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Scène 1
Sosia Qui me alter est audacior homo, aut qui confidentior, juventutis mores qui sciam qui hoc noctis solus ambulem? quid faciam nunc, si treis viri me in carcerem compegerint? Inde cras quasi e promptaria cella depromar ad flagrum, nec causam liceat dicere mihi, neque in hero quicquam auxili siet nec quisquam sit quin me omneis esse dignum deputent. (460) Ita quasi incudem me miserum homines octo validi caedant: ita peregre adveniens hospitio publicitus accipiar. Haec heri immodestia coegit me, qui hoc noctis a portu ingratiis excitavit. |
Sosie Quelle audace! Vit-on jamais homme plus téméraire que moi? Quand je sais comment se comporte notre jeunesse aujourd'hui, cheminer seul, la nuit, à l'heure qu'il est! Mais que deviendrais-je, si les triumvirs me fourraient en prison? Demain on me tirerait de la cage pour me donner les étrivières. Je ne pourrais pas m'expliquer; mon maître ne serait pas là pour me défendre, et personne n'aurait pitié de moi, pendant que huit robustes gaillards battraient mon pauvre dos comme une enclume. Voilà la belle réception que me fera la république à mon retour. C'est la faute de mon maître, aussi. Quelle dureté, à peine dans le port, de m'envoyer, bon gré, mal gré, à cette heure de la nuit! |
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10 - Nonne idem hoc luci me mittere potuit?
Opulento homini hoc servitus dura est : hoc magis miser est divitis servos; nocteisque diesque adsiduo satis superque est, quo facto aut dicto est opus, quietus ne sis. Ipse dominus dives operis et laboris expers, quodcumque homini accidit libere, posse retur, aequom esse putat; non reputat laboris quid sit, nec, aequom anne iniquom inperet, cogitabit. Ergo in servitute expetunt multa iniqua; |
Ne pouvait-il pas attendre jusqu'au jour pour
ce message?
Que la servitude chez les riches est une rude condition, et que malheureux est l'esclave d'un grand! Nuit et jour, à chaque instant, mille choses à dire ou à faire. Jamais de repos. Le maître, exempt de travail, vous taille largement la besogne. Tout ce qui lui passe par la tête lui semble juste et raisonnable. Que ses ordres vous donnent beaucoup de mal, qu'ils excèdent ou non vos forces, il n'en tient compte, il n'y songe seulement pas. Ah! qu'on a d'injustices à souffrir quand on sert! |
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20 - habendum et ferundum hoc onu'st cum labore.
Mercurius Satius est me queri illo modo servitutem; hodie qui fuerim liber, eum nunc potivit pater servitutis : hic, qui verna natus est, queritur. (180) Sum vero verna verbero. Sosia Numero mihi in mentem fuit, dis advenientem gratias pro meritis agere atque adloqui? Ne illi, edepol, si merito meo referre studeant gratias, aliquem hominem adlegent, qui mi advenienti os occillet probe; quoniam bene quae in me fecerunt ingrata ea habui atque inrita. Mercurius Facit ille, quod volgo haud solent, ut quid se sit dignum sciat. |
et
cependant il faut garder, supporter ce fardeau avec tous ses ennuis.
Mercure (à part). J'aurais plus de droit de pester contre la servitude, moi, qui hier étais libre, et que mon père a réduit à servir aujourd'hui. Il lui sied bien de se plaindre, lui, esclave de naissance, quand me voilà devenu un franc maraud à étriller! Sosie Il m'est venu tout à l'heure à la pensée de prier les dieux, et de leur rendre les actions de grâce qu'ils ont méritées. Par Pollux ! s'ils me récompensaient selon mes mérites, ils m'enverraient quelque égrillard qui me labourerait comme il faut le visage; car j'ai si mal reconnu et si peu mis à profit leurs bontés pour moi... Mercure (à part). Il fait là ce que ne font guère les hommes, il se rend justice. |
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Sosia
30 - Quod numquam opinatus fui, neque alius quisquam civium. Sibi eventurum, id contigit, ut salvi poteremur domi. Victores victis hostibus legiones reveniunt domum, duello exstincto maxumo atque internecatis hostibus. Quod multa Thebano poplo acerba objecit funera, id vi et virtute militum victum atque expugnatum oppidum 'st, imperio atque auspicio heri mei Amphitruonis maxume. Praeda atque agro adoriaque adfecit populareis suos regique Thebano Creoni regnum stabilivit suum. Me a portu praemisit domum, ut haec nuntiem uxori suae, |
Sosie
Nous sommes plus heureux que je ne l'espérais et que nous ne l'espérions tous; nous voilà revenus chez nous, sains et saufs. Une terrible guerre a pris fin, l'ennemi est vaincu et taillé en pièces; et nos soldats rentrent victorieux dans leurs foyers. Ce peuple, qui fut cause de tant de funérailles prématurées pour la nation thébaine, vient d'être battu et conquis par la force et le courage de nos troupes, sous le commandement et sous les auspices d'Amphitryon, mon maître. Amphitryon a enrichi ses concitoyens de butin, de terre et de gloire, et a raffermi le trône de Créon, roi des Thébains. Aujourd'hui, à peine débarqué, il me dépêche en avant pour annoncer à son épouse |
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40 - ut gesserit rem publicam ductu, inperio,
auspicio suo.
Ea nunc meditabor, quomodo illi dicam, quom illo advenero. Si dixero mendacium, solens meo more fecero; nam quom pugnabant maxume, ego tum fugiebam maxume. (200) Verumtamen quasi adfuerim tamen simulabo, atque audita eloquar. Sed quomodo et verbis quibus me deceat fabularier prius ipse mecum etiam volo heic meditari; sic hoc proloquar : principio ut illo advenimus, ubi primum terram tetigimus, continuo Amphitruo delegit viros primorum principes, eos legat, Telebois jubet sententiam ut dicant suam : |
ces triomphes dus à
son habileté de chef, à sa fortune.
