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F L O R U S
Abrégé de l'histoire romaine
Livre premier
 
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 Proemium. - Populus Romanus a rege Romulo in Caesarem Augustum septingentos per annos, tantum operum pace belloque gessit, ut, si quis magnitudinem imperii cum annis conferat, aetatem ultra putet. Ita late per orbem terrarum arma circumtulit, ut qui res ejus legunt, non unius populi, sed generis humani facta discant. Nam tot in laboribus periculisque jactatus est, ut, ad constituendum ejus imperium, contendisse Virtus et Fortuna videantur.
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 Avant-propos. - Le peuple romain, depuis le roi Romulus jusqu'à César Auguste, a, pendant sept cents ans, accompli tant de choses dans la paix et dans la guerre, que, si l'on compare la grandeur de son empire avec sa durée, on le croira plus ancien. Il a porté ses armes si avant dans l'univers, qu'en lisant ses annales ce n'est pas l'histoire d'un seul peuple que l'on apprend, mais celle du genre humain. Il a été en butte à tant d'agitations et de périls, que, pour établir sa puissance, le courage et la fortune semblent avoir réuni leurs efforts.
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Qua re quum praecipua quaeque operae pretium sit cognoscere sigillatim, tamen quia ipsa sibi obstat magnitudo rerumque diversitas aciem intentionis abrumpit, faciam, quod solent qui terrarum situs pingunt: in brevi quasi tabella totam ejus imaginem amplectar, non nihil, ut spero, ad admirationem principis populi collaturus, si pariter atque insimul universam magnitudinem ejus ostendero.
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Aussi ce sont principalement ses progrès qu'il importe de connaître : cependant, comme le plus grand obstacle à une entreprise est son étendue, et que la diversité des objets émousse l'attention, je ferai ce qu'ont l'habitude de faire ceux qui décrivent les contrées de la terre; j'embrasserai, comme dans un cadre étroit, le tableau entier de l'empire, avec l’intention de contribuer quelque peu, je l’espère, à l’admiration qu’inspire le peuple roi., si je parviens à retracer dans ses proportions et dans son ensemble son universelle grandeur.
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Si quis ergo populum Romanum quasi hominem consideret, totamque ejus aetatem percenseat, ut coeperit, utque adoleverit, ut quasi ad quemdam juventae florem pervenerit, ut postea velut consenuerit, quatuor gradus processusque ejus inveniet.
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Si donc l'on considère le peuple romain comme un seul homme, si l'on envisage toute la suite de son âge, sa naissance, son adolescence, la fleur, pour ainsi dire, de sa jeunesse, et enfin l'espèce de vieillesse où il est arrivé, on trouvera son existence partagée en quatre phases et périodes.
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Prima aetas sub regibus fuit, prope ducentos [quinquaginta] per annos, quibus circum ipsam matrem suam cum finitimis luctatus est. Haec erit ejus infantia.
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Son premier âge se passa sous les rois, dans l'espace de près de deux cent cinquante années, pendant lesquelles il lutta, autour de sa propre mère patrie, contre les nations voisines. Ce sera là son enfance.
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Sequens a Bruto Collatinoque consulibus in Appium Claudium Quinctum Fulvium consules ducentos quinquaginta annos patet, quibus Italiam subegit. Hoc fuit tempus viris, armisque incitatissimum : ideo quis adolescentiam dixerit. 
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L'âge suivant, depuis le consulat de Brutus et de Collatin jusqu'à celui d'Appius Claudius et de Quinctus Fulvius, embrasse deux cent cinquante ans, durant lesquels il soumit l'Italie. Cette période agitée fut féconde en guerriers, en combats; aussi peut-on l'appeler son adolescence.
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Deinc ad Caesarem Augustum ducenti anni, quibus totum orbem pacavit : hic jam ipsa juventa imperii, et quasi robusta maturitas.
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De là, jusqu'à César Auguste, s'écoulèrent deux cents années, qu'il employa à pacifier tout l'univers. C'est alors la jeunesse de l'empire et sa robuste maturité.
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A Caesare Augusto in saeculum nostrum haud multo minus anni ducenti, quibus inertia Caesarum quasi consenuit atque decoxit;  nisi quod sub Trajano principe movet lacertos; et praeter spem omnium senectus imperii, quasi reddita juventute, revirescit.
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Depuis César Auguste jusqu'à nos jours, on ne compte pas beaucoup moins de deux cents ans, pendant lesquels l'inertie des Césars l'a en quelque sorte fait vieillir et décroître entièrement. Mais, sous le règne de Trajan, il retrouve ses forces, et, contre toute espérance, ce vieil empire, comme rendu à la jeunesse, reprend sa vigueur. 
 
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I. - De Romulo. - Primus ille et urbis et imperii conditor Romulus fuit, Marte genitus, et Rhea Silvia. Hoc de se sacerdos gravida confessa est; nec mox Fama dubitavit, cum Amulii imperio abjectus in profluentem cum Remo fratre, non potuit exstingui : siquidem et Tiberinus amnem repressit; et, relictis catulis, lupa secuta vagitum ubera admovit infantibus, matremque se gessit. Sic repertos apud arborem, Faustulus, regis pastor, tulit in casam atque educavit. Alba tunc erat Latio caput, Iuli opus: nam Lavinium patris Aeneae contemserat. Ab his Amulius jam [bis] septima subole regnabat, fratre pulso Numitore, cujus ex filia Romulus. Igitur statim prima juventae face, patruum Amulium ab arce deturbat, avum reponit. Ipse fulminis amator et montium, apud quod erat educatus, moenia novae urbis agitabat. Gemini erant : uter auspicaretur et regeret, adhibere placuit deos. Remus montem Aventinum, hic Palatinum occupat. Prior ille sex vultures, hic postea, sed duodecim vidit. Sic victor augurio urbem excitat, plenus spei, bellatricem fore : ita illi assuetae sanguine et praeda aves pollicebantur.
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I. - De Romulus - (An de Rome 1-58.) - Le premier fondateur et de Rome et de l'empire fut Romulus, né de Mars et de Rhéa Sylvia. Cette vestale en fit l'aveu pendant sa grossesse; et l'on n'en douta bientôt plus, lorsqu'ayant été, par l'ordre d'Amulius, jeté dans le fleuve avec Rémus, son frère, il ne put y trouver la mort : le Tibre arrêta son cours; et une louve, abandonnant ses petits, accourut aux cris de ces enfants, leur présenta ses mamelles, et leur servit de mère. C'est ainsi que Faustulus, berger du roi, les trouva auprès d'un arbre; il les emporta dans sa cabane, et les éleva. Albe était alors la capitale du Latium. Iule l'avait bâtie, dédaignant Lavinium, fondée par son père Énée. Amulius, quatorzième descendant de ces rois, régnait, après avoir chassé soit frère Numitor, dont la fille était mère de Romulus. Celui-ci, dans le premier feu de sa jeunesse, renverse du trône son oncle Amulius, et y replace son aïeul. Chérissant le fleuve et les montagnes qui l'avaient vu élever, il y méditait la fondation d'une nouvelle ville. Rémus et lui étaient jumeaux; pour savoir lequel des deux lui donnerait son nom et ses lois, ils convinrent d'avoir recours aux dieux. Rémus se place sur le mont Aventin, son frère sur le mont Palatin. Rémus, le premier, aperçoit six vautours; mais Romulus en voit ensuite douze. Vainqueur par cet augure, il presse les travaux de sa ville, plein de l'espoir qu'elle sera belliqueuse : ainsi le lui promettaient ces oiseaux habitués au sang et au carnage.
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Ad tutelam novae urbis sufficere vallum videbatur : cujus dum irridet angustias Remus, idque increpat saltu, dubium an jussu fratris, occisus est : prima certe victima fuit, munitionemque urbis novae sanguine suo consecravit. Imaginem urbis magis quam urbem fecerat: incolae deerant. Erat in proximo lucus : hunc asylum facit; et statim mira vis hominum, Latini Tuscique pastores; quidam etiam transmarini, Phryges qui sub Aenea, Arcades qui sub Evandro duce influxerant. Ita ex variis quasi elementis congregavit corpus unum; populumque Romanum ipse fecit.
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Pour la défense de la nouvelle ville, un retranchement semblait suffire; Rémus se moque de cette étroite barrière, et la franchit d'un saut par dérision; on le tua, et on ne sait si ce fut sur l'ordre de son frère. II fut du moins la première victime qui consacra de son sang les murailles de la ville naissante. C'était plutôt l'image d'une ville qu'une ville véritable que Romulus avait créée; les habitants manquaient. Dans le voisinage était un bois sacré; il en fait un asile; et soudain accourent une multitude prodigieuse d'hommes, des pâtres latins et toscans, quelques étrangers d'outre-mer, des Phrygiens qui, sous la conduite d'Énée, et des Arcadiens qui, sous celle d'Evandre, s'étaient répandus dans le pays. De ces éléments divers il composa un seul corps, et il en fit le peuple romain.
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Res erat unius aetatis, populus virorum. Itaque matrimonia a finitimis petita : quia non inpetrabantur, manu capta sunt. Simulatis quippe ludis equestribus, virgines, quae ad spectaculum venerant, praeda fuere. Et statim causa bellorum. Pulsi fugatique Veientes. Caeninensium captum ac dirutum est oppidum. Spolia insuper opima de rege Feretrio Jovi manibus suis rex reportavit. Sabinis proditae portae per virginem; nec dolo : sed puella pretium rei, quae gerebant in sinistris, petierat; dubium clipeos an armillas. Illi, ut et fidem solverent et ulciscerentur, clypeis obruere. Ita admissis intra moenia hostibus, atrox in ipso foro pugna, adeo ut Romulus Jovem oraret, foedam suorum fugam sisteret; hinc templum et Stator Juppiter. Tandem saevientibus  intervenere raptae, laceris comis. Sic pax facta cum Tatio foedusque percussum; secutaque res mira dictu, ut, relictis sedibus suis, novam in urbem hostes demigrarent et cum generis suis avitas opes pro dote sociarent.
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La cité se bornait à une seule génération, un peuple d'hommes. II demanda donc des épouses à ses voisins; et, ne les ayant pas obtenues, il les enleva de vive force. On feignit, dans ce dessein, de célébrer des jeux équestres : les jeunes filles, qui étaient venues à ce spectacle, devinrent la proie des Romains, et en même temps une cause de guerre. Les Véiens furent battus et mis en fuite. On prit et on ruina la ville des Céniniens. De plus, les dépouilles opimes de leur roi furent rapportées à Jupiter Férétrien par les mains du roi de Rome. Une jeune fille livra les portes de la ville aux Sabins : ce n'était pas par trahison; seulement, elle leur avait demandé, pour prix de son action, ce qu'ils portaient à leur bras gauche, sans désigner leurs boucliers ou leurs bracelets, Les Sabins, pour dégager leur parole et punir en même temps sa perfidie, l'accablèrent sous leurs boucliers. Quand, par ce moyen, ils eurent été introduits dans les murs, il se livra, sur la place publique, un combat si sanglant que Romulus pria Jupiter d'arrêter la fuite honteuse des siens. De là, le temple et le nom de Jupiter Stator. Enfin, les femmes enlevées se précipitèrent entre les combattants en fureur, les cheveux épars. La paix fut faite alors avec Tatius, et l'alliance conclue: par un retour surprenant, les ennemis, abandonnant leurs foyers, passèrent dans la nouvelle ville, et apportèrent, pour dot, à leurs gendres, les richesses de leurs aïeux.
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Auctis brevi viribus, hunc rex sapientissimus statum reipublicae imposuit: juventus divisa per tribus in equis et armis ut ad subita belli excubaret : consilium reipublicae penes senes esset, qui ex auctoritate Patres, ob aetatem senatus vocabantur. 
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Rome, ayant en peu de temps accru ses forces, voici la forme que le roi, dans sa haute sagesse, imposa à la république. La jeunesse, divisée par tribus, était toujours à cheval et sous les armes, prête à combattre au premier signal; le conseil de la république fut confié aux vieillards, que leur autorité fit appeler Pères, et leur âge Sénateurs.
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His ita ordinatis, repente, quum concionem haberet ante urbem, apud Caprae paludem, e conspectu ablatus est. Discerptum aliqui a senatu putant ob asperius ingenium : sed oborta tempestas solisque defectio consecrationis speciem praebuere. Cui mox Julius Proculus fidem fecit, visum a se Romulum affirmans augustiore forma quam fuisset; mandare praeterea ut se pro numine acciperent; Quirinum in caelo vocari placitum diis; ita gentium Roma potiretur.
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Cet ordre établi, un jour que Romulus tenait une assemblée devant la ville, près du marais de Capréa, tout à coup il disparut à tous les regards. Quelques-uns pensent qu'il fut, à cause de son caractère trop âpre, mis en pièces par le sénat; mais un orage qui s'éleva et une éclipse de soleil donnèrent à cet événement l'apparence d'une apothéose. Julius Proculus accrédita bientôt cette idée, en affirmant que Romulus s'était fait voir à lui sous une forme plus auguste que pendant sa vie; qu'il voulait qu'on l'honorât désormais comme une divinité; que, dans le ciel, il s'appelait Quirinus, les dieux l'ayant ainsi arrêté; qu'à ce prix, Rome deviendrait la maîtresse des nations. 
 
