Nundinæ, comme nonæ
est un adjectif pris substantivement qui dérive de novem
et désigne certains jours déterminés. On disait nundinæ
ou noundinæ
pour novemdinæ,
de novem
diæ.
Macrobe nous a gardé le souvenir d'une ancienne divinité latine appelée
Nundina,
qui présidait au jour où l'on purifiait les jeunes enfants et où on
leur donnait un nom, le neuvième après la naissance pour les garçons,
le huitième pour les filles. Dans le calendrier romain les nundinæ
revenaient périodiquement tous les neuvièmes jours* [CALENDARIUM,
DIES, FASTI]. Elles marquaient la séparation des semaines,
lesquelles, à la différence des nôlres, étaient de huit jours et non de
sept. De même que chez les modernes on compte pour huit jours une
semaine de sept, de même chez les Romains on comptait pour neuf une
semaine de huit. En fait les nundinæ
se représentaient constamment après huit jours révolus. Nundinæ
et nonæ,
qui ont la même étymologie, devaient avoir au début le même sens ; la
distinction des deux termes se fit plus tard, lorsque les nones
devinrent un jour particulier et unique du mois, le neuvième avant les
ides.
Le
plus ancien texte qui mentionne les nundinæ
est un passage de la loi des Douze Tables cité par Aulu-Gelle. La
tradition attribuait aux Etrusques l'institution des semaines de huit
jours, tandis qu'au contraire il y avait chez les Sabins. jusqu'au
temps de l'Empire, une semaine de sept jours. Les nundinæ
auraient été introduites à Rome, d'après certains érudits anciens, par
Romulus, d'après d'autres par Servius Tullius ou par les premiers
consuls.
Elles
furent établies pour que les habitants de la campagne pussent par
intervalles se rendre à la ville et y prendre soin de leurs intérêts.
Elles étaient donc marquées à la fois par un arrêt dans les travaux des
champs et par de multiples occupations d'autre nature. Ce jour-là
ruraux et citadins échangent leurs produits : le marché a lieu aux nundinæ,
dont il est 1'affaire principale et essentielle. La vie ordinaire
s'interrompt : les enfants ont congé dans les écoles, les grandes
personnes vont au bain, on se réunit entre amis pour des repas plus
somptueux qu'à l'ordinaire. Le dies
nundinarum est souvent choisi comme terme assigné à
l'exécution d'un engagement ou d'un contrat.
L'ancienne
année romaine, que Romulus avait organisée, comprenait dix mois et
trois cent quatre jours, c'est-à-dire exactement trente-huit semaines.
Dans l'année de douze mois, la division par semaines ne coïncidait plus
avec la division par mois ; les séries de huit jours se continuaient,
comme nos séries de sept, d'un mois
sur l'autre et d'une année sur l'autre, sans interruption. Plusieurs
hémérologes ou calendriers perpétuels, gravés sur la pierre à la fin de
la République et au début de l'Empire, nous ont été conservés. Chaque
jour de l'année y est désigné par une lettre qui marque sa place dans
la semaine ; les huit premières lettres de l'alphabet, depuis A jusqu'à
H, se répètent indéfiniment dans un ordre invariable, à partir du 1er
janvier, qui porte toujours la lettre A. Ce mode de notation ne remonte
pas au delà du IIIè siècle av. J.-C., époque où
le G fut
inséré dans
l'alphabet latin. Les premières nundinæ
de chaque année ne tombaient
pas huit jours révolus après le 1er janvier,
mais huit jours
après les
dernières du mois de décembre de l'année précédente; elles
pouvaient donc être désignées par l'une quelconque des huit premières
lettres de l'alphabet, qui qualifiait ensuite toutes les autres
nundinæ
de l'année et devenait, comme l’on dit, la lettre
nondinale de celle-ci.
Au
point de vue religieux, la rencontre des nundinæ
avec les kalendes de
janvier ou avec les nones de n'importe quel mois passait pour funeste
et de mauvais augure. Les pontifes devaient prendre soin qu'elle
n'eût pas lieu. Ils y parvenaient, grâce au jeu arbitraire des
intercalations, qu'autorisait l'imparfaite correspondance de l'année
solaire et de l'année civile dans le calendrier attribué aux décemvirs.