Essayons un peu de quelle manière je ferai mon récit. Si je mens, ce sera agir comme de coutume et selon mon génie. Au plus fort du combat, je me cachais de toutes mes forces. N'importe, je ferai comme si j'avais été présent à l'action, je répéterai ma leçon. Mais, pour m'exprimer en termes convenables, il est bon que je me prépare. Je débuterai ainsi : d'abord, lorsque nous fûmes arrivés et que nous eûmes pris terre, Amphitryon, sans perdre de temps, choisit parmi ses principaux officiers une ambassade pour déclarer aux Téléboens ses résolutions : |
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50 - si sine
vi et sine bello velint rapta et raptores tradere,
si quae absportassent, redderent, se exercitum extemplo domum reducturum, abituros agro Argivos, pacem atque otium dare illis; sin aliter sient animati, neque dent quae petat, sese igitur summa vi virisque eorum oppidum expugnassere. Haec ubi Telebois ordine iterarunt quos praefecerat Amphitruo, magnanimi viri, freti virtute et viribus, superbi, nimis ferociter, legatos nostros increpant, respondent bello se et suos tutari posse; proinde uti propere de finibus suis exercitus deducerent. |
s'ils veulent
restituer sans violence ni guerre ce qu'ils ont enlevé,
et livrer les biens ravis avec les ravisseurs, il remmènera sans délai son armée hors de leur territoire, et les Argiens les laisseront tranquilles et en paix; mais s'ils s'obstinent à lui refuser la justice qu'il demande, leur ville succombera sous l'assaut de ses armes. Les chefs de l'ambassade s'acquittent exactement du message; mais les fiers Téléboens, pleins d'une confiance insolente en leur puissance et en leur valeur, répondent par l'injure et la menace à nos ambassadeurs; ils sauront bien se défendre et protéger leur pays : ainsi, que les Thébains se hâtent d'en retirer leurs troupes. |
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60 - Haec ubi legati pertulere, Amphitruo castris
inlico
producit omnem exercitum : contra Teleboae ex oppido legiones educunt suas, nimis pulcris armis praeditas. Postquam utrimque exitum'st maxuma copia, dispartiti viri, dispartiti ordines; nos nostras more nostro et modo instruximus legiones; item hosteis contra legiones suas instruunt. Deinde utrique inperatores in medium exeunt extra turbam ordinum, colloquontur simul. Convenit, victi utri sint eo proelio, |
A peine Amphitryon
a-t-il reçu cette réponse, il met aussitôt
toute son armée en campagne; les Téléboens sortent de leurs murs, couverts de si belles armes! On déploie de part et d'autre toutes les forces. Les soldats prennent leur poste, les rangs s'alignent; nos légions ont pris leurs dispositions ordinaires, celles de l'ennemi en face se forment en bataille. Alors les généraux
s'avancent entre les deux armées,
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70 - urbem, agrum, aras, focos, seque uti dederent.
postquam id actum'st, tubae utrimque canunt, contra consonat terra; clamorem utrimque efferunt. Imperator utrimque hinc et illinc Jovi vota suscipere, hortari exercitum. Pro se quisque id quod quisque potest et valet, edit, ferro ferit; tela fragunt, boat caelum fremitu virum; ex spiritu atque anhelitu nebula constat; cadunt volneris vi et virium, denique, ut voluimus, nostra superat manus; |
avec leur
ville, leur territoire, leurs autels et leurs foyers.
Aussitôt la trompette sonne des deux côtés, la plaine retentit; des deux côtés on pousse des cris de guerre. Les généraux implorent Jupiter, et exhortent leurs armées. Chacun montre par les coups qu'il porte tout ce qu'il a de vigueur et de courage. Les traits se brisent; le ciel mugit du frémissement de la mêlée, et la vapeur des haleines se condense en nuage. Partout des blessés abattus par la violence de la charge. Enfin, nous sommes exaucés, nous avons l'avantage; les rangs de l'ennemi |
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80 - hosteis crebri cadunt, nostri contra ingruunt.
Vicimus vi feroceis. Sed fugam in se tamen nemo convortitur, nec recedit loco quin statim rem gerat. Animam amittunt prius quam loco demigrent: quisque, ut steterat, jacet obtinetque ordinem. Hoc ubi Amphitruo herus conspicatus est, inlico equites jubet dextera inducere. Equites parent citi, ab dextera maxumo cum clamore involant impetu alacri, foedant et proterunt hostium copias jure injustas. |
sont moissonnés
: nos soldats le pressent et l'accablent;
la victoire est à nous. Mais pas un combattant ne songe à la fuite, pas un ne recule. Tous de pied ferme et de coeur intrépide, ils se font tuer plutôt que de céder; chacun tombe mort à son rang, et le tient encore. A cette vue, Amphitryon, mon maître, commande soudain un mouvement de droite à sa cavalerie. L'ordre s'exécute à toute bride; les cavaliers fondent sur les bataillons en poussant de grands cris, les rompent, les écrasent sous les sabots des chevaux : juste vengeance de l'injure! |
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Mercurius
90 - Numquam etiam quicquam adhuc verborum est prolocutus perperam; namque ego fui illeic in re praesenti, et meus, quom pugnatum'st, pater. Sosia Perduelleis penetrant se in fugam; ibi nostris animus additu'st, vortentibus Telebois; telis complebantur corpora. Ipsusque Amphitruo regem Pterelam sua obtruncavit manu. Haec illeic est pugnata pugna usque a mane ad vesperum. Hoc adeo hoc conmemini magis, quia illo die inpransus fui. Sed proelium id tandem diremit nox interventu suo. Postridie in castra ex urbe ad nos veniunt flenteis principes velatis manibus orant ignoscamus peccatum suum; |
Mercure
(à part).
Jusqu'à présent son récit est exact de tout point. J'étais présent à l'action avec mon père. Sosia Les ennemis se dispersent, les nôtres redoublent d'ardeur en voyant fuir les Téléboens; ils les percent d'une grêle de traits; Amphitryon lui-même tue de sa main leur roi Ptérélas. Ainsi se termina la bataille, qui avait duré depuis le matin jusqu'au soir. J'ai de bonnes raisons de m'en souvenir; car il me fallut rester l'estomac vide toute la journée. C'est la nuit qui arrêta la lutte. Le lendemain, les chefs de la cité viennent au camp, le visage en larmes, les mains voilées de bandelettes; ils nous prient de leur pardonner leur faute |
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100 - deduntque se, divina humanaque omnia,
urbem et liberos,
in ditionem atque in arbitratum cuncti Thebano poplo, post ob virtutem hero Amphitruoni patera donata aurea'st. Qui Pterela potitare rex solitus'st. Haec sic dicam herae. Nunc pergam heri imperium exsequi et me domum capessere. Mercurius Attat; illic huc ituru'st! ibo ego illi obviam. Neque ego hunc hominem hodie ad aedeis has sinam unquam adcedere. Quando imago'st hujus in me, certum'st hominem eludere. Et enim vero, quoniam formam cepi hujus in med et statum, decet et facta moresque hujus habere me simileis item. |
et se livrent
corps et biens, avec leurs dieux, leur ville, leurs enfants,
au pouvoir et à la merci du peuple thébain. Ensuite, Amphitryon reçut pour prix de sa valeur la coupe d'or dont le roi Ptérélas avait coutume de se servir à table. Voilà comme je parlerai à ma maîtresse. Mais hâtons-nous d'exécuter les ordres de mon maître et de rentrer chez nous. Mercure (à part). Oh! oh! il vient de ce côté. Je vais lui barrer le chemin, et j'empêcherai bien le gaillard d'approcher de cette maison de toute la journée. Je porte son masque, il faut que je m'amuse à ses dépens. Et vraiment oui, puisque j'ai pris son port et sa figure, je dois lui ressembler par les actions et par le caractère. |
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110 - Itaque me malum esse oportet, callidum,
astutum admodum
atque hunc, telo suo sibi, malitia, a foribus pellere. Sed quid illuc est? caelum adspectat; observabo quam rem agat. Sosia Certe edepol, scio, si aliud quidquam'st quod credam aut certo sciam, credo ego hac noctu Nocturnum obdormivisse ebrium. Nam neque se Septemtriones quoquam in caelo commovent, neque se Luna quoquam mutat atque uti exorta est semel, nec Jugulae neque Vesperugo neque Vergiliae obcidunt. Ita statim stant signa; neque nox quoquam concedit die. Mercurius Perge, Nox, ut obcepisti, gere patri morem meo. |
Soyons
donc fourbe, rusé, armons-nous de malice,
et chassons-le d'ici avec ses propres armes. Mais qu'a-t-il donc? Il regarde le ciel. Que veut-il faire? Voyons. Sosie Oh! c'est sûr, par Pollux! rien n'est plus sûr; le bon Nocturnus se sera endormi de saoulerie. Grande ni petite Ourse ne bouge dans le ciel; la lune reste comme un terme au point où elle s'est levée; les étoiles d'Orion ne se couchent pas, non plus que Vesper, ni les Pléiades. Les astres demeurent cloués en place; et la nuit ne veut pas faire place au jour. Mercure (à part) Continue ainsi que tu as commencé, ô nuit! exécute l'ordre de mon père. |
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120 - Optume optumo optumam operam das; datam
polchre locas.
