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Scène 1
Bromia Spes atque opes vitae meae jacent sepultae in pectore, neque ulla'st confidentia jam in corde, quin amiserim; ita mihi videntur omnia, mare, terra, caelum, consequi, jam ut obprimar, ut enicer : me miseram! quid agam nescio. Ita tanta mira in aedibus sunt facta : vae miserae mihi! animo male'st : aquam velim! conrupta sum atque absumpta sum. (1060) Caput dolet, neque audio, nec oculis prospicio satis. Nec me miserior femina'st, neque ulla videatur magis. Ita herae meae hodie contigit : nam ubi parturit, deos sibi invocat. |
Bromia Plus d'espoir! Ma force est éteinte! Je suis morte! Je ne sais plus à quel dieu me vouer : la mer, la terre, le ciel semblent s'ébranler et fondre sur moi pour m'écraser. Pauvre Bromia! où te cacher? Quels prodiges arrivés dans notre maison! C'est fait de moi! Le coeur me manque. Si l'on me donnait un peu d'eau fraîche! Je suis toute bouleversée, anéantie. La tête me fait mal, mes oreilles n'entendent plus, mes yeux ne voient plus. Y a-t-il femme plus malheureuse que moi? Qu'ai-je vu? Ma chère maîtresse! Quand elle a senti son travail commencer, elle implora les dieux. |
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1080 - Strepitus, crepitus, sonitus, tonitrus
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ut subito, ut propere, ut valide tonuit! Ubi quisque institerat, concidit crepitu. Ibi nescio quis maxuma voce exclamat : "Alcumena, adest auxilium, ne time : et tibi et tuis propitius caeli cultor advenit. Exsurgite, inquit, qui terrore meo obcidistis prae metu." Ut jacui, exsurgo. Ardere censui aedeis, ita tum confulgebant. Ibi me inclamat Alcumena; jam ea res me horrore adficit, Herilis praevertit metus : ocius adcurro, ut sciam quid velit : atque illam geminos filios pueros peperisse conspicor; |
Quel bruit
soudain! quel fracas!
quels éclats redoublés! quel tonnerre! A ces coups effroyables chacun tombe immobile. Alors on entend je ne sais quelle grande voix : "Alcmène, il t'arrive un protecteur : sois sans crainte. C'est un habitant des cieux, propice à toi et à ta famille. Et vous, que la terreur a jetés par terre, levez-vous." Je me relève sur place; la maison me parut toute en feu, tant elle brillait de lumière. En ce moment, Alcmène m'appelle. Sa voix me fait frissonner. La crainte pour ma maîtresse l'emporte. J'accours pour savoir ce qu'elle veut, et je vois qu'elle a mis au monde deux jumeaux, |
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1090 - neque nostrum quisquam sensimus, quom
peperit, neque praevidimus.
Sed quid hoc? quis is est senex, qui ante aedeis nostras sic jacet? Numnam hunc percussit Jupiter? Credo, edepol : nam, proh Jupiter! sepultu'st quasi sit mortuos. Ibo et congnoscam, quisquis est. Amphitruo hic quidem'st herus meus. Amphitruo! Amphitruo Perii! Bromia Surge. Amphitruo Interii. Bromia Cedo manum. Amphitruo Quis me tenet? Bromia Tua Bromia ancilla. Amphitruo Totus timeo, ita me increpuit Jupiter. Nec secus est, quasi si ab Acherunte veniam. Sed quid tu foras egressa's? Bromia Eadem nos formido timidas terrore impulit : in aedibus, ubi tu habitas, nimia mira vidi. Vae mihi, |
sans que
pas un de nous se fût aperçu de l'enfantement, ou même
s'en fût douté. (apercevant Amphitryon) Mais qu'est-ce que
ceci? Quel est ce vieillard étendu par terre devant notre maison?
Jupiter l'a-t-il frappé?
En vérité, je le crois. Il est gisant comme s'il était mort. Voyons qui ce peut-être. Ciel! c'est Amphitryon, mon maître. Amphitryon! Amphitryon Je suis perdu! Bromia Lève-toi. Amphitryon Je suis mort! Bromia Donne-moi la main. Amphitryon Qui est-ce qui me prend la main? Bromia Bromia, ton esclave. Amphitryon Je tremble de tout mon corps. Jupiter m'a foudroyé. Il me semble que je reviens des bords de l'Achéron. Mais pourquoi es-tu sortie? Bromia La même épouvante nous a consternées. Nous venons de voir de grands prodiges s'opérer chez toi. Pauvre de moi, |
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1100 - Amphitruo; ita mihi animus etiam nunc
abest.
Amphitruo Agedum expedi : scin' me tuom esse herum Amphitruonem? Bromia Scio. Amphitruo Viden' etiam nunc? Bromia Scio. Amphitruo Haec sola sanam mentem gestat meorum familiarium. Bromia Imo omneis sani sunt profecto. Amphitruo At me uxor insanum facit suis foedis factis. Bromia *At ego faciam, tu idem ut aliter praedices, Amphitruo, piam et pudicam esse tuam uxorem ut scias. De ea re signa atque argumenta paucis verbis eloquar. Omnium primum Alcumena geminos peperit filios.* Amphitruo Ain' tu, geminos? Bromia Geminos. Amphitruo Di me servant. Bromia Sine me dicere, (1090) ut scias tibi tuaeque uxori deos esse omneis propitios. |
Amphitryon,
je n'ai pas encore repris l'usage de mes sens.
Amphitryon D'abord tire-moi d'un doute. Reconnais-tu bien ton maître Amphitryon? Bromia Oui. Amphitryon Regarde encore. Bromia Oui, c'est toi. Amphitryon Cette fille est la seule de tous mes gens qui n'ait pas perdu l'esprit. Bromia Aucun ne l'a perdu, je t'assure. Amphitryon Mais moi, j'ai la tête tournée de la conduite infâme d'Alcmène. Bromia * Mais je vais te faire changer de langage, Amphitryon; sache que ta femme est honnête et vertueuse. Je vais t'en donner en peu de mots des preuves évidentes. D'abord, Alcmène vient d'accoucher de deux fils. * Amphitryon Vraiment! deux fils? Bromia Oui. Amphitryon Les dieux me sont en aide. Bromia Laisse-moi parler, je t'apprendrai à quel point les dieux te favorisent ainsi que ton épouse. |
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Amphitruo
1110 - Loquere. Bromia Postquam parturire hodie uxor obcoepit tua, ubi utero exorti dolores, ut solent puerperae, invocat deos immortaleis, ut sibi auxilium ferant, manibus puris, capite operto. Ibi continuo contonat sonitu maxumo; aedeis primo ruere rebamur tuas. Aedeis totae confulgebant tuae, quasi essent aureae. Amphitruo Quaeso, absolvito hinc me extemplo, quando satis deluseris. Quid fit deinde? Bromia Dum haec aguntur, interea uxorem tuam neque gementem neque plorantem nostrum quisquam audivimus : ita profecto sine dolore peperit. Amphitruo Jam istuc gaudeo, |
Amphitryon
Parle. Bromia Lorsque le travail de l'enfantement commença, et qu'elle sentit les douleurs que les femmes éprouvent en pareil cas, elle invoqua le secours des dieux immortels, mains purifiées et tête voilée. Aussitôt il s'est fait un grand bruit de tonnerre. Il nous semblait que la maison allait s'écrouler, et elle devint si resplendissante qu'on eût dit qu'elle était d'or. Amphitryon Au fait, promptement, je t'en supplie. C'est assez t'amuser à mes dépens. Qu'arriva-t-il alors? Bromia Pendant tout ce tumulte, sans faire entendre aucun gémissement, aucun cri, ton épouse est accouchée; elle n'avait point eu de douleurs. Amphitryon J'en suis bien aise, |
1120- utut erga me merita est.
Bromia Mitte istaec, atque haec, quae dicam, adcipe. Postquam peperit, pueros lavere jussit nos : obcoepimus. Sed puer ille, quem ego lavi, ut magnu'st et multum valet! Neque eum quisquam conligare quivit incunabulis. Amphitruo (1105) Nimia mira memoras : si istaec vera sunt, divinitus non metuo quin meae uxori latae subpetiae sient. Bromia Magi' jam, faxo, mira dices : postquam in cunas conditu'st, devolant angueis jubati deorsum in impluvium duo maxumi; continuo extollunt ambo capita. Amphitruo Hei mihi! Bromia Ne pave : sed angueis oculis omneis circumvisere. |
quelle qu'ait
été sa conduite envers moi.
Bromia Cesse tes plaintes, et écoute la fin de mon récit. Délivrée, elle nous ordonne de laver les deux nouveau-nés. Nous nous empressons d'obéir! Dieux, que celui que j'ai lavé est grand et robuste! Jamais il n'a été possible de l'envelopper dans les langes. Amphitryon Que tout cela me surprend! Si tu dis vrai, je ne doute pas que les dieux ne soient venus au secours de ma femme. Bromia Tu vas être bien plus émerveillé. Lorsque nous eûmes placé cet enfant dans son berceau, voici que du haut de l'air volent dans la cour deux serpents énormes, dressant leur tête menaçante. Amphitryon Je frémis. Bromia Tranquillise-toi. Ces deux serpents nous parcourent des yeux tous; |
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1130 - Postquam pueros conspicati, pergunt ad
cunas citi.
Ego cunas recessim rursum prorsum trahere et ducere, metuens pueris, mihi formidans : tantoque angueis acrius persequi. Postquam conspexit angueis ille alter puer, citus e cunis exsilit, facit recta in angueis impetum; alterum altera adprehendit eos manu perniciter. Amphitruo Mira memoras! nimis formidolosum facinus praedicas. Nam mihi horror membra misero percepit dictis tuis. Quid fit deinde? porro loquere. Bromia Puer ambo angueis enicat. Dum haec aguntur, voce clara exclamat uxorem tuam... |
puis, apercevant
les deux jumeaux, ils vont droit à eux.
Moi de tirer le berceau en avant, en arrière, de-ci, de-là, craignant pour les enfants, et très effrayée pour mon propre compte. Les serpents n'en sont que plus acharnés à nous poursuivre. Mais le plus fort des jumeaux, voyant les deux monstres, s'élance de son berceau, se précipite sur eux, et en saisit un de chaque main très vite. Amphitryon Quelles merveilles! Tu me racontes une histoire terrible. Je tremble d'épouvante rien qu'à t'entendre. Et après, qu'arriva-t-il? dis-moi. Bromia L'enfant étouffe les deux serpents. Au même moment, une voix sonore appelle ta femme. |
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Amphitruo
1140 - Quis homo? Bromia Summus imperator divom atque hominum Jupiter. Is se dixit cum Alcumena clam consuetum cubilibus, eumque filium suom esse qui illos angues vicerit; alterum tuom esse dixit puerum. Amphitruo Pol, me haud paenitet, scilicet boni dimidium mihi dividere cum Jove. Abi domum, jube vasa pura actutum adornari mihi, ut Jovis supremi multis hostiis pacem expetam. Ego Tiresiam conjectorem advocabo, et consulam, quid faciendum censeat; simul hanc rem, ut facta'st, eloquar. (1130) Sed quid hoc? quam valide tonuit! Di, obsecro vostram fidem. |
Amphitryon
Quelle voix? Bromia Celle du souverain des dieux et des hommes, Jupiter. Il déclare qu'il a été l'amant d'Alcmène mystérieusement, et que l'enfant vainqueur des serpents est son fils, tandis que l'autre t'appartient. Amphitryon Par Pollux! ce m'est un grand honneur d'être commun en biens avec Jupiter. Cours à la maison, fais préparer les vases sacrés; je veux que des victimes nombreuses m'obtiennent sa faveur. On ira chercher le devin Tirésias, et je le consulterai sur ce que je dois faire, après lui avoir conté ce qui vient de se passer. Mais qu'entends-je? Quels éclats de tonnerre! Justes dieux, ayez pitié de moi. |
Jupiter 1150 - Bono animo es, adsum auxilio, Amphitruo, tibi et tuis; nihil est quod timeas; hariolos, haruspices mitte omneis; quae futura et quae facta, eloquar, multo adeo melius, quam illi, quom sum Jupiter. Primum omnium Alcumenae usuram corporis cepi, et concubitu gravidam feci filio. Tu gravidam item fecisti, quom in exercitum profectus : uno partu duos peperit simul. Eorum alter, nostro qui est susceptus semine, suis factis te immortali adficiet gloria. |
Jupiter (dans les nuages). Rassure-toi, Amphitryon; je viens te protéger avec tous les tiens. Tu n'as rien à redouter. Laisse-là les devins et les aruspices. Je t'instruirai et du passé et de l'avenir, mieux qu'ils ne pourraient le faire, car je suis Jupiter. D'abord, j'ai pris jouissance du corps d'Alcmène; et de notre union elle a conçu un fils. Toi aussi, tu la rendis mère, avant de partir pour l'armée. Les deux enfants sont nés en même temps. Celui qui est formé de mon sang te couronnera par ses exploits d'une gloire immortelle. |
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1160 - Tu cum Alcumena uxore antiquam in gratiam
redi; haud promeruit quamobrem vitio vorteres; mea vi subacta'st facere. Ego in caelum migro. |
Rends à
ton épouse ton affection première;
elle ne mérite point tes reproches; elle a cédé à ma violence. Je remonte dans les cieux. |
Amphitruo Faciam ita, ut jubes, et te oro, promissa ut serves tua. Ibo ad uxorem intro : missum facio Tiresiam senem. Nunc, spectatores, Jovis summi causa clare plaudite. |
Amphitryon J'obéirai; accomplis, je te prie, ta promesse. Allons revoir ma femme; le vieux Tirésias peut rester chez lui. Maintenant, spectateurs, en l'honneur du grand Jupiter, applaudissez bien fort. |