.. | Prooemium. - Domita subactaque Italia, populus Romanus prope quingentensimum annum agens, quum bona fide adolevisset; si quod est robur, si qua juventas, tum ille vere robustus et juvenis et par orbi terrarum esse coepit. Ita - mirum et incredibile dictu! - qui prope quingentis annis domi luctatus est - adeo difficile fuerat dare Italiae caput! - his ducentis annis qui sequuntur, Africam, Europam, Asiam, totum denique orbem terrarum bellis victoriisque peragravit. |
.... | I. – Avant propos. – L’Italie était domptée et soumise, le peuple romain, qui comptait près de cinq cents ans de durée, avait atteint l'adolescence. Fort et jeune alors, il réalisait toutes les idées de force et de jeunesse, et pouvait désormais égaler l'univers. Ainsi - chose étonnante et incroyable à dire - ce peuple qui avait lutté, sur son propre sol, pendant près de cinq cents ans, (tant il était difficile de donner un chef à l'Italie), n'employa que les deux cents années qui suivent pour promener dans l'Afrique, dans l'Europe, dans l'Asie, enfin dans le monde entier, ses guerres et ses victoires. |
.. |
.. | II. - Primum bellum
Punicum. - Igitur victor Italiae populus Romanus, quum a terra fretum usque
venisset, more ignis, qui obvias populatus incendio silvas, interveniente
flumine abrumpitur, paulisper substitit. Mox quum videret opulentissimam
in proximo praedam, quodam modo Italiae suae abscissam, et quasi revulsam,
adeo cupiditate ejus exarsit ut quatenus nec mole jungi, nec pontibus posset,
armis belloque jungenda, et ad continentem suum revocanda bello videretur.
Et ecce, ultro ipsis viam pandentibus fatis, nec occasio defuit, quum de
Poenorum impotentia foederata Siciliae civitas Messana quereretur. Affectabat
autem, ut Romanus, ita Poenus Siciliam; et eodem tempore, paribus uterque
votis ac viribus imperium orbis agitabat. Igitur specie quidem socios juvandi,
re autem sollicitante praeda, quamquam territaret novitas rei, (tanta in
virtute fiducia est!) ille rudis, ille pastorius populus vereque terrester
ostendit nihil interesse virtutis, equis an navibus, terra an mari dimicaretur. |
.... | II. - Première
guerre punique. - ( An de Rome 489 - 511). - Vainqueur de l'Italie, il
en avait parcouru la terre jusqu'au détroit, lorsque, semblable
à un incendie dont la fureur, après avoir ravagé les
forêts qu'elle rencontre, s'apaise devant un fleuve, il s'arrêta
un moment. Bientôt, voyant près de lui la plus riche proie
séparée et comme arrachée de l'Italie, son domaine,
il brûla d'un tel désir de la posséder, que ne pouvant
la joindre, la rendre à son continent ni par une chaussée,
ni par des ponts, il eût voulu l'y réunir par la force des
armes. Mais il arriva que les destins lui en ouvrirent d’eux-mêmes
le chemin, et qu'il n'eut qu'à profiter de l'occasion. Messine,
ville de Sicile, alliée des Romains, se plaignit de la tyrannie
des Carthaginois. Ainsi que Rome, Carthage convoitait la Sicile; et, dans
le même temps, toutes deux aspiraient, avec une ardeur et des forces
égales, à la domination du monde. Rome prit donc les armes
sous prétexte de secourir ses alliés, mais en réalité
tentée par cette proie ; et, malgré la terreur qu'inspirait
la nouveauté de l'entreprise, ce peuple grossier, ce peuple pasteur,
et véritablement terrestre, montra (tant la valeur est une source
de confiance!) qu'il est indifférent pour le courage de combattre
à cheval ou sur des vaisseaux, sur terre ou sur mer. |
.. |
.. | Appio Claudio consule,
primum fretum ingressus est, fabulosis infame monstris, aestuque violentum;
sed adeo non est exterritus, ut illam ipsam ferventis aestus violentiam
pro munere amplecteretur; statimque ac sine mora Hieronem, Syracusanum
regem, tanta celeritate vicit, ut ille ipse se prius victum quam hostem
videret, fateretur. |
.... | Sous le consulat d'Appius
Claudius, il affronta pour la première fois ce détroit tristement
célèbre par ses monstres fabuleux, et par l'agitation tumultueuse
de ses ondes; mais, loin d'en être épouvanté, il accueillit
comme un bienfait la violence du courant, et fondant tout à coup
sur Hiéron, roi de Syracuse, il mit à le battre une telle
célérité que ce prince lui-même avouait qu'il
avait été vaincu avant d'avoir vu l'ennemi. |
.. |
.. | Duilio Cornelioque
consulibus, etiam mari congredi ausus est, quum quidem ipsa velocitas classis
comparatae, victoriae auspicium fuit. Intra enim sexagesimum diem quam
caesa silva fuerat, centum sexaginta navium classis in anchoris stetit,
ut non arte factae, sed quodam munere deorum conversae in naves atque mutatae
arbores viderentur. Proelii vero forma mirabilis, quum illas celeres volucresque
hostium naves hae graves tardaeque comprehenderent. Longe illis nauticae
artes, detergere remos, et ludificari fuga rostra. Injectae enim ferreae
manus, machinaeque aliae, ante certamen multum ab hoste derisae; coactique
hostes quasi in solido decernere. Victor ergo apud Liparas, mersa aut fugata
hostium classe, primum illum maritimum egit triumphum. Cujus quod gaudium
fuit! quum Duilius imperator, non contentus unius diei triumpho, per vitam
omnem, ubi a cena rediret, praelucere funalia, praecinere sibi tibias jussit,
quasi quotidie triumpharet. Prae tanta victoria leve hujus proelii damnum
fuit. Alter consulum interceptus Asina Cornelius; qui simulato colloquio
evocatus atque ita oppressus fuit : perfidiae Punicae documentum. |
.... | Rome osa même,
sous les consuls Duillius et Cornélius, combattre sur mer. La rapide
création de la flotte destinée à cette bataille fut
le présage de la victoire. En effet, soixante jours après
qu'on eut porté la hache dans la forêt, une flotte de cent
soixante vaisseaux se trouva sur ses ancres : on eût dit qu'ils n'étaient
pas l'ouvrage de l'art, mais qu’une faveur des dieux avait changé,
métamorphosé les arbres en navires. Ce combat offrit un merveilleux
spectacle : nos pesants et lourds bâtiments arrêtèrent
ceux des ennemis, qui, dans leur agilité, semblaient voler sur les
ondes. Les Carthaginois tirèrent peu d'avantage de leur science
nautique, de leur habileté à désemparer les vaisseaux,
et à esquiver, par la fuite, le choc des éperons; on jeta
sur eux ces mains de fer et ces autres machines, dont ils avaient fait,
avant l'action, un fréquent sujet de dérision; et on les
contraignit de combattre comme sur la terre ferme. Ainsi, vainqueurs près
des îles de Lipara, les Romains, après avoir coulé
à fond et mis en fuite la flotte ennemie, célébrèrent,
pour la première fois, un triomphe maritime. Quelle fut alors leur
allégresse! Duillius, commandant de la flotte, non content du triomphe
d’un seul jour, ordonna que, durant toute sa vie, lorsqu'il reviendrait
de souper, on le reconduisît, à la lueur des flambeaux et
au son des flûtes, comme s'il eût triomphé tous les
jours. Une victoire aussi importante fit paraître léger l'échec
qu'éprouva l'autre consul, Cornélius Asina, qui, attiré
à une feinte conférence, fut accablé par les ennemis
: triste exemple de la perfidie punique. |
.. |
.. | Calatino dictatore,
fere omnia praesidia Poenorum, Agrigento, Drepanis, Panormo, Eryce Lilybaeoque
detraxit. Trepidatum est semel circa Camerinensium saltum; sed eximia virtute
Calpurnii Flammae, tribuni militum, evasimus, qui, lecta trecentorum manu,
infestum et insessum ab hostibus tumulum occupavit, adeoque moratus est
hostem, dum exercitus omnis evaderet. Ac sic pulcherrimo exitu Thermopylarum
et Leonidae famam adaequavit; hoc illustrior noster, quod expeditioni tantae
superfuit et supervixit, licet nihil inscripserit sanguine. |
.... | Le dictateur Calatinus
chassa presque toutes les garnisons carthaginoises, celle d'Agrigente,
de Drépane, de Panorme, d'Éryx et de Lylibée. Une
fois, cependant, l'armée romaine eut à trembler au passage
du bois de Camérinum; mais elle dut son salut au courage héroïque
de Calpurnius Flamma, tribun militaire, qui, avec trois cents hommes d'élite,
s'empara d'une hauteur d'où les ennemis, qui en étaient maîtres,
menaçaient notre armée; et il les retarda suffisamment pour
donner le temps à toute l'armée de s'échapper. Ce
succès éclatant égala la renommée des Thermopyles
et de Léonidas. Notre héros l'emporta même sur le Spartiate.
Il est vrai qu'il n'écrivit rien avec son sang; mais il sortit de
cette périlleuse expédition sans y laisser la vie. |
.. |
.. | Lucio Cornelio Scipione
consule, quum jam Sicilia suburbana esset populi Romani provincia, serpente
latius bello, Sardiniam adnexamque Corsicam transit. Ibi Olbiae, et hic
Aleriae urbis excidio incolas terruit, adeoque omnes terra, mari Poenos
expugnavit, ut jam victoriae nihil nisi Africa ipsa restaret. |
.... | La Sicile étant
déjà une province et un faubourg de Rome, la guerre s'étendit
plus loin, sous le consulat de Lucius Cornélius Scipion; il passa
en Sardaigne, puis dans la Corse, qui en est une annexe. Par la ruine d'Olbia,
dans la première de ces îles, et d'Aléria dans la seconde,
il jeta l’épouvante parmi leurs habitants, et vint à bout,
sur terre et sur mer, de tous les Carthaginois, si bien qu'il ne restait
dès lors plus rien à vaincre que l’Afrique même. |
.. |
.. | Marco Attilio Regulo
duce, jam in Africam navigabat bellum. Nec deerant qui ipso Punici maris
nomine ac terrore deficerent, insuper augente Mannio tribuno metum; in
quem, nisi paruisset, securi destricta, imperator metu mortis navigandi
fecit audaciam. Mox ventis remisque properatum est; tantusque terror hostici
adventus Poenis fuit, ut, apertis paene portis, Carthago caperetur. |
.... | Déjà,
sous le commandement. de Marcus Atilius Régulus, la guerre, traversant
les flots, passe dans l'Afrique. Il ne manquait pas de Romains pour trembler
d'épouvante au seul nom de la mer Punique, et le tribun Mannius
augmentait encore leur terreur; au cas où ils n'obéiraient
pas, il les menaça de la hache, et leur inspira, par la crainte
de la mort, la hardiesse de s'embarquer. La flotte fit bientôt force
de voiles et de rames; grande fut l'alarme des Carthaginois à l'arrivée
de leurs ennemis, et peu s'en fallut que l'on ne surprît Carthage
les portes ouvertes. |
.. |
.. | Primum belli praemium
fuit civitas Clypea; prima enim a Punico litore quasi arx et specula procurrit.
Et haec et trecenta amplius castella vastata sunt. Nec cum hominibus, sed
cum monstris quoque dimicatum est; quum quasi in vindictam Africae nata
mirae magnitudinis serpens posita apud Bagradam castra vexaret. Sed omnium
victor Regulus, quum terrorem nominis sui late circumtulisset quumque magnam
vim juventutis ducesque ipsos aut cecidisset aut haberet in vinculis; classemque
ingenti praeda onustam, et triumpho gravem, in Urbem praemisisset, etiam
ipsam, belli caput Carthaginem urgebat obsidio, ipsisque portis inhaerebat.
Hic paullulum circumacta fortuna est, tantum ut plura essent Romanae virtutis
insignia, cujus fere magnitudo calamitatibus approbatur. Nam, conversis
ad externa auxilia hostibus, quum Xanthippum illis ducem Lacedaemon misisset,
a viro militiae peritissimo vincimur. Tum foeda clade, Romanisque usu incognita,
vivus in manus hostium venit fortissimus imperator. Sed ille quidem par
tantae calamitati fuit; nam nec Punico carcere infractus est nec legione
suscepta. Quippe diversa, quam hostes mandaverant, censuit, ne pax fieret
nec commutatione captivorum reciperetur. Sed nec illo voluntario ad hostes
suos reditu nec ultimo sive carceris, seu crucis supplicio deformata majestas.
Immo his omnibus admirabilior, quid aliud quam victus de victoribus atque
etiam, quia Carthago non cesserat, de fortuna triumphavit? |
.... | Le premier fruit de
la guerre fut la ville de Clypéa; car elle se présente la
première sur le rivage de l'Afrique, dont elle est comme la citadelle
et le poste d'observation. Cette place et plus de trois cents forteresses
furent dévastées. Outre les hommes, on eut des monstres à
combattre. Né comme pour la vengeance de l'Afrique, un serpent,
d'une prodigieuse grandeur, désola notre camp assez près
de Bagrada. Mais Régulus triompha de tout; après avoir répandu
au loin la terreur de son nom, tué ou mis dans les fers une grande
partie de la jeunesse, et même des généraux; après
avoir envoyé d'avance à Rome une flotte chargée d'un
riche butin et de l'immense appareil d'un triomphe, il pressait déjà
le siège de Carthage elle-même, le foyer de la guerre, et
était campé à ses portes. Ici la fortune eut un retour
passager, destiné seulement à multiplier les exemples de
la vertu romaine, dont la grandeur éclate surtout dans les calamités.
Carthage eut recours à des auxiliaires étrangers; Lacédémone
lui envoya pour général Xantippe, très habile homme
de guerre, qui nous vainquit. Alors, par une catastrophe déplorable
et dont les Romains n'avaient pas encore fait l'expérience, leur
intrépide général tomba vivant entre les mains des
ennemis. Mais il se montra égal à une telle infortune. Il
ne se laissa ébranler, ni par sa prison de Carthage, ni par l’ambassade
dont on le chargea. En effet, contrairement aux instructions des ennemis,
il fit des propositions pour que Rome ne fît pas la paix, n'acceptât
pas l'échange des prisonniers. Ni son retour volontaire chez les
Carthaginois, ni les horreurs de son dernier emprisonnement, ni son supplice
sur la croix, ne purent flétrir sa majesté. Il fut plus admirable
encore par tout cela, et que dire d'autre? le vaincu ne triompha-t-il pas
de ses vainqueurs, et, au défaut de Carthage, de la fortune même? |
.. |
.. | Populus autem Romanus
multo acrior infestiorque pro ultione Reguli quam pro victoria fuit. Metello
igitur consule, spirantibus altius Poenis, et reverso in Siciliam bello,
apud Panormum sic hostes cecidit, ut ne amplius eam insulam cogitarent.
Argumentum ingentis victoriae, centum circiter elephantorum captivitas;
sic quoque magna praeda, si gregem illum non bello, sed venatione cepisset. |
.... | Le peuple romain fut
beaucoup plus ardent et acharné à poursuivre la vengeance
de Régulus qu'à obtenir la victoire. Les Carthaginois, animés
par plus d'orgueil, avaient reporté la guerre en Sicile. Le consul
Métellus fit un tel carnage, auprès de Panorme, qu'ils renoncèrent
dès lors à tout projet sur cette île. La preuve de
cette éclatante victoire fut apportée par la prise
d'environ cent éléphants. C'eût été une
proie immense, alors même qu'on l'eût faite non pas à
la guerre, mais à la chasse. |
.. |
.. | Appio Claudio consule
non ab hostibus, sed a diis ipsis superatus est, quorum auspicia contempserat;
ibi statim classe demersa, ubi ille praecipitari pullos jusserat quod pugnare
ab his vetaretur. |
.... | On fut, sous le consul
Appius Claudius, vaincu moins par les ennemis que par les dieux eux-mêmes,
dont il avait méprisé les auspices; sa flotte fut à
l'instant submergée à l'endroit même où il avait
fait jeter les poulets sacrés, qui lui défendaient de combattre. |
.. |
.. | Marco Fabio Buteone
consule, classem hostium in Africo mari apud Aegimurum, jam in Italiam
ultro navigantem cecidit. Quantus, o! tunc triumphus tempestate intercidit,
quum opulenta praeda classis, adversis acta ventis, naufragio suo Africam
et Syrtes et omnium ripas gentium, insularum litora implevit! Magna clades,
sed non sine aliqua principis populi dignitate, interceptam tempestate
victoriam et triumphum periisse naufragio. Et tamen, quum Punicae praedae
omnibus promontoriis insulisque frustrarentur et fluitarent, populus Romanus
et sic triumphavit. |
.... | Sous le consul Marcus
Fabius Butéon, l'on détruisit sur la mer d'Afrique, auprès
d'Égimure, une flotte carthaginoise, qui cinglait à pleines
voiles vers l'Italie. Quel triomphe, ô ciel! nous fut arraché
par la tempête, alors que, chargée de riches dépouilles,
notre flotte, battue des vents contraires, remplit de son naufrage l'Afrique,
les Syrthes, les plages de toutes les nations, les rivages de toutes les
îles! Malheur considérable, mais qui ne fut pas sans quelque
gloire pour le peuple roi : la victoire ne fut dérobée que
par la tempête, et le triomphe anéanti que par un naufrage.
Et pourtant, les dépouilles de Carthage, en allant, sur les ondes,
se briser contre tous les promontoires et toutes les îles, annonçaient
ainsi partout le triomphe du peuple romain. |
.. |
.. | Lutatio Catulo consule,
tandem bello finis impositus apud insulas, quibus nomen Aegatae. Nec major
alias in mari pugna; quippe commeatibus, exercitu, propugnaculis,
armis gravis hostium classis, et in ea quasi tota Carthago; quod ipsum
exitio fuit. Romana classis prompta, levis, expedita et quodam genere castrensis,
ad similitudinem pugnae equestris sic remis, quasi habenis, agebatur et
in hos vel in illos mobilia rostra, speciem viventium, praeferebant. Itaque
momento temporis laceratae hostium rates, totum inter Siciliam Sardiniamque
pelagus naufragio suo operuerunt. Tanta denique fuit illa victoria, ut
de exscindendis hostium moenibus non quaereretur. Supervacuum visum est
in arcem murosque saevire, quum jam in mari esset deleta Carthago. |
.... | Enfin, sons le consulat
de Lutatius Catulus, la guerre fut terminée près des îles
qui portent le nom d'Égates. Jamais la mer ne vit une bataille plus
terrible. La flotte des ennemis, surchargée de vivres, de soldats,
de machines, d'armes, semblait porter Carthage tout entière; et
c'est ce qui causa sa perte. La flotte romaine, prompte, légère,
agile, ressemblait à un camp. L'action offrit l'image d'un combat
de cavalerie, les rames servaient comme de brides; et les mobiles éperons,
dirigés successivement en tous sens, avaient l'air d'être
animés. Aussi les navires des ennemis, fracassés en un moment,
couvrirent de leur naufrage toute la mer qui s'étend de la Sicile
à la Sardaigne. Cette victoire fut enfin si décisive que
les Romains ne pensèrent plus à renverser les remparts de
leurs ennemis; il leur parut superflu de sévir contre une citadelle
et des murs, lorsque Carthage était déjà détruite
sur la mer. |
.. |
.. | III. - Bellum Ligusticum.
- Peracto Punico bello, secuta est brevis sane, et quasi ad recipiendum
spiritum, requies; argumentumque pacis et bona fide cessantium armorum,
tunc primum, post Numam, clausa porta Jani fuit; sed statim ac sine mora
patuit. Quippe jam Ligures, jam Insubres Galli, nec non et Illyrii lacessebant;
sic desub Alpibus, id est, desub ipsis Italiae faucibus, gentes, deo quodam
assidue incitante, ne rubiginem scilicet ac situm arma sentiret. Denique
utrique quotidiani, et quasi domestici hostes tirocinia militum imbuebant,
nec aliter utraque gente, quam quasi cote quadam, populus Romanus ferrum
suae virtutis acuebat. |
.... | III.
- Guerre contre les Ligures. - (An de Rome 515-581.) - La guerre punique
terminée, il y eut pour Rome un intervalle de repos bien court,
et comme nécessaire pour qu'elle reprît haleine. En témoignage
de la paix et de la bonne foi avec laquelle elle déposait les armes,
alors, pour la première fois depuis Numa, la porte du temple de
Janus fut fermée; mais on la rouvrit aussitôt et tout à
coup; car déjà les Ligures, déjà les Gaulois
Insubres et bien évidemment les Illyriens nous provoquaient. Un
dieu semblait exciter perpétuellement contre nous les peuples situés
au pied des Alpes, c'est-à-dire à l'entrée même
des gorges de l'Italie, pour préserver nos armes de la rouille et
de la saleté. Enfin, ces ennemis journaliers, et en quelque sorte
domestiques, exerçaient nos soldats dans la pratique de la guerre;
et le peuple romain, dans sa lutte contre chacune de ces nations, aiguisait,
comme sur une pierre, le fer de sa valeur. |
.. |
.. | Ligures imis Alpium
jugis adhaerentes inter Varum et Macram flumen, implicitosque dumis silvestribus,
major aliquanto labor erat invenire quam vincere. Tuti locis et fuga, durum
atque velox genus, ex occasione magis latrocinia quam bella faciebat. Itaque
quum diu multumque eluderent Salyi, Deceates, Oxybii, Euburiates, Ingauni,
tandem Fulvius latebras eorum ignibus sepsit. Baebius in plana deduxit,
Postumius ita exarmavit, ut vix reliquerit ferrum quo terra coleretur. |
.... | Les Ligures, retranchés
au fond des Alpes, entre le Var et la Macra, et cachés au milieu
de buissons sauvages, étaient plus difficiles a trouver qu'à
vaincre. En sécurité dans leurs retraites et par la promptitude
à fuir, cette race infatigable et agile, se livrait à l'occasion
plutôt au brigandage qu’à la guerre. Salyens, Décéates,
Oxybiens, Euburiates, Ingaunes, tous surent éluder longtemps et
souvent la rencontre de nos armées; enfin, Fulvius entoura
leurs repaires d'un vaste incendie; Bébius les fit descendre dans
la plaine, et Postumius les désarma totalement si bien qu'à
peine leur laissa-t-il du fer pour cultiver la terre. |
.. |
.. | IV. - Bellum
Gallicum. - Gallis Insubribus et his adcolis Alpium, animi ferarum, corpora
plus quam humana erant; sed experimento deprehensum est, quippe sicut
primus impetus eis major quam virorum est, ita sequens minor quam feminarum.
Alpina corpora, humenti caelo educata, habent quiddam simile nivibus suis
: quae mox, ut caluere pugna, statim in sudorem eunt, et levi motu quasi
sole laxantur. Hi saepe et alias, sed Britomaro duce, non prius soluturos
se baltea quam Capitolium ascendissent juraverant. Factum est: victos enim
Aemilius in Capitolio discinxit. Mox, Ariovisto duce, vovere de nostrorum
militum praeda Marti suo torquem. Intercepit Juppiter votum; nam de torquibus
eorum aerum tropaeum Jovi Flaminius erexit. Viridomaro rege, Romana arma
Volcano promiserant. Aliorsum vota ceciderunt : occiso enim rege, Marcellus
tertia, post Romulum patrem, Feretrio Jovi opima suspendit. |
.... | IV.
- Guerre contre les Gