insula


INSULA


Dans une première signification, ce mot désignait une maison composée de petits logements et destinée à la location, par opposition à domus, terme employé pour le palais ou la maison habitée par un seul propriétaire ou louée par un personnage considérable.

Les insulæ avaient d’ordînaire [à l'époque classique] plusieurs étages, dont parfois les habitants acquéraient une sorte de propriété utile, analogue au droit de superficie établi sur le sol d'autrui. Les habitants des 
insulæ étaient en général de simples locataires (conductores ou inquilini) nommés insularii, et dont les logements (cœnacula meritoria), qui se multipliaient jusque sous les tuiles se payaient fort cher. Souvent par leur négligences éclataient des incendies, et ils répondaient de leur faute envers le propriétaire (dominus ædium ou locator), sans préjudice des peines de police que pouvait prononcer contre eux le préfet des vigiles [et qui étaient à l’égard de ces petites gens les verges ou le fouet]. Au III è siècle avant J.-C., il était ordonné aux locataires des insulæ d’avoir de l'eau dans leur logement pour arrêter les incendies.

Jadis les 
insulæ, à raison de leur étendue, formaient une sorte de cité ou de bâtiment isolé, séparé des autres par un intervalle légal [ambitus] ou par la rue. La loi des Douze Tables demandait un intervalle de deux pieds et demi. Mais déjà, à l'époque de Festus, ce régime avait été peu à peu modifié; l'ambitus primitif avait disparu; il y avait beaucoup de murs mitoyens, et ce fut le vicus qui forma dès lors un quartier isolé. L’insula ne fut plus qu'une partie du vicus, au moins en règle générale, car il y eut sans doute encore quelques insulæ séparées par un intervalle. La hauteur des insulæ, à raison des dangers de ruine, avait été également réglementée à différentes époques. Auguste fixa soixante-dix pieds comme maximum et Trajan le réduisit à soixante pieds. Il y eut encore d’autres règlements de ce genre émanés de Septime Sévère et de Caracalla (et à Constantinople de Zénon).

Le mot insula a peut-être encore pris un autre sens au Bas-Empire, car le tableau des régions de Rome qu’on appelle Curiosum urbis Romæ regionum XIV cum breviariis suis, et la rédaction plus brève connue sous le nom de Notitia, donnent à la fin de chaque région le chiffre des domus et des 
insulæ; or le nombre de celles-ci est à celui des domus dans une proportion qui varie par quartier de 25 ou 30 à 1 ; on a en tout 1782 domus et 44171 insulæ. Dans le breviarium, rédigé vers 357, le chiffre total des domus est de 1790 et celui des insulæ de 46602. Ces nombres d’insulæ paraissent si élevés, relativement à la superficie totale de Rome, que, suivant Preller, il faut entendre ici insula non dans son sens habituel de cité à louer, mais dans le sens de logement séparé. [D'après Richter, ce chiffre d'insulæ, logements séparés, aurait été insuffisant pour l'immense population de Rome, et il faudrait entendre insula dans le sens de partie d'une maison de louage, appartenant à un seul propriétaire et susceptible d’être divisée en un grand nombre de petits logements.

A l’époque classique, l'insula comprenait, outre des logements, des boutiques [taberna]. Elle pouvait être louée en entier par un locataire principal qui sous-louait les logement.

On nommait aussi insularius ou exactor ad ou supra insulas, ou encore simplement ad insulas, ou procurator insulæ l'esclave [ou l’affranchi] chargé par le propriétaire d’opérer le recouvrement des loyers d’une insula. [Nous en avons plusieurs exemples pour les maisons de l’empereur ou de membres de la famille impériale.] Pomponius nous apprend que cet esclave était naturellement compris dans le groupe des esclaves urbains, familia urbana ou urbanorum numero; il pouvait être constitué gardien de la maison, même par un propriétaire, sans avoir bosoin du consentement de l’usufruitier ou de l'usager.

