrone, Gades, fretum, Oceanus, omnia felicitatem Caesaris
sequebantur. |
.... | En Espagne,
la guerre contre les lieutenants de Cnaeus Pompée, Pétréius
et Afranius, mêlée d’événements divers, fut
indécise et sanglante. César entreprit de les assiéger
dans leur camp établi près d’Ilerda, sur le Sicoris, et d’intercepter
leurs communications avec la ville. Sur ces entrefaites, les pluies du
printemps ayant fait déborder la rivière, empêchèrent
l’arrivée de ses subsistances. La famine se fit alors sentir dans
son camp et, d’assiégeant, il fut comme assiégé lui-même.
Mais, dès que la rivière eut repris son cours paisible, et
ouvert les campagnes aux courses et aux combats, César pressa ses
ennemis avec un nouvel acharnement, les atteignit dans leur retraite vers
la Celtibérie, les enferma dans des retranchements et des circonvallations,
et, au moyen de ces travaux, les contraignit de se rendre, pour se soustraire
à la soif. Ainsi fut réduite l’Espagne citérieure.
L’ultérieure ne fit pas une longue résistance; car que pouvait
une seule légion , après la défaite de cinq autres?
On vit donc, lorsque Varron se fut volontairement soumis, Gadès,
le détroit, l’Océan, tout enfin reconnaître le bonheur
de César. |
.. |
.. | Aliquid tamen
adversus absentem ducem ausa Fortuna est circa Illyricum et Africam, quasi
de industria prospera ejus adversis radiarentur; quippe quum fauces Adriatici
maris jussi occupare Dolabella et Antonius, ille Illyrico, hic Curictico
litore castra posuissent, jam maria late tenente Pompeio, repente legatus
ejus Octavius Libo ingentibus copiis classicorum utrumque circumvenit.
Deditionem fames extorsit Antonio. Missae quoque a Basilo in auxilium ejus
rates, quales inopia navium fecerat, nova Pompeianorum arte Cilicium actis
sub mari funibus captae quasi per indaginem. Duas tamen aestus explicuit.
Una, quae Opiterginos ferebat, in vadis haesit memorandumque posteris exemplum
dedit. Quippe vix mille juvenum manus circumfusi undique exercitus per
totum diem tela sustinuit; et quum exitum virtus non haberet, tamen ne
in deditionem veniret, hortante tribuno Vulteio mutuis ictibus inter se
concucurrit. |
.... | La fortune,
pourtant, osa en l’absence de ce général, se déclarer
un moment contre lui, en Illyrie et en Afrique, comme si elle se fût
étudiée à rehausser par quelques revers l’éclat
de sa prospérité. Dolabella et Antoine, auxquels il avait
donné l’ordre d’occuper l’entrée de la mer Adriatique, avaient
leurs camps, l’un sur la côte d’Illyrie, l’autre sur celle de Curicta.
Mais Pompée étant maître de la mer, son lieutenant
Octavius Libon les surprit et les enveloppa tous deux avec de grandes forces
navales. La famine arracha seul à Antoine sa soumission. Des radeaux
que Basilus envoyait à son secours, faute de vaisseaux, furent pris
comme dans un filet, par l’adresse des matelots Ciliciens du parti de Pompée,
lesquels avaient imaginé de tendre des câbles dans la mer.
Cependant la force des vagues en dégagea deux. Un autre, qui portait
les Opitergins, resta engravé dans les sables et périt, digne
du souvenir de la postérité. L’équipage se composait
à peine de mille hommes, qui, entièrement entourés
par une armée, soutinrent ses assauts pendant tout un jour, et,
après de vains efforts de courage, plutôt que de se rendre,
finirent, à la persuasion du tribun Vultéius, par se frapper
mutuellement et se tuer les uns les autres. |
.. |
.. | In Africa quoque
par et virtus et calamitas Curionis fuit : qui ad recipiendam provinciam
missus, pulso fugatoque Varo jam superbus, subitum Jubae regis adventum
equitatumque Maurorum sustinere non potuit. Patebat victo fuga; sed pudor
suasit, ut amissum sua temeritate exercitum morte sequeretur.
|
.... | En Afrique aussi,
l’infortune de Curion ne fut égale qu’à sa valeur. Envoyé
dans cette province pour la soumettre, déjà il était
fier de la déroute et de la fuite de Varus, lorsque, surpris par
la subite arrivée du roi Juba, il ne put résister à
la cavalerie des Alaures. Vaincu, le chemin de la fuite lui était
ouvert; mais l’honneur lui fit un devoir de mourir avec l’armée
dont sa témérité avait causé la perte. |
.. |
.. | Sed jam debitum
par fortuna flagitante, sedem bello Pompeius Epiron elegerat; nec Caesar
morabatur. Quippe ordinatis a tergo omnibus, quamvis hiems media prohiberet,
tempestate ad bellum navigavit; positisque ad Oricum castris, quum pars
exercitus ob inopiam navium cum Antonio relicta, Brundisii moram faceret,
adeo impatiens erat, ut ad arcessendos eos ardente ventis mari, nocte concubia,
speculatorio navigio solus ire tentaverit. Exstat ad trepidum tanto discrimine
gubernatorem vox ipsius: "Quid times? Caesarem vehis". |
.... | Mais déjà
la fortune réclame le couple d'athlètes qui lui revient.
Pompée avait choisi l’Epire pour le théâtre de la guerre.
César ne le fait pas attendre. Il met ordre à tout ce qu’il
laisse derrière lui; et, bravant les obstacles que lui oppose la
rigueur de l’hiver, il s’élance à la guerre, porté
par la tempête. Il place son camp près d’Oricum. Une partie
de son armée, que, faute de vaisseaux, il avait laissée avec
Antoine, à Brundisium, tardait à le rejoindre; dans son impatience,
il ose, pour hâter l’arrivée de ces soldats, se confier, au
milieu d’une nuit profonde, à une mer agitée par les vents,
se jette dans un frêle esquif, et essaie de passer seul. On connaît
le mot qu’il adressa au pilote épouvanté de l’imminence du
péril : " Que crains-tu? tu portes César. " |
.. |
.. | Contractis in
unum omnibus undique copiis, positisque comminus castris, diversa erant
ducum consilia. Caesar pro natura ferox, et conficiendae rei cupidus, ostentare
aciem, provocare, lacessere; nunc obsidione castrorum, quae sedecim milium
vallo obduxerat - sed quid his obesset obsidio, qui patente mari omnibus
copiis abundarent? - nunc oppugnatione Dyrrachii irrita, quippe quam vel
situs inexpugnabilem faceret; ad hoc assiduis in eruptione hostium proeliis,
quo tempore egregia virtus Scaevae centurionis emicuit, cujus in scuto
centum atque viginti tela sedere: jam vero urbium direptione sociarum,
quum Oricum et Gomphos et alia castella Thessaliae vastaret. |
.... | Toutes les forces
sont réunies de part et d’autre; les deux camps sont en présence;
mais les deux chefs ont des vues différentes. César, naturellement
ardent, brûle de terminer la lutte, et ne cesse de présenter
la bataille à Pompée, de le provoquer, de le harceler. Tantôt
assiégeant son camp, il l’entoure d’une tranchée de seize
milles d’étendue; mais en quoi ces travaux pouvaient-ils nuire à
une armée à qui la mer était ouverte, et apportait
toutes les provisions en abondance? tantôt il essaie, sans plus de
succès, d’emporter Dyrrachium, que sa seule situation rendait inexpugnable.
En outre, chaque sortie des ennemis est pour lui l’occasion d’un de ces
combats où brilla l’incomparable valeur du centurion Scaeva, dont
le bouclier fut percé de cent vingt traits; d’autres fois, enfin,
il pille et ravage les villes alliées de Pompée, Oricum,
Gomphos et d'autres places de la Thessalie. |
.. |
.. | Pompeius adversus
haec nectere moras, tergiversari, simul ut hostem interclusum undique inopia
commeatuum tereret, utque ardentissimi ducis consenesceret impetus. Nec
diutius profuit duci salutare consilium. Miles otium, socii moram, principes
ambitum ducis increpabant. Sic praecipitantibus fatis, proelio sumpta est
Thessalia, et Philippicis campis Urbis, imperii, generis humani fata commissa
sunt. Numquam uno loco tantum virium populi Romani, tantum dignitatis Fortuna
vidit. Trecenta amplius milia hinc illinc, praeter auxilia regum et senatum.
Numquam inminentis ruinae manifestiora prodigia: fuga victimarum, examina
in signis, interdiu tenebrae. Dux ipse in nocturna imagine theatri sui
audiens plausum in modum planctus circumsonare: et mane cum pullo pallio
- nefas - apud principia conspectus est. Numquam acrior neque alacrior
exercitus Caesaris fuit. Inde classica prius, inde tela. Adnotatum quoque
committentis aciem Crastini pilum: qui mox adacto in os gladio, sic
inter cadavera repertus, libidinem ac rabiem, qua pugnaverat, ipsa novitate
vulneris praeferebat. Sed nec minus admirabilior illius exitus belli. Quippe
quum Pompeius adeo equitum copia abundaret, ut facile circumventurus sibi
Caesarem videretur, circumventus ipse est. Nam quum diu aequo Marte contenderent,
jussuque Pompei fusus a cornu erupisset equitatus, repente hinc, signo
dato, Germanorum cohortes tantum in effusos equites fecere impetum, ut
illi esse pedites, hi venire in equis viderentur. Hanc stragem fugientis
equitatus levis armaturae ruina comitata est. Tunc terrore latius dato,
turbantibus invicem copiis, reliqua strages quasi una manu facta est. Nec
ulla res magis exitio fuit quam ipsa exercitus magnitudo. Multus in eo
proelio Caesar fuit, mediusque inter imperatorem et militem. Voces quoque
obequitantis exceptae, altera cruenta, sed docta et ad victoriam efficax
"miles, faciem teri!", altera ad jactationem composita "parce civibus!",
quum ipse sequeretur.
|
.... | Pompée,
au contraire, diffère la bataille, temporise, dans le double but
de ruiner, par le manque de vivres, un ennemi cerné de toutes parts,
et de laisser se ralentir l’ardente impétuosité du chef.
Mais il lui faut bientôt renoncer aux avantages que lui assurait
ce système. Le soldat accuse son inaction; les alliés ses
lenteurs; les chefs ses vues ambitieuses. Les destins précipitant
ainsi sa perte, il prend la Thessalie pour champ de bataille, et remet
aux plaines de Philippes le sort de Rome, de l’empire, du genre humain.
Jamais la fortune ne vit le peuple romain déployer tant de forces
en un seul lieu, ni montrer tant de grandeur. Plus de trois cent mille
hommes étaient en présence, non compris les auxiliaires fournis
par les rois, ni le sénat. Jamais prodiges plus manifestes n’annoncèrent
une catastrophe imminente : fuite des victimes, enseignes couvertes d'essaims
d'abeilles, ténèbres au milieu du jour. Le chef lui-même,
pendant la nuit, transporté en songe dans son théâtre,
l'entendit retentir d'applaudissements qui avaient quelque chose de sinistre;
et, le matin, on le vit en manteau de deuil, funeste présage !
dans la place d'armes du camp. Jamais l’armée de César ne
montra plus d'ardeur ni plus d’allégresse. De ses rangs partirent
et le signal et les premiers traits. On a même remarqué que
ce fut Crustinus qui engagea le combat en lançant son javelot. Il
fut, bientôt après, frappé dans la bouche d'une épée
qui y resta; on le trouva en cet état parmi les morts; et la singularité
même de sa blessure attestait l’acharnement et la rage avec laquelle
il avait combattu. Mais l’issue de la bataille ne fut pas moins remarquable
que son prélude. Pompée, qui, avec ses innombrables corps
de cavaliers, se flattait d'envelopper facilement César, fut enveloppé
lui-même. Depuis longtemps on combattait avec un avantage égal,
lorsque la cavalerie de Pompée courut, par son ordre, sur l’aile
qui lui était opposée; mais, tout à coup, à
un signal donné, les cohortes des Germains se précipitèrent
contre ces divers escadrons avec une telle impétuosité, qu'on
eût cru voir des cavaliers se jetant sur des fantassins. Cette déroute
sanglante de la cavalerie fut suivie de celle de l’infanterie légère.
La terreur se répandit au loin, le désordre gagna tous les
bataillons, et le carnage fut achevé comme par l’effort d'un seul
bras. Rien ne fut plus funeste à Pompée que la multitude
même de ses troupes. César se multiplia dans cette bataille,
et fut tour à tour général et soldat. On a recueilli
deux paroles qu'il prononça en parcourant les rangs à cheval,
l’une cruelle, mais adroite, et propre à assurer la victoire : «
Soldat, frappe au visage » ; l’autre, proférée pour
lui assurer la popularité : "Epargnez les citoyens," tandis qu'il
les chargeait lui-même. |
.. |
.. | Felicem utcumque
in malis Pompeium, si eadem ipsum quae exercitum ejus fortuna traxisset!
Superstes dignitatis suae vixit, ut cum majore dedecore per Thessalica
Tempe equo fugeret, ut una navicula Lesbon applicaretur, pulsus Syedris,
in deserto Ciliciae scopulo, fugam in Parthos, Africam vel Aegyptum agitaret,
ut denique in Pelusiaco litore, imperio vilissimi regis, consiliis, spadonum
et, ne quid malis desit, Septimii desertoris sui gladio trucidatus sub
oculis uxoris suae liberorumque moreretur.
|
.... | Heureux encore
Pompée dans son malheur, si la fortune lui eût fait subir
le même sort qu'à son armée! Il survécut à
sa puissance, pour fuir honteusement à cheval à travers les
vallées de la Thessalie, pour aborder à Lesbos sur un chétif
navire, pour être jeté à Syèdre, rocher désert
de la Cilicie, pour délibérer s'il porterait ses pas fugitifs
chez les Parthes; en Afrique, ou en Egypte, et mourir enfin assassiné,
sous les yeux de sa femme et de ses enfants, sur le rivage de Peluse, par
l’ordre du plus misérable des rois, par le conseil de vils eunuques,
et, pour comble d’infortune, par le glaive de Septimius, déserteur
de son armée. |
.. |
.. | Quis non peractum
esse cum Pompeio crederet bellum? Atqui acrius multo atque vehementius
Thessalici incendii cineres recaluere. Et in Aegypto quidem adversus Caesarem
sine partibus bellum. Quippe quum Ptolemaeus, rex Alexandriae, summum civilis
belli scelus peregisset et foedusque amicitiae cum Caesare, medio Pompeii
capite sanxisset, ultionem tant viri manibus quaerente Fortuna, causa non
defuit. Cleopatra regis soror, affusa Caesaris genibus, partem regni reposcebat.
Aderat puellae forma, et quae duplicaretur ex illo quod talis passa videbatur
injuriam; odium ipsius regis, qui Pompei caedem partium fato, non Caesari
dederat, haud dubie idem in ipsum ausurus, si expedisset. Quam ubi Caesar
restitui jussit in regnum, statim ab eisdem percussoribus Pompeii obsessus
in regia, quamvis exigua manu ingentis exercitus molem mira virtute sustinuit.
Ac primum aedificiorum proximorum atque navalium incendio, infestorum hostium
tela submovit, mox in peninsulam Pharon subitus evasit; inde depulsus in
maria mira felicitate ad proximam classem enatavit, relicto quidem in fluctibus
paludamento, seu fato, seu consilio, ut illud ingruentibus hostium telis
saxisque peteretur. Tandem receptus a classicis suis, undique simul hostes
adortus, de inbelli ac perfida gente justa generi manibus dedit. Quippe
et Theodotus magister auctorque totius belli, et ne virilia quidem portenta,
Photinus atque Ganymedes diversa per mare et terras fuga morte consumpti.
Regis ipsius corpus obrutum limo repertum est in aureae loricae honore. |
.... | Qui n’aurait
cru la guerre finie avec Pompée? Cependant, des cendres de la Thessalie,
on vit renaître un incendie bien plus terrible et plus violent que
le premier. L’Egypte s’arma contre César, sans être pourtant
du parti de son rival. Ptolémée, roi d’Alexandrie, avait
commis le plus grand attentat de la guerre civile : il avait cimenté
son traité d’alliance avec César, en lui présentant
pour gage la tête de Pompée. La fortune, qui cherchait une
vengeance aux mânes de ce grand homme, la trouva bientôt. Cléopâtre,
soeur du roi, vint se jeter aux genoux de César, et réclamer
sa part du royaume d’Egypte. Tout parlait en faveur de cette jeune princesse
: et sa beauté, et, ce qui y ajoutait encore, l’injustice dont elle
se disait victime, et la haine qu’inspirait le roi qui avait immolé
Pompée à la fortune d’un parti et non pas à César,
et qui n’eût pas craint sans doute de frapper de même ce dernier,
si son intérêt l’eût exigé. César n’eut
pas plus tôt ordonné que Cléopâtre fût
rétablie dans ses droits, qu’il se vit assiégé dans
le palais par les assassins même de Pompée; et, bien qu’il
n’eût qu’une poignée de soldats, il y soutint, avec un courage
admirable, les efforts d’une nombreuse armée. D’abord, en mettant
le feu aux édifices voisins, à l’arsenal et au port, il détourna
l’attaque des ennemis qui le pressaient. Bientôt après, il
se sauva tout à coup dans la presqu’île du Phare, d’où,
forcé de s’enfuir par mer, il eut le rare bonheur de regagner à
la nage sa flotte qui stationnait près de là; et, dans ce
trajet, il laissa son manteau au milieu des flots, soit par hasard, soit
à dessein, pour offrir un but aux traits et aux pierres que les
ennemis lançaient contre lui. Enfin, recueilli par les soldats qui
montaient sa flotte, il attaqua les assaillants de tous les côtés
à la fois, et immola ce peuple lâche et perfide aux mânes
de son gendre. Théodote, gouverneur du roi, et l’auteur de toute
cette guerre, Photin et Ganymède, ces monstres qui n’étaient
pas même des hommes, errèrent en fugitifs, chacun de son côté,
par mer et par terre, et moururent diversement. Le corps du roi lui-même
fut trouvé enseveli sous la vase et on le reconnut à la cuirasse
d’or qui le distinguait. |
.. |
.. | In Asia quoque
novus rerum motus a Ponto, plane quasi de industria captante Fortuna hunc
Mithridatico regno exitum, ut a Pompeio pater, a Caesar filius vinceretur.
Rex Pharnaces magis discordiae nostrae fiducia quam virtutis suae infesto
in Cappadociam agmine ruebat. Sed hunc Caesar aggressus uno et, ut sic
dixerim, non toto proelio obtrivit; more fulminis, quod uno eodemque momento
venit, percussit, abcessit. Nec vana de se praedicatio est Caesaris, ante
victum hostem esse quam visum. |
.... | En Asie, de
nouveaux troubles s’élevèrent du côté du Pont,
comme si la fortune, acharnée à la ruine du royaume de Mithridate,
eût, après avoir accordé à Pompée la
défaite du père, réservé celle du fils à
César. Le roi Pharnace, comptant plus sur nos divisions que sur
sa valeur, était venu fondre sur la Cappadoce, à la tête
d’une puissante armée. Mais César l’attaqua et l’écrasa
dans un seul combat, qui, à dire vrai, n’en fut pas même un
véritable; ainsi, dans le même instant, tombe, frappe et disparaît
la foudre. César ne proférait donc pas une parole vaine en
disant qu’il avait vaincu l’ennemi avant de l’avoir vu. |
.. |
.. | Sic cum exteris.
At in Africa cum civibus multo atrocius quam in Pharsalia. Huc reliquias
partium naufragarum quidam furoris aestus expulerat; nec reliquias diceres,
sed integrum bellum. Sparsae magis quam oppressae vires erant. Auxerat
sacramentum ipsa clades imperatoris, nec degenerabat ducum successio. Quippe
satis ample sonabant in Pompeiani nominis locum Cato et Scipio. |
.... | Tels furent
ses succès contre les étrangers. Mais, en Afrique, il eut
à livrer à ses concitoyens des batailles plus sanglantes
qu’à Pharsale. La fureur de la guerre civile avait, comme la vague,
poussé sur ses rivages les débris du naufrage de Pompée;
que dis je, des débris? c’était l’appareil de toute une guerre
nouvelle. Les forces des vaincus avaient été plutôt
dispersées que détruites. Leur union était devenue
plus étroite et plus sacrée par le désastre même
de leur chef. Il n’avait pas d’indignes successeurs dans les généraux
qui le remplaçaient; et c’étaient, après celui de
Pompée, des noms qui sonnaient encore assez haut, que ceux de Caton
et de Scipion. |
.. |
.. | Accessit copiis
Mauretaniae rex Juba, videlicet ut latius vinceret Caesar. Nihil ergo inter
Pharsaliam et Thapson, nisi quod amplior eoque acrior Caesarianorum impetus
fuit, indignantium post Pompeium crevisse bellum. Denique, quod alias numquam,
ante imperium ducis, sua sponte signa cecinerunt. Strages a Juba coepit;
cujus elephanti bellorum rudes et nuper a sylva consternati subito clangore:
statim et in fugam exercitus, nec duces fortius quam ut fugerent; non inconspicua
tamen mors omnium. Jam Scipio nave fugiebat; sed assecutis eum hostibus,
gladium per viscera exegit; et, ubi esset, quodam requirente, respondit
hoc ipsum: "Bene se habet imperator". Juba quum se recepisset in regiam,
magnifice epulatus est postero die cum Petreio fugae comite, superque mensas
et pocula interficiendum se ei praebuit. Ille et regi suffecit et sibi,
quum interim semesi in medio cibi, et parentalia fercula regio simul Romanoque
sanguine madebant. |
.... | Juba, roi de
Mauritanie, unit ses forces aux leurs, comme pour étendre sur plus
d’ennemis la victoire de César. Il n’y eut aucune différence
entre Pharsale et Thapsus, si ce n’est que, sur un plus vaste champ de
bataille, les soldats de César déployèrent une impétuosité
plus terrible, indignés de voir qu’après la mort de Pompée
la guerre eût grandi encore. Enfin , ce qui n’était jamais
arrivé, les trompettes, sans attendre l’ordre du général,
sonnèrent d’eux-mêmes la charge. Le carnage commença
par les troupes de Juba. Ses éléphants, encore étrangers
aux combats, et nouvellement tirés de leurs forêts, s’effarouchèrent
au premier bruit du clairon. Aussitôt l’armée prit la fuite
et les généraux n’eurent pas plus de courage; (ils furent
entraînés dans cette déroute); mais tous surent trouver
une mort glorieuse. Scipion fuyait sur un vaisseau : mais, se voyant atteint
par les ennemis, il se passa son épée au travers du corps.
Quelqu’un demandant où était le général, il
répondit ces propres mots “le général va bien”. Juba
se retira dans son palais; il offrit, le lendemain de son arrivée,
un repas splendide à Pétréius, compagnon de sa fuite,
et, au milieu même de ce banquet, il lui demanda de le tuer. Pétréius
tua ce prince et se tua lui-même; et le sang d’un roi mêlé
avec celui d’un Romain arrosa les mets à moitié consommés
de ce festin funèbre. |
.. |
.. | Cato non interfuit
bello. Positis apud Bagradam castris Uticam velut altera Africae claustra
servabat. Sed accepta partium clade nihil cunctatus, ut sapiente dignum
erat, mortem sibi etiam laetus accivit. Nam postquam filium comitesque
ab amplexu dimisit, in nocte lecto ad lucernam Platonis libro, qui inmortalitatem
animae docet, paulum quievit; tum circa primam vigiliam stricto gladio
revelatum manu pectus semel iterumque percussit. Ausi post hoc virum medici
violare fomentis. Ille passus, dum abscederent, rescidit plagas : secutaque
vis sanguinis moribundas manus in ipso vulnere reliquit. |
.... | Caton n’assista
pas assisté à la bataille. Il campait près du Bagrada
pour garder Utique, qui était comme la seconde cléf de l’Afrique.
Dès qu’il apprend la défaite de son parti, il n’hésite
pas, résolution digne d’un sage, à appeler, même avec
joie, la Mort à son secours. Après avoir embrassé
et fait retirer son fils et ses amis, il se coucha, lut pendant la nuit,
à la lueur d’une lampe, le livre où Platon enseigne l’immortalité
de l’âme, et se reposa ensuite quelques instants; puis, vers la première
veille, il tira son épée, découvrit sa poitrine et
se frappa deux fois. Les médecins ayant osé profaner de leurs
appareils les blessures de ce grand homme, il souffrit leurs soins, pour
se délivrer de leur présence; mais bientôt rouvrant
ses plaies, d’où le sang jaillit avec violence, il y laissa plongées
ses mains mourantes. |
.. |
.. | Quasi non esset
usquam dimicatum, sic arma rursus et partes; quantoque Africa supra Thessaliam
fuit, tanto Africam superabat Hispania. Plurimum quantum favoris partibus
dabat fraternitas ducum et pro uno duos stare Pompeios. Itaque nusquam
atrocius nec tam ancipiti Marte concursum est. |
.... | Cependant, comme
si l’on n’eût encore combattu nulle part, le parti vaincu reprit
les armes; et autant l’Afrique avait surpassé la Thessalie, autant
l’Espagne surpassa l’Afrique. Un grand avantage pour ce parti, c’était
de voir à sa tête deux chefs qui étaient frères,
deux Pompées au lieu d’un. Aussi jamais guerre ne fut plus sanglante
ni victoire plus disputée. |
.. |
.. | Primum in ipso
ostio Oceani Varus Didiusque legati conflixere; sed acrius fuit cum ipso
mari quam inter se navibus bellum; siquidem, velut furorem civicum castigaret.