Sosia Neque ego hac nocte longiorem me vidisse censeo, nisi item unam, verberatus quam pependi perpetem. Eam quoque, edepol, etiam multo haec vicit longitudine. Credo, edepol, equidem dormire Solem, atque adpotum probe. Mira sunt, nisi invitavit sese in cena plusculum. Mercurius Ain vero, verbero? deos esse tui simileis putas? Ego pol te istis tuis pro dictis et male factis, furcifer, adcipiam; modo, sis, veni huc, invenies infortunium. Sosia Ubi sunt isti scortatores, qui soli inviti cubant? |
Tu
sers très dignement un très digne maître; tu fais un
bon placement.
Sosie Je ne vis jamais de nuit aussi longue. Si, une seule! la nuit où, meurtri de coups, je comptai les heures tant qu'elle dura? Pour celle-là, par Pollux! sa longueur fut bien plus grande encore. Vraiment je crois que Phébus fait un somme pour cuver son vin. Je serais étonné s'il ne s'était un peu trop festoyé à table. Mercure (à part) Qu'est-ce à dire, maraud? crois-tu que les dieux te ressemblent? Je vais te payer pour ces insolences et pour ces méfaits, coquin. Tu n'as qu'à venir, tu recevras ton compte. Sosie Où sont les libertins qui n'aiment pas à coucher seuls? |
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130 - Haec nox scita'st exercendo scorto conducto
male.
Mercurius Meus pater nunc pro hujus verbis recte et sapienter facit, quid complexus cum Alcumena cubat amans, animo obsequens. Sosia Ibo ut herus quod imperavit Alcumenae nuntiem. Sed quis hic est homo, quem ante aedeis video hoc noctis? non placet. Mercurius
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Voici une
nuit excellente pour faire gagner aux filles l'argent qu'elles coûtent.
Mercure (à part) Eh bien! à son compte, mon père en use fort sagement; il goûte à présent dans le lit d'Alcmène tous les plaisirs de l'amour. Sosie Allons nous acquitter du message dont Amphitryon m'a chargé pour Alcmène. (Apercevant Mercure.) Mais qui est-ce qui se tient là devant la maison à cette heure de nuit? Cela ne me dit rien de bon. Mercure (à part). II n'y a pas de plus grand poltron. Sosie (à part). Je me figure que cet homme est venu tout exprès pour rebattre mon manteau. Mercure (à part). Il a peur. Je veux m'en amuser. Sosie (à part). C'est fait de moi. La mâchoire me démange. Certainement il va me régaler d'une provision de coups pour mon arrivée. Il est trop bon; mon maître |
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140 - fecit ut vigilarem, hic pugnis faciet
hodie ut dormiam.
Oppido interii: obsecro hercle, quantus et quam validus est! Mercurius Clare advorsum fabulabor; hic auscultet quae loquar. Igitur magi' modum in majorem in sese concipiet metum. Agite, pugni; jam diu'st, quod ventri victum non datis: jam pridem videtur factum, here quod homines quatuor in soporem collocastis nudos. Sosia Formido male, ne ego heic nomen meum commutem, et Quintus fiam e Sosia. Quatuor viros sopori se dedisse hic autumat; metuo ne numerum augeam illum. Mercurius Hem, nunc jam ergo: sic volo. |
m'a fait
veiller, lui avec ses gourmades veut me faire dormir.
Je suis mort! Voyez, par Hercule! qu'il est grand et robuste! Mercure (à part). Parlons haut pour qu'il m'entende; il faut redoubler son effroi. (Haut.) Allons! mes poings, il y a longtemps que vous n'avez été bons pourvoyeurs. Il me semble qu'il s'est passé un siècle, depuis qu'hier vous couchâtes par terre ces quatre hommes bien endormis las et nus comme ver. Sosie (à part). Ah! quelle peur j'ai de changer de nom aujourd'hui! de Sosie je deviendrai Quintus! II dit qu'il a couché par terre quatre hommes : je tremble d'augmenter le nombre. Mercure (dans l'attitude d'un homme qui se prépare à frapper). Or çà, à nous deux; comme cela. |
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Sosia
150 - Cingitur certe, expedit se. Mercurius Non feret quin vapulet. Sosia Quis homo? Mercurius Quisquis homo huc profecto venerit, pugnos edet. Sosia Apage, non placet me hoc noctis esse; cenavi modo; proin tu istam cenam largire, si sapis, esurientibus. Mercurius. Haud malum huic est pondus pugno. Sosia Perii! pugnos ponderat. Mercurius Quid si ego illum tractim tangam, ut dormiat? Sosia Servaveris; nam continuas has treis nocteis pervigilavi. Mercurius Pessumum'st, facimus! nequiter ferire malam male discit manus. Alia forma oportet esse quem tu pugno legeris. Sosia Illic homo me interpolabit, meumque os finget denuo. |
Sosie (à part).
Le voilà sous les armes; il est tout prêt. Mercure (à part). Il ne s'en ira pas sans se faire rosser. Sosie (à part). Qui donc? Mercure Le premier que je rencontrerai... je lui fais avaler mes poings. Sosie (à part). Non, non, je ne mange pas la nuit, si tard; je viens de souper. Tu feras mieux de servir ce repas à des gens en appétit. Mercure (à part). Ces poings-là sont d'un assez bon poids. Sosie (à part).. Je suis perdu! il pèse ses poings. Mercure Si je commençais à le caresser pour l'endormir? Sosie (à part). Tu me ferais grand bien. Voilà trois nuits que je ne dors pas. Mercure Je suis très mécontent de ma main. Elle ne sait plus frapper comme il faut une joue. Il faut qu'un homme ne soit plus reconnaissable, quand on lui a frotté le museau avec le poing. Sosie (à part). Il va me mettre en presse, et me façonner à neuf la figure. |
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Mercurius
160 - Exossatum os esse oportet, quem probe percusseris. Sosia
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Mercure
(à part).
Il faut qu'il ne reste pas un seul os à une mâchoire, si les coups ont été bien appliqués. Sosie (à part). Je suis sûr qu'il a envie de me désosser comme une murène. Va-t'en, vilain désosseur d'hommes. C'est fait de moi, s'il m'aperçoit. Mercure (à part). Ne sens-je pas ici quelqu'un? C'est tant pis pour lui. Sosie (à part). O ciel l est-ce que j'ai de l'odeur? Mercure Il ne peut pas être éloigné. (Avec une ironie menaçante.) Mais il faut qu'il revienne de loin. Sosie (à part). C'est un sorcier. Mercure (à part). Les poings me démangent. Sosie (à part). Si tu les apprêtes pour moi, attendris-les un peu contre la muraille. Mercure (à part). Des paroles ont volé jusqu'à mes oreilles. Sosie (à part). Que je suis malheureux d'avoir une voix oiseau! il fallait lui couper les ailes. Mercure (à part). Il vient au galop chercher sa ruine. |
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Sosia.
170 - Non equidem ullum habeo jumentum. Mercurius Onerandu'st pugnis probe. Sosia. Lassus sum, hercle, e navi, ut vectus huc sum; etiam nunc nauseo. Vix incedo inanis; ne ire posse cum onere existumes. Mercurius Certe enim hic nescio quis loquitur. Sosia. Salvos sum, non me videt: Nescio quem loqui autumat; mihi certo nomen Sosia'st. Mercurius Hinc enim mihi dextera vox aureis, ut videtur, verberat. Sosia Metuo, vocis ne vicem hodie heic vapulem, quae hunc verberat. Mercurius Optume, eccum, incedit ad me. Sosia Timeo, totus torpeo. Non, edepol, nunc ubi terrarum sim scio, si quis roget, neque miser me conmovere possum prae formidine. |
Sosie (à
part).
Je ne suis pas le moindrement à cheval. Mercure (à part). Allons! une bonne charge de coups. Sosie (à part). La traversée m'a bien assez fatigué. J'ai encore mal au coeur. A peine si je puis marcher sans rien porter; comment veux-tu que j'aille avec ton fardeau? Mercure (à part). Assurément, j'entends ici parler je ne sais qui. Sosie (à part). Je suis sauvé, il ne m'a pas vu. Il dit qu'il a entendu parler je ne sais qui; moi, je m'appelle Sosie. Mercure (à part). Une voix, ce me semble, est venue de ce côté frapper mon oreille. Sosie (à part). J'ai peur de payer aujourd'hui pour ma voix qui le frappe. Mercure Le voici justement qui s'approche. Sosie (à part). J'ai peur, je tremble de tout mon corps. Je ne saurais dire, si on me le demande, en quel lieu de la terre je suis dans ce moment. La terreur me rend perclus, immobile; |
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180 - Ilicet, mandata heri perierunt una et
Sosia.
Verum certum'st confidenter hominem contra conloqui, qui possim videri huic fortis, a me ut abstineat manum. Mercurius Quo ambulas tu, qui Volcanum in cornu conclusum geris? Sosia Quid id exquiris tu, qui pugnis os exossas hominibus? Mercurius Servos esne, an liber? Sosia Utcunque animo conlubitum'st meo. Mercurius Ain' vero? Sosia Aio enim vero. Mercurius Verbero! Sosia Mentiri' nunc. Mercurius At jam faciam ut verum dicas dicere. Sosia Quid eo'st opus? Mercurius Possum scire, quo profectus, quojus sis, aut quid veneris? Sosia Huc eo; heri mei sum servos; numquid nunc es certior? |
c'en est
fait de Sosie et du message de mon maître.
Mais non, parlons vertement à cet homme, pour qu'il me croie du courage; il n'osera pas me toucher. Mercure Où vas-tu, toi qui portes Vulcain dans cette prison de corne? Sosie Qu'est-ce que cela te fait, à toi qui brises les os des gens à coups de poing? Mercure Es-tu esclave ou homme libre? Sosie L'un ou l'autre, selon mon bon plaisir. Mercure Ah! çà, répondras-tu? Sosie Eh, je te réponds. Mercure Coquin! Sosie A l'instant tu mens. Mercure Je te ferai bientôt convenir que je dis vrai. Sosie Pourquoi faire? Mercure Puis-je enfin savoir où tu vas? à qui tu es? ce qui t'amène? Sosie Je vais là; j'appartiens à mon maître. Es-tu plus savant? |
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Mercurius
190 - Ego tibi istam hodie scelestam conprimam linguam. Sosia Haud potes? Bene pudiceque adservatur. Mercurius Pergin' argutarier? Quid apud hasce aedeis negotium'st tibi? Sosia Immo quid tibi'st? Mercurius Rex Creo vigiles nocturnos singulos semper locat. Sosia Bene facit; quia nos eramus peregre, tutatu'st domum : at nunc abi sane, advenisse familiareis dicito. Mercurius Nescio quam tu familiaris sis : nisi actutum hinc abis, familiaris adcipiere faxo haud familiariter. Sosia Heic, inquam, habito ego, atque horunc servos sum. Mercurius At scin' quomodo? Faciam ego hodie te superbum, nisi hinc abis. Sosia Quonam modo? |
Mercure
Je contraindrai bien ta coquine de langue à me céder. Sosie Tu crois? Ma langue est honnête fille. Mercure Tu ne cesseras pas d'ergoter? Qu'as-tu à faire auprès de cette demeure? Sosie Et toi-même? Mercure Le roi Créon met ici chaque nuit une sentinelle. Sosie Il fait bien. Nous étions au loin, il a protégé notre logis : mais tu peux t'en aller à présent; dis-lui que les gens de la maison sont de retour. Mercure Je ne sais à quel titre tu peux en être; mais si tu ne t'éloignes au plus vite, notre ami, tu ne seras pas reçu en ami de la maison. Sosie Mais je demeure ici, te dis-je, et je suis serviteur dans ce logis. Mercure Sais-tu bien...? Je ferai de toi un personnage à part, si tu ne t'en vas. Sosie Comment cela? |
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Mercurius