Même après la réforme de Jules César, les pontifes ajoutèrent
encore un jour à l'année 714 de Rome, 40 av. J.-C., pour empêcher que
le 1er janvier 713 coïncidât avec les nundinæ. Ces dernières
entraînaient d’ailleurs avec elles des dies atri : Auguste faisait
attention à ne jamais entreprendre de voyage le lendemain, se couper
les ongles aux nundinæ, sans rien dire et en commençant par l'index,
était regardé comme un signe fâcheux. Elles étaient marquées par
certaines cérémonies particulières: on voyait en elles les dies
parentales de Servius Tullius ; d'après Plutarque, elles avaient
été consacrées à Saturne; la religion officielle en tenait compte : aux
nundinæ la flaminica Dialis sacrifiait un bélier à Jupiter dans la
Regia. On ne savait pas cependant si l'on devait les tenir pour de
véritables feriæ. Au temps de Varron les pontifes consultés se
prononcèrent pour la négative. Mais plusieurs érudits romains, dont
Macrobe nous rapporte le témoignage, étaient d'un avis opposé d'après
Titus, cité aussi par Macrobe, les nundinæ étaient simplement des dies
sollemnes. Ces divergences venaient, selon Macrobe, de ce que les
nundinæ, d'abord néfastes, avaient été déclarées fastes par la loi
Hortensia ; ceux qui les reconnaissaient comme feriæ se référaient à
l'état ancien des choses ; ceux qui leur refusaient ce nom en
jugeaient d'après ce qui se passait de leur temps : un jour férié ne
pouvait être faste.
La lex Hortensia de nundinis ne diffère pas, semble-t-il, de la lex Hortensia de plebiscitis, rendue entre les
années 405 et 468 de Rome (289 et 286 av. J.-C.), qui accorda aux
decisions de la plèbe la même valeur obligatoire et générale qu'aux
lois. On ne connaît la loi sur les nundinae que par Macrobe :
afin de permettre aux ruraux venus à la ville pour le marché de suivre
en même temps leurs procès, elle déclara les nundinæ dies fasti, jours
fastes, car le préteur ne pouvait rendre la justice les jours
néfastes. On a diversement interprété ce texte. D'après l'opinion la
plus répandue, avant la loi Hortensia les nundinæ, dits nefasti,
étaient impropres à la fois aux débats judiciaires et aux comices
curiales et centuriates; il ne fallait pas, disait-on, que le peuple
pût être détourné de ses intérêts matériels; en réalité, on voulait
surtout par ce moyen écarter des assemblées politiques la plèbe rurale
qui affluait à la ville tes jours de marché et qui aurait pu obtenir la
majorité dans les réunions au détriment de l'aristocratie urbaine. Les
tribuns, au contraire, avaient choisi précisément ces mêmes jours pour
tenir les concilia plebis : c'est du moins ce que paraissent indiquer
Rutilius, au rapport de Macrobe, et Denys d’Halicarnasse. Les ruraux
auraient voulu profiter de leur venue à la ville pour agir en justice
et assister à toutes les assemblées. La loi Hortensia leur donna pleine
satisfaction : les nundinæ furent proclamées dies fasti, c'est-à-dire
aptes à l'exercice de la justice, et dies comitiales, c'est-à-dire
aptes à la tenue des comices curiales et centuriates comme des concilia
plebis, à moins bien entendu que les jours où elles tombaient
ne fussent néfastes pour quelque autre motif. D'après
Mommsen l'effet de la loi aurait été tout différent. Un fragment d'un
ouvrage de Jules César, conservé par Macrobe, atteste encore
formellement qu'au dernier siècle de la République on ne pouvait tenir
de contio ni de comices aux nundinæ; la loi Hortensia, en les
déclarant fastes, les avait donc réservées spécialement à
l'administration de la justice; elles n'étaient pas dies comitiales;
pour qu'on leur ouvrît aux nundinæ le tribunal du préteur, les ruraux
renoncèrent à demander que l'on réunît ce jour-là les comices
ou même leurs propres conciles. M. Huvelin va plus loin. Les
textes de Rutilius et de Denys d'Halicarnasse signifient, d'après lui,
qu’à l'origine tous les comices et les audiences de justice pouvaient
avoir lieu pendant les nundinæ; il était naturel qu'un peuple agricole,
économe de son temps, eût placé aux jours où il quittait les champs
pour vaquer à ses affaires urbaines toutes ses assemblées politiques,
judiciaires, commerciales;
la spécialisation n’est venue qu'ensuite; elle fut consacrée par la
loi Hortensia, qui distingua définitivement les jours de marché et
d'audience judiciaire des jours de réunion politique.
On appelait
internundinum ou simplement nundinum, plus tard nundinium, le temps
compris entre deux nundinæ consécutives; par extension, sous
l'Empire on entendit par nundinum toute époque d'une durée fixe et
périodique, en particulier le temps pendant lequel un collège
consulaire restait en charge. L'expression trinoum nundinum ou trinum nundinum ou trinundinum, dérive soit de nundinæ (ce
serait une contraction pour trinarum nundinarum), soit plutôt de
nundinum. Elle désigne un intervalle de trois nundina ou trois fois
huit jours, qui d'ailleurs ne commence ni ne finit à un jour de marché
(si l'hypothèse de M. Huvelin est exacte, il en était autrement à
l'origine, avant la loi Hortensia). Le trinundinum jouait un grand rôle
dans le droit public et privé de l'époque républicaine. Vingt-quatre
jours devaient séparer la convocation d'une assemblée et le vote. Cet
intervalle était exigé pour toutes les assemblées délibérantes du
peuple, même pour les comices par curies; aucun projet de rogatio ne
pouvait être mis aux voix s’il n'avait été proposé et publié trois
nundina à l'avance; on donnait ainsi aux citoyens le temps
d'en prendre connaissance, d'en examiner sans précipitation les
avantages et les inconvénients. En 656 de Rome, 98 av. J.-C., la loi
Cæcilia Didia rappela encore expressément cette règle ancienne.
Lorsqu'elle était violée, le Sénat cassait les votes émis. Le
trinundinum devait être observé aussi en matière de jugements et
d'élections : la liste sur laquelle les candidats aux magistratures se
faisaient inscrire était close au moins trois nundina avant le jour du
vote; c'est un souvenir d'un ancien usage rappelé par
Macrobe : aux premiers temps les candidats se rendaient au marché les
jours de nundinæ et s'exposaient sur un tertre à tous les regards.
Dans la procédure de la legislatio per manus injectionem, la loi des
Douze Tables ordonnait que le débiteur insolvable fût à trois jours de
marché consécutifs extrait de la prison et conduit au comitium; on
proclamait à haute voix le montant de sa dette, dans l'espoir qu'un
tiers paierait pour lui la somme qu'il devait et le libérerait; s'il
y a pluralité de créanciers, ceux-ci déclareront quelle part ils
réclament sur les biens du débiteur; tel est du moins le sens que
paraissent avoir les mots tertiis nundinis partes secanto, reproduits
par Aulu-Gelle. En somme et dans tous les cas, le trinundinum est une
mesure de publicité; il a pour but de faire connaître une décision
projetée ou une situation donnée à tous ceux qu'elles intéressent.
On comprend qu'une pareille notion soit inséparablement liée à l'idée
même des nundinæ, qui rassemblaient une fois la semaine autour du
marché ta population entière de la ville et de sa campagne.
Au
point de vue commercial, les nundinæ dans la Rome primitive avaient une
importance considérable :
elles
furent les premiers marchés de la cité et longtemps les seuls; tous les
huit jours les campagnards venaient apporter leurs denrées et faire
l'emplette des objets usuels qui leur étaient nécessaires. C'est au
Forum romain et dans ses environs immédiats, occupés par de nombreuses
boutiques, que se concentrait alors, à intervalles réguliers, la vie
économique du peuple entier. Plus tard l'accroissement de la
population, le développement incessant des besoins et des ressources
firent établir, en dehors du Forum romanum, sur diverses places particulières, fora ou macella, des marchés quotidiens. Les nundinae
cessèrent d'être les grandes foires périodiques de la capitale.
Toutefois le mot qui les désignait prit ou garda un sens dérivé, qui
devait perpétuer la mémoire des usages d'autrefois. A la fin de la
République et sous l'Empire les nundinae
ne sont pas seulement les jours de marché, mais encore, dans certains
cas de plus en plus fréquents, les marchés eux-mêmes. Cicéron appelle
la ville de Capoue, par métaphore, le marché des ruraux de Campanie, nundinas rusticorum. Tite-Live entend par nundinae le lieu où l'on vend et l'on achète, à côté des conciliabula, emplacement des réunions politiques. Un titre du Digeste traite de nundinis, un titre du Code de Justinien de nundinis et mercationibus, c'est-à-dire des marchés. Le jus nundinarum
est le droit d'ouvrir et de tenir des marchés à époques fixes dans les
villes ou les grands domaines; il est demandé par les municipalités ou
les particuliers, accordé d'abord par le Sénat ou les consuls ensuite
et le plus souvent par l'empereur ou ses légats; en général, les nundinae ont lieu deux fois par mois. De tous les textes qui les concernent, le plus intéressant et le plus explicite est le Senatus consultum de nundinis saltus Beguensis in territorio Casensi,
trouvé en Afrique, dans la Byzacène, à Henchir-el-Begar; il date de
l'année 138 ap. J-C.; autorisation est donnée à un grand
propriétaire, nommé Lucilius Africanus, de créer des nundinae
tous les mois, le quatrième jour avant les nones et le douzième avant
les kalendes, et d'y convoquer voisins et étrangers, à condition
seulement que les réunions ne causent aucun dommage à personne.
Un forum nundinarium est une place de rnarché, un oppidum nundinarium une ville où se tiennent des foires. Le mot nundinatio veut dire trafic et le verbe nundinari, faire le commerce. Des inscriptions sont dédiées à Jupiter Nundinarius et à Mercure Nundinator : on honorait en ces divinités les protecteurs des échanges commerciaux et du négoce.
MAURICE BESNIER
Le dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines...
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