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II. - De Numa Pompilio. - Succedit Romulo Numa Pompilius, quem Curibus Sabinis agentem ultro petivere ob inclytam viri religionem. Ille sacra et caerimonias omnemque cultum deorum inmortalium docuit; ille pontifices, augures, salios caeteraque populi Romani sacerdotia creavit,  annum quoque in duodecim menses, fastos dies nefastoque descripsit.  Ille ancilia atque Palladium, secreta quaedam imperii pignora, Janumque geminum, fidem pacis ac belli, in primis focum Vestae virginibus colendum dedit, ut ad simulacrum caelestium siderum custos imperii flamma vigilaret. Haec omnia quasi monitu deae Egeriae, quo magis barbari acciperent. Eo denique ferocem populum redegit, ut, quod vi et injuria occupaverat imperium, religione atque justitia gubernaret.
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II. - De Numa Pompilius. - (An de Rome 59. ) - A Romulus succéda Numa Pompilius, qui vivait à Cures, chez les Sabins, où les Romains allèrent d'eux-mêmes le chercher, sur la réputation de son insigne piété. Ce fut lui qui leur enseigna les sacrifices, les cérémonies, et tout le culte des dieux immortels; qui établit les pontifes, les augures, les saliens et les autres sacerdoces du peuple romain; qui divisa l'année en douze mois, et les jours en fastes et néfastes; lui enfin qui institua les boucliers sacrés, le Palladium, quelques autres gages mystérieux de l'empire, le Janus au double visage, et surtout le feu de Vesta, dont il commit l'entretien à des vierges, afin qu'à l'image des astres du ciel, cette flamme tutélaire ne cessât de veiller. II attribua toutes ces choses aux conseils de la déesse Egérie, pour que les Romains, encore barbares, les accueillissent avec plus de respect. Enfin, il sut si bien apprivoiser ce peuple farouche, qu'un empire fondé par la violence et l'usurpation fut gouverné par la religion et la justice. 
 
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III. - De Tullo Hostilio. - Excipit Pompilium Numam Tullus Hostilius, cui in honorem virtutis regnum ultro datum. Hic omnem militarem disciplinam artemque bellandi condidit. Itaque mirum in modum exercita juventute, provocare ausus Albanos, gravem et diu principem populum. Sed quum pari robore frequentibus proeliis utrique comminuerentur, misso in compendium bello, Horatiis Curiatiisque, tergeminis hinc atque inde fratribus, utriusque populi fata permissa sunt. Anceps et pulchra contentio exituque ipso mirabilis. Tribus quippe illinc vulneratis, hinc duobus occisis, qui supererat Horatius, addito ad virtutem dolo, ut distraheret hostem, simulat fugam; singulosque, prout sequi poterant, adortus exsuperat. Sic (rarum alias decus) unius manu parta victoria est; quam ille mox parricidio foedavit. Flentem spolia circa se sponsi quidem, sed hostis, sororem viderat. Hunc tam inmaturum amorem virginis ultus est ferro. Citavere leges nefas : sed abstulit virtus parricidam et facinus infra gloriam fuit. Nec diu in fide Albanus. Nam Fidenate bello missi in auxilium ex foedere, medii inter duos exspectavere fortunam. Sed rex callidus, ubi inclinare socios ad hostem videt, tollit animos, quasi ipse mandasset. Spes inde nostris, metus hostibus. Sic fraus proditorum irrita fuit. Itaque hoste victo ruptorem foederis Mettum Fufetium religatum inter duos currus pernicibus equis distrahit, Albamque ipsam quamvis parentem, aemulam tamen diruit, quum prius opes urbis ipsumque populum Romam transtulisset: prorsus ut consanguinea civitas non periisse, sed in suum corpus rediisse rursus videretur.
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III. - De Tullus Hostilius. - (An de Rome 82.) - Numa Pompilius eut pour successeur Tullus Hostilius, à qui l'on donna librement le trône pour honorer son courage. II fonda toute la discipline militaire et l'art de la guerre. Lorsqu'il eut parfaitement exercé la jeunesse, il osa provoquer les Albains, peuple redoutable, et qui avait longtemps tenu le premier rang. Mais comme, par l'égalité de leurs forces, les deux nations s'affaiblissaient dans de fréquents combats, on voulut abréger la guerre; trois frères de part et d'autre, les Horaces et les Curiaces, furent chargés des destinées de leur pays. La lutte incertaine, mais glorieuse, eut une issue miraculeuse. D'un côté, en effet, les trois combattants étaient blessés; de l'autre, deux avaient été tués; l'Horace qui survivait ajouta la ruse au courage; pour diviser les ennemis, il feint de prendre la fuite; et, dans la mesure où ils pouvaient le suivre, il les attaque et les terrasse l'un après l'autre. Ainsi, gloire donnée à peu de nations! la main d'un seul homme nous obtint la victoire; il la souilla bientôt par un parricide. Il vit sa soeur pleurer auprès de lui sur les dépouilles d'un Curiace, son fiancé, mais l'ennemi de Rome. Horace punit par le fer les larmes intempestives de cette jeune fille. Les lois réclamèrent le châtiment du coupable; mais la valeur fit oublier le parricide, et le crime disparut devant la gloire. Cependant les Albains ne furent pas longtemps fidèles : car, dans une guerre contre les Fidénates, où, d'après le traité, ils servaient comme auxiliaires, ils attendirent, immobiles entre les deux armées, que la fortune se déclarât. Mais l'adroit Hostilius vit à peine ces alliés s'avancer vers l'ennemi, que, pour rassurer les esprits, il feignit d'avoir lui-même ordonné ce mouvement, feinte qui remplit d'espérance nos soldats, et les Fidénates d'effroi. Le dessein des traîtres demeura ainsi sans effet. Les ennemis, ayant été vaincus, l'infracteur du traité, Mettus Fufétius, fut lié entre deux chars et écartelé par des chevaux fougueux. Quant à la ville d'Albe, mère, il est vrai, mais rivale de la nôtre, Tullus la fit raser, après avoir transféré à Rome ses richesses et même sa population; de sorte qu'il sembla moins avoir détruit une cité qui avait avec Rome des liens de parenté, qu'avoir réuni les membres d'un même corps. 
 
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IV. - De Anco Marcio. - Ancus deinde Marcius, nepos Pompilii,  pari ingenio. Hic igitur et moenia muro amplexus est, et interfluentem Urbi Tiberinum ponte commisit; Ostiamque in ipso maris fluminisque confinio coloniam posuit : jam tum videlicet praesagiens animo futurum ut totius mundi opes et commeatus illo, veluti maritimo urbis hospitio, reciperentur.
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IV. - D'Ancus Marcius. - (An de Rome 114.) - Ensuite vint Ancus Marcius, petit-fils de Numa, dont il eut le caractère. Il entoura d'une muraille les retranchements de la ville, joignit par un pont les rives du Tibre qui la traverse, et fonda une colonie à Ostie, à l'embouchure même de ce fleuve; sans doute son esprit pressentait déjà que les richesses et les productions du monde entier y seraient reçues comme dans l'entrepôt maritime de Rome. 
 
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V. - De Tarquinio Prisco. - Tarquinius postea Priscus, quamvis transmarinae originis, regnum ultro petens accepit, ob industriam atque elegantiam : quippe qui oriundus Corintho Graecum ingenium Italicis artibus miscuisset. Hic et senatus majestatem numero ampliavit, et centuriis tribus auxit, quatenus Attius Navius numerum augere prohibebat, vir summus augurio. Quem rex in experimentum rogavit, "fierine posset, quod ipse mente conceperat." Ille rem expertus augurio, posse respondit. "Atqui hoc", inquit, "agitabam, an cotem illam secare novacula possem". Augur " Potes ergo", inquit, et secuit. Inde Romanis sacer auguratus.
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V. - De Tarquin l'Ancien. - (An de Rome 159.) - Tarquin l'Ancien, qui lui succéda, quoique, d'une famille venue d'au-delà des mers, osa aspirer au trône; il le dut à son adresse et à l'élégance de ses moeurs : originaire de Corinthe, il alliait la subtilité grecque à la souplesse italienne. II rehaussa la majesté du sénat en multipliant ses membres, et, par de nouvelles centuries, il étendit les tribus dont Attius Navius, savant augure, lui défendait d'augmenter le nombre. Le roi, pour l'éprouver, lui demande " si la chose à laquelle il pensait en ce moment pouvait s'exécuter. " Navius, ayant consulté son art, répond qu'elle est possible. " Eh bien ! dit le roi, je songeais en moi-même si je pourrais couper ce caillou avec un rasoir. - Vous le pouvez, repartit l'augure; " il le coupa en effet. Depuis ce temps, la dignité d'augure fut sacrée pour les Romains.
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Neque pace Tarquinius quam bello promptior : duodecim namque Tusciae populos frequentibus armis subegit. Inde fasces, trabeae, curules, annuli, phalerae, paludamenta, praetexta, inde, quod aureo curru, quatuor equis triumphatur; togae pictae tunicaeque palmatae; omnia denique decora et insignia, quibus imperii dignitas eminet.
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Tarquin ne fut pas moins entreprenant dans la guerre que dans la paix. Il soumit les douze peuples de l'Etrurie dans de nombreux combats. De là nous sont venus les faisceaux, les toges des souverains magistrats, les chaises curules, les anneaux, les colliers des chevaliers, les manteaux militaires, la robe prétexte; de là aussi le char doré des triomphateurs, traîné par quatre chevaux, les robes peintes, les tuniques à palmes; enfin tous les ornements et les insignes qui relèvent la dignité de l'empire. 
 
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VI. - De Servio Tullio. - Servius Tullius deinceps gubernacula Urbis invadit, nec obscuritas inhibuit quamvis matre serva creatum; nam eximiam indolem uxor Tarquinii Tanaquil liberaliter educaverat; et clarum fore visa circa caput flamma promiserat. Ergo inter Tarquinii mortem, adnitente regina, substitutus in locum regis quasi ad  tempus, regnum dolo partum sic egit industrie, ut jure adeptus videretur. Ab hoc populus Romanus relatus in censum, digestus in classes, curiis atque collegiis distributus; summaque regis solertia ita est ordinata respublica, ut omnia patrimonii, dignitatis, aetatis, artium officiorumque discrimina in tabulas referentur; ac sic maxima civitas minimae domus diligentia contineretur.
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VI. - De Servius Tullius.- (An de Rome 175.) - Servius Tullius se saisit ensuite du gouvernement de Rome, malgré l'obscurité de sa naissance, et quoiqu'il fût né d'une mère esclave, Tanaquil, épouse de Tarquin, avait cultivé, par une éducation libérale, l'heureux naturel de ce jeune homme; une flamme, qu'elle avait vue autour de sa tête, lui avait présagé sa gloire future. Dans les derniers moments de Tarquin, Servius fut, par les soins de la reine, mis à la place du roi, comme à titre provisoire; et il gouverna avec tant d'habileté un royaume acquis par la ruse, qu'il parut l'avoir légitimement obtenu. Ce fut par lui que le peuple romain fut soumis au cens, rangé par classes, distribué en curies et en collèges. Ce roi établit, par la supériorité de sa sagesse, un tel ordre dans la république, que tous les détails sur le patrimoine, la dignité, l'âge, les professions et les emplois de chacun étaient portés sur des tables; de cette manière, cette grande cité fut réglée avec autant d'exactitude que la maison du moindre particulier. 
 