Dans son acception géographique, insula signifiait un espace de terre entouré d'eau de tous côtés. On distinguait, en droit romain, les îles nées dans la mer; elles étaient réputées choses nullius puisque l’acquisition par occupation en était permise. En effet, cette île ne pouvait être considérée comme chose commune [res communis ou nullius] au même titre que la mer, n’ayant pas la même destination naturelle. Les îles nées dans les cours d'eau non permanents, non perennes, ne pouvaient donner lieu à difficulté ; elles appartenaient aux riverains propriétaires du lit; mais le doute était possible pour les cours d’eau permanents, flumina perennia, qui sont en général choses publiques (res publicæ), en sorte que les droits de pêche et de navigation y appartenaient à tous, comme l’usage des rives; la propriété des rives demeurait aux riverains ; en était-il de même du lit du fleuve ? Le texte controversé de Labéon paraît ne s’appliquer qu’à l’usage du lit; d’autres textes prouvent que le fleuve, en s’emparant du lit, le rendait public au fond, comme procéderait un agent du cens, censitor, en réunissant un terrain au domaine public. Cela posé, quel est le sort des îles nées dans un fleuve ? Les îles formées aux dépens d’un champ par une division du fleuve ou plusieurs bras, restent au propriétaire du terrain. Les îles flottantes, formées de broussailles et de matières non adhérentes au sol, qui apparaissaient dans un fleuve, étaient considérées comme faisant partie du cours d'eau, et elles restaient publiques, si celui-ci avait ce caractère. Quant aux îles formées par voie d'atterrissement ou de dessèchement dans un fleuve, elles appartenaient aux propriétaires riverains, dont les champs n’étaient pas dans la catégorie des terres solennellement limitées (agri limitati), mais au contraire étaient des agri arcifinii. Pour cela, on suppose dans le fleuve une ligne médiane, tracée de manière à être perpétuellement parallèle aux deux rives; l'île placée d'un seul côté de cette ligne appartient aux riverains de ce côté, non à titre de communauté indivise, mais à chacun d’eux en proportion de l’étendue de sa propriété; c’est-à-dire qu’il a droit à la portion comprise entre deux parallèles menées des deux extrémités de son terrain en regard de l’île, perpendiculairement à la ligne médiane du fleuve. Si au contraire l’île est traversée par la ligue médiane, celle-ci partage l’île en deux parties à répartir entre les riverains de chaque rive d’après le même principe. Si une île étant née d’un seul côté de la ligne, à gauche par exemple, il s’en formait une autre entre cette île et la rive droite, on réglait l'attribution do ce terrain comme si le fleuve était tout entier compris entre la première île et la rive droite. Quand les bords du fleuve appartenaient à l’Etat, l’ile était publique. Quand il s’agissait d'agri limitati, l’île était res nullius s’il y avait de ces agri sur les doux rives. S’il n’y en avait quo sur une rive, il est probable que toute l’ile revenait aux champs de l’autre rive. Grand nombre d’interprètes expliquent ces résultats par le principe d’un mode d’acquérir qu’ils appellent accession [accessio], en vertu duquel le législateur attribue l’île comme chose nullius aux champs riverains à titre d'accessoires; ils suivent le même principe pour le lit abandonné (alveus derelictus) qui, suivant eux, n’a jamais appartenu aux riverains. Mais il est peu vraisemblable que l’accession ait jamais été reconnue en droit romain comme un mode d'acquérir spécial ; toutes les règles relatives aux îles peuvent s’expliquer par ce principe qu’elles sont une portion du lit, qui, dégrevé d'une sorte de servitude imposée par la présence de l’eau, revient naturellement, après le retrait de celle-ci, aux propriétaires riverains.

Les îles maritimes placées dans le voisinage des côtes d’une province étaient considérées comme faisant partie de celle-ci; on y plaçait parfois un préfet. C’est ainsi qu’Ulpien attribue les îles de l’Italie à celle-ci et de même pour chaque province particulière; ce qui offrait un grand intérêt, non seulement au point de vue du jus italicum, mais de la compétence. Certaines îles, groupées en nombre considérable, formèrent au reste des provinces particulières sous l’Empire. Ainsi, on trouve au Bas-Empire, dans le diocèse d’Asie, une province appelée insulæ, et dans le diocèse d’Espagne la province des insulæ Baleares. Les gouverneurs des provinces, en général, devaient exercer leur  contrôle sur les îles voisines de leur territoire, qui étaient censées appartenir à leur circonscription. Certaines îles furent affectées, sous l’Empire, à la peine de la déportation [deportatio], lorsqu’elles étaient éloignées de 400 milles au moins du continent, sauf exception pour celles de Cos, de Lesbos, de Rhodes et de Sardaigne ; d’autres à la relégation, peine non capitale (relegatio in insulam, insulæ vinculum), qu’un président pouvait prononcer et appliquer dans une île de sa circonscription seulement.

G. Humbert. [Ch. Lecrivain.]