Oceanus utramque classem naufragio cecidit. Quinam ille horror, cum eodem
tempore fluctus procellae, viri, naves, armamenta confligerent! Adde situs
ipsius formidinem, vergentia in unum, hinc Hispaniae, inde Mauretaniae
litora, mare et intestinum et externum imminentesque Herculis speculas,
quum omnia undique simul proelio et tempestate saevirent. |
.... | Les lieutenants
Varus et Didius en vinrent les premiers aux mains, à l’embouchure
même de l’Océan; mais leurs vaisseaux eurent moins à
lutter entre eux que contre la mer; et comme si l’Océan eût
voulu châtier la fureur de nos discordes civiles, il détruisit
l’une et l’autre flotte par un naufrage. Quel horrible spectacle que cette
lutte simultanée des flots, des orages, des hommes, des vaisseaux
et de leurs agrès flottants! Ajoutez à cela ce que les lieux
avaient d’effrayant : d’un côté les rivages de l’Espagne,
de l’autre ceux de la Mauritanie, se tournant l'une vers l'autre pour s’unir,
la mer intérieure et la mer extérieure, les colonnes d’Hercule
dominant les flots, partout enfin les fureurs de la guerre jointes à
celles de la tempête. |
.. |
.. | Mox circa obsidiones
urbium utrimque discursum est, quae miserae inter hos atque illos duces
societatis Romanae poenas dabant. |
.... | Bientôt
après, de part et d’autre, on courut assiéger les villes;
et ces malheureuses cités furent cruellement punies, par les chefs
des deux partis, de leur alliance avec les Romains. |
.. |
.. | Omnium postrema
certaminum Munda. Hic non pro cetera felicitate, sed anceps et diu triste
proelium, ut plane videretur nescio quid deliberare Fortuna. Sane et ipse
ante aciem moestior non ex more Caesar, sive respectu fragilitatis humanae,
sive nimiam prosperorum suspectam habens continuationem, vel eadem timens,
postquam idem esse coeperat quod Pompeius. Sed in ipso proelio, quod nemo
umquam meminerat, quum diu pari Marte acies nihil amplius quam occiderent,
in medio ardore pugnantium subito ingens inter utrosque silentium, quasi
convenisset; hic omnium sensus erat. Novissime, illud inusitatum
Caesaris oculis - nefas - post quattuordecim annos probata veteranorum
manus gradum recto dedit. Quod etsi nondum fugerat, apparebat tamen pudore
magis quam virtute resistere. Itaque ablegato equo, similis furenti primam
in aciem procurrit. Ibi prensare fugientes, confirmare; signiferos, orare,
hortari, increpare; per totum denique agmen oculis, manibus, clamore volitare.
Dicitur in illa perturbatione et de extremis agitasse secum et ita manifesto
vultu fuisse, quasi occupare mortem manu vellet; nisi quod cohortes hostium
quinque per transversam aciem actae, quas Labienus periclitantibus castris
subsidio miserat, speciem fugae praebuissent. Hoc aut ipse credidit aut
dux callidus arripuit in occasionem; et quasi in fugientem invectus, simul
et suorum erexit animos et hostis perculit. Nam hi, dum se putant vincere,
fortius sequi, Pompeiani, dum fugere credunt suos, fugere coeperunt. Quanta
fuerit hostium caedes, ira rabiesque victoribus, sic aestimari potest.
Hoc a proelio profugi, cum se Mundam recepissent, et Caesar obsideri statim
victos imperasset, congestis cadaveribus agger effectus est, quae pilis
jaculisque confixa inter se tenebantur : foedum etiam in barbaros! Sed
videlicet victoriam desperantibus Pompeii liberis, Cnaeum proelio profugum,
cruore saucium, deserta et avia petentem Cesonius apud Lauronem oppidum
consecutus, pugnantem - adeo nondum desperabat! - interfecit. Sextum fortuna
in Celtiberia interim abscondit aliisque post Caesarem bellis reservavit. |
.... | Munda fut la
dernière de toutes les batailles de César. Là son
bonheur accoutumé l’abandonna, et le combat, longtemps douteux,
prit un aspect alarmant; la fortune, incertaine, semblait en quelque sorte
délibérer. César lui-même, avant l’action, avait
paru triste, contre sa coutume, soit qu’il fît un retour sur la fragilité
des choses humaines, soit qu’il se défiât d’une prospérité
trop prolongée, ou qu’il craignît, après avoir commencé
comme Pompée, de finir comme lui. Au milieu même de la mêlée,
après des efforts longtemps égaux de part et d’autre, tout
à coup, ce que personne ne se souvenait d’avoir vu, à toute
l’ardeur du combat et du carnage succéda, comme s’il y eût
eu concert entre les deux armées, le plus profond silence ; tous
éprouvaient le même sentiment. Enfin (et ce prodige était
nouveau pour les yeux de César), bien qu’éprouvé par
quatorze années de combats, le corps des vétérans
recula; et s’il ne fuyait pas encore, il était cependant aisé
de reconnaître que la honte le retenait plutôt que le courage.
César alors renvoie son cheval, et court comme un furieux à
la première ligne. Il saisit et rassure les fuyards, et vole de
rang en rang, pour animer ses soldats des yeux, du geste et de la voix.
On dit que, dans ce moment de trouble, il délibéra s’il mettrait
fin à ses jours, et qu’on put lire sur son visage la pensée
de mort qui le préoccupait. Dans ce moment couraient à travers
les lignes cinq cohortes ennemies, que Labiénus avait envoyées
au secours de leur camp qui était en danger; ce mouvement avait
l’apparence d’une fuite. César, soit qu’il crût qu’elles fuyaient
en effet, soit qu’en chef habile il feignît de le penser, saisit
l’occasion, les charge comme des troupes en déroute, relève
le courage des siens, et abat celui de l’ennemi. Ses soldats, se croyant
vainqueurs, mettent plus d’impétuosité dans la poursuite;
ceux de Pompée, persuadés que leurs compagnons sont en fuite,
se mettent à fuir eux-mêmes. Quels ne furent pas le carnage
des vaincus, la fureur et l’acharnement des vainqueurs ! On peut en juger
par un seul trait : ceux qui se sauvèrent de la mêlée,
s’étant enfermés dans Munda, et César en ayant aussitôt
ordonné le siège, on forma un retranchement d’un amas de
cadavres, joints ensemble par les dards et les javelots qui les avaient
traversés : action révoltante, même parmi les Barbares!
Les fils de Pompée désespérèrent enfin de la
victoire. Cnéus, échappé du combat, blessé
à la cuisse, et gagnant des lieux déserts et écartés,
fut atteint, par Césonius, près de la ville de Laurone, se
défendit en homme qui n’avait pas encore perdu toute espérance,
et fut tué. Quant à Sextus, le fortune le cacha dans la Celtibérie
et le réserva pour d’autres guerres après la mort de César. |
.. |
.. | Caesar in patriam
victor invehitur, primum de Gallia triumphum trahens: hic erat Rhenus et
Rhodanus et ex auro captivus Oceanus. Altera laurus Aegyptia: tunc in ferculis
Nilus, Arsinoe et ad simulacrum ignium ardens Pharos. Tertius de Pharnace
currus et Ponto. Quartus Iubam et Mauros et bis subactam ostendebat Hispaniam.
Pharsalia et Thapsos et Munda nusquam: et quanto majora erant, de quibus
non triumphabat!
|
.... | César
revint victorieux dans sa patrie; il remporta son premier triomphe sur
la Gaule : on vit outre le Rhin et le Rhône, l’Océan représenté
en or sous la forme d’un captif. C’était en Egypte qu’il avait cueilli
son second laurier : dans ce triomphe parurent les images du Nil et d’Arsinoe,
et celle du Phare, qui semblait étinceler de tous ses feux. Le troisième
présenta devant son char Pharnace et le Pont. Le quatrième
montra Juba, les Maures et l’Espagne deux fois soumises. Rien ne rappelait
Pharsale, Thapsus, Munda, victoires bien plus grandes, dont il ne triomphait
pas. |
.. |
.. | Hic aliquando
finis armis fuit. Reliqua pax incruenta pensatumque clementia bellum. Nemo
caesus imperio praeter Afranium (satis ignoverat semel) et Faustum Syllam
(didicerat generos timere Pompeius) filiamque Pompei cum parvulis ex Sylla:
hic posteris cavebatur. Itaque non ingratis civibus omnes unum in principem
congesti honores: circa templa imagines, in theatro distincta radiis corona,
suggestus in curia, fastigium in domo, mensis in caelo, ad hoc Pater ipse
patriae perpetuusque Dictator; novissime, dubium an ipso volente, oblata
pro rostris ab Antonio consule, regni insignia. |
.... | Alors enfin
on posa les armes. La paix qui suivit ne fut pas ensanglantée, et
la clémence du vainqueur compensa les cruautés de la guerre.
Il ne fit mourir personne, excepté Afranius (c’était assez
de lui avoir pardonné une fois) , Faustus Sylla (Pompée l'avait
appris à craindre ses gendres), et la fille de Pompée, avec
ses cousins-germains du côté de Sylla : il voulait assurer
le repos de sa postérité. Ses concitoyens ne furent pas ingrats;
ils accumulèrent tous les honneurs sur sa tête privilégiée.
Ses statues autour des temples, le droit de porter au théâtre
une couronne entourée de rayons éclatants, un siège
éminent dans le sénat, un dôme sur sa maison , son
nom donné à l’un des mois que parcourt le soleil, telles
furent ces distinctions. On y ajouta le titre de Père de la patrie
et de Dictateur perpétuel. Enfin, le consul Antoine, peut-être
avec leur consentement, lui présenta, devant la tribune aux harangues,
les insignes de la royauté. |
.. |
.. | Quae omnia velut
infulae in destinatam morti victimam congerebantur. Quippe clementiam principis
vicit invidia, gravisque erat liberis ipsa beneficiorum potentia. Nec diutius
lata dominatio est; sed Brutus et Cassius aliique patres consenserunt in
caedam principis. Quanta vis fati! Manaverat late coniuratio, libellus
etiam Caesari datus eodem die, nec perlitare centum victimis potuerat.
Venit in curiam tamen, expeditionem Parthicam meditans. Ibi in curuli sedentem
eum senatus invasit, tribusque et viginti vulneribus ad terram datus est.
Sic ille, terrarum orbem civili sanguine inpleverat, tandem ipse sanguine
suo curiam implevit.
|
.... | Tous ces honneurs
étaient comme les ornements dont on charge la victime destinée
à la mort. La clémence du prince ne put triompher de la haine
de ses ennemis : le pouvoir même de leur faire du bien pesait à
des hommes libres. Le moment de sa mort ne fut pas plus longtemps différé.
Brutus, Cassius, et d’autres patriciens conspirèrent contre sa vie.
Admirez la puissance du destin! Le secret de la conjuration était
répandu au loin; le jour même de l’exécution, on avait
remis à César un mémoire qui l’en informait; sur cent
victimes égorgées, aucune n’avait offert de présages
favorables. Cependant il vint au sénat, méditant une expédition
contre les Parthes. A peine fut-il assis sur sa chaise curule, que les
sénateurs se jetèrent sur lui et on l'abattit de vingt-trois
coups de poignard. C'est ainsi que l'homme qui avait inondé l’univers
du sang de ses concitoyens , inonda enfin de son propre sang la salle du
sénat. |
.. |
.. | III. - Caesar
Augustus. - Populus Romanus Caesare et Pompeio trucidatis rediisse in statum
pristinae libertatis videbatur; et redierat, nisi aut Pompeius liberos
aut Caesar heredem reliquisset, vel, quod utroque perniciosius fuit, si
non collega quondam, mox aemulus Caesarianae potentiae, fax et turbo sequentis
saeculi superfuisset Antonius. Quippe dum Sextus paterna repetit, trepidatum
toto mari; dum Octavius mortem patris ulciscitur, iterum fuit movenda Thessalia;
dum Antonius varius ingenio aut successorem Caesaris indignatur Octavium
aut amore Cleopatrae desciscit in regem; nam aliter salvus esse non potuit,
nisi confugisset ad servitutem. Gratulandum tamen ut in tanta perturbatione
est, quod potissimum ad Octavium Caesarem Augustum summa rerum rediit,
qui sapientia sua atque sollertia perculsum undique ac perturbatum ordinavit
imperii corpus; quod ita haud dubie numquam coire et consentire potuisset,
nisi unius praesidis nutu quasi anima et mente regeretur.
|
.... | III. - César
Auguste. - Le peuple romain, après le meurtre de César et
de Pompée, semblait avoir recouvrer son ancienne liberté;
et il l'eût recouvrée, si Pompée n’eût pas laissé
d’enfants, ni César d’héritier; ou, ce qui fut plus funeste
encore, si Antoine, autrefois le collègue de César, et qui
alors aspirait à succéder à sa puissance, ne lui eût
pas survécu pour jeter le trouble et des brandons de discorde dans
le siècle suivant. Sextus Pompée, en réclamant les
biens paternels, répand la terreur sur toutes les mers; Octave,
pour venger la mort de son père, remue une seconde fois la Thessalie;
Antoine, esprit inconstant, tantôt s’indignant de voir dans Octave
le successeur de César, tantôt se ravalant jusqu’à
la royauté par amour pour Cléopâtre, réduit
Rome à ne pouvoir trouver de salut et d’asile que dans la servitude.
Toutefois, dans de si grandes agitations, on eut à se féliciter
de ce que la puissance suprême tombât de préférence
entre les mains d’Octave César Auguste, qui, par sa sagesse et son
habileté, rendit le repos et l’ordre au corps de l’Etat si violemment
ébranlé de toutes parts. Jamais, il ne faut pas en douter,
ses diverses parties n’auraient pu se rapprocher, ni retrouver leur ensemble,
s’il n’eût été régi par la volonté d’un
seul chef qui en fût comme l’âme et le génie. |
.. |
.. | Marco Antonio
Publio Dolabella consulibus, imperium Romanum jam ad Caesarem transferente
Fortuna, varius et multiplex motus civitatis fuit. Quodque in annua caeli
conversione fieri solet, ut mota sidera tonent ac suos flexus tempestate
significent, sic tum Romanae dominationis, id est humani generis, conversione
penitus intremuit omnique genere discriminum, civilibus, externis, servilibus,
terrestribus ac navalibus bellis omne imperii corpus agitatum est. |
.... | Sous le consulat
de Marc Antoine et de Publius Dolabella, la fortune transférant
dès lors l’empire romain aux Césars, il y eut des troubles
variés et nombreux dans l'Etat; et, comme dans la révolution
annuelle du ciel les mouvements des astres s’annoncent ordinairement par
le tonnerre, et leurs changements par la tempête, ainsi dans cette
révolution du gouvernement de Rome, c’est-à-dire du genre
humain, l'Etat trembla jusque dans ses fondements, et toutes sortes de
dangers, des guerres civiles, continentales et maritimes, agitèrent
tout le corps de l'empire. |
.. |
.. | IV - Bellum
Mutinense. - Prima civilium motuum causa testamentum Caesaris fuit, cujus
secundus heres Antonius, praelatum sibi Octavium furens, inexpiabile contra
adoptionem acerrimi juvenis susceperat bellum. Quippe quum intra decem
et octo annos tenerum, obnoxium et opportunum injuriae juvenem videret,
ipse plenae ex commilitio Caesaris dignitatis, lacerare furtis hereditatem,
ipsum insectari probris, cunctis artibus adoptationem Juliae gentis inhibere,
denique ad opprimendum juvenem palam arma moliri; et jam parato exercitu
in Cisalpina Gallia resistentem motibus suis Decimum Brutum obsidebat. |
.... | IV - Guerre
de Modène. - (an de Rome 710-711). - Le testament de César
fut la première cause de ces nouveaux troubles civils. Antoine,
son second héritier, furieux de ce que Octave lui avait été
préféré, entreprit une guerre à outrance pour
combattre l’adoption de ce jeune et redoutable rival. Il ne voyait dans
Octave qu’un adolescent de dix-huit ans, que cet âge, encore tendre,
exposait et livrait à l’injustice, tandis qu’il se sentait lui-même
fort du crédit attaché au titre de compagnon d’armes de César.
Il commença donc à déchirer, par ses usurpations,
la succession de César, à poursuivre Octave de ses outrages,
à employer des artifices de tout genre pour empêcher son adoption
dans la famille des Jules. Enfin, il prit ouvertement les armes pour accabler
ce jeune adversaire; et, avec une armée qu’il tenait toute prête,
il assiégea, dans la Gaule cisalpine, Décimus Brutus, qui
s’opposait à ses desseins. |
.. |
.. | Octavius Caesar,
et aetates et injuria favorabilis, et nominis majestate quod sibi induerat,
revocatis ad arma veteranis, privatus - quis crederet? - consulem adgreditur;
obsidio Mutinae liberat Brutum; Antonium exuit castris. Tum quidem etiam
manu pulcher apparuit. Nam cruentus et saucius aquilam a moriente signifero
traditam suis humeris in castra referebat. |
.... | Octave, à
qui son âge, l’injustice dont il était l’objet, et la majesté
du nom qu’il avait pris, conciliaient la faveur publique, rappela aux armes
les vétérans, et, quoique simple citoyen, il osa (qui le
croirait?) attaquer un consul. Il délivra Brutus assiégé
dans Modène; il s’empara du camp d’Antoine. Et même, dans
cette occasion, il se signala par sa valeur. On le vit, couvert de sang
et de blessures, rapporter sur ses épaules, dans son camp, une aigle
que lui avait remise un porte-enseigne mourant. |
.. |
.. | V. - Bellum
Perusinum. - Alterum bellum concitavit agrorum divisio, quod Caesar veteranis
patris pretium militiae persolvebat. Semper alias Antonii pessumum ingenium
Fulvia, gladio cincta virilis militiae, uxor agitabat. Ergo depulsos agris
colonos incitando iterum in arma ierat. Hic vero jam non privatis, sed
totius senatus suffragiis judicatum hostem Caesar adgressus intra Perusiae
muros redegit compulitque ad extrema deditionis turpi et nihil non experta
fame. |
.... | V. - Guerre
de Pérouse. - (An de R. 712.) - Le partage des terres que César
laissait aux vétérans pour prix de leurs services, excita
une seconde guerre. Fulvie, cette femme d’un courage viril, ceignant l’épée
comme un soldat, animait Antoine, son époux, dont le génie
était toujours porté au mal. Il soulève les colons
chassés de leurs terres, et prend de nouveau les armes. Il est déclaré
ennemi de la république, non plus par quelques particuliers, mais
par les suffrages de tout le sénat; César l’attaque, le contraint
de s’enfermer dans les murs de Pérouse, le réduit aux dernières
horreurs de la famine, et le force à se rendre à discrétion.. |
.. |
.. | VI. - Triumviratus.
- Quum solus etiam gravis paci, gravis reipublicae esset Antonius, quasi
ignis incendio Lepidus accessit. Quid contra duos exercitus? Necesse fuit
venire in cruentissimi foederis societatem. Diversa omnium vota. Incendit
Lepidum divitiarum cupido, quarum spes ex perturbatione reipublicae; Antonium
ultionis de his qui se hostem judicasset, Caesarem inultus pater, et manibus
ejus graves Cassius et Brutus agitabant. In hoc velut foedus pax inter
tres duces componitur. Apud confluentes inter Perusiam et Bononiam jungunt
manus, et exercitus consalutant. Nullo bono more triumviratus invaditur,
oppressaque armis republica redit Syllana proscriptio, cujus atrocitas
nihil in se minus habet quam numerum centum et quadraginta senatorum. Exitus
foedi, truces, miserabiles toto terrarum orbe fugientium. Pro quibus quis
pro indignitate rei ingemescat, quum Antonius Lucium Caesarem, avunculum
suum, Lepidus Lucium Paulum, fratrem suum, proscripserit? Romae capita
caesorum proponere in rostris jam usitatum erat; verum sic quoque civitas
lacrymas tenere non potuit, quum recisum Ciceronis caput in illis suis
rostris videretur; nec aliter ad videndum eum, quam solebat ad audiendum,
concurreretur. Haec scelera in Antonii Lepidique tabulis : Caesar percussoribus
patris contentus fuit. Haec quoque, nisi multa fuisset, etiam justa caedes
haberetur. |
.... | VI. -Triumvirat.
- (An de Rome 710.) - Antoine seul était déjà un obstacle
à la paix, un empêchement au bien de la république,
lorsque Lépide se joignit à lui, comme un feu à l'incendie.
Que pouvait Octave contre deux armées? Il fut donc forcé
de s’associer à ce pacte sanglant. Tous avaient des vues différentes.
Lépide brûlait de satisfaire sa passion des richesses qu'il
avait l'espoir de retirer du bouleversement de l'Etat; Antoine, de sacrifier
à son ressentiment ceux qui l’avaient déclaré ennemi
de l’Etat; César, de venger enfin son père, et d’immoler
Brutus et Cassius à ses mânes indignés. Ce furent là
comme les conditions de la paix qui fut conclue entre les trois chefs.
Au confluent de deux rivières, entre Pérouse et Bologne,
ils joignirent leurs mains et saluèrent réciproquement leurs
armées. Imitant un exemple funeste, ils entreprirent de former un
triumvirat; la république, opprimée par leurs armes, vit
le retour des proscriptions de Sylla. Le massacre de cent quarante sénateurs
en fut la moindre atrocité. Des morts affreuses, lamentables, atteignirent
les proscrits dans leur fuite par tout l’univers. Qui pourrait assez gémir
sur l’indignité de ces forfaits! Antoine proscrit Lucius César,
son oncle maternel; et Lépide, Lucius Paulus, son frère.
On était déjà habitué dans Rome à voir,
exposées sur la tribune aux harangues, les têtes des citoyens
égorgés. Cependant la ville ne put retenir ses larmes en
contemplant la tête sanglante de Cicéron sur cette tribune,
le théâtre de sa gloire; et ce spectacle n’attirait pas moins
de monde qu’autrefois son éloquence. Ces crimes étaient marqués
à l’avance sur les tables d’Antoine et de Lépide. Pour César,
il se contenta de faire périr les assassins de son père.
Il le fit aussi parce que le meurtre du dictateur aurait paru légitime
s'il n'avait pas été vengé. |
.. |
.. | VII. - Bellum
Cassii et Bruti. - Brutus et Cassius sic C. Caesarem, quasi Tarquinium
regem, depulisse regno videbantur, sed libertatem, quam maxime restitutam
voluerunt, illo ipso parricidio perdidere. Igitur, caede perfecta, quum
veteranos Caesaris, nec inmerito, timerent, statim e curia in Capitolium
confugerant. Nec illis ad ultionem deerat animus; sed ducem nondum habebant.
Igitur quum appareret, quae strages rei publicae immineret, displicuit
ultio, cum consulis abolitione decreta. Ne tamen publici doloris oculis
ferrent, in provincias ab illo ipso quem occiderant, Caesare datas, Syriam
et Macedoniam concesserant. Sic vindicta Caesaris dilata potius quam oppressa
est. |
.... | VII. - Guerre
de Cassius et de Brutus. (An de Rome 709-741) - Brutus et Cassius, en immolant
César, semblaient avoir chassé du trône un autre roi
Tarquin. Mais ce parricide même, par lequel ils voulaient surtout
rétablir la liberté, en consomma la perte. Après le
meurtre, redoutant, non sans raison , les vétérans de César,
ils s’étaient aussitôt réfugiés du sénat
au Capitole. Ce n’est pas que la volonté de venger leur général
manquât à ces soldats; mais ils n’avaient pas de chef. D’ailleurs
comme, selon toute apparence, cette vengeance devait être fatale
à la république, on renonça à l’exercer et,
du consentement du consul, il fut rendu un décret d’amnistie. Cependant
pour ne pas avoir à supporter la vue de la douleur publique, Brutus
et Cassius s’étaient retirés dans leurs provinces de Syrie
et de Macédoine, dont ils étaient redevables à ce
même César qu’ils avaient tué. Ainsi la vengeance de
sa mort fut plutôt différée qu’abandonnée. |
.. |
.. | Igitur jam ordinata
magis ut poterat quam ut debebat inter triumviros, re publica, relicto
ad urbis praesidium Lepido, Caesar cum Antonio in Cassium Brutumque succingitur.
Illi comparatis ingentibus copiis eamdem illam, quae fatalis Cnaeo Pompeio
fuit, arenam insederant. Sed nec tum inminentia destinatae cladis signa
latuere. Nam et assuetae cadaverum pabulo volucres castra, quasi jam sua
circumvolabant; et in aciem prodeuntibus obvius Aethiops nimis aperte ferale
signum fuit. Ipsique Bruto per noctem, quum illato lumine ex more aliqua
secum agitaret, atra quaedam imago se obtulit, et, quae esset interrogata,
"Tuus", inquit, "malus genius", ac sub oculis mirantis evanuit. |
.... | Les triumvirs,
ayant de concert réglé les affaires de la république,
moins comme elles devaient que comme elles pouvaient l’être, la défense
de la ville fut laissée à Lépide, et César
marcha avec Antoine contre Cassius et Brutus. Ceux-ci, après avoir
rassemblé des forces considérables, étaient allés
camper dans la même plaine qui avait été si fatale
à Cnaeus Pompée. Cette fois aussi, des signes manifestes
annoncèrent à ces généraux le désastre
qui les menaçait. Autour de leur camp voltigeaient, comme autour
d’une proie déjà sûre, des oiseaux habitués
à se repaître de cadavres. Ils firent, en marchant au combat,
la rencontre d’un Ethiopien, présage trop certain d’un malheur.
Brutus lui-même se livrait, pendant la suit, à la lueur d'une
lampe, à ses méditations accoutumées, lorsqu’un noir
fantôme lui apparut; il lui demanda qui il était – «
Ton mauvais génie », lui répondit le spectre, en disparaissant
à ses yeux étonnés. |
.. |
.. | Pari in meliora
praesagio in Caesaris castris omnia, aves victimaeque, promiserant. Sed
nihil illo praesentius, quod Caesaris medicus somnio admonitus est, ut
Caesar castris excederet, quibus capi inminebat; ut factum est. Acie namque
commissa quum pari ardore aliquandiu dimicatum foret, et quamvis duces
inde praesentes adessent, quum alterum corporis aegritudo, illum metus
et ignavia subduxissent, staret tamen pro partibus invicta fortuna et ultoris
et qui vindicabatur, primum adeo anceps fuit, et par ultrimque discrimen,
ut exitus proelii docuit. Capta sunt hinc Caesaris castra, inde Cassii. |
.... | Dans le camp
de César, il y avait également des présages, mais
de meilleurs; le vol des oiseaux et les entrailles des victimes y promettaient
la victoire. L’augure le plus favorable fut l'avertissement que le médecin
de César reçut en songe de le faire transporter hors du camp,
qui était menacé d’être pris, et qui le fut en effet.
L’action s’étant engagée, on se battit quelque temps avec
une égale ardeur, bien qu’aucun des deux chefs ne fût présent
à la bataille; l'un était retenu par la maladie, l’autre
par la crainte et la lâcheté. Toutefois, l’invincible fortune
de César et de son vengeur prit parti dans cette journée.
La victoire fut d’abord incertaine et les avantages égaux de part
et d’autre, comme le montra l’issue du combat. Le camp de César
et celui de Cassius furent également pris. |
.. |
.. | Sed quanto efficacior
est fortuna quam virtus! et quam verum est, quod moriens efflavit, non
in re, sed in verbo tantum, esse virtutem! Victoriam illi proelio error
dedit. Cassius inclinato cornu suorum, quum captis Caesaris castris rapido
impetu recipientes se equites videret, fugere arbitratus, evadit in tumulum.
Inde pulvere et strepitu, etiam nocte vicina eximentibus gestae rei sensum,
quum speculator quoque in id missus, tardius renuntiaret, transactum de
partibus ratus, uni de proximis auferendum praebuit caput. Brutus, quum
in Cassio etiam suum animum perdidisset, ne quid ex constituti fide resignaret
- ita enim non superesse bello convenerat - ipse quoque uni comitum suorum
confodiendum praebuit latus. Quis sapientissimos viros non miretur ad ultimum
non suis manibus usos? Nisi si hoc quoque ex persuasione defuit, ne violarent
manus, sed in abolitione sanctissimarum piissimarumque animarum, judicio
suo, scelere alieno uterentur. |
.... | Mais que la
fortune a plus de puissance que la vertu! et qu’elle est vraie, cette dernière
parole de Brutus mourant : « La vertu n’est qu’un vain nom! »
Une méprise donna la victoire dans ce combat. Cassius, voyant plier
l’aile qu’il commandait, et jugeant, au mouvement rapide d'où revenait
la cavalerie après avoir forcé le camp de César, qu’elle
prenait la fuite, se retira sur une éminence. La poussière,
le bruit, et l’approche de la nuit lui dérobaient le véritable
aspect des choses; de plus, un éclaireur qu’il avait envoyé
à la découverte tardait à lui rapporter des nouvelles
; il crut son parti ruiné sans ressource, et présenta sa
tête au glaive d’un de ceux qui l’entouraient. Avec Cassius, Brutus
perdit son courage. Fidèle à l’engagement qu’il avait pris,
(ils étaient convenus de ne pas survivre à leur défaite),
il offrit aussi sa poitrine à l’épée d’un de ses affidés.
Qui ne s’étonnera pas que des hommes aussi sages n’aient pas eux-mêmes
terminé leurs destins? Peut-être étaient-ils persuadés
qu’ils ne pouvaient souiller leurs mains de leur propre sang, et que, pour
l’affranchissement de leurs âmes si saintes et si pieuses, ils devaient,
à leur avis, laisser d’autres commettre le crime. |
.. |
.. | VIII. - Bellum
cum Sexto Pompeio. - Sublatis percussoribus Caesaris supererat Pompei domus.
Alter juvenum in Hispaniam occiderat, alter fuga evaserat. Contractisque
infelicis belli reliquiis, quum insuper ergastula armasset, Siciliam Sardiniamque
habebat; jam et classe medium mare insederat. O quam diversus a patre!
ille Cilicas exstinxerat, hic secum piratas navales agitabat. |
.... | VIII. - Guerre
contre Sextus Pompée. - (An de Rome 715-718) - Les meurtriers de
César étaient détruits; restait la famille de Pompée
: l'un de ses fils était mort en Espagne, l’autre n’avait dû
son salut qu’à la fuite. Celui-ci avait ramassé les débris
de cette guerre malheureuse et armé jusqu’aux esclaves; il occupait
la Sicile et la Sardaigne. Déjà même sa flotte dominait
sur la Méditerranée. Oh ! que le fils différait du
père ! l'un avait exterminé les pirates Ciliciens, l’autre
les associait à ses desseins. |
.. |
.. | Tanta mole belli
penitus in Siculo freto juvenis oppressus est; magnique famam ducis ad
inferos secum tulisset, si nihil tentasset ulterius; nisi quod magnae indolis
signum est sperare semper. Perditis enim rebus, profugit Asiamque velis
petit, venturus ibi in manus hostium et catenas et, quod miserrimum est
fortibus viris, ad hostium arbitrium sub percussore moriturus. Non alia
post Xerxem miserabilior fuga. Quippe modo trecentarum quinquaginta navium
dominus cum sex septemve fugiebat, extincto praetoriae navis lumine, anulis
in mare abjectis, pavens atque respectans, et tamen non timens ne periret. |
.... | Le jeune Pompée
fut accablé sans retour dans le détroit de Sicile, sous le
poids d’une guerre formidable; il eût emporté aux enfers la
réputation de grand capitaine, s’il n’eût pas de nouveau tenté
la fortune, bien que ce soit le signe d’une grande âme que d’espérer
toujours. Voyant ses affaires ruinées, il s’enfuit et fit voile
vers l’Asie, où il devait tomber entre les mains et dans les chaînes
de ses ennemis, et, ce qui est le comble de l’infortune pour un homme de
courage, périr à leur gré sous le fer d’un assassin.
Jamais fuite, depuis celle de Xerxès, n’avait été
plus déplorable. Maître naguère de trois cent cinquante
navires, c’était avec six ou sept que fuyait Sextus, réduit
à faire éteindre le fanal du vaisseau prétorien et
à jeter son anneau dans la mer, portant de tous côtés
des regards incertains et inquiets, et toutefois ne craignant pas la mort. |
.. |
.. | IX. - Bellum
Parthicum, duce Ventidio. - Quamvis in Cassio et Bruto partes sustulisset,
in Pompeio totum partium nomen abolesset, nondum tamen ad pacis stabilitatem
profecerat Caesar, quum scopulus et nodus et mora publicae securitatis
superesset Antonius. Nec ille defuit vitiis quin periret, immo omnia expertus
ambitu et luxuria primum hostes, deinde cives, tandem etiam terrore sui
saeculum liberavit. |
.... | IX. - Guerre
de Ventidius contre les Parthes. - (An de Rome 714-715). - Quoique César
eût, par la mort de Cassius et de Brutus, anéanti le parti
de Pompée, quoiqu’il en eût effacé jusqu’au nom par
celle de Sextus, il n’avait encore rien fait pour la stabilité de
la paix, puisqu’il restait un écueil, un nœud gordien, un obstacle
qui retardait le retour de la sécurité publique: c’était
Antoine. Du reste, cet homme hâta lui-même sa perte par ses
vices. Se livrant à tous les excès de l’ambition et de la
luxure, il délivra d’abord ses ennemis, ensuite ses concitoyens,
enfin son siècle de la terreur qu'il inspirait. |
.. |
.. | Parthi clade
Crassiana altius animos erexerat civilesque populi Romani discordias laeti
acceperant; itaque ut prima affulsit occasio, non dubitaverunt erumpere,
ultro quidem invitante Labieno, qui missus a Cassio Brutoque - quis furor
scelerum! - sollicitaverat hostes in auxilium. Et illi, Pacoro duce, regio
juvene, dissipant Antoniana praesidia; Saxa legatus ne veniret in potestatem
a gladio impetravit. Denique, ablata Syria, emanabat latius malum, hostibus
sub auxilii specie sibi vincentibus, nisi Ventidius, et hic legatus Antonii,
incredibili felicitate et Labieni copias ipsumque Pacorum et omnem Parthicum
equitatum, toto inter Orontem et Euphratem sinu late cecidisset. Viginti
amplius milium fuit. Nec sine consilio ducis, qui simulato metu adeo passus
est hostem castris succedere, donec, absumpto jactus spatio, adimeret usum
sagittarum. Rex fortissime dimicans cecidit. Mox circumlato ejus per urbes,
quae desciverant, capite, Syria sine bello recepta. Sic Crassianam cladem
Pacori caede pensavimus. |
.... | Les Parthes,
enorgueillis de la défaite de Crassus, avaient appris avec joie
les discordes civiles du peuple romain; et, prompts à saisir la
première occasion, ils avaient envahi nos frontières, à
l’instigation de Labiénus, que Cassius et Brutus – ô délire
du crime! - avaient envoyé pour implorer le secours de ces ennemis
de Rome. Aussitôt les Parthes, sous la conduite du jeune Pacorus,
fils de leur roi, dissipent les garnisons d’Antoine, dont le lieutenant
Saxa se tua de son glaive pour ne pas tomber entre les mains du vainqueur.
La Syrie nous fut enfin enlevée; et les Parthes triomphant pour
eux-mêmes, sous le nom d’auxiliaires, le mal se serait étendu
plus loin, si, par un bonheur incroyable, Ventidius, autre lieutenant d’Antoine,
n’eût taillé en pièces les troupes de Labiénus,
toute la cavalerie Parthe, et tué Pacorus lui-même, dans la
vaste plaine située entre l’Oronte et l’Euphrate. Plus de vingt
mille hommes périrent, dans cette défaite, qui fut due surtout
à l’habileté de notre général. Feignant d’être
effrayé, il laissa les ennemis s’approcher si près de son
camp qu’il leur ôta ainsi l’espace nécessaire pour la portée
du trait et le pouvoir de faire usage de leurs flèches. Leur prince
périt en combattant vaillamment. Sa tête fut aussitôt
portée dans toutes les villes qui avaient fait défection
et la Syrie fut reprise sans combat. C’est ainsi que nous vengeâmes
le désastre de Crassus par le sang de Pacorus. |
.. |
.. | X. - Bellum
Parthicum sub Antonio. - Expertis invicem Parthis atque Romanis, quum Crassus
et Pacorus utrimque virium mutuarum documenta fecissent, pari rursus reverentia
integrata amicitia; et quidem ab ipso Antonio foedus cum rege percussum.
Sed - immensa vanitas hominis! - dum titulorum cupidine Araxem et Euphratem
sub imaginibus suis legi concupiscit, neque causa neque consilio ac ne
imaginaria quidem belli indictione, quasi hoc quoque ex arte ducis esset
obrepere, relicta repente Syria in Parthos impetum facit. Gens praeter
armorum fiduciam callida simulat trepidationem et in campos fugam. Hic
statim quasi victor sequebatur, quum subito nec magna hostium manus ex
improviso et jam in fessos via sub vespere, velut nimbus, erupit et missis
undique sagittis duas legiones operuerunt. |
.... | X. - Guerre
d’Antoine contre les Parthes. – (An de Rome 716-717.) - Les Parthes et
les Romains, en mesurant leurs forces, s’en étaient donné,
par la mort de Crassus et de Pacorus, des preuves mutuelles : pleins les
uns pour les autres d’un respect égal, ils renouvelèrent
leur alliance, et ce fut Antoine lui-même qui signa le traité
avec le roi des Parthes. Mais, ô immense vanité de l’homme
! ce triumvir, avide de nouveaux titres, et jaloux de faire lire au bas
de ses images les noms de l’Araxe et de l’Euphrate, sans sujet, sans aucun
plan, sans apparence même de déclaration de guerre, comme
si la fraude entrait aussi dans la tactique d’un général,
il quitte tout à coup la Syrie et se précipite sur les Parthes,.
Cette nation aussi rusée que brave simulent l’effroi et fuient à
travers leurs campagnes. Antoine les poursuivait, se croyant déjà
vainqueur, lorsque, tout à coup, un corps d’ennemis peu considérable
s'abattit à l'improviste, vers le soir, comme un orage, sur nos
soldats fatigués de la marche, et couvrit deux légions de
traits qui pleuvaient de tous côtés. |
.. |
.. | Nihil acciderat
in comparationem cladis, quae in posterum diem inminebat, nisi intervenisset
deum miseratio. Unus ex clade, Crassiana, Parthico habitu, castris adequitat;
et, salute Latine data, quum fidem eo ipso fecisset, quid immineret edocuit
: jam adfuturum cum omnibus copiis regem; irent retro peterentque montis;
sic quoque hostem fortasse non defore. Atque ita secuta est minor vis hostium
quam imminebat; adfuit tamen. Deletae reliquiae copiae forent, nisi urgentibus
telis in modum grandinis, quadam sorte quasi docti, procubuissent in genua
milites et, elatis supra capita secutis, caesorum speciem praebuissent.
Tum Parthus arcus inhibuit. Deinde Romani quum se rursus extulissent, adeo
res miraculo fuit, ut unus ex barbaris miserit vocem : "Ite et bene valete,
Romani! Merito vos victores fama gentium loquitur, qui Parthorum tela fugistis." |
.... | Ce n’était
rien encore au prix du désastre qui nous attendait le jour suivant,
si les dieux ne fussent intervenus par pitié pour nous. Un Romain,
échappé à la défaite de Crassus, s’approche
à cheval de notre camp, sous l’habillement d’un Parthe, et après
avoir donné en latin le salut au général, afin de
lui inspirer de la confiance, il l’informe des périls qui le menacent
: le roi des Parthes doit bientôt paraître avec toutes ses
troupes; il faut que l’armée retourne sur ses pas et gagne les montagnes,
précaution qui ne la dérobera peut-être pas encore
à l’ennemi. Grâce à cet avis, elle fut moins vivement
poursuivie qu’elle n’avait lieu de le craindre. Elle le fut cependant;
et ce reste de nos troupes allait être exterminé, si, accablés
d’une grêle de traits, nos soldats, par une espèce d’inspiration,
se laissant tomber sur leurs genoux, ne se fussent couvert la tête
de leurs bouclier, posture qui fit croire qu’ils étaient tués.
Les Parthes alors détendirent leurs arcs. Voyant ensuite les Romains
se relever, ils furent frappés d’un tel étonnement qu’un
de ces Barbares s’écria : « Allez, Romains, et retirez-vous
sains et saufs; c’est à bon droit que la renommée vous appelle
les vainqueurs des nations, puisque vous avez échappé aux
flèches des Parthes.» |
.. |
.. | *** Non minor
ex via postea quam ab hostibus accepta clades. Infesta primum siti regio,
tum quibusdam salmacidi fluvii infestiores ***; novissime quia jam
ab invalidis et avide hauriebantur noxiae etiam dulces fuere. Mox et ardores
per Armeniam et nives per Cappadociam et utriusque caeli subita mutatio
pro pestilentia fuit. Sic vix tertia parte de sedecim legionibus reliqua,
quum argentum ejus passim dolabris concideretur, et subinde inter moras
mortem a gladiatore suo flagitasset egregius imperator, tandem perfugit
in Syriam. Ibi incredibili quadam mentis vecordia ferocior aliquando factus
est, quasi vicisset, qui evaserat. |
.... | Par la suite,
les malheurs, sur le chemin du retour, ne furent pas moins importants que
la défaite infligée par l'ennemi. D’abord, c’était
une région où l'on souffrait de la soif; puis, l'eau saumâtre
des fleuves fut pour certains plus funeste encore; enfin l’eau douce même
devint nuisible, parce que nos soldats, dans l’état de faiblesse
où ils se trouvaient, en burent avec avidité. Exposés
bientôt et aux chaleurs de l’Arménie et aux frimas de la Cappadoce,
le changement subit de ces climats si différents produisit sur eux
l’effet de la peste. C’est ainsi que, ramenant à peine le tiers
de seize légions, après avoir vu mettre en pièces,
à coups de hache, son argenterie, et conjuré à diverses
reprises son gladiateur de lui donner la mort, cet illustre général
se réfugia enfin en Syrie. Là, par un incroyable aveuglement
d’esprit, il se montra plus arrogant que jamais, comme s’il eût vaincu
l’ennemi, quand il n’avait fait que lui échapper. |
.. |
.. | .XI. - Bellum cum
Antonio et Cleopatra. - Furor Antonii quatenus ambitu non interiret, luxu
libidine extinctus est. Quippe post Parthos quum exorsus arma in otio ageret,
captus amore Cleopatrae, quasi bene gestis rebus, in regio se sinu reficiebat.
Haec mulier Aegyptia, ab ebrio imperatore, pretium libidinum Romanum imperium
petit. Et promisit Antonius, quasi facilior esset Partho Romanus. Igitur
dominationem parare, nec tacite; sed patriae, nominis, togae, fascium oblitus,
totus in monstrum illud, ut mente, ita animo quoque et cultu, desciverat.
Aureum in manu baculum, ad latus acinaces, purpurea vestis ingentibus obstricta
gemmis: diadema aderat, ut regina rex ipse frueretur. |
.... | XI.
- Guerre contre Antoine et Cléopâtre. - (An de Rome 722).
- La fureur d’Antoine, qui n’était pas tombée devant le résultat
de son ambition, trouva un terme dans son luxe et ses débauches.
Détestant la guerre, après son expédition contre les
Parthes, il s’abandonna à la mollesse; et, captivé par les
attraits de Cléopâtre, il se délassait, comme après
tin triomphe, dans les bras de cette reine. L’Egyptienne demande, pour
prix de ses caresses, l’empire romain à ce général
ivre. Antoine le lui promet, comme s’il lui était plus facile de
soumettre les Romains que les Parthes. Il prépare ouvertement ses
moyens de domination. Il oublie sa patrie, son nom, sa toge, ses faisceaux;
et, pour le monstre de luxure qui l’asservit tout entier, il renonce à
ses sentiments, à ses principes, à son costume. Il porte
un sceptre d’or à la main, des poignards à son côté,
une robe de pourpre agrafée avec de grosses pierres précieuses;
il ceint même le diadème, afin de jouir comme roi de cette
reine. |
.. |
.. | .Ad primam novorum
motuum famam Caesar a Brundisio trajecerat, ut venienti bello occurreret;
positisque in Epiro castris, Leucadem insulam montemque Leucatem et Ambracii
sinus cornua, infesta classe succinxerat. Nobis quadrigentae non minus
naves, ducentae non amplius hostium; sed numerum magnitudo pensabat. Quippe
a senis in novenos remorum ordinibus, ad hoc turribus, atque tabulatis
allevatae, castellorum et urbium specie, non sine gemitu maris et labore
ventorum ferebantur; quae quidem ipsa moles exitio fuit. Caesaris naves
a triremibus in senos non amplius ordines creverant. Itaque habiles in
omnia, quae usus poscebat, ad impetus et recursus flexusque capiendos,
illas graves et ad omnia praepeditas, singulas plures adortae, missilibus
simul, tum rostris, ad haec ignibus jactis, ad arbitrium dissipavere. Nec
ulla re magis hostilium copiarum apparuit magnitudo quam post victoriam.
Quippe inmensa classis, naufragio belli facto, toto mari ferebatur; Arabumque
et Sabaeorum et mille aliarum Asiae gentium spolia, purpura aurumque, in
ripam assidue mota ventis maria revomebant. |
.... | Au
premier bruit de ces nouveaux mouvements, César part de Brundisium
pour aller au-devant de la guerre. Il place son camp en Epire et entoure
d’une flotte formidable l’île et le promontoire de Leucade, et les
deux pointes du golfe d’Ambracie. Nous n’avions pas moins de quatre cents
vaisseaux; les ennemis n’en avaient pas plus de deux cents; mais l’infériorité
de leur nombre était bien compensée par leur grandeur. Ils
étaient tous de six à neuf rangs de rames, et surmontés
en outre de tours à plusieurs étages; on les eût pris
pour des citadelles ou des villes flottantes; la mer gémissait sous
leur poids; et les vents épuisaient leurs efforts à les mouvoir.
L’énormité même de leur masse fut la cause de leur
perte. Les navires de César n’avaient que trois ou, au plus, six
rangs de rames; propres à toutes les évolutions qu’exigeait
leur service, ils attaquaient, se retiraient, se détournaient avec
facilité, et, s’attachant plusieurs à une seule de ces lourdes
masses inhabiles à toute manœuvre, les accablaient sans peine sous
les coups réitérés de leurs traits, de leurs éperons
et des machines enflammées qu’ils lançaient sur eux. Ce fut
surtout après la victoire qu’apparut la grandeur des forces ennemies.
Cette flotte immense, détruite par la guerre comme par un naufrage,
était dispersée sur toute la mer; et les vagues, agitées
par les vents, vomissaient incessamment sur les côtes la pourpre
et l’or, dépouilles des Arabes, des Sabéens et de mille autres
nations de l’Asie. |
.. |
.. | .Prima dux fugae regina,
cum aurea puppe veloque purpureo in altum dedit. Mox secutus Antonius,
sed instare vestigiis Caesar. Itaque nec praeparata in Oceanum fuga nec
munita praesidiis utraque Aegypti cornua, Paraetonium atque Pelusium, profuere:
prope manu tenebantur. Prior ferrum occupavit Antonius; regina ad pedes
Caesaris provoluta tentavit oculos ducis; frustra, nam pulchritudo intra
pudicitiam principis fuit. Nec illa de vita, quae offerebatur, sed de parte
regi laborabat. Quod ubi desperavit a principe servarique se triumpho vidit,
incautiorem nacta custodiam, in mausoleum se (sepulcra regum sic vocant)
recipit. Ibi maximos, ut solebat, induta cultus, in differto odoribus solio
iuxta suum se collocavit Antonium; admotisque ad venas serpentibus, sic
morte quasi somno soluta est.
|
.... | La
reine donne l’exemple de la fuite; la première, elle gagne la haute
mer sur son vaisseau à poupe d’or et à voile de pourpre.
Antoine la suit de près; mais César s’élance sur leurs
traces. En vain ils ont préparé leur fuite sur l’Océan;
en vain ils ont pourvu par des garnisons à la défense de
Parétonium et de Peluse, les deux boulevards de l’Egypte; ils vont
tomber aux mains de leur ennemi. Antoine se perce le premier de son épée.
La reine, prosternée aux pieds de César, essaie sur les yeux
du vainqueur le pouvoir des siens; inutiles efforts! Sa beauté n’égalait
pas la continence du prince. Ce n’est pas au reste le désir de conserver
une vie qu’on lui offre, qui agite Cléopâtre, mais celui de
garder une partie de son royaume. Dès qu’elle n’espère plus
l’obtenir de César, et qu’elle se voit réservée pour
le triomphe, profitant de la négligence de ses gardes, elle va s’enfermer
dans un mausolée, nom que les Egyptiens donnent aux tombeaux de
leurs rois. Là, revêtue, selon son usage, de magnifiques ornements,
elle se place sur des coussins parfumés, auprès de son cher
Antoine; et, se faisant piquer les veines par des serpents, elle expire
d’une mort douce et semblable au sommeil. |
.. |
.. | .XII. - Bella adversus
gentes exteras. - Hic finis armorum civilium: reliqua adversus exteras
gentes, quae districto circa mala sua imperio, diversis orbis oris emicabant.
Nova quippe pax, necdum assuetae frenis servitutis tumidae gentium inflataeque
cervices ab imposito nuper jugo resiliebant. |
.... | XII.
- Guerres étrangères sous Auguste. (An de Rome 755-760.)
- Ce fut là le terme des guerres civiles. Rome n’eut plus à
combattre que les nations étrangères qui, pendant les troubles
domestiques de l’empire, s’étaient soulevées dans les diverses
parties de l’univers. La paix qu’on leur avait donnée était
encore nouvelle; et ces peuples orgueilleux, peu accoutumés au frein
de la servitude, tentaient de rejeter le joug récemment imposé
à leurs têtes altières. |
.. |
.. | .Ad septentrionem
conversa ferme plaga ferocius agebat, Norici, Illyrici, Pannonii, Dalmatae,
Moesi, Thraces et Daci, Sarmatae atque Germani. |
.... | Ceux
qui habitent vers le septentrion se montraient les plus indomptables :
tels étaient les Noriques, les Illyriens, les Pannoniens, les Dalmates,
les Mysiens, les Thraces et les Daces, les Sarmates et les Germains. |
.. |
.. | .Noricis animos dabant
Alpes et nives, quo bellum non posset ascendere; sed omnes illius cardinis
populos, Brennos, Senones atque Vindelicos, per privignum suum Claudium
Drusum perpacavit. Quae fuerit Alpinarum gentium feritas, facile vel mulieres
ostendere : quae deficientibus telis infantes suos adflictos humo in ora
militum adversa miserunt. |
.... | Les
Alpes et leurs neiges donnaient de l’audace aux Noriques, comme si la guerre
n’eût pu franchir ces montagnes. Mais César pacifia entièrement
tous les peuples de cette contrée, les Brennes, les Sénons,
et les Vindéliciens, par les armes de Claudius Drusus, son beau-fils.
Qu’on juge de la férocité de ces nations qui habitent les
Alpes par celle que montrèrent les femmes : manquant de traits,
elles écrasaient contre la terre leurs propres enfants et les lançaient
ensuite à la tête de nos soldats. |
.. |
.. | .Illyrii quoque sub
Alpibus agunt imasque valles earum ac quaedam quasi claustra custodiunt
abruptis torrentibus impliciti. In hos expeditionem ipse sumpsit fierique
pontes imperavit. Hic se et aquis et hoste turbantibus, cunctanti ad adscensum
militi scutum de manu rapuit; et in via primus, tunc agmine secuto, quum
lubricus multitudine pons succidisset, saucius manibus et cruribus, speciosior
sanguine et ipso periculo augustior terga hostium percecidit.
|
.... | Les
Illyriens habitent aussi au pied des Alpes, dont ils gardent les profondes
vallées, comme les barrières de leur pays; des torrents impétueux
les environnent. César dirige lui-même une expédition
contre eux, et fait construire des ponts pour franchir ces torrents. La
fureur des eaux et les efforts des ennemis jettent le trouble dans son
armée. Arrachant le bouclier d’un soldat qui hésite à
monter, il s’avance le premier; ses troupes le suivent alors; le pont chancelle
et s’écroule sous une charge aussi pesante. César est blessé
aux mains et aux cuisses; le sang dont il est couvert et le péril
qu’il a bravé le rendent plus imposant et plus auguste. Il taille
en pièces l’ennemi qui fuit devant lui. |
.. |
.. | .*** Pannonii duobus
acribus fluviis, Dravo Savoque vallabantur. *** Populati proximos, intra
ripas se recipiebant. In hos domandos Tiberium misit. Caesi sunt in utrisque
fluminibus. Arma victorum non ex more belli cremata, sed capta sunt et
in profluentem data, ut ceteris qui resistebant victoria sic nuntiaretur. |
.... | Les
Pannoniens avaient pour rempart deux fleuves impétueux, la Drave
et la Save. Après avoir ravagé les pays voisins, ils se réfugiaient
entre ces rivages. César envoya Tibère pour les dompter.
Ils furent massacrés sur le bord de ces deux fleuves. Les armes
des vaincus ne furent pas brûlées, selon l'usage de la guerre;
mais on les prit et on les jeta dans le courant pour annoncer ainsi cette
victoire à ceux qui résistaient encore. |
.. |
.. | Dalmatae plerumque
sub silvis agunt; inde in latrocinia promptissimi. Hos jam quidem Marcius,
incensa urbe Delminio quasi detruncaverat; postea Asinius Pollio gregibus,
armis, agris multaverat - hic secundus orator - sed Augustus perdomandos
Tiberio mandat; qui efferum genus fodere terras coegit aurumque venis repurgare,
quod alioquin gens omnium cupidissima, studiosa diligentia anquirit, ut
illud in usus suos servare videatur. |
.... | Les
Dalmates vivent habituellement dans les forêts; aussi ne se livrent-ils
qu’au brigandage. Marcius, en brûlant Delminium, leur capitale, leur
avait ôté leur principale force. Après lui, Asinius
Pollion, le second des orateurs, les dépouilla de leurs troupeaux,
de leurs armes et de leurs terres. Mais ce fut Tibère qui, par l’ordre
d’Auguste, acheva de les soumettre. Il contraignit cette race sauvage à
fouiller la terre, et à tirer l’or de ses entrailles; recherche
à laquelle cette nation, la plus cupide de toutes, se livre avec
autant de zèle et d’activité que si elle devait le garder
pour son usage. |
.. |
.. | Mysi quam feri,
quam truces fuerint, quam ipsorum etiam barbari barbarorum, horribile dictu
est. Unus ducum ante aciem, postulato silentio: "Qui vos estis?", inquit;
responsum invicem: "Romani, gentium domini". Et illi, "ita" inquiunt "fiet,
si nos viceritis". Accepit omen Marcus Crassus. Illi statim ante aciem
inmolato equo concepere votum, ut caesorum extis ducum et litarent et vescerentur.
Deos audisse crediderim: nec tubam sustinere potuerunt. Non minimum terroris
incussit barbaris Domitius centurio, satis barbarae, efficacis tamen apud
pares homines stoliditatis, qui foculum gerens super cassidem, suscitatam
motu corporis flammam velut ardenti capite fundebat. |
.... |
On ne peut exprimer sans horreur combien féroces et sanguinaires
étaient les Mysiens, ces barbares des Barbares. Un de leurs chefs,
s’avançant hors des rangs, réclame le silence : "Qui êtes-vous?
nous dit-il. - Nous sommes, lui répondit-on tout d’une voix, les
Romains, maîtres des nations. - Il en sera ainsi, répliqua-t-il,
quand vous nous aurez vaincus." Marcus Crassus en accepta l’augure. Aussitôt,
les ennemis immolèrent un cheval en avant de l’armée, et
firent vœu d’offrir aux dieux les entrailles des généraux
tués et de s’en nourrir ensuite. Les dieux sans doute les
entendirent, car les Mysiens ne purent même pas soutenir le son de
la trompette. Le centurion Domitius, homme d’un courage brutal et extravagant,
et digne adversaire de ces Barbares, me leur causa pas une médiocre
terreur, en portant sur son casque une torche allumée, dont la flamme,
excitée par les mouvements de son corps, semblait sortir de sa tête
qui paraissait tout en feu. |
.. |
.. | Ante hos, Bessi,
Thracum maximus populus, desciverant. Ille barbarus et signis militaribus
et disciplina, armis etiam Romanis assueverat; sed a Pisone perdomiti,
in ipsa captivitate rabiem ostendere : quippe quum catenas morsibus tentaret,
feritatem suam ipsi puniebant. |
.... |
Avant les Mysiens, les Besses, le plus puissant peuple de la Thrace, s’étaient
révoltés. Ces Barbares avaient depuis longtemps adopté
les enseignes militaires, la discipline, les armes mêmes des Romains.
Mais, domptés par Pison, ils montrèrent leur rage jusque
dans la captivité: en essayant de mordre leurs chaînes, ils
se punissaient eux-mêmes de leur sauvagerie. |
.. |
.. | Daci montibus
inhaerent. Cotisonis regis imperio, quotiens concretus gelu Danubius junxerat
ripas, decurrere solebant et vicina populari. Visum est Caesari Augusto
gentem aditu difficillimam submovere. Misso igitur Lentulo ultra ulteriorem
repulit ripam; citra praesidia constituit. Sic tunc Dacia non victa, sed
submota atque dilata est. |
.... |
Les Daces habitent des montagnes. Toutes les fois que la glace avait uni
les deux rives du Danube, ils descendaient de leurs demeures sous le commandement
de Cotison, leur roi, et dévastaient les terres de leurs voisins.
César Auguste crut devoir éloigner une nation dont l’accès
était si difficile. Lentulus, envoyé contre elle, la repoussa
au-delà du fleuve, et établit en-deçà des garnisons.
Ainsi la Dacie fut non pas vaincue, mais reculée et sa conquête
remise à plus tard. |
.. |
.. | Sarmatae patentibus
campis inequitant. Et hos per eundem Lentulum prohibere Danubio satis fuit.
Nihil praeter nives rarasque silvas habent. Tanta barbaria est, ut pacem
non intelligant. |
.... |
Les Sarmates sont toujours à cheval dans leurs vastes plaines. César
se contenta de leur faire fermer, par le même Lentulus, le passage
du Danube. Ils n’ont que des neiges et quelques forêts peu épaisses.
Telle est leur barbarie, qu’ils ne comprennent pas l’état de paix. |
.. |
.. | Germaniam quoque
utinam vincere tanti non putasset! Magis turpiter amissa est quam gloriose
acquisita. Sed quatenus sciebat patrem suum Caesarem, bis trajecto ponte
Rheno, quaesisse bellum, in illius honorem concupiit facere provinciam;
et factum erat, si barbari tam vitia nostra quam imperia ferre potuissent.
Missus in eam provinciam Drusus primos domuit Usipetes, inde Tenctheros
percucurrit, et Cattos. Jam Marcomannorum spoliis insignem quemdam editum
tumulum in tropaei modum excoluit. Inde validissimas nationes, Cheruscos
Suevosque et Sicambros pariter adgressus est, qui viginti centurionibus
incrementis, hoc velut sacramento sumpserant bellum, adeo certa victoriae
spe, ut praedam in antecessum pactione diviserint. Cherusci equos, Suevi
aurum et argentum, Sicambri captivos elegerant; sed omnia retrorsum. Victor
namque Drusus equos, pecora, torques eorum ipsoque praeda divisit et vendidit.
Praeterea in tutelam provinciarum praesidia atque custodias ubique disposuit
per Mosam flumen, per Albim, per Visurgim. Nam per Rheni quidem ripam quinquaginta
amplius castella direxit. Bonnam et Geldubam pontibus junxit classibusque
firmavit. Invisum atque inaccessum in id tempus Hercynium saltum patefecit.
Ea denique in Germania pax erat, ut mutati homines, alia terra, caelum
ipsum mitius molliusque solito videretur. Denique non per adulationem,
sed ex meritis, defuncto ibi fortissimo juvene, ipsi, quod numquam alias,
senatus cognomen ex provincia dedit.
|
.... |
Plût aux dieux qu’Octave eût attaché moins de prix à
la conquête de la Germanie! Elle fut plus honteusement perdue que
glorieusement conquise. Mais, sachant que César, son père,
avait jeté deux fois un pont sur le Rhin, pour porter la guerre
dans cette contrée, Auguste voulut, pour honorer sa mémoire,
en faire une province romaine; et il y serait parvenu, si les Barbares
avaient pu supporter nos vices comme notre domination. Drusus, envoyé
contre eux, dompta d’abord les Usipètes, parcourut le pays des Tencthères
et des Cattes. Il étala sur un tertre élevé les riches
dépouilles des Marcomans, dressées en forme de trophée.
Il attaqua ensuite à la fois toutes ces puissantes nations, les
Chérusques, les Suèves et les Sicambres, qui avaient brûlé
vifs vingt centurions : ç’avait été comme le serment
par lequel ils s’étaient engagés à cette guerre. D’avance
ils s’étaient partagé le butin, tant la victoire leur paraissait
certaine! Les Chérusques avaient choisi les chevaux; les Suèves,
l’or et l’argent; les Sicambres, les prisonniers. Mais le sort des armes
en décida tout autrement. Drusus, vainqueur, distribua et vendit
leurs chevaux, leurs troupeaux, leurs colliers et eux-mêmes. En outre,
pour la garde de ces provinces, il borda de garnisons et de corps d’observation
la Meuse, l’Elbe et le Véser; il éleva plus de cinquante
forts sur la rive du Rhin. Il fit construire des ponts à Bonn et
à Gelduba; et des flottes pour protéger ces ouvrages. Il
ouvrit aux Romains la forêt d’Hercynie, jusqu’alors inconnue et inaccessible.
Enfin, une paix si profonde régna dans la Germanie que tout y changea,
les hommes, le pays, le ciel même, qui semblait plus doux et plus
serein qu’auparavant. Ce jeune héros y étant mort, ce ne
fut pas par adulation, mais par une distinction bien méritée,
et jusque-là sans exemple, que le sénat lui décerna
le surnom de la province qu’il avait ajoutée à l’empire. |
.. |
.. | Sed difficilius
est provincias obtinere quam facere. Viribus parantur, jure retinentur.
Igitur breve id gaudium. Quippe Germani victi magis quam domini erant;
moresque nostros magis quam arma sub imperatore Druso suspiciebant; postquam
ille defunctus est, Vari Quintilii libidinem ac superbiam haud secus quam
saevitiam odisse coeperunt. Ausus ille agere conventum, et in castris dicebat,
quasi violentiam barbarorum et lictoris virgis et praeconis voce posset
inhibere. At illi, qui jam pridem rubigine obsitos enses inertesque moererent
equos, ut primum togas et saeviora armis jura viderunt, duce Armenio, arma
corripiunt; quum interim tanta erat Varo pacis fiducia, ut ne praedicta
quidem, et prodita per Segestem unum principum, conjuratione commoveretur.
Itaque improvidum et nihil tale metuentem, improviso adorti, quum ille
- o securitas! - ad tribunal citaret, undique invadunt; castra rapiuntur,
tres legiones opprimuntur. Varus perditas res eodem quo Cannensem diem
Paulus et fato est animo secutus. Nihil illa caede per paludes perque silvas
cruentius, nihil insultatione barbarum intolerantius, praecipue tamen in
causarum patronos. Aliis oculos, aliis manus amputabant; unius os sutum,
recisa prius lingua, quam in manu tenens barbarus "tandem" ait, "vipera,
sibilare desiste." Ipsius quoque consulis corpus, quod militum pietas humi
abdiderat, effossum. Signa et aquilas duas adhuc barbari possident, tertiam
signifer, prius quam in manus hostium veniret, evulsit; mersamque intra
baltei sui latebras gerens in cruenta palude sic latuit. Hac clade factum,
ut imperium, quod in litore Oceani non steterat, in ripa Rheni fluminis
staret. |
.... | Mais
il est plus difficile de garder des provinces que de les conquérir.
La force les soumet, la justice les conserve. Aussi notre joie fut courte;
car les Germains étaient plutôt vaincus que domptés;
et ils avaient, sous un général tel que Drusus, cédé
à l’ascendant de nos moeurs plutôt qu’à nos armes.
Mais, après sa mort, Quinctilius Varus commença à
leur devenir odieux par ses caprices et son orgueil, non moins que par
sa cruauté ! Il osa les réunir en assemblée et leur
rendre la justice dans son camp, comme si les verges d’un licteur ou la
voix d’un huissier eussent été capables de réprimer
l’humeur violente de ces barbares, qui, depuis longtemps, voyaient avec
douleur leurs épées chargées de rouille et leurs chevaux
oisifs. Dès qu’ils eurent reconnu que nos toges et notre jurisprudence
étaient plus cruelles que nos armes, ils se soulevèrent sous
la conduite d’Arminius. Varus cependant croyait la paix si bien établi
que sa confiance ne fut pas même ébranlée par ce que
lui révéla de la conjuration, Ségeste, l’un des chefs
des Germains. Alors, ne prévoyant ni ne craignant rien de tel, il
continua, dans son imprudente sécurité, à les citer
à son tribunal, quand soudain ils l’attaquèrent, l’investirent
de toutes parts, emportèrent son camp et massacrèrent trois
légions. Varus, après ce désastre irréparable,
eut le même destin et montra le même courage que Paulus, à
la journée de Cannes. Rien de plus affreux que ce massacre au milieu
des marais, au milieu des bois; rien de plus révoltant que les outrages
des Barbares, surtout à l'égard de ceux qui avaient plaidé
les causes. Aux uns, ils crevaient les yeux; aux autres, ils coupaient
les mains. Ils cousirent la bouche à l’un d’eux, après lui
avoir coupé la langue, qu’un barbare tenait à la main, en
disant : « Vipère, cesse enfin de siffler. » Le corps
même du proconsul, que la piété des soldats avait confié
à la terre, fut exhumé. Les Germains ont encore en leur possession
des drapeaux et deux aigles. La troisième, avant qu’elle tombât
entre les mains des ennemis, fut arrachée de sa pique par le porte-enseigne,
qui, après l’avoir enveloppée dans les plis de son baudrier,
l’emporta au fond d’un marais ensanglanté où il se cacha.
C’est ainsi que l’empire, que n’avaient pu arrêter les rivages de
l’Océan, s’arrêta sur la rive du Rhin. |
.. |
.. | Haec ad septentrionem.
Sub meridiano tumultuatum magis quam bellatum est. Musulanios atque Getulos,
adcolas Syrtium, Cosso duce, compescuit : unde illi Getulici nomen. Latius
victoria patet. Marmaridas atque Garamantas Quirinio subigendos dedit.
Potuit et ille redire Marmaricus, sed modestior in aestimanda victoria
fuit. |
.... | Ces
événements se passaient au septentrion. Au midi, il y eut
plutôt des tumultes que des guerres. César réprima
les Musulaniens et les Gétules, voisins des Syrtes, par les armes
de Cossus, qui en reçut le nom de Getulique. Il étendit plus
loin ses triomphes. Il chargea Quirinius de soumettre les Marmarides et
les Garamantes. Ce général pouvait aussi revenir avec le
surnom de Marmarique; mais il fut plus modeste appréciateur de sa
victoire. |
.. |
.. | Ad orientem
plus negotii cum Armeniis. Huc alterum ex Caesaribus, nepotibus suis, misit.
Ambo fato breves, sed alter inglorius. Massiliae quippe morbo Lucius solvitur,
in Syria Caius ex vulnere occubuit, quum Armeniam ad Parthos se subtrahentem
recipit. Armenios victo rege Tigrane in hoc unum servitutis genus Pompeius
assueverat, ut rectores a nobis acciperent. Intermissum ergo jus per hunc
recuperatum non incruento, nec inulto tamen certamine. Quippe Domnes, quem
rex Artaxatis praefecerat, simulata proditione adortus virum intentum libello,
quem ut thesaurorum rationes continentem ipse porrexerat, strictus ac recreatus
ex vulnere in tempus. Ceterum barbarus undique infesto exercitu oppressus,
gladio et pyra, in quam se percussus immisit, superstiti etiamnum Caesari
satisfecit. |
.... | En
Orient, on eut plus de peine à soumettre les Arméniens. Auguste
envoya contre eux l’un des Césars, ses petits-fils. Le destin ne
leur accorda qu’une courte vie à tous deux; et celle de l’un fut
sans gloire. Lucius mourut de maladie à Marseille, Caius, en Syrie,
d’une blessure reçue en reconquérant l’Arménie qui
venait de se livrer aux Parthes. Pompée, vainqueur du roi Tigrane,
n’avait assujetti les Arméniens qu’à un seul genre de servitude;
c’était de recevoir de nous leurs gouverneurs. Ce droit, dont l’usage
avait été interrompu, Caius le recouvra par une victoire
sanglante, mais qui ne resta pas sans vengeance. En effet, Domnès,
à qui le roi avait confié le gouvernement d’Artaxate, feignant
de trahir ce prince, et marchant avec effort, comme à peine guéri
d’une blessure récente, remit à Caius un mémoire contenant,
disait-il, l’état des trésors de Tigrane; et, tandis que
ce général le lisait attentivement, il se jeta sur lui. Le
Barbare, poursuivi et enveloppé par les soldats irrités,
se perça de son glaive, et courant se jeter dans un bûcher,
satisfit d’avance aux mânes de César qui lui survivait. |
.. |
.. | Sub occasu pacata
erat fere omnis Hispania, nisi quam Pyrenaei desinentis scopulis inhaerentem
citerior alluebat Oceanus. Hic duae validissime gentes, Cantabri et Astures,
inmunes imperii agitabant. Cantabrorum et pejor et altior et magis pertinax
in rebellando animus fuit : qui non contenti libertatem suam defendere,
proximis etiam imperitare tentabant; Vaccaeosque et Curgionos et Autrigonas
crebris incursionibus fatigabant. In hos igitur quia vehementius agere
nuntiabantur, non mandata expeditio, sed sumpta est. Ipse venit Segisamam
: castra posuit. Inde, tripertito exercitu, totam in diem amplexus Cantabriam,
efferam gentem, ritu ferarum, quasi indagine, debellabat. Nec ab Oceano
quies, quum infesta classe ipsa quoque terga hostium caederentur. Primum
adversus Cantabros sub moenibus Vellicae proeliatus est. Hinc fuga in eminentissimum
Vinnium montem, quem maria prius Oceani quam arma Romana adscensura esse
crediderant. Tertio Arracillum oppidum magna vi repugnat. Captum tamen
postremo fuit. In Aedulli montis obsidio, quem perpetua quindecim milium
fossa comprehensum cinxit, undique simul adeunte Romano, postquam extrema
barbari vident, certatim igne, ferro inter epulas venenoque, quod ibi vulgo
ex arboribus taxeis exprimitur, praecepere mortem, seque pars major a captivitate,
***quae morte gravior ad id tempus indomitis videbatur, vindicavere.*** |
.... | A
l’Occident, presque toute l’Espagne était pacifiée; il ne
restait à soumettre que la partie qui touche aux extrémités
des Pyrénées et que baigne l’Océan citérieur.
Là, deux puissantes nations, les Cantabres et les Astures, vivaient
indépendantes de notre empire. Les Cantabres furent les plus dangereux,
les plus fiers, les plus obstinés dans leur rébellion. Non
contents de défendre leur liberté, ils tentaient encore d’asservir
leurs voisins, et fatiguaient de leurs fréquentes incursions les
Vaccéens, les Curgioniens et les Autrigones. A la nouvelle de ces
mouvements et de ces violences, César, sans confier à d’autres
cette expédition, l’entreprend lui-même. Il se rend à
Ségisama, et y place son camp; puis, divisant son armée,
il investit à un jour fixé toute la Cantabrie, et soumet
cette nation farouche, en la cernant de toutes parts, comme des bêtes
fauves qu’on veut prendre dans des toiles. Il ne leur laisse pas plus de
repos du côté de l’Océan, et les attaque par derrière
avec une flotte formidable. La première bataille contre ces Cantabres
se livre sous les murs de Vellica, d’où ils s’enfuient sur le mont
Vinnius, dont le sommet est si élevé qu’il leur semblait
que les flots de l’Océan y monteraient plutôt que les armes
romaines. Ils soutiennent vigoureusement un troisième assaut dans
leur ville d’Arracillum; mais enfin cette place est emportée. Assiégés
sur le mont Edule que les Romains avaient entouré d’une tranchée
de quinze milles de circuit, et dont ils pressaient l’attaque de tous côtés,
les Barbares, se voyant réduits aux dernières extrémités,
avancent leur mort, au milieu d’un repas, par le feu, par le fer et par
un poison qu’ils expriment communément de l’if : c’est ainsi que
la plus grande partie de ce peuple se sauva de la captivité ***qui
paraissait alors à des peuples indomptés plus pénible
que la mort.*** |
.. |
.. | .Haec per Antistium
Furnium, Agrippam, legatos, hibernans in Tarraconis maritimis Caesar accepit.
Ipse praesens hos deduxit montibus, hos obsidibus adstrinxit, hos sub corona
jure belli venundedit. Digna res lauro, digna curru senatui visa est; sed
jam Caesar tantus erat ut posset triumphos contemnere. |
.... | La
nouvelle de ces succès, dus à Antistius, à Furnius
et à Agrippa, lieutenants de César, lui parvint dans ses
quartiers d’hiver à Tarragone, place maritime. Il alla tout régler
en personne, fit descendre les uns de leurs montagnes, exigea des autres
des otages, et vendit le reste à l’encan, selon le droit de la guerre.
Ces exploits furent jugés, par le sénat, dignes du laurier,
dignes du char triomphal; mais déjà César était
assez grand pour pouvoir dédaigner ces honneurs. |
.. |
.. | . Astures per idem
tempus ingenti agmine a montibus suis descenderant. Nec temere sumptus,
ut barbaris, impes; sed positis castris apud Asturam flumen trifariam diviso
agmine, tria simul Romanorum castra aggredi parabant. Fuisset et anceps
et cruentum et utinam mutua clade certamen! cunctis tam fortibus, tam subito,
tam cum consilio venientibus, nisi Brigaecini prodidissent : ** a quibus
praemonitus Carisius cum exercitu advenit. Pro ut victoria fuit oppressisse
consilia, sic tamen quoque non incruento certamine.** Reliquias fusi exercitus
validissima civitas Lancia excepit : ubi adeo certatum est, ut quum in
captam urbem faces poscerentur, aegre dux impetrarit veniam, ut victoriae
Romanae stans potius esset quam incensa monumentum. |
.... | En
ce même temps, les Asturien, formant une armée considérable,
étaient descendus de leurs montagnes. Leur mouvement n’eut pas la
téméraire impétuosité qui caractérise
les Barbares: campés près du fleuve Astura, et divisés
en trois corps, ils se disposaient à attaquer les trois camps des
Romains à la fois. Contre tant d’ennemis si courageux, et dont la
marche était aussi inattendue que prudente, la lutte eût été
douteuse et meurtrière : et plût aux dieux que la perte fût
demeurée égale de part et d’autre! ** Mais les Asturiens
furent trahis par les Brigécins. Averti par ces derniers, Carisius
vint au-devant de l’ennemi avec son armée. C'était comme
une victoire d'avoir détruit leurs projets, bien que ce fût
encore au prix d'un combat sanglant.** Les débris de l’armée
vaincue furent recueillis dans la très puissante ville de Lancia.
On se battit sous les murs avec tant d’acharnement que nos soldats, maîtres
de la place, demandaient des torches pour l’embraser; le général
n’obtint qu’avec peine qu’ils épargnassent cette cité, qui,
conservée, servirait bien mieux qu’incendiée de monument
à leur victoire. |
.. |
.. | .Hinc finis Augusto
bellicorum certaminum fuit; idem rebellandi finis Hispaniae. Certa mox
fides et aeterna pax; quum ipsorum ingenio in pacis artes promptiore, tum
consilio Caesaris, qui fiduciam montium timens, in quos se recipiebant,
castra sua, sed quae in plano erat, habitare et incolere jussit. Ingentis
esse consilium illud observari ccoepit. Natura regionis circa omnis aurifera,
miniique et chrysocollae, et aliorum colorum ferax; itaque exerceri solum
jussit. Sic Astures et latens in profundo opes suas atque divitias, dum
aliis quaerunt, nosse coeperunt. |
.... | Tel
fut le terme des exploits guerriers d’Auguste; tel fut celui des révoltes
de l’Espagne. Cette province montra depuis une fidélité à
toute épreuve et jouit d’une paix éternelle; effet, soit
du caractère de ses habitants devenus plus amis du repos, soit de
la politique de César qui, redoutant la confiance que leur donnaient
les montagnes où ils trouvaient une retraite, les contraignit de
fixer leurs habitations et leur séjour dans les cantonnements établis
dans la plaine. On ne tarda pas à reconnaître la sagesse de
ces mesures. Toute cette contrée est naturellement fertile en or,
en vermillon, en chrysocolle et en autres matières dont on fait
les couleurs. César obligea ces peuples à exploiter un sol
aussi fécond; et ce fut, en cherchant pour les autres leurs propres
trésors et leurs richesses, cachés dans les profondeurs de
la terre, que les Asturiens commencèrent à les connaître. |
.. |
.. | Omnibus ad occasum
et meridiem pacatis gentibus, ad septentrionem quoque, dumtaxat intra Rhenum
atque Danubium, item ad orientem intra Cyrum et Euphratem, illi quoque
reliqui, qui immunes imperii erant, sentiebant tamen magnitudinem et victorem
gentium populum Romanum reverebantur. Nam et Scythae misere legatos et
Sarmatae amicitiam petentes. Seres etiam habitantesque sub ipso sole Indi,
cum gemmis et margaritis elephantes quoque inter munera trahentes, nihil
magis quam longinquitatem viae imputabant, quam quadriennio inpleverant;
et tamen ipse hominum color ab alio venire caelo fatebatur. Parthi quoque,
quasi victoriae paeniteret, rapta clade Crassiana ultro signa retulere.
|
.... | Tous
les peuples étaient en paix à l’occident et au midi; au septentrion,
depuis le Rhin jusqu’au Danube; à l’orient, depuis le Cyrus jusqu’à
l'Euphrate. Ceux même qui n’étaient pas soumis à notre
empire sentaient cependant notre grandeur et révéraient,
dans le peuple romain, le vainqueur des nations. Ainsi l’on vit les Scythes
et les Sarmates nous envoyer des ambassadeurs pour nous demander notre
amitié; et les Sères et les Indiens, qui habitent sous le
Soleil même, nous apporter des perles et des diamants, et ajouter
à ces dons des éléphants, qu’ils avaient traînés
avec eux. Ils faisaient surtout valoir la longueur de leur voyage, qu’ils
avaient mis quatre ans à achever. La couleur seule de ces hommes
annonçait qu’ils venaient d’un autre hémisphère. Enfin
les Parthes, comme s’ils se fussent repentis de leur victoire, rapportèrent
d’eux-mêmes les étendards pris dans la défaite de Crassus. |
.. |
.. | .Sic ubique certa
atque continua totius generis humanis aut pax fuit aut pactio; aususque
tandem Caesar Augustus septingentesimo ab Urbe condita anno, Janum geminum
cludere, bis ante se clusum sub Numa rege et victa primum Carthagine. Hinc
conversus ad pacem pronum in omnia mala et in luxuriam fluens saeculum,
gravibus severisque legibus multis coercuit. Ob haec tot facta ingentia
dictator perpetuus et pater patriae. Tractatum etiam in senatu an, quia
condidisset imperium, Romulus vocaretur; sed sanctius et reverentius visum
est nomen Augusti, ut scilicet jam tum, dum colit terras, ipso nomine et
titulo consecraretur. |
.... | Ainsi
tout le genre humain fut réuni par une paix ou une alliance universelle
et durable; et César Auguste osa enfin, sept cents ans après
la fondation de Rome, fermer le temple de Janus au double front; cérémonie
qui n’avait eu lieu que deux fois avant lui, sous le roi Numa, et après
notre première victoire sur Carthage. Tournant désormais
ses soins vers la paix, il réprima, par un grand nombre de lois
sages et sévères, un siècle enclin à tous les
vices et porté à la mollesse. Pour prix de tant de grandes
actions, il fut proclamé Dictateur perpétuel et Père
de la patrie. On délibéra même dans le sénat
si, pour avoir fondé l’empire, il ne serait pas appelé Romulus;
mais le nom d’Auguste, jugé plus saint et plus vénérable,
fut préféré comme un titre qui devait, pendant son
séjour sur la terre, le consacrer d’avance à l’immortalité. |
.. |