200 - Auferere, non abibis, si ego fustem sumpsero. Sosia Quin, me esse hujus familiae familiarem praedico. Mercurius Vide, sis; quam mox vapulare vis, nisi actutum hinc abis! Sosia Tun' domo prohibere peregre me advenientem postulas? Mercurius Haeccine tua domu'st? Sosia Ita, inquam. Mercurius Quis herus est igitur tibi? Sosia Amphitruo, qui nunc praefectu'st Thebanis legionibus; quicum nubta'st Alcumena. Mercurius Quid ais? quid nomen tibi'st? Sosia Sosiam vocant Thebani, Davo prognatum patre. Mercurius Nae tu istic hodie malo tuo conpositis mendaciis advenisti, audaciae columen, consutis dolis. |
Mercure
Oui, on t'emportera : tu ne t'en iras pas, si je prends un bâton. Sosie Tu as beau dire, je soutiens que je suis un des serviteurs de cette maison. Mercure Prends garde, tu vas être battu; dépêche-toi de partir. Sosie Comment! tu voudrais, quand j'arrive, m'interdire l'entrée de chez nous? Mercure C'est ici ta demeure? Sosie Je te dis que oui. Mercure Qui donc est ton maître? Sosie Amphitryon, maintenant général des Thébains, époux d'Alcmène. Mercure Quoi? quel est ton nom? Sosie A Thèbes on m'appelle Sosie, fils de Dave. Mercure O comble de l'effronterie! Venir avec un tissu de fourberies et de mensonges! Tu t'en repentiras. |
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Sosia
210 - Imo equidem tunicis consutis huc advenio, non dolis. Mercurius At mentiris etiam; certo pedibus, non tunicis venis. Sosia Ita profecto. Mercurius Nunc profecto vapula ob mendacium. Sosia Non, edepol, volo profecto. Mercurius At pol profecto ingratiis. Hoc quidem profecto certum'st, non est arbitrarium. Sosia Tuam fidem obsecro. Mercurius Tun' te audes Sosiam esse dicere, qui ego sum? Sosia Perii! Mercurius Parum etiam, praeut futurum'st, praedicas. Quojus nunc es? Sosia Tuus : nam pugnis usu fecisti tuum. Proh fidi Thebani civeis! Mercurius Etiam clamas, carnufex? Loquere, quid venisti? Sosia Ut esset quem tu pugnis caederes. |
Sosie
Point du tout, je viens avec un tissu de laine et non de mensonges. Mercure Encore un mensonge, car tu viens avec tes pieds et non avec un tissu de laine. Sosie Oui-dà. Mercure Oui-dà, tu mérites d'être rossé pour tes impostures. Sosie Oui-dà, par Pollux, je m'en passerai. Mercure Oui-dà, tu le seras malgré toi. Tiens, voilà qui est fait; on ne te demande pas ton avis. (Il le bat.) Sosie Grâce! par humanité! Mercure Oses-tu dire encore que tu es Sosie, quand c'est moi qui le suis? Sosie Je suis perdu ! Mercure Tu n'y es pas encore : ce sera bien autre chose. A qui appartiens-tu maintenant? Sosie A toi, puisque ton poing t'a mis en possession de ma personne. O Thébains! citoyens! à l'aide! Mercure Tu cries, bourreau? Parle : pourquoi viens-tu? Sosie Pour être la victime de tes poings. |
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Mercurius
220 - Quojus es? Sosia Amphitruonis, inquam, Sosia. Mercurius Ergo istoc magis, quia vaniloquos, vapulabis: ego sum, non tu, Sosia. Sosia Ita di faciant, ut tu potius sis, atque ego, te ut verberem. Mercurius Etiam mutis? Sosia Jam tacebo. Mercurius Quis tibi heru'st? Sosia Quem tu voles. Mercurius Quid igitur? qui nunc vocare? Sosia Nemo nisi quem jusseris. Mercurius Amphitruonis ted esse aibas Sosiam. Sosia Peccaveram: nam Amphitruonis socium nae me esse volui dicere. Mercurius Scibam equidem nullum esse nobis, nisi me servom Sosiam. Fugit te ratio. Sosia Utinam istuc pugni fecissent tui! Mercurius Ego sum Sosia ille quem tu dudum esse aibas mihi. |
Mercure
A qui appartiens-tu? Sosie A Amphitryon, te dis-je, moi, Sosie. Mercure Je t'assommerai pour mentir ainsi. C'est moi qui suis Sosie; ce n'est pas toi. Sosie (à part). Plût aux dieux que tu le fusses au lieu de moi, comme je t'étrillerais! Mercure Tu murmures? Sosie Je me tais. Mercure Qui est ton maître? Sosie Qui tu voudras. Mercure Hein? Quel est ton nom? Sosie Pas de nom, sinon celui qu'il te plaira que je porte. Mercure Tu me disais que tu étais Sosie, à Amphitryon. Sosie Je me suis trompé; c'est associé à Amphitryon que je voulais dire. Mercure Je savais bien que nous n'avions pas d'autre esclave Sosie que moi. Tu as perdu l'esprit. Sosie (à part). Que n'en as-tu fait autant de tes poings! Mercure C'est moi qui suis ce Sosie que tout à l'heure tu prétendais être. |
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Sosia
230 - Obsecro, ut per pacem liceat te adloqui, ut ne vapulem. Mercurius
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Sosie
Je t'en supplie, permets-moi de te parler en paix, et sans que les poings s'en mêlent. Mercure Eh bien! faisons trêve pour un moment, et parle. Sosie Je ne parlerai pas que la paix ne soit conclue; tu es trop fort des poings. Mercure Dis tout ce que tu voudras, je ne te ferai pas de mal. Sosie Tu me le promets? Mercure Oui. Sosie Et si tu me trompes? Mercure Qu'alors retombe sur Sosie la colère de Mercure. Sosie Écoute donc. A présent, je peux parler librement sans rien déguiser. Je suis Sosie, esclave d'Amphitryon. Mercure Ça recommence! Sosie J'ai fait la paix, j'ai fait un traité. Je dis la vérité. Mercure Gare aux coups! Sosie Ce que tu voudras, comme tu voudras; tu es le plus fort des poings. Mais tu auras beau faire; par Hercule!je ne me renierai pas. |
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Mercurius
240 - Tu me vivos hodie numquam facies quin sim Sosia. Sosia Certe, edepol, tu me alienabis numquam, quin noster siem. Nec nobis praeter med alius quisquam'st servos Sosia. Qui cum Amphitruone hinc una iveram in exercitum. Mercurius Hic homo sanus non est. Sosia Quod mihi praedicas vitium, id tibi'st. Quid, malum! nonne ego sum servos Amphitruonis Sosia? Nonne hac noctu nostra navis huc ex portu Persico venit, quae me advexit? nonne me huc erus misit meus? Nonne ego nunc sto ante aedeis nostras? non mi'st laterna in manu? Non loquor? non vigilo? nonne hic homo modo me pugnis contudit? |
Mercure
Je veux être mort si tu m'empêches aujourd'hui d'être Sosie. Sosie Et toi, par Pollux, tu ne m'empêcheras pas d'être moi, et d'appartenir à mon maître. Il n'y a pas ici d'autre esclave nommé Sosie que moi, qui ai suivi Amphitryon à l'armée. Mercure Cet homme est fou. Sosie Tu me gratifies de ton propre mal. Quoi, maudit animal! est-ce que je ne suis pas Sosie, l'esclave d'Amphitryon? Notre vaisseau ne m'a-t-il pas conduit ici, cette nuit, du port Persique? Mon maître ne m'a-t-il pas envoyé ici? N'est-ce pas moi que voilà debout devant notre maison? N'ai-je pas une lanterne à la main? Ne parlé-je pas? Ne suis-je pas éveillé? Cet homme ne m'a-t-il pas tout à l'heure pilé à coups de poing? |
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250 - Fecit, hercle, nam etiam misero [misere]
nunc malae dolent.
Quid igitur ego dubito? aut cur non introeo in nostram domum? Mercurius Quid, domum vostram? Sosia Ita enim vero. Mercurius Quin quae dixisti modo Omnia ementitu's : equidem Amphitruonis Sosia sum. Nam noctu hac soluta'st navis nostra e portu Persico; et, ubi Pterela rex regnavit, oppidum expugnavimus, et legiones Teleboarum vi pugnando cepimus, et ipsus Amphitruo obtruncavit regem Pterelam in proelio. Sosia Egomet mihi non credo, quum illaec autumare illum audio. Hic quidem, certe, quae illeic sunt res gestae, memorat memoriter. |
Vraiment,
oui; ma pauvre mâchoire ne s'en ressent que trop.
Mais pourquoi tant tarder? entrons chez nous. Mercure Chez vous? Sosie Oui, bien sûr. Mercure Non, tu n'as dit que des mensonges. C'est moi qui suis Sosie, esclave d'Amphitryon. Notre vaisseau est parti cette nuit du port Persique, et nous avons pris la ville où régna Ptérélas, et nous avons défait les légions des Téléboens, et mon maître a tué de sa propre main Ptérélas dans le combat. Sosie Je m'en crois à peine, quand je l'entends parler de la sorte. C'est qu'il dit tous les faits, de point en point, exactement. |
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260 - Sed quid ais? quid Amphitruoni doni a
Telebois datum est?
Mercurius
Sosia
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Mais voyons.
Sur le butin enlevé aux Téléboens, qu'a-t-on donné
à Amphitryon?
Mercure La coupe d'or qui servait au roi Ptérélas dans ses repas. Sosie Voilà. Et où est-elle à présent? Mercure Dans un coffret scellé du cachet d'Amphitryon. Sosie Et quel signe porte le cachet? Mercure Un Soleil levant sur un quadrige. Pourquoi toutes ces questions insidieuses, bourreau? Sosie (à part). Voilà des preuves convaincantes. Je n'ai plus qu'à trouver un autre nom. D'où a-t-il vu tout cela? Mais je vais bien l'attraper. Ce que j'ai fait tout seul, sans témoin, dans notre tente, il ne va jamais pouvoir me le dire. (Haut.) Si tu es Sosie, pendant le fort de la bataille |
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270 - Quid in tabernaclo fecisti? victus sum,
si dixeris.
Mercurius Cadus erat vini; inde implevi hirneam. Sosia Ingressu'st viam. Mercurius Eam ego, ut matre fuerat natum, vini eduxi meri. Sosia Mira sunt, nisi latuit intus illic in illac hirnea. Factum'st illud, ut ego illeic vini hirneam ebiberim meri. Mercurius Quid nunc? vincon' argumentis, te non esse Sosiam? Sosia Tu negas me esse? Mercurius Quid ego ni negem, qui egomet siem? Sosia Per Jovem juro me esse, neque me falsum dicere. Mercurius At ego per Mercurium juro, tibi Jovem non credere; nam injurato, scio, plus credet mihi quam jurato tibi. |
que faisais-tu
dans la tente? Je m'avoue vaincu si tu le dis.
Mercure Il y avait une grande jarre de vin; je remplis de ce vin une tasse. Sosie L'y voilà. Mercure Et tel qu'il était sorti du sein maternel, je l'avalai tout pur. Sosie Je finirai par croire qu'il était caché dans la tasse. Le fait est vrai. J'ai bu une grande tasse de vin pur. Mercure Eh bien! t'ai-je convaincu que tu n'es pas Sosie? Sosie Tu prétends que je ne le suis pas? Mercure Oui, certes, puisque c'est moi qui le suis. Sosie J'atteste Jupiter que je le suis et que je dis vrai. Mercure Et moi, j'atteste Mercure que Jupiter ne te croit pas. Il s'en rapportera plus, j'en suis sûr, à ma simple parole qu'à tous tes serments. |
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Sosia
280 - Quis ego sum saltem, si non sum Sosia? te interrogo. Mercurius Ubi ego Sosia nolim esse, tu esto sane Sosia. (400) Nunc, quando ego sum, vapulabis, ni hinc abis, ignobilis. Sosia Certe, edepol, quom illum contemplo et formam congnosco meam. Quem ad modum ego saepe in speculum inspexi, nimis simili'st mei. Itidem habet petasum, ac vestitum : tam consimili'st atque ego. Sura, pes, statura, tonsus, oculi, nasum vel labra, malae, mentum, barba, collum : totus! quid verbis opu'st? Si tergum cicatricosum, nihil hoc simili'st similius. Sed quom cogito, equidem certo idem sum qui semper fui. |
Sosie
Qui suis-je donc, au moins, si je ne suis pas Sosie? je te le demande. Mercure Quand je ne voudrai plus être Sosie, alors tu pourras l'être. Mais à présent que je le suis, je t'assommerai si tu ne t'en vas, homme sans nom. Sosie Par Pollux! plus je l'examine, et plus je reconnais ma figure. Voilà bien ma ressemblance, comme je me suis vu souvent dans un miroir. Il a le même chapeau, le même habit. Il me ressemble comme moi-même. Le pied, la jambe, la taille, les cheveux, les yeux, la bouche, les joues, le menton, le cou : tout enfin. Qu'est-il besoin de paroles? S'il a le dos labouré de cicatrices, il n'y a pas de ressemblance plus ressemblante. Cependant, quand j'y pense, je suis toujours ce que j'étais. |
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290 - Gnovi herum, gnovi aedeis nostras; sane
sapio et sentio.
Non ego illi obtempero quod loquitur; pultabo foreis. Mercurius Quo agis te? Sosia Domum. Mercurius Quadrigas si nunc inscendas Jovis atque hinc fugias, ita vix poteris ecfugere infortunium. Sosia Nonne herae meae nunciare quod herus meus jussit, licet? Mercurius
Sosia
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Certes, je
connais mon maître, je connais notre maison, j'ai l'usage de ma raison
et de mes sens. Ne nous arrêtons pas à ce qu'il peut dire,
frappons à la porte.
Mercure Où vas-tu? Sosie A la maison. Mercure Quand tu monterais sur le char de Jupiter, pour t'enfuir au plus tôt, tu aurais peine encore à éviter le châtiment. Sosie Ne m'est-il pas permis de rapporter à ma maîtresse ce que mon maître m'a chargé de lui dire? Mercure A ta maîtresse, oui, tant que tu voudras; mais pour la nôtre, ici, je ne souffrirai pas que tu lui parles. Si tu m'irrites, tu n'emporteras d'ici que les débris de tes reins. Sosie J'aime mieux me retirer. O dieux immortels, secourez-moi! Que suis-je devenu? En quoi m'a-t-on changé? Comment ai-je perdu ma figure? Est-ce que je me serais laissé là-bas par étourderie? |
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300 - Nam hic quidem omnem imaginem meam, quae
antehac fuerat, possidet.
(460) Vivo fit, quod numquam quisquam mortuo faciet mihi. Ibo ad portum atque, haec uti sunt facta, hero dicam meo. Nisi etiam is quoque me ignorabit; quod ille faciat Juppiter? Ut ego hodie raso capite calvos capiam pilleum. |
car il possède
mon image, celle qui fut mienne jusqu'aujourd'hui.
Vraiment on me fait de mon vivant un honneur qu'on ne me rendra pas après ma mort. Allons au port; je le dirai à mon maître et tout ce qui s'est passé, à moins que pour lui aussi je sois un inconnu. O Jupiter! porte-moi chance, et puissé-je aujourd'hui, tête chauve, coiffer le chapeau de l'affranchissement! (Il sort.) |
Mercurius Bene prospereque hoc hodie processit mihi. Abmovi a foribus maxumam molestiam, patri ut liceret tuto illam amplexarier. Jam ille illuc ad herum quom Amphitruonem advenerit, narrabit servom hinc sese a foribus Sosiam |
Mercure Nos affaires vont le mieux du monde, pour le moment. J'ai éloigné de cette maison la peste des pestes. Mon père peut en toute sécurité embrasser la belle. Sosie va raconter à son maître qu'un autre Sosie l'a chassé quand il voulait entrer. |
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310 - abmovisse; ille adeo illum mentiri sibi
credet, neque credet huc profectum, ut jusserat. erroris ambo ego illos et dementiae conplebo atque omnem Amphitruonis familiam; adeo usque, satietatem dum capiet pater illius quam amat; igitur demum omneis scient, quae facta. Denique Alcumenam Jupiter rediget antiquam conjugis in concordiam. Nam Amphitruo actutum uxori turbas conciet atque insimulabit eam probri; tum meus pater |
Amphitryon
criera au mensonge,
et ne voudra pas croire que son esclave soit venu ici, comme il le lui avait ordonné. Grâce à moi, ce sera pour tous deux et pour toute la maison une contusion à perdre la tête, cependant que mon père se rassasiera de plaisir dans les bras de celle qu'il aime. Ensuite tout s'éclaircira et Jupiter à la fin réconciliera l'époux avec l'épouse; car Amphitryon va bientôt faire une grande querelle à sa femme; il l'accusera d'adultère. Puis mon père |
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320- eam seditionem illi in tranquillum conferet.
Nunc de Alcumena dudum quod dixi minus, (480) hodie illa pariet filios geminos duos : alter decumo post mense nascetur puer, quam seminatus, alter mense septumo. Eorum Amphitruonis alter est, alter Jovis. Verum minori puero major est pater, minor majori. Jamne hoc scitis quid siet? Sed Alcumenae hujus honoris gratia, pater curavit uno ut foetu fieret; |
fera succéder
le calme à l'orage.
Au sujet d'Alcmène, j'aurais dû tout à l'heure vous dire qu'elle donnera aujourd'hui la vie à deux fils jumeaux. Ils viendront au monde, l'un dix mois, l'autre sept mois après avoir été conçus. Le premier est d'Amphitryon, le second de Jupiter. Ainsi l'enfant le plus petit a le père le plus grand, et l'enfant le plus grand le père le plus petit. Vous comprenez bien cela? Il n'y aura qu'un seul enfantement. Jupiter l'a voulu par intérêt pour Alcmène; |
330 - *** uno ut labore absolvat aerumnas duas,
et ne in suspicione ponatur stupri et clandestina ut celetur consuetio.*** Quamquam, ut jamdudum dixi, resciscet tamen Amphitruo rem omnem. Quid igitur? nemo id probro profecto ducet Alcumenae; nam deum non par videtur facere, delictum suum suamque ut culpam expetere in mortalem ut sinat. Orationem comprimam: crepuit foris. Amphitruo subditivos eccum exit foras cum Alcumena uxore usuraria. |
*** ainsi
elle se délivre d'un double mal par un seul travail :
elle évite d'être soupçonnée d'avoir commis une faute et elle cache son union secrète.*** Cependant Amphitryon, comme je l'ai déjà dit, saura tout à la fin. Après tout, l'honneur d'Alcmène ne peut assurément pas souffrir d'un tel accident; et il serait injuste à un dieu de laisser peser sur une mortelle le blâme de sa propre faute. Trêve à mes discours : j'entends crier la porte. Le faux Amphitryon sort avec Alcmène, son épouse d'emprunt. |
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Jupiter 340 - Bene vale, Alcumena; cura rem communem, quod facis. (500) Atque inparce quaeso: menseis jam tibi esse actos vides. Mihi necesse'st ire hinc; verum quod erit gnatum tollito. Alcumena Quid istuc est, mi vir, negoti, quod tu tam subito domo abeas? Jupiter Edepol, haud quod tui me neque domi distaedeat; sed ubi summus imperator non adest ad exercitum, citius quod non facto'st usus, fit, quam quod facto'st opus. Mercurius Nimis hic scitu'st sycophanta, qui quidem meus sit pater. Observatote, quam blande mulieri palpabitur. Alcumena Ecastor, te experior quanti facias uxorem tuam. |
Jupiter Adieu, Alcinène, continue à veiller pour le bien de notre maison. Mais, ménage-toi, je t'en prie, car ton terme approche. Il faut que je parte. J'adopte d'avance l'enfant qui doit naître. Alcmène Quelle affaire, cher époux, t'éloigne si tôt de la maison? Jupiter
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Jupiter
350 - Satin' habes, si feminarum nulla'st quam aeque diligam? Mercurius Edepol nae illa si istis rebus te sciat operam dare, ego faxim ted Amphitruonem esse malis, quam Jovem. Alcumena Experiri istuc mavellem me quam mi memorarier. Prius abis quam ubi cubuisti lectus concaluit locus. Heri venisti media nocte, nunc abis : hocin placet? Mercurius Adcedam atque hanc appellabo et subparasitabor patri. Numquam, edepol, quemquam mortalem credo ego uxorem suam sic ecflictim amare, proinde ut hic te ecflictim deperit. Jupiter Carnufex, non ego te novi? abin'e conspectu meo? |
Jupiter.
Ne te suffit-il pas que tu sois pour moi la plus chère des femmes? Mercure (à part). Par Pollux, si celle de là-haut te savait si galamment occupé, je suis sûr que tu voudrais être Amphitryon plutôt que Jupiter. Alcmène J'aimerais mieux des preuves de tendresse que des protestations. A peine ton corps a-t-il échauffé la place que tu avais prise dans le lit conjugal; arrivé hier au milieu de la nuit, tu pars déjà. Est-ce ainsi que l'on se conduit? Mercure (à part). Je vais m'approcher d'elle et lui parler, et servir mon père en adroit parasite. (Haut.) Par Pollux, je ne connais pas un mari qui crève d'amour pour sa femme, autant que mon maître s'en meurt pour toi. Jupiter Bourreau, ne te voilà-t-il pas? Va-t'en de ma présence! |
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360 - Quid tibi hanc curatio est rem, verbero,
aut mutitio?
(520) Quoi ego jam hoc scipione... Alcumena Ah! noli. Jupiter Muttito modo. Mercurius Nequiter paene expedivit prima parasitatio. Jupiter Verum quod tu dicis, mea uxor, non te mi irasci decet. Clanculum abii a legione: operam hanc subrupui tibi, ex me primo prima scires, rem ut gessissem publicam. Ea tibi omnia enarravi; nisi te amarem plurimum, non facerem. Mercurius Facitne ut dixi? timidam palpo percutit. Jupiter Nunc, ne legio persentiscat, clam illuc redeundum'st mihi; ne me uxorem praevertisse dicant prae republica. |
Pourquoi
te mêles-tu de mes affaires? Coquin, tu murmures?
Ce bâton... Alcmène (l'arrêtant) Ah! de grâce! Jupiter Dis un mot seulement. Mercure (à part). J'ai assez mal débuté dans le métier de parasite. Jupiter Tu as tort d'être fâchée, mon Alcmène. Je me suis absenté secrètement de l'armée. J'ai dérobé pour toi ces moments à mon devoir : je voulais que tu fusses la première instruite de mes succès, je voulais te les apprendre. Si je ne t'aimais pas plus que tout au monde, ferais-je ainsi? Mercure (à part). Que disais-je? elle s'est effarouchée; mais il sait l'adoucir. Jupiter Maintenant je dois retourner en secret à l'armée, avant qu'on s'aperçoive de mon absence. Il ne faut pas qu'on me reproche d'avoir fait passer ma femme avant le bien public. |
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Alcumena
370 - Lacrimantem ex abitu concinnas tu tuam uxorem. Jupiter Tace. Ne corrumpe oculos; redibo actutum. Alcumena Id actutum diu'st. Jupiter Non ego te heic lubens relinquo neque abeo abs te. Alcumena Sentio; nam qua nocte ad me venisti, eadem abis. Jupiter Cur me tenes? Tempus est : exire ex urbe prius quam lucescat, volo. Nunc tibi hanc pateram, quae dono mi illeic ob virtutem data'st, Pterela rex qui potitavit, quem ego mea obcidi manu, Alcumena, tibi condono. Alcumena Facis ut alias res soles. Ecastor condignum donum, quali'st qui donum dedit. Mercurius Imo sic condignum donum, quali'st quoi dono datum'st. |
Alcmène
Ton départ coûte des pleurs à ton épouse. . Jupiter Calme-toi. N'abîme pas tes yeux. Je serai bientôt de retour. Alcmène Ce bientôt est loin encore. Jupiter C'est à regret que je te laisse, à regret que je m'éloigne. Alcmène Je m'en aperçois; la nuit même de ton arrivée tu me fuis. Jupiter Ne me retiens plus. Le temps presse. Je veux sortir de la ville avant le jour. (Lui présentant un coffret.) Voici la coupe qui m'a été donnée comme prix de ma valeur. Elle servait au roi Ptérélas, que j'ai tué de ma main : chère Alcmène, je t'en fais don. Alcmène Généreux, comme à l'ordinaire. Par ma foi, le présent est digne de la main qui le donne. Mercure Dis plutôt de celle qui le reçoit. |
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Jupiter
380 - Pergin' autem? nonne ego possum, furcifer, te perdere? Alcumena (540) Noli, amabo, Amphitruo, irasci Sosiae causa mea. Jupiter Faciam ita ut vis. Mercurius Ex amore hic admodum quam saevos est? Jupiter Numquid vis? Alcumena . Vt quom absim me ames, me tuam te absente tamen. Mercurius Eamus, Amphitruo; lucescit hoc jam. Jupiter Abi prae, Sosia, jam ego sequar . numquid vis? Alcumena Etiam, ut actutum advenias. Jupiter Licet. Prius tua opinione heic adero; bonum animum habe. Nunc te, nox, quae me mansisti, mitto ut cedas die, ut mortalis inlucescat luce clara et candida. Atque quanto, nox, fuisti longior hac proxuma, tanto brevior dies ut fiat faciam, ut aeque disparet. Ei, dies e nocte accedat; ibo et Mercurium subsequar. |
Jupiter
Encore! Est-ce que je ne t'assommerai pas, pendard? Alcmène Je t'en prie, Amphitryon, ne t'emporte pas contre Sosie, pour l'amour de moi! Jupiter Je t'obéirai. Mercure (à part). Comme son amour le rend irritable! Jupiter Tu ne souhaites plus rien? Alcmène Si : qu'absent tu aimes toujours celle qui est toute à toi, dans ton absence. Mercure Partons, Amphitryon; le jour paraît. Jupiter Marche devant, Sosie; je te suis. (A Alacmène) Ton dernier voeu? Alcmène Eh bien, un prompt retour. Jupiter Oui. Tu me verras plus tôt que tu ne crois. Ne sois point en peine. (Alcmène sort) Maintenant, ô nuit, tu n'as plus à m'attendre; fais place au jour, et laisse briller sa vive et pure lumière sur les mortels. Tout l'excédent de durée que tu as eu sur la nuit prochaine sera ôté au jour, pour que les deux inégalités se compensent. Va, que l'ordre se maintienne entre les jours et les nuits. Allons sur les pas de Mercure. (il sort). |