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VII. - De Tarquinio Superbo. - Postremus omnium fuit regum Tarquinius, cui cognomen Superbo ex moribus datum. Hic regnum avitum, quod a Servio tenebatur, rapere maluit quam exspectare : inmissisque in eum percussoribus scelere partam potestatem non melius egit quam adquisierat. Nec abhorrebat moribus uxor Tullia, quae, ut virum regem salutarat, supra cruentum patrem, vecta carpento, consternatos equos egit.
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VII. - Tarquin le Superbe. - ( An de Rome 220.) - Le dernier de tous les rois fut Tarquin, à qui son caractère fit donner le surnom de Superbe. Le trône de son aïeul était occupé par Servius; il aima mieux le ravir que l'attendre : après avoir fait assassiner ce roi, il n'exerça pas mieux qu'il ne l'avait acquise une puissance obtenue par le crime. Sa femme Tullie ne répugnait pas à ses sanguinaires habitudes : comme elle accourait, dans son char, saluer roi son époux, elle fit passer sur le corps sanglant de son père ses chevaux épouvantés.
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Sed ipse in senatum caedibus, in omnes superbia, quae crudelitate gravior est bonis, grassatus, quum saevitiam jam domi fatigasset, tandem in hostes conversus est. Sic valida oppida in Latio capta sunt, Ardea, Ocriculum, Gabii, Suessa Pometia. Tum quoque cruentus in suos. Neque enim filium verberare dubitavit, ut simulanti transfugam apud hostes hinc fides esset. Cui Gabiis, ut voluerat, recepto, atque per nuntios consulenti quid fieri vellet, eminentia forte papaverum capita virgula excutiens, quum per hoc interficiendos esse principes intelligi vellet - quae superbia! - sic respondit.
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Quant à Tarquin, il décima le sénat par des meurtres, accabla tous les Romains d'un orgueil plus insupportable aux gens de bien que la cruauté; et quand il eut lassé sa fureur par des violences domestiques, il la tourna enfin contre les ennemis. Ainsi furent prises dans le Latium de solides places fortifiées, Ardée, Ocriculum, Gabie, Suessa Pométia. Alors même il fut cruel envers les siens. Il n'hésita pas à faire battre de verges son fils, afin que, passant chez les ennemis comme transfuge, il gagnât leur confiance. Après avoir été reçu dans Gabie, comme Tarquin l'avait désiré, ce jeune homme envoya prendre les ordres de son père, lequel lui répondit en abattant avec une baguette les têtes de pavots les plus élevées qui se trouvaient là, voulant faire entendre par là, ô excès d'orgueil! qu'il fallait tuer les premiers de la ville.
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Tamen de manubiis captarum urbium templum erexit, quod quum inauguraretur, cedentibus caeteris deis - mira res dictu - restitere Juventas et Terminus. Placuit vatibus contumacia numinum, siquidem firma omnia et aeterna pollicebantur. Sed illud horrendum, quod molientibus aedem in fundamentis humanum repertum est caput;  nec dubitavere cuncti, monstrum pulcherrimum imperii sedem caputque terrarum promittere. 
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Toutefois, il bâtit un temple avec les dépouilles des villes qu'il avait prises. Lorsqu'on l'inaugura, les autres dieux cédèrent leur place; mais, ô prodige! la Jeunesse et le dieu Terme firent résistance. Les devins interprétèrent favorablement l'opiniâtreté de ces divinités, qui promettaient ainsi à Rome une puissance inébranlable et éternelle. Mais ce qui parut plus étrange encore, c'est qu'en creusant les fondations du temple, on trouva une tête d'homme; personne ne douta qu'un prodige aussi éclatant n'annonçât que Rome serait le siège de l'empire et la tête de l'univers.
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Tamdiu superbiam regis populus Romanus perpessus est, donec aberat libido : hanc ex liberis ejus importunitatem tolerare non potuit. Quorum quum alter ornatissimae feminae Lucretiae stuprum intulisset, matrona dedecus ferro expiavit. Imperium tum regibus abrogatum.
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Le peuple romain souffrit l'orgueil du roi, tant que l'incontinence ne s'y joignit pas. II ne put supporter ce dernier outrage de la part de ses enfants. L'un d'eux ayant déshonoré Lucrèce, la plus illustre des femmes, cette Romaine expia sa honte en se poignardant. Alors fut abrogée la puissance des rois. 
 
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VIII. - Anacephalaeosis de septem regibus. - Haec est prima aetas populi Romani, et quasi infantia, quam habuit sub regibus septem, quadam fatorum industria, tam variis ingenio, ut reipublicae ratio et utilitas postulabat. Nam quid Romulo ardentius? Tali opus fuit, ut invaderet regnum. Quid Numa religiosius? Ita res poposcit, ut ferox populus deorum metu mitigaretur. Quid ille militiae artifex Tullius? bellatoribus viris quam necessarius, ut acueret ratione virtutem! Quid aedificator Ancus? ut urbem colonia extenderet, ponte jungeret, muro tueretur? Jam vero  Tarquinii ornamenta et insignia quantam principi populo addiderunt ex ipso habitu dignitatem! Actus a Servio census quid effecit, nisi ut ipsa se nosset Romana respublica? Postremo Superbi illius importuna dominatio nonnihil, immo vel plurimum profuit; sic enim effectum est, ut agitatus injuriis populus, cupiditate libertatis incenderetur.
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VIII. - Résumé sur les sept rois. - Voilà le premier âge du peuple romain, et pour ainsi dire son enfance; il la passa sous sept rois, dont le génie différent fut, par un heureux arrangement des destins, approprié aux intérêts et aux besoins de la république. En effet, quel génie plus ardent que celui de Romulus? Il fallait un tel homme pour saisir le gouvernement. Quel prince plus religieux que Numa? le bien de l'état le demandait ainsi, afin qu'un peuple farouche fût adouci par la crainte des dieux. Combien le créateur de l'art militaire, Tullius, n'était-il pas nécessaire à des hommes belliqueux? La science devait perfectionner leur courage. De quelle utilité ne fut pas, dans Ancus, le goût des constructions? Il donna à la ville une colonie pour son agrandissement, un pont pour la facilité des communications, un mur pour sa défense. Quant aux ornements et aux insignes de Tarquin, combien leur usage seul n'a-t-il pas ajouté à la dignité du peuple roi? Le cens établi par Servius n'eut-il pas pour effet d'apprendre à la république à se connaître elle-même? Enfin l'intolérable domination de Tarquin le Superbe, loin d'avoir été sans résultat, en fut au contraire un très avantageux; elle fit que le peuple, soulevé par les outrages, s'enflamma d'amour pour la liberté. 
 
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IX. - De mutatione Reipublicae. - Igitur Bruto Collatinoque ducibus et auctoribus, quibus ultionem sui moriens matrona mandaverat, populus Romanus ad vindicandum libertatis ac pudicitiae decus, quodam quasi instinctu deorum concitatus, regem repente destituit, bona diripit, agrum Marti suo consecrat, imperium in eosdem libertatis suae vindices transfert, mutato tamen nomine et jure. Quippe ex perpetuo annuum placuit, ex singulari duplex, ne potestas solitudine vel mora corrumperetur, consulesque appellavit pro regibus, ut consulere se civibus suis debere meminissent. Tantumque libertatis novae gaudium incesserat, ut vix mutati status fidem caperent; alterumque ex consulibus, tantum ob nomen et genus regium, fascibus abrogatis, Urbe dimitterent. Itaque substitutus Valerius Publicola, ex summo studio adnixus est ad augendam liberi populi majestatem. Nam et fasces ei pro contione submisit, et jus provocationis adversus ipsos dedit, et, ne specie arcis offenderet, eminentes aedes suas in plana submisit. Brutus vero favori civium etiam domus suae clade et parricidio velificatus est. Quippe quum studere revocandis in Urbem regibus liberos suos comperisset, protraxit in forum, et contione media virgis cecidit, et securi percussit : ut plane publicus parens in locum liberorum adoptasse sibi populum videretur.
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IX. - Du changement du gouvernement. - (An de Rome 244.) - Ainsi, sous la conduite, et par les conseils de Brutus et de Collatin, à qui Lucrèce, en mourant, avait confié le soin de sa vengeance, le peuple romain, excité, comme par une inspiration des dieux, à punir l'outrage fait à la liberté et à la pudeur, déposa aussitôt le roi, pilla ses biens, consacra son domaine à Mars, protecteur de Rome, et transféra aux vengeurs de sa liberté la suprême puissance dont il changea toutefois le nom et les droits. En effet, de perpétuelle, elle devint annuelle; unique auparavant, elle fut partagée; on voulait prévenir la corruption attachée à l'unité ou à la durée du pouvoir; le nom de rois fit place à celui de consuls, qui rappelait à ces magistrats qu'ils ne devaient consulter que les intérêts de leurs concitoyens. Tel fut l'excès de la joie qu'inspira la liberté nouvelle, qu'à peine put-on croire au changement opéré dans l'état; et qu'à cause de son nom seulement et de sa naissance royale, un des consuls se vit enlever ses faisceaux et banni de la ville. Valérius Poplicola, qui lui fut substitué, travailla avec le plus grand zèle à augmenter la majesté d'un peuple libre. Il fit abaisser ses faisceaux devant lui, dans les assemblées, et lui donna le droit d'appel contre les consuls eux-mêmes. Enfin, de peur qu'on ne prît ombrage de ce que sa maison, placée sur une éminence, offrait l'apparence d'une citadelle, il la fit rebâtir dans la plaine. Quant à Brutus, ce fut par le sang de sa famille et par le parricide qu'il s'éleva au faîte de la faveur populaire. Ayant découvert que ses fils travaillaient à rappeler les rois dans la ville, il les fit traîner sur la place publique, battre de verges au milieu de l'assemblée du peuple, et frapper de la hache. Il parut, aux yeux de tous, être ainsi devenu le père de la patrie, et avoir, à la place de ses enfants, adopté le peuple romain.
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Liber jam hinc populus Romanus prima adversus exteros arma pro libertate corripuit, mox pro finibus, deinde pro sociis, tum gloria et imperio, lacessentibus assidue usquequaque finitimis. Quippe cui patrii soli gleba nulla, sed statim hostile pomoerium, mediusque inter Latium et Tuscos quasi in quodam bivio collocatus, omnibus portis in hostem incurreret; donec quasi contagione quadam, per singulos itum est et, proximis quibusque correptis, totam Italiam sub se redegerunt.
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Libre désormais, Rome prit les armes contre les étrangers, d'abord pour sa liberté, bientôt après pour ses limites, ensuite pour ses alliés, enfin pour la gloire et pour l'empire, contre les continuelles attaques des nations voisines. En effet, sans territoire qu'ils pussent appeler le sol de la patrie, ayant à combattre au sortir même de leurs murs, placés entre le Latium et l'Étrurie, comme entre deux grands chemins, les Romains à toutes leurs portes rencontraient un ennemi; mais toujours marchant de proche en proche, ils soumirent les unes après les autres les nations voisines, et rangèrent toute l'Italie sous leur domination. 
 
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X. - Bellum etruscum regi Posenae. - Pulsis ex Urbe regibus, prima pro libertate arma corripuit. Nam Porsena, rex Etruscorum, ingentibus copiis aderat, et Tarquinios manu reducebat. Hunc tamen, quamvis et armis et fame urgeret, occupatoque Janiculo, ipsis Urbis faucibus incubaret, sustinuit, repulit; novissime etiam tanta admiratione perculit, ut superior ultro cum paene victis amicitiae foedera feriret. Tum illa Romana prodigia atque miracula, Horatius, Mucius, Cloelia : quae, nisi in annalibus forent, hodie fabulae viderentur. Quippe Horatius Cocles, postquam hostes undique instantes solus submovere non poterat, ponte reciso, transnatat Tiberim nec arma dimittit. Mucius Scaevola regem per insidias in castris ipsius aggreditur; sed, ubi frustrato circa purpuratum ejus ictu, tenetur, ardentibus focis injicit manum terroremque geminat dolo. "Ut scias" inquit, "quem virum effugeris; idem trecenti juravimus"; quum interim - inmane dictu - hic interritus, ille trepidaret, tamquam manus regis arderet. Sic quidem viri. Sed ne qui sexus a laude cessaret, ecce et virginum virtus. Una ex obsidibus regi data, elapsa custodiam, Cloelia, per patrium flumen equitabat. Et rex quidem tot tantisque virtutum territus monstris, valere, liberosque esse jussit. Tarquinii tamen tam diu dimicaverunt, donec Arruntem, filium regis, manu sua Brutus occidit, superque ipsum mutuo vulnere exspiravit, plane quasi adulterum ad inferos usque sequeretur.
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X. - Guerre contre Porsena, roi des Etrusques. - (An de Rome 246 ). - Après l'expulsion des rois, ce fut d'abord pour la liberté que Rome prit les armes. Porsena, roi des Étrusques, s'avançait à la tête d'une puissante armée et ramenait avec lui les Tarquins. Mais, malgré le fer et la famine qui pressaient les Romains, malgré la prise du Janicule, d'où ce roi, déjà maître des portes de leur ville, paraissait les dominer, on se soutint, on le repoussa. Bien plus, on le frappa de tant d'étonnement, que, supérieur en forces, il se hâta de conclure, avec des ennemis à demi vaincus, un traité d'alliance. Alors parurent ces modèles et ces prodiges de l'intrépidité romaine, Horatius, Mucius et Clélie, prodiges qui, s'ils n'étaient consignés dans nos annales, passeraient aujourd'hui pour des fables. Horatius Coclès, n'ayant pu repousser lui seul les ennemis qui le pressaient de toutes parts, fait couper le pont où il combattait, et passe le Tibre à la nage sans abandonner ses armes. Muscius Scévola pénètre par ruse dans le camp du roi; mais croyant le frapper, c'est un de ses courtisans qu'il atteint. On l'arrête; il met sa main dans un brasier ardent, et redoublant par un adroit mensonge la terreur qu'il inspire : " Tu vois, dit-il au roi, à quel homme tu as échappé; eh bien! nous sommes trois cents qui avons fait le même serment. " Pendant cette action, chose prodigieuse! il était impassible, et le roi tremblait comme si c'eût été sa main que dévorait la flamme. Voilà ce que firent les hommes; mais les deux sexes rivalisèrent de gloire, et les jeunes filles eurent aussi leur héroïsme. Clélie, une de celles qu'on avait données en otage à Porsena, échappée à ses gardes, traversa à cheval le fleuve de la patrie. Enfin le roi, effrayé de tant de prodiges de courage, s'éloigna des Romains, et les laissa libres. Les Tarquins continuèrent la guerre jusqu'au moment où Aruns, fils du roi, fut tué de la main de Brutus, lequel, blessé en même temps par son ennemi, expira sur son corps, comme s'il eût voulu montrer qu'il poursuivait l'adultère jusqu'aux enfers. 
 
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XI. - Bellum Latinum. - Latini quoque Tarquinios asserebant aemulatione et invidia : ut populus, qui foris dominabatur, saltem domi serviret. Igitur omne Latium, Mamilio Tusculano duce, quasi in regis ultionem, tollit animos. Apud Regilli lacum dimicatur diu, Marte vario, donec Postumius ipse dictator signum in hostes jaculatus est : novum et insigne commentum, uti peteretur cursu. Cossus equitum magister exuere frenos imperavit - et hoc novum - quo acrius incurrerent. Ea denique atrocitas fuit proelii, ut interfuisse spectaculo deos Fama tradiderit duos in candidis equis:  Castorem atque Pollucem nemo dubitavit. Itaque et imperator veneratus est, pactusque victoriam templa promisit; et reddidit, plane quasi stipendium commilitonibus diis. 
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XI. - Guerre contre les Latins. - ( An de Rome 258 - 298 ). - Les latins soutenaient aussi les Tarquins par un esprit de rivalité et d'envie contre un peuple qu'ils auraient voulu, puisqu'il dominait au dehors, voir du moins esclave dans ses murs. Tout le Latium se leva donc, sous la conduite de Mamilius de Tusculum, comme pour venger le roi. On combattit longtemps près du lac Régille, avec un succès incertain; enfin le dictateur Postumius jeta lui-même une enseigne au milieu des ennemis, tactique nouvelle et ingénieuse pour amener les Romains à se précipiter pour la reprendre. Cossus, maître de la cavalerie, par un expédient également sans exemple, fit ôter les freins des chevaux, pour faciliter l'impétuosité de leur course. Telle fut enfin la fureur du combat, que la renommée y mentionna l'intervention des dieux, comme spectateurs; l'on en vit deux montés sur des chevaux blancs; personne ne douta que ce ne fussent Castor et Pollux. Aussi, le général leur adressa-t-il ses vœux : pour prix de la victoire, il leur promit et leur éleva des temples qui furent comme la solde de ces divins compagnons d'armes.
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Hactenus pro libertate : mox de finibus cum eisdem Latinis assidue, et sine intermissione pugnatum est. Cora - quis credat? - et Algidum terrori fuerunt; Satricum atque Corniculum provinciae. De Verulis et Bovillis pudet; sed triumphavimus. Tibur, nunc suburbanum, et aestivae Praeneste deliciae, nuncupatis in Capitolio votis, petebantur. Idem tunc Faesulae, quod Carrae nuper; idem nemus Aricinum, quod Hercynius saltus; Fregellae, quod Gesoriacum; Tiberis, quod Euphrates. Coriolos quoque - proh pudor! - victos adeo gloriae fuisse, ut captum oppidum Caius Marcius Coriolanus, quasi Numantiam aut Africam, nomini indueret. Exstant et parta de Antio spolia, quae Maenius in suggestu fori, capta hostium classe, suffixit : si tamen illa classis, nam sex fuere rostratae. Sed hic numerus illis initiis navale bellum fuit.
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Jusqu'ici Rome avait combattu pour la liberté; bientôt elle fit pour ses limites, et contre les mêmes Latins, une guerre sans fin et sans relâche. Sora et Algidum, qui le croirait? furent la terreur des Romains; Satricum et Corniculum, furent des provinces romaines. Je rougis de le dire, mais nous avons triomphé de Vérule et de Bovile. Nous n'allions à Tibur, maintenant faubourg de Rome, et à Préneste, nos délices d'été, qu'après avoir fait des vœux au Capitole. Alors Fésules était pour les Romains ce que Carres fut depuis; le bois d'Aricie était leur Forêt Hercynienne; Frégelles, leur Gesoriacum; le Tibre, leur Euphrate. Coriole même, quelle honte! Coriole, réduite par les armes, fut un si beau litre de gloire, que le vainqueur de cette place, Caïus Marcius, joignit à son nom celui de Coriolan, comme s'il eût conquis Numance ou l'Afrique. On voit encore dans le Forum les dépouilles d'Antium, que Ménius suspendit à la tribune aux harangues, après la prise de la flotte ennemie; si toutefois l'on peut appeler flotte six navires armés d'éperons; mais ce nombre suffisait, dans ces premiers temps, pour une guerre maritime.
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Pervicacissimi tamen Latinorum Aequi et Volsci fuere, et quotidiani, ut ita dixerim, hostes. Sed hos praecipue Lucius Quinctius domuit, ille dictator ab aratro : qui obsessa ac paene jam capta Marci Minucii consulis castra egregia virtute servavit. Medium erat forte tempus sementis, quum patricium virum innixum aratro suo lictor in ipso opere deprehendit. Inde in aciem profectus, victos more pecudum sub jugum misit. Sic expeditione finita, rediit ad boves rursus, triumphalis agricola. Fidem numinum! qua velocitate! intra quindecim dies coeptum peractumque bellum, prorsus ut festinasse dictator ad relictum opus videretur.
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Les plus opiniâtres des Latins furent les Eques et les Volsques; c'étaient, pour ainsi dire, des ennemis de tous les jours. Mais celui qui contribua le plus à les dompter fut Lucius Quinctius, ce dictateur tiré de la charrue, et dont la valeur extraordinaire sauva le consul Marcus Minucius, assiégé et déjà presque pris dans son camp. On était alors dans la saison des semailles; et le licteur trouva ce patricien courbé sur sa charrue et occupé du labourage. C'est de là que, s'élançant aux combats, Quinctius, pour y conserver quelque image de ses travaux rustiques, traita les vaincus comme un troupeau, en les faisant passer sous le joug. L'expédition ainsi terminée, on vit retourner à ses boeufs ce laboureur décoré d'un triomphe. Grands dieux! quelle rapidité une guerre, en quinze jours, commencée et finie, comme si le dictateur eût voulu se hâter de retourner à ses travaux interrompus. 
 
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XII. - Bellum cum Etruscis, Faliscis et Fidenatibus. - Assidui vero et anniversarii hostes ab Etruria fuere Veientes, adeo ut extraordinariam manum adversus eos promiserit, privatumque gesserit bellum gens una Fabiorum. Satis superque idonea clades. Caesi apud Cremeram trecenti, patricius exercitus; id scelerato signata nomine, quae proficiscentes in proelium porta dimisit. Sed ea clades ingentibus expiata victoriis, postquam per alios atque alios robustissima capta sunt oppida, vario quidem eventu. Falisci se sponte dediderunt. Cremati suo igne Fidenates; rapti funditus deletique Veientes. Falisci quum obsiderentur, mira visa est fides imperatoris, nec inmerito, quod ludi magistrum, urbis proditorem, cum iis quos adduxerat pueris, vinctum sibi ultro remisisset. Eam namque vir sanctus et sapiens veram sciebat esse victoriam, quae salva fide et integra dignitate pareretur. Fidenae, quia pares non erant ferro, ad terrorem movendum facibus armatae et discoloribus, serpentum in modum, vittis, furiali more processerant; sed habitus ille feralis eversionis omen fuit. Veientium quanta res fuerit, indicat decennis obsidio. Tum primum hiematum sub pellibus, taxata stipendio hiberna, adactus miles sua sponte jurejurando "nisi capta urbe, non remearet". Spolia de Larte Tolumnio rege ad Feretrium reportata. Denique non scalis nec irruptione, sed cuniculo et subterraneis dolis peractum urbis excidium. Ea denique visa est praedae magnitudo, cujus decimae Apollini Pythio mitterentur, universusque populus Romanus ad direptionem urbis vocaretur. Hoc tunc Veii fuere; nunc fuisse quis meminit? quae reliquiae? quod vestigium? Laborat annalium fides, ut Veios fuisse credamus.
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XII. - Guerre contre les Étrusques, les Falisques et les Fidénates. - (An de Rome 274 - 560.) - Les Véiens, peuple de l'Étrurie, nos ennemis perpétuels, armaient chaque année. Tant d'acharnement porta la famille des Fabius à lever contre eux une troupe vraiment extraordinaire, et à soutenir seule les frais de la guerre. Sa défaite ne fut que trop signalée. Trois cents guerriers, armée patricienne, furent taillés en pièces près du Crémère; et le nom de scélérate désigna la porte qui leur ouvrit, à leur départ, le chemin du combat. Mais ce désastre fut expié par d'éclatantes victoires; et nos divers généraux prirent de très robustes places fortifiées, avec des circonstances, il est vrai, bien différentes. La soumission des Falisqnes fut volontaire. Les Fidénates périrent dans les flammes qu'ils avaient allumées; les Véiens furent pris et entièrement exterminés. Les Falisques, pendant qu'on les tenait assiégés, durent accorder une juste admiration à la loyauté de notre général , lequel, faisant charger de chaînes un maître d'école qui voulait livrer sa patrie, s'empressa de le leur renvoyer avec les enfants qu'il avait amenés. Il savait en effet, cet homme sage et vertueux, qu'il n'y a de véritable victoire que celle qui s'obtient sans violer la bonne foi et sans porter atteinte à l'honneur. Les Fidénates, inférieurs aux Romains dans les combats, crurent les frapper d'épouvante, en s'avançant comme des furieux, armés de torches, et hérissés de bandelettes de diverses couleurs qui s'agitaient en forme de serpents ; mais ce lugubre appareil fut le présage de leur destruction. Quant aux Véiens, un siège de dix ans indique assez leur puissance. Alors, pour la première fois, on hiverna sous des tentes faites de peaux, et l'on distribua une solde pendant les quartiers d'hiver : le soldat s'était engagé, par un serment volontaire, " à ne rentrer dans Rome qu'après avoir pris Véies. Les dépouilles du roi Lars Tolumnius furent portées à Jupiter Férétrien. Enfin, sans escalade et sans assaut, mais par la mine et par des travaux souterrains, fut consommée la ruine de Véies. Le butin parut si considérable que la dixième partie en fut envoyée à Apollon Pythien, et que tout le peuple romain fut convié au pillage de la ville. Voilà ce que Véies était alors; qui se rappelle aujourd'hui qu'elle ait existé? quels débris en reste-t-il? quel vestige? Il faut toute l'autorité des annales pour nous persuader qu'il y eut une ville de Véies. 
 
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XIII. - Bellum Gallicum. - Hic sive invidia deum sive fato rapidissimus procurrentis imperii cursus parumper Gallorum Senonum incursione supprimitur. Quod tempus populo Romano nescio utrum clade funestius fuerit, an virtutum experimentis speciosius. Ea certe fuit vis calamitatis, ut in experimentum illatam putem divinitus, scire volentibus inmortalibus diis, an Romana virtus imperium orbis mereretur.
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XIII. - Guerre contre les Gaulois. - ( An de Rome 564 -569 ). - Alors, soit jalousie des dieux, soit arrêt du destin, le cours rapide des conquêtes de Rome fut un instant interrompu par une incursion des Gaulois Sénonais. Je ne sais si cette époque fut plus funeste aux Romains, par leurs désastres, que glorieuse par les épreuve où elle mit leurs vertus. Telle fut du moins la grandeur de leurs maux, que je les croirais envoyés par les dieux immortels, pour éprouver si la vertu romaine méritait l'empire du monde.
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Galli Senones, gens natura ferox, moribus incondita, ad hoc ipsa corporum mole, perinde armis ingentibus, adeo omni genere terribilis fuit, ut plane nata ad hominum interitum, urbium stragem videretur. Hi quondam ab ultimis terrarum oris et cingente omnia Oceano, ingenti agmine profecti, quum jam media vastassent, positis inter Alpes et Padum sedibus, ne his quidem contenti, per Italiam vagabantur. Tum Clusium obsidebant. Pro sociis ac foederatis populus Romanus intervenit. Missi ex more legati. Sed quod jus apud barbaros? ferocius agunt, et inde certamen. Conversis igitur a Clusio, Romamque venientibus ad Alliam flumen cum exercitu Fabius consul occurrit. Non temere foedior clades. Itaque hunc diem fastis Roma damnavit. Fuso exercitu, jam moenibus Urbis propinquabant. Erant nulla praesidia. Tum igitur, aut numquam alias, apparuit vera illa Romana virtus. Jam primum majores natu, amplissimis usi honoribus, in forum coeunt. Ibi, devovente pontifice, diis se Manibus consecrant; statimque in suas quisque aedes regressi, sic ut in trabeis erant, et amplissimo cultu, in curulibus sellis sese reposuerunt; ut, quum venisset hostis, in sua dignitate morerentur. Pontifices et flamines, quidquid religiosissimi in templis erat, partim in doleis defossa terra recondunt; partim imposita plaustris secum avehunt. Virgines simul ex sacerdotio Vestae, nudo pede fugientia sacra comitantur. Tamen excepisse fugientes unus e plebe fertur Albinius, qui, depositis uxore et liberis, virgines in plaustrum recepit; adeo tum quoque in ultimis religio publica privatis affectibus antecellebat. Juventus vero, quam satis constat vix mille hominum fuisse, duce Manlio, arcem Capitolini montis insedit, obtestata ipsum quasi praesentem Jovem, "ut quem admodum ipsi ad defendendum templum ejus concurrissent, ita ille virtutem eorum numine suo tueretur".
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Les Gaulois Sénonais, nation d'un naturel farouche, et de moeurs grossières, étaient par leur taille gigantesque, ainsi que par leurs armes énormes, si effrayants de toute manière, qu'ils semblaient nés uniquement pour l'extermination des hommes et la destruction des villes. Parties autrefois des extrémités de la terre et des rivages de l'Océan, qui ceint l'univers, leurs innombrables hordes, après avoir tout dévasté sur leur passage, s'étaient établies entre les Alpes et le Pô; et, non contents de ces conquêtes, ils se promenaient dans l'Italie. Ils assiégeaient alors Clusium. Le peuple romain intervint en faveur de ses alliés et de ses amis. Il envoya des ambassadeurs, selon l'usage. Mais quelle justice attendre des Barbares? ils se montrent plus arrogants : ils se tournent contre nous, et la guerre s'allume. Dès lors, abandonnant Clusium, ils marchent sur Rome jusqu'au fleuve Allia, où le consul Fabius les arrête avec une armée. Aucune défaite ne fut, sans contredit, plus horrible. Aussi Rome, dans ses fastes, plaça-t-elle cette journée au nombre des jours funestes. Les Gaulois, après la déroute de notre armée, approchaient déjà des murs de la ville. Elle était sans défense. C'est alors, ou jamais, qu'éclata le courage romain. D'abord les vieillards qui avaient été élevés aux premiers honneurs se rassemblèrent dans le Forum. Là, tandis que le pontife prononçait les solennelles imprécations, ils se dévouèrent aux dieux Mânes; et, de retour dans leurs demeures, revêtus de la robe magistrale et des ornements les plus pompeux, ils se placèrent sur leurs chaises curules, voulant, lorsque viendrait l'ennemi, mourir dans toute leur dignité. Les pontifes et les flammes enlèvent tout ce que les temples renferment de plus révéré; ils en cachent une partie dans des tonneaux qu'ils enfouissent sous terre, et, chargeant le reste sur des chariots, ils le transportent loin de la ville. Les vierges attachées au sacerdoce de Vesta accompagnent, pieds nus, la fuite des objets sacrés. On dit cependant que ce cortège fugitif fut recueilli par un plébéien, Lucius Albinus, qui fit descendre de son chariot sa femme et ses enfants, pour y placer les prêtresses; tant il est vrai que, même dans les dernières extrémités, la religion publique l'emportait alors sur les affections particulières. Quant à la jeunesse, qui, on le sait, se composait à peine de mille hommes, elle se retrancha, sous la conduite de Manlius, dans la citadelle du mont Capitolin; et là, comme en présence de Jupiter, ils le conjurèrent " puisqu'ils s'étaient réunis pour défendre son temple, d'accorder à leur valeur l'appui de sa divinité. "
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Aderant interim Galli, apertamque Urbem primo trepidi, ne qui subesset dolus, mox ubi solitudinem vident, pari clamore et impetu invadunt. Patentes passim domos adeunt. Ubi sedentes in curulibus suis praetextato senes, velut deos geniosque venerati, mox eosdem, postquam esse homines liquebat, alioqui nihil respondere dignantes, pari vecordia mactant, facesque tectis injiciunt; et totam urbem igni, ferro, manibus exaequant. Sex mensibus barbari - quis crederet? - circa montem unum pependerunt, nec diebus modo, sed noctibus quoque omnia experti; quum tandem Manlius nocte subeuntes, clangore anseris excitatus, a summa rupe dejecit; et ut spem hostibus demeret, quamquam in summa fame, tamen ad speciem fiduciae, panes ab arce jaculatus est. Et stato quodam die per medias hostium custodias Fabium pontificem ab arce demisit, qui solemne in Quirinali monte conficeret. Atque ille per media hostium tela incolumis religionis auxilio rediit propitiosque deos renuntiavit.
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Cependant les Gaulois arrivent; la ville était ouverte; ils pénètrent en tremblant d'abord, de peur de quelque embûche secrète; bientôt, ne voyant qu'une solitude, ils s'élancent avec des cris aussi terribles que leur impétuosité, et se répandent de tous côtés dans les maisons ouvertes. Assis sur leurs chaises curules et revêtus de la prétexte, les vieillards leur semblent des dieux et des génies, et ils se prosternent devant eux; bientôt, reconnaissant que ce sont des hommes, qui d'ailleurs ne daignent pas leur répondre, ils les immolent avec cruauté, embrasent les maisons; et, la flamme et le fer à la main, ils mettent la ville au niveau du sol. Pendant six mois, qui le croirait? Les Barbares restèrent comme suspendus autour d'un seul roc, faisant le jour, la nuit même, de nombreuses tentatives pour l'emporter. Une nuit enfin qu'ils y pénétraient, Manlius, éveillé par les cris d'une oie, les rejeta du haut du rocher; et, afin de leur ôter tout espoir par une apparente confiance, il lança, malgré l'extrême disette, des pains par-dessus les murs de la citadelle. Il fit même, dans un jour consacré, sortir du Capitole, à travers les gardes ennemis, le pontife Fabius, qui avait un sacrifice solennel à faire sur le mont Quirinal. Fabius revint sans blessure au milieu des traits des ennemis, sous la protection divine : et il annonça que les dieux étaient propices.
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Novissime quum jam obsidio sua barbaros fatigasset, mille pondo auri recessum suum venditantes, idque ipsum per insolentiam, quum ad iniqua pondera addito adhuc gladio, superbe "vae victis" increparent, subito aggressus a tergo Camillus adeo cecidit, ut omnia incendiorum vestigia Gallici sanguinis inundatione deleret. Agere gratias diis inmortalibus ipso tantae cladis nomine libet. Pastorum casas ignis ille, et flamma paupertatem Romuli abscondit. Incendium illud quid egit aliud, nisi ut destinata hominum ac deorum domicilio civitas, non obruta, sed expiata potius et lustrata videatur?
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Fatigués enfin de la longueur du siège, les Barbares nous vendent leur retraite au prix de mille livres d'or; ils ont même l'insolence d'ajouter encore à de faux poids celui d'une épée; puis, comme ils répétaient dans leur orgueil : "Malheur aux vaincus!" soudain Camille les attaque par derrière, et en fait un tel carnage qu'il efface dans des torrents de sang gaulois toutes les traces de l'incendie. Grâces soient rendues aux dieux immortels, même pour cet affreux désastre. Sous ce feu disparurent les cabanes de pasteurs; sous la flamme, la pauvreté de Romulus. Cet embrasement d'une cité, le domicile prédestiné des hommes et des dieux, eut-il un autre résultat que de la montrer non pas détruite, non pas ruinée, mais plutôt purifiée et consacrée?
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Igitur post assertam a Manlio, restitutam a Camillo Urbem, acrius etiam vehementiusque in finitimos resurrexit.  Ac primum omnium illa ipsam Gallicam gentem non contentus moenibus expulisse, quum per Italiam naufragia sua latius traherent, sic persecutus est, duce Camillo, ut hodie nulla Senonum vestigia supersint. Semel apud Anienem trucidati, quum singulari certamine Manlius aureum torquem barbaro inter spolia detraxit; unde Torquati. Iterum Pomptino agro, quum in simili pugna Valerius, insidente galeae sacra alite adjutus, retulit spolia; et inde Corvini. Tandem post aliquot annos, omnes reliquias eorum in Etruria ad lacum Vadimonis Dolabella delevit, ne quis exstaret ex ea gente, quae incensam a se Romanam urbem gloriaretur.
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Ainsi donc, sauvée par Manlius et rétablie par Camille, Rome se releva plus fière et plus terrible pour ses voisins. Et d'abord, c'était peu d'avoir chassé de la ville cette race de Gaulois; les voyant encore traîner par toute l'Italie les vastes débris de leur naufrage, les Romains les poursuivirent si vivement, sous la conduite de Camille, qu'il ne reste plus aujourd'hui aucun vestige des Sénonais. on les massacra une première fois près de l'Anio, où Manlius, dans un comtat singulier contre un de ces Barbares, lui arracha, entre autres dépouilles, un collier d'or : de là le nom de Torquatus. Ils furent encore défaits aux champs Pontins; là, dans un semblable combat, Lucius Valérius, secondé par un oiseau sacré qui s'attacha au casque du Gaulois, conquit les dépouilles de son ennemi et le surnom de Corvinus. Enfin, quelques années après, les derniers restes de ce peuple furent anéantis en Etrurie, par Dolabella, près le lac de Vadimon, afin qu'il n'existât plus dans cette nation un seul homme qui pût se glorifier d'avoir incendié la ville de Rome. 
 
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XIV. - Bellum Latinum. - Conversus a Gallis in Latinos, Manlio Torquato Decio Mure consulibus, semper quidem aemulatione imperii infestos, tum vero contemptu Urbis incensae, quum jus civitatis, partem imperii et magistratuum posceret, atque jam amplius quam congredi auderent. Quo tempore quis cessisse hostem mirabitur, quum alter consulum filium suum, quia contra imperium pugnaverat, quamvis victorem occiderit ostenderit, quasi plus in imperio esset quam in victoria; alter, quasi monitu deorum, capite velato, primam ante aciem diis Manibus se devoverit, ut in confertissima se hostium tela jaculatus novum ad victoriam iter sanguinis sui semita aperiret.
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XIV. - Guerre contre les latins. - (An de Rome 414 - 417. ) - Des Gaulois on marcha contre les Latins, sous le consulat de Manlius Torquatus et de Décius Mus. La jalousie du commandement avait toujours rendu ces peuples ennemis de Rome; mais alors, l'incendie de cette ville la leur faisant mépriser, ils réclamaient le droit de cité, la participation au gouvernement et aux magistratures; et ils osaient plus que nous combattre. Ils cèdent à nos armes; qui pourra s'en étonner, quand on voit l'un des consuls faire mourir son fils pour avoir combattu contre son ordre, et montrer qu'il attache à la discipline plus de prix qu'à la victoire; l'autre, comme par une inspiration divine, se couvrir la tête d'un voile, se dévouer aux dieux Mânes devant le premier rang de l'armée, se précipiter au milieu des traits innombrables des ennemis, et nous frayer, par les traces de son sang, un nouveau chemin vers la victoire ? 
 
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XV. - Bellum Sabinum. - A Latinis aggressus est gentem Sabinorum, qui immemores factae sub Tito Tatio affinitatis, quodam contagio belli se Latinis adjunxerant. Sed Curio Dentato consule, omnem eum tractum, qua Nar, Anio, fontesque Velini, Aadriatico tenus mari, igne ferroque vastavit. Qua victoria tantum hominum, tantum agrorum redactum in potestatem, ut in utro plus esset, nec ipse posset aestimare qui vicerat.
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XV. - Guerre contre les Sabins. - (An de Rome 465. ) - Les Latins soumis, on attaqua les Sabins qui, oubliant l'alliance contractée sous Titus Tatius, et entraînés à la guerre par une sorte de contagion, s'étaient joints aux Latins. Mais le consul Curius Dentalus porta le fer et le feu dans toute la contrée qui s'étend entre le Nar, l'Anio et les fontaines Vélines, jusqu'à la mer Adriatique. Cette victoire fit passer tant d'hommes, tant de territoire sous la puissance de Rome, que le vainqueur lui-même ne pouvait décider laquelle de cette double conquête était la plus considérable. 
 
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XVI. - Bellum Samniticum. - Precibus deinde Campaniae motus, non pro se, sed, quod speciosius, pro sociis, Samnitas invadit. Erat foedus cum utrisque percussum; sed hoc Campani sanctius, et prius omnium suorum deditione fecerant. Sic ergo Romanus bellum Samniticum tamquam sibi gessit.
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XVI. - Guerre contre les Samnites. - (An de Rome 410.) - Touché des prières de la Campanie, le peuple romain, non pour son intérêt, mais, ce qui est plus beau, pour celui de ses alliés, attaqua ensuite les Samnites. Il existait une alliance conclue avec chacun de ces deux peuples; mais les Campaniens avaient rendu la leur plus sacrée et plus importante par la cession de tous leurs biens. Ainsi donc Rome fit la guerre aux Samnites comme pour elle-même.
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Omnium, non modo Italia, sed toto orbe terrarum, pulcherrima Campaniae plaga est. Nihil mollius caelo: denique bis floribus vernat. Nihil uberius solo: ideo Liberi Cererisque certamen dicitur. Nihil hospitalius mari: hic illi nobiles portus, Caieta, Misenus, et tepentes fontibus Baiae; Lucrinus et Avernus, quaedam maris otia. Hic amicti vitibus montes Gaurus, Falernus, Massicus et pulcherrimus omnium Vesuvius, Aetnaei ignis imitator. Vrbes ad mare Formiae, Cumae, Puteoli, Neapolis, Herculaneum, Pompei, et ipsa caput urbium, Capua, quondam inter tres maximas, Romam Carthaginemque numerata.
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De toutes les contrées non seulement de l'Italie, mais de l'univers entier, la plus belle est la Campanie. Rien de plus doux que son climat; un double printemps y fleurit chaque année. Rien de plus fertile que son territoire; aussi dit-on que Bacchus et Cérès y rivalisent. Point de mer plus hospitalière. Là sont les ports renommés de Caïète, de Misène, de Baïes, aux sources toujours tièdes; le Lucrin et l'Averne, où la mer semble venir se reposer. Là sont ces monts couronnés de vignobles, le Gaurus, le Falerne, le Massique, et, le plus beau de tous, le Vésuve, rival des feux de l'Etna. Près de la mer sont les villes de Formies, Cumes, Pouzzoles, Naples, Herculanum, Pompéi, et, la première de toutes, Capoue, comptée jadis au rang des trois plus grandes cités du monde, avec Rome et Carthage.
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Pro hac urbe, his regionibus populus Romanus Samnitas invasit, gentem, si opulentiam quaeras, aureis et argenteis armis, discolori veste, usque ad ambitum ornatam; si fallaciam, saltibus fere et montium fraude grassantem; si rabiem ac furorem, sacratis legibus humanisque hostiis in exitium Urbis agitatam; si pertinaciam, sexies rupto foedere cladibusque ipsis animosiorem. Hos tamen quinquaginta annis per Fabios ac Papirios patres, eorumque liberos ita subegit ac domuit; ita ruinas ipsas urbium diruit, ut hodie Samnium in ipso Samnio requiratur; nec facile appareat materia quatuor et viginti triumphorum. Maxime tamen nota et illustris apud Caudinas furculas, Veturio Postumioque consulibus, accepta est. Cluso per insidias intra eum saltum exercitu, unde non posset evadere, stupens tanta occasione dux hostium Pontius, Herennium patrem consuluit; et ille, "mitteret omnes vel occideret", sapienter ut senior suaserat. Hic armis exutos mittere sub jugum maluit, ut nec amici forent beneficio, et post flagitium, hostes magis. Itaque et consules statim magnifice voluntaria deditione turpitudinem foederis dirimunt, et ultionem flagitans miles, Papirio duce - horribile dictu - strictis ensibus per ipsam viam ante pugnam furit; et "in congressu arsisse omnium oculos" hostis auctor fuit. Nec prius finis caedibus datus, quam jugum et hostibus et duci capto reposuerunt.
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C'est pour cette ville, pour ces contrées, que le peuple romain envahit le territoire des Samnites. Veut-on connaître l'opulence de ce peuple? il prodiguait jusqu'à la recherche l'or et l'argent sur ses armes, et les couleurs sur ses vêlements. Sa perfidie? il combattait en dressant des pièges dans les bois et dans les montagnes; son acharnement et sa fureur? C'était par des lois inviolables, et par le sang de victimes humaines, qu'il s'excitait à la ruine de Rome. Son opiniâtreté? rompant six fois le traité, il ne se montrait que plus animé après ses défaites. Toutefois, il ne fallut que cinquante ans aux Fabius, aux Papirius et à leurs fils, pour le soumettre et le dompter; on dispersa tellement les ruines mêmes de ces villes, que l'on cherche aujourd'hui le Samnium dans le Samnium, et qu'il est difficile de retrouver le pays qui a fourni la matière de vingt-quatre triomphes. Rome n'en reçut pas moins de cette nation un affront célèbre et fameux aux Fourches Caudines, sous les consuls Véturius et Postumius. Enfermée par surprise dans ce défilé, notre armée ne pouvait en sortir; le général ennemi, Pontius, tout étonné d'une occasion si belle, conseilla son père Hérennius, qui lui conseilla sagement "de laisser aller ou de tuer tous les Romains." Pontius aima mieux les désarmer et les faire passer sous le joug; ce n'était pas seulement dédaigner leur amitié en retour d'un bienfait, c'était rendre, par un affront, leur inimitié plus terrible. Bientôt les consuls, se livrant d'eux-mêmes par une magnanime résolution, effacent la honte du traité; le soldat, avide de vengeance, se précipite, sous la conduite de Papirius, les épées nues, spectacle effrayant! et, pendant la marche même, il prélude au combat par des frémissements de fureur. " Dans l'action, tous les yeux lançaient des flammes, " comme l'ennemi l'attesta; et l'on ne mit fin au carnage qu'après avoir imposé le même joug aux ennemis et à leur général captif.
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XVII. - Bellum Etruscum et Samniticum. - Hactenus populo Romano bellum cum singulis gentium, mox acervatim; tamen sic quoque par omnibus fuit. Etruscorum duodecim populi, Umbri in id tempus intacti, antiquissimus Italiae populus, Samnitum reliqui, in excidium Romani nominis repente conjurant. Erat terror ingens tot simul tantorumque populorum. Late per Etruriam infesta quatuor agminum signa volitabant. Ciminius interim saltus in medio, ante invius, plane quasi Calidonius vel Hercynius, adeo tunc terrori erat, ut senatus consuli denuntiaret, ne tantum periculi ingredi auderet. Sed nihil horum terruit ducem; quin fratre praemisso, explorat accessus. Ille per noctem pastorio habitu speculatus omnia, refert tutum iter. Sic Fabius Maximus periculosissimum bellum sine periculo explicavit. Nam subito inconditos atque palantes aggressus est; captisque superioribus jugis, in subjectos suo iure detonuit. Ea namque species fuit illius belli, quasi in terrigenas e caelo ac nubibus tela mitterentur. Nec incruenta tamen illa victoria; nam oppressus in sinu vallis alter consulum Decius, more patrio devotum diis Manibus obtulit caput; sollemnemque familiae suae consecrationem in victoriae pretium redegit.
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XVII. - Guerre contre les Etrusques et les Samnites. - (An de Rome 455.) - Jusque-là le peuple romain n'avait fait la guerre qu'à une seule nation à la fois; bientôt il les combattit en masse, et sut cependant faire face à toutes. Les douze peuples de l'Etrurie, les Ombriens, le plus ancien peuple de l'Italie, qui avait jusqu'à cette époque échappé à nos armes; le reste des Samnites se conjurèrent tout à coup pour l'extinction du nom romain. La terreur fut à son comble devant la ligue de tant de nations si puissantes. Les enseignes de quatre armées ennemies flottaient au loin dans l'Etrurie. Entre elles et nous s'étendait la forêt Ciminienne, jusqu'alors impénétrable, comme celles de Calydon ou d'Hercynie. Ce passage était si redouté, que le sénat défendit au consul d'oser s'engager au milieu de tant de périls. Mais rien ne put effrayer le général ; et il envoya son frère en avant pour reconnaître les avenues de la forêt. Celui-ci, sous l'habit d'un berger, observa tout pendant la nuit, et revint annoncer que le passage était sûr. C'est ainsi que Fabius Maximus se tira sans danger d'une guerre si aventureuse. Il surprit tout à coup les ennemis en désordre et dispersés; et, s'étant emparé des hauteurs, il les foudroya sans effort à ses pieds. Ce fut comme une image de cette guerre où, du haut des cieux et du sein des nuages, la foudre était lancée sur les enfants de la terre. Toutefois, cette victoire ne laissa pas d'être sanglante; car Décius, l'un des consuls, accablé par l'ennemi dans le fond d'une vallée, dévoua, à l'exemple de son père, sa tête aux dieux Mânes; et, au prix de ce sacrifice solennel, ordinaire dans sa famille, il racheta la victoire. 
 
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XVIII. - Bellum Tarentinum et Pyrrho rege. - Sequitur bellum Tarentinum, unum quidem titulo et nomine, sed victoria multiplex. Hoc enim Campanos, Apulos atque lucanos et, caput belli, Tarentinos, id est totam Italiam, et cum istis omnibus Pyrrhum, clarissimum Graeciae regem, una veluti ruina pariter involvit; ut eodem tempore et Italiam consummaret, et transmarinos triumphos auspicaretur.
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XVIII. - Guerre contre Tarente et contre le roi Pyrrhus. - (An de Rome 47l - 481.) Vient ensuite la guerre de Tarente, que l'on croirait, d'après ce titre et ce nom, dirigée contre un seul peuple; mais qui, par la victoire, en embrasse plusieurs. En effet, les Campaniens, les Apuliens, les Lucaniens, les Tarentins, auteurs de cette guerre, c'est-à-dire l'Italie entière, et, avec tous ces états, Pyrrhus, le plus illustre roi de la Grèce , furent comme enveloppés dans une ruine commune; de sorte qu'en même temps cette guerre consommait la conquête de l'Italie, et était le prélude de nos triomphes d'outre-mer.
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Tarentus, Lacedaemoniorum opus, Calabriae quondam, et Apuliae, totiusque Lucaniae caput, quum magnitudine et muris portuque nobilis, tum mirabilis situ : quippe in ipsis Hadriatici maris faucibus posita, in omnes terras, Istriam, Illyricum, Epirum, Achaiam, Africam, Siciliam, vela mittit. Imminet portui ad prospectum maris positum majus theatrum, quod quidem causa miserae civitati fuit omnium calamitatum. Ludos forte celebrabant, quum adremigantem litori Romanam classem inde vident; atque hostem rati emicant, sine discrimine insultant : "qui enim aut unde Romani?" Nec satis : aderat sine mora querelam ferens legatio. Hanc quoque foede per obscenam turpemque dictu contumeliam violant; et hinc bellum. Sed apparatus horribilis, quum tot simul populi pro Tarentinis consurgerent, omnibusque vehementior Pyrrhus, qui semigraecam ex Lacedaemoniis conditoribus civitatem vindicaturus, cum totius viribus Epiri, Thessaliae, Macedoniae, incognitisque in id tempus elephantis, mari, terra, viris, equis, armis, addito insuper ferarum terrore, veniebat.
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Tarente, ouvrage des Lacédémoniens, autrefois capitale de la Calabre, de l'Apulie et de toute la Lucanie, est aussi renommée pour sa grandeur, ses remparts et son port, qu'admirable par sa position : en effet, située à l'entrée même du golfe Adriatique, elle envoie ses vaisseaux dans toutes les contrées, dans l'Istrie, l'Illyrie, l'Épire, l'Achaïe, l'Afrique, la Sicile. Au-dessus du port, et en vue de la mer, s'élève un vaste théâtre, qui fut l'origine de tous les désastres de cette ville malheureuse. Les Tarentins y célébraient par hasard des jeux, lorsqu'ils aperçurent une flotte romaine ramant vers le rivage; persuadés que ce sont des ennemis, ils se lèvent aussitôt, et, sans réfléchir, ils se répandent en injures. " Qui sont, disent-ils, et d'où viennent ces Romains? " Ce n'est pas assez : des ambassadeurs étaient venus porter de justes plaintes; on en insulte la majesté par un outrage obscène et qu'il serait honteux de rapporter; ce fut le signal de la guerre. L'appareil en fut formidable, par le grand nombre de peuples qui se levèrent à la fois en faveur des Tarentins; Pyrrhus, plus ardent que tous les autres, et brûlant de venger une ville à moitié grecque, qui avait les Lacédémoniens pour fondateurs, venait par mer et par terre, avec toutes les forces de l'Epire, de la Thessalie, de la Macédoine, avec des éléphants jusqu'alors inconnus, et ajoutait encore à la force de ses guerriers, de ses chevaux et de ses armes, la terreur qu'inspiraient ces animaux.
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Apud Heracleam, et  Campaniae fluvium Lirim, Levino consule, prima pugna, quae tam atrox fuit ut Ferentinae turmae praefectus Obsidius, invectus in regem, turbaverit coegeritque, projectis insignibus, proelio excedere. Actum erat, nisi elephanti, converso in spectaculum bello, procurrissent;  quorum quum magnitudine tum deformitate et novo odore simul ac stridore consternati equi, quum incognitas sibi belluas amplius, quam erant, suspicarentur, fugam stragemque late dederunt.
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Ce fut près d'Héraclée, sur les bords du Liris, fleuve de la Campanie, et sous les ordres du consul Lévinus, que se livra le premier combat. Il fut si terrible qu'Obsidius, commandant de la cavalerie Férentine, ayant chargé le roi, le mit en désordre et le força de sortir de la mêlée, dépouillé des marques de sa dignité. C'en était fait de Pyrrhus, si n'étaient pas accouru les éléphants qui changèrent, pour les Romains, le combat en spectacle. Leur masse, leur difformité, leur odeur inconnue, leur cri aigu, épouvantèrent les chevaux qui, croyant ces ennemis nouveaux plus redoutables qu'ils n'étaient en effet, causèrent, par leur fuite, une vaste et sanglante déroute.
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In Apulia deinde apud Asculum melius dimicatum est, Curio Fabricioque consulibus. Jam quippe belluarum terror exoleverat; et Caius Minucius quartae legionis hastatus, unius proboscide abscisa, mori posse belluas ostenderat. Itaque et in ipsas pila congesta sunt, et in turres vibratae faces tota hostium agmina ardentibus ruinis operuere : nec ante cladi finis fuit, quam nox dirimeret, postremusque fugientium ipse rex a satellitibus humero saucius in armis suis referretur.
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On combattit ensuite avec plus de succès, près d'Asculum, en Apulie, sous les consuls Curius et Fabricius. Déjà en effet l'épouvante occasionnée par les éléphants s'était dissipée; et Caïus Minucius, hastaire de la quatrième légion, en coupant la trompe de l'un d'eux, avait montré que ces animaux pouvaient mourir. Dès lors on les accabla aussi de traits, et des torches lancées contre les tours couvrirent les bataillons ennemis tout entiers de débris enflammés. Le carnage ne se termina pas avant que la nuit séparât les combattants, et que le roi lui-même, le dernier à fuir avec une blessure à l'épaule, fût emporté par ses gardes sur son bouclier.
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Lucaniae suprema pugna sub Arusinis, quos vocant, campis, ducibus iisdem, qui superius; sed tunc ad totam victoriam exitum, quem datura virtus fuit, casus dedit. Nam productis in primam aciem rursus elephantis, unum ex his pullum adacti in caput teli gravis ictus avertit; qui, quum per stragem suorum percurrens stridore quereretur, mater agnovit et, quasi vindicaret, exsiluit; tum omnia circa quasi hostilia gravi mole permiscuit. Ac sic eaedem ferae, quae primam victoriam abstulerant, secundam parem fecerant, tertiam sine controversia tradiderunt.
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Une dernière bataille fut livrée en Lucanie par les mêmes généraux que j'ai nommés plus haut, dans les plaines qu'on nomme Arusines; mais ici la victoire fut complète, et, pour la décider, le hasard fit ce que d'ailleurs eût fait la valeur romaine. Les éléphants étaient de nouveau placés sur le front de l'armée; un d'eux, tout jeune encore, fut grièvement blessé d'un trait qui lui perça la tête; il tourna le clos, et écrasa, dans sa course, les soldats de cette armée. A ses cris douloureux, sa mère le reconnut et s'élança comme pour le venger. Tout lui paraît ennemi, et, par sa lourde masse, elle porte le désordre autour d'elle. Ainsi ces mêmes animaux, qui avaient enlevé la première victoire et balancé la seconde, nous livrèrent la troisième sans résistance.
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Nec vero tantum armis et in campis, sed consiliis quoque et domi intra Urbem cum rege Pyrrho dimicatum est. Quippe post primam victoriam rex callidus, intellecta virtute Romana, statim desperavit armis, seque ad dolos contulit. Nam interemptos cremavit, captivosque indulgenter habuit, et sine pretio restituit;  missisque deinde legatis in Urbem, omni modo adnixus est ut, facto foedere, in amicitiam reciperetur. Sed bello et pace foris et domi, omnem in partem Romana virtus tum se approbavit; nec alia magis quam Tarentina victoria ostendit populi Romani fortitudinem, senatus sapientiam, ducum magnanimitatem. Quinam illi fuerunt viri, quos ab elephantis primo proelio obtritos accepimus! Omnium vulnera in pectore;  quidam hostibus suis immortui; omnium in manibus ensis, et relictae in vultibus minae, et in ipsa morte ira vivebat. Quod adeo Pyrrhus miratus est ut diceret : "o quam facile erat orbis imperium occupare, aut mihi, Romanis militibus, aut, me rege, Romanis"! Quae autem eorum, qui superfuerunt, in reparando exercitu festinatio, quum Pyrrhus "video me", inquit, "plane Herculis sidere procreatum, cui, quasi ab angue Lernaeo, tot caesa hostium capita quasi de sanguine suo renascuntur"! Qui autem ille senatus fuit, quum, perorante Appio Caeco, pulsi cum muneribus suis ab Urbe legati, interroganti regi suo, quid de hostium sede sentirent : "Urbem templum sibi visam;  senatum regum consessum esse," confiterentur! Qui porro ipsi duces, vel in castris, quum medicum venale regis Pyrrhi caput offerentem Curius remisit; Fabricius oblatam sibi a rege imperii partem repudiavit; vel in pace, quum Curius fictilia sua Samnitico praeferret auro; Fabricius decem pondo argenti circa Rufinum, consularem virum, quasi luxuriam censoria gravitate damnaret!
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Ce ne fut pas seulement par les armes et sur les champs de bataille, mais encore dans nos conseils et au sein de notre ville, que l'on eut à combattre Pyrrhus. Ce roi artificieux ayant, dès sa première victoire, reconnu la valeur romaine, désespéra dès lors d'en triompher par les armes, et recourut à la ruse. En conséquence, il brûla nos morts, traita les prisonniers avec bonté, et les rendit sans rançon. Ayant ensuite envoyé des ambassadeurs à Rome, il s'efforça par tous les moyens de conclure un traité et d'acquérir notre amitié. Mais, dans la paix comme dans la guerre, au dedans comme au dehors, dans toutes les occasions, on vit éclater la vertu romaine ; et, plus qu'aucune autre, la victoire de Tarente montra le courage du peuple romain, la sagesse, du sénat, la magnanimité de nos généraux. Quels hommes c'étaient en effet que ceux qui, dans la première bataille, furent, nous dit-on, écrasés sous les pieds des éléphants! Tous avaient reçu leurs blessures à la poitrine; quelques-uns étaient morts sur leurs ennemis; l'épée était restée dans leurs mains, la menace sur leurs visages, et, dans la mort même, leur courroux vivait encore. Aussi Pyrrhus dit-il plein d'admiration : " Combien la conquête de l'univers serait facile, ou à moi avec des soldats romains, ou aux Romains avec un roi tel que moi! "Et quelle activité, dans ceux qui survécurent, pour former une nouvelle armée!" Je le vois, dit encore Pyrrhus, je suis né sous la constellation d'Hercule; comme celles de l'hydre de Lerne, toutes les têtes abattues de mes ennemis renaissent de leur sang. " Quelle grandeur encore dans ce sénat! Témoin la réponse de ses ambassadeurs, chassés de Rome avec leurs présents, après le discours d'Appius Coecus; Pyrrhus leur demandait ce qu'ils pensaient de la demeure de. ses ennemis; ils avouèrent " que Rome leur avait paru un temple et le sénat une assemblée de rois. " Enfin, quels généraux que les nôtres! Voyez-les dans leur camp : Curius renvoie le médecin de Pyrrhus, qui voulait lui vendre la tête de ce prince; et Fabricius rejette l'offre, que lui fait le roi, d'une partie de ses états. Voyez-les dans la paix : Curius préfère ses vases d'argile à l'or des Samnites, et Fabricius, dans l'austérité de sa censure, condamne comme un luxe excessif les dix livres de vaisselle d'argent que possédait Rufinus, personnage consulaire.
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Quis ergo miretur his moribus, hac virtute militum, victorem populum Romanum fuisse, unoque bello Tarentino intra quadriennium maximam partem Italiae, fortissimas gentes, opulentissimas urbes uberrimasque regiones in ditionem redegisse?  Aut quid adeo fidem superet, quam si principia belli cum exitu conferantur? Victor primo proelio Pyrrhus, tota tremente, Campaniam, Lirim, Fregellasque populatus, prope captam Urbem a Praenestina arce prospexit; et a vicesimo lapide oculos trepidae civitatis fumo ac pulvere implevit. Eodem postea bis exuto castris, bis saucio, et in Graeciam suam trans mare ac terras fugato, pax et quies; et tanta de opulentissimis tot gentibus spolia, ut victoriam suam Roma non caperet. Nec enim temere ullus pulchrior in Urbem aut speciosior triumphus intravit. Ante hunc diem nihil praeter pecora Volscorum, greges Sabinorum, carpenta Gallorum, fracta Samnitum arma vidisses: tum si captivos adspiceres, Molossi, Thessali, Macedones, Bruttius, Apulus atque Lucanus; si pompas, aurum, purpura, signa, tabulae, Tarentinaeque deliciae. Sed nihil libentius populus Romanus adspexit quam illas, quas timuerat, cum turribus suis belluas, quae non sine sensu captivitatis, submissis cervicibus, victores equos sequebantur.
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 Qui s'étonnera qu'avec ces moeurs, et avec le courage de ses soldats, le peuple romain ait été vainqueur, et que, dans les quatre années de la seule guerre de Tarente, il ait réduit sous sa domination la plus grande partie de l'Italie, les peuples les plus courageux, les villes les plus opulentes et les contrées les plus fertiles? Quoi de plus incroyable que cette guerre, si l'on en compare le commencement et l'issue? Vainqueur dans un premier combat, Pyrrhus, pendant que toute l'Italie tremble, dévaste la Campanie, les bords du Liris et Frégelles; des hauteurs de Préneste, il contemple Rome à demi soumise, et, à la distance de vingt milles, il remplit de fumée et de poussière les yeux des citoyens épouvantés. Ensuite, deux fois chassé de son camp, blessé deux fois, repoussé par mer et par terre jusque dans la Grèce, sa patrie, il nous laisse la paix et le repos; et telles sont les dépouilles de tant de nations opulentes, que Rome ne peut contenir les fruits de sa victoire. Jamais, en effet, jamais triomphe plus beau, plus magnifique, n'était entré dans ses murs. Jusqu'à ce jour, on n'avait vu que le bétail des Volsques, les troupeaux des Sabins, les chariots des Gaulois, les armes brisées des Samnites. Alors on remarquait comme captifs des Molosses, des Thessaliens, des Macédoniens, des guerriers du Bruttium, de l'Apulie, de la Lucanie; et, comme ornement de cette pompe, l'or, la pourpre, des statues, des tableaux, et ce qui faisait les délices de Tarente. Mais rien ne fut plus agréable au peuple romain que la vue de ces monstres qu'il avait tant redoutés, des éléphants chargés de leurs tours, et qui, loin d'être étrangers au sentiment de la captivité, suivaient, la tête baissée, les chevaux victorieux. 
 
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XIX. - Bellum Picens. - Omnis mox Italia pacem habuit : qui enim post Tarentum auderent? nisi quod ultro persequi socios hostium placuit. Domiti ergo Picentes, et caput gentis Asculum, Sempronio duce, qui tremente inter proelium campo, Tellurem deam, promissa aede, placavit.
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XIX. - Guerre contre les Picentins. - ( An de Rome 486.) - Toute l'Italie jouit bientôt de la paix; car, après Tarente, qui eût osé la rompre? Mais les Romains voulurent attaquer et poursuivre les alliés de leurs ennemis. Alors ou dompta les Picentins, et on prit leur capitale, Asculum, sous le commandement de Sempronius, qui, ayant senti trembler le champ de bataille pendant l'action, apaisa la déesse Tellus par la promesse d'un temple. 
 
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XX. - Bellum Sallentinum. - Sallentini Picentibus additi, caputque regionis Brundisium cum inclyto portu, M. Atilio duce. Et in hoc certamine, victoriae pretium templum sibi pastoria Pales ultro poposcit.
 
XX. - Guerre contre les Sallentins. - ( An de Rome 485 ). A la soumission des Picentins succéda celle des Sallentins et de Brundusium, capitale du pays, fameuse par son port; ce fut la conquête de Marcus Atilius. Dans cette guerre, la déesse des bergers, Palès, demanda un temple pour prix de la victoire.
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XXI. - Bellum Volsiniense. - Postremi Italicorum in fidem venere Volsini, opulentissimi Etruscorum, implorantes opem adversus servos quondam suos, qui libertatem a dominis datam, in ipsos erexerant; translataque in se re publica dominabantur. Sed hi quoque, duce Fabio Gurgite, poenas dederunt.
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XXI. - Guerre contre les Volsiniens. ( An de Rome 488 ). - Le dernier des peuples de l'Italie qui se rangea sous notre domination fut les Volsiniens, les plus riches des Étrusques. Ils implorèrent le secours de Rome contre leurs anciens esclaves qui, tournant contre leurs maîtres la liberté qu'ils en avaient reçue, s'étaient arrogé le pouvoir, et dominaient dans la république. Mais ils furent châtiés par notre général, Fabius Gurgès. 
 
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XXII. - De Seditionibus. - Haec est secunda aetas populi Romani et quasi adulescentia, qua maxime viruit et quodam flore virtutis exarsit ac ferbuit. Itaque inerat quaedam adhuc ex pastoribus feritas, quae quiddam adhuc spirabat indomitum. Inde est quod exercitus Postumium imperatorem, infitiantem, quas promiserat, praedas, facta in castris seditione, lapidavit; quod sub Appio Claudio noluit vincere hostem, quum posset; quod, duce Volerone, detrectantibus plerisque militiam, fracti consulis fasces. Inde clarissimos principes, quod adversarentur voluntati suae, exsulatione multavit, ut Coriolanum colere agros jubentem; nec minus ille ferociter injuriam armis vindicasset, nisi quod jam inferentem signa filium mater Veturia lacrymis suis exarmavit, ut ipsum Camillum, quod inique inter plebem et exercitum divisisse Veientem praedam videretur. Sed hic melior in capta Urbe consenuit, et mox supplices de hoste Gallo vindicavit. Cum senatu quoque vehementius aequo bonoque certatum est, adeo ut, relictis sedibus, solitudinem et interitum patriae suae minaretur.
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XXII. - Des séditions. - C'est le second âge et comme l'adolescence du peuple romain; il était alors dans toute sa force, et l'on voyait en lui la fleur d'un ardent et impétueux courage. II conservait encore quelque chose de la rudesse des pâtres; il respirait une sorte de fierté indomptable. Aussi vit-on l'armée de Postumius, frustrée du butin qu'il lui avait promis, se révolter dans son camp et lapider son général; celle d'Appius Claudius ne pas vouloir vaincre quand elle le pouvait; et la plus grande partie du peuple, soulevée par Voleron, refuser de s'enrôler, et briser les faisceaux du consul. Aussi les plus illustres patriciens, pour s'être opposés à la volonté de la multitude, furent-ils punis par l'exil; témoin Coriolan, qui exigeait qu'on cultivât les terres, et qui, au reste, aurait cruellement vengé son injure par les armes, si, le voyant prêt à planter ses étendards sur les murs de Rome, sa mère Véturie ne l'eût désarmé par ses larmes : témoin Camille lui-même, soupçonné d'avoir fait entre le peuple et l'armée une injuste répartition du butin de Véies. Mais, meilleur citoyen que Coriolan, il alla languir dans la ville qu'il avait prise, et vengea bientôt des Gaulois ses concitoyens suppliants. Le peuple soutint aussi contre le sénat une lutte plus violente que ne le demandaient les convenances et la justice; après avoir abandonné ses foyers, il menaça de changer sa patrie en solitude et de la détruire de fond en comble . 
 
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XXIII. - Prima Seditio. - Prima discordia ob impotentiam foeneratorum : quibus in terga quoque serviliter saevientibus, in sacrum montem plebs armata secessit; aegreque, nec nisi tribunos inpetrasset, Menenii Agrippae, facundi et sapientis viri, auctoritate revocata est. Exstat orationis antiquae satis efficax ad concordiam fabula, qua "dissedisse inter se quondam humanos dixit artus, quod, omnibus opere fungentibus, solus venter immunis ageret; deinde moribundos ea sejunctione rediisse in gratiam, quando sensissent quod ejus opera redactis in sanguinem cibis irrigarentur."
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XXIII. - Première sédition. - ( An de Rome 259-260 ). - La première dissension civile eut pour motif la tyrannie des usuriers, qui faisaient battre leurs débiteurs comme des esclaves. Le peuple en armes se retira sur le mont sacré; et ce ne fut qu'avec peine, et après avoir obtenu des tribuns qu'il fut ramené par l'autorité de Ménénius Agrippa, homme éloquent et sage. II reste, de sa harangue antique, l'apologue qui fut assez puissant pour rétablir la concorde : "Autrefois, dit-il, les membres du corps humain se séparèrent, se plaignant que, tandis qu'ils avaient tous des fonctions à remplir, l'estomac seul demeurât oisif. Devenus languissants par suite de cette séparation, ils firent la paix quand ils eurent senti que, grâce au travail de l'estomac, le sang, formé du suc des aliments, circulait dans leurs veines."
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XXIV. - Secunda Seditio. - Secundam in Urbe media decemviratus libido conflavit. Allatas a Graecia leges decem principes lecti, jubente populo, conscripserant; ordinataque erat in duodecim tabulis tota justitia, quum tamen traditos fasces regio quodam furore retinebant. Ante ceteros Appius eo insolentiae elatus est, ut ingenuam virginem stupro destinaret, oblitus et Lucretiae et regnum et juris quod ipse composuerat. Itaque quum oppressam judicio filiam trahi in servitutem videret Virginius pater, nihil cunctatus, in medio foro manu sua interfecit; admotisque signis commilitonum, totam eam dominationem obsessam armis, in carcerem et catenas ab Aventino monte detraxit.
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XXIV. - Deuxième sédition. - ( An de Rome 502 - 509 ). - La licence du décemvirat alluma dans le sein même de Rome la seconde sédition. Dix des principaux citoyens avaient été choisis pour rédiger, d'après la volonté du peuple les lois apportées de la Grèce; déjà tout le droit était classé dans les douze tables; mais possédés comme d'une fureur royale, ils retenaient les faisceaux qu'on leur avait livrés. Plus audacieux que les autres, Appius en vint à un tel degré d'insolence, qu'il destinait à sa brutalité une jeune fille de condition libre, oubliant et Lucrèce et les rois et le Code de lois que lui-même avait composé. Voyant donc sa fille frappée par un jugement, et traînée en servitude, Virginius n'hésite pas; il la tue de sa main au milieu du Forum; et, faisant avancer ses compagnons d'armes avec leurs enseignes, du haut du mont Aventin il assiège les décemvirs, et précipite toute cette puissance dans les prisons et dans les fers.
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XXV. - Tertia Seditio. - Tertiam seditionem excitavit matrimoniorum dignitas, ut plebeii cum patriciis jungerentur; qui tumultus in monte Janiculo, duce Canuleio tribuno plebis, exarsit. 
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XXV. - Troisième sédition. - ( An de Rome 508 ). - La troisième sédition fut excitée par l'ambition des mariages et par la prétention des plébéiens, de s'allier aux patriciens; cette dissension éclata sur le mont Janicule, à l'instigation de Canuléius, tribun du peuple.
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XXVI. - Quarta Seditio. - Quartam honorum cupido, ut plebeii quoque magistratus crearentur. Fabius Ambustus duarum pater, alteram Sulpicio patricii sanguinis dederat, alteram plebeio Stoloni. Haec, quodam tempore, quod lictoriae virgae sonum ignotum penatibus suis expaverat, a sorore satis insolenter irrisa, injuriam non tulit. Itaque nactus tribunatum, honorum et magistratuum consortium, quamvis invito, senatui extorsit.
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XXVI. - Quatrième sédition. - ( An de Rome 577-582 ). - La quatrième sédition eut sa source dans la passion des honneurs, les plébéiens voulant avoir part aux magistratures. Fabius Ambustus, père de deux filles, avait marié l'une à Sulpicius, d'origine patricienne, l'autre au plébéien Stolon. Celle-ci, entendant un jour dans la maison de sa soeur, le bruit des verges du licteur, inconnu dans la sienne, en ressentit une frayeur dont elle fut raillée par l'épouse de Sulpicius d'une manière assez piquante. Elle ne put supporter l'affront; aussi son mari, parvenu au tribunal, arracha-t-il au sénat, malgré sa résistance, le partage des honneurs et des magistratures.
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Verum in his ipsis seditionibus principem populum non immerito suspexeris; si quidem nunc libertatem, nunc pudicitiam, tum natalium dignitatem, honorum decora et insignia vindicavit; interque haec omnia nullius acrior custos quam libertatis fuit; nullaque in pretium ejus largitione corrumpi, quum, ut in magno, et in dies majore populo, interim perniciosi cives existerent. Spurium Cassium agraria lege, [Maelium] largitione suspectum regiae dominationis, praesenti morte multavit. Ac de Spurio quidem supplicium pater ipsius sumpsit; hunc Quinctii dictatoris imperio, in medio foro magister equitum Servilius Ahala confodit. Manlium vero Capitolii vindicem, quia plerosque debitorum liberaverat, altius se et incivilius efferentem, ab illa, quam defenderat, arce dejecit.
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Au reste, jusque dans ces séditions, le peuple roi est digne d'admiration. En effet, tantôt c'est pour la liberté, tantôt pour la pudeur, ici pour la noblesse de la naissance, là pour la majesté et l'éclat des honneurs, qu'il a combattu tour à tour : mais, au milieu de toutes ces luttes, il ne fut de nul intérêt gardien plus vigilant que de la liberté; et aucune largesse offerte pour prix de cette liberté ne put le corrompre, bien que du sein d'une multitude nombreuse et toujours croissante, il apparût de temps à autre des citoyens dangereux. Spurius Cassius et Mélius, soupçonnés d'aspirer à la royauté, l'un par la proposition de la loi Agraire, l'autre par ses libéralités, furent punis par une mort prompte. Ce fut son père même qui fit subir à Spurius son supplice; Mélius fut tué au milieu du Forum par le maître de la cavalerie, Servilius Abala, d'après l'ordre du dictateur Quinctius. Quant à Manlius, le sauveur du Capitole, qui, pour avoir libéré la plupart des débiteurs, affectait une hauteur contraire à l'égalité, il fut précipité de cette forteresse qu'il avait défendue.
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Talis domi ac foris, talis pace belloque populus Romanus fretum illud adulescentiae, id est, secundam imperii aetatem habuit, in qua totam inter Alpes fretumque Italiam armis subegit. 
 
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Tel fut le peuple romain au dedans et au dehors, dans la paix et dans la guerre, pendant la fougue de son adolescence, c'est-à-dire dans le second âge de l'empire, intervalle durant lequel il soumit par ses armes toute l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au détroit. 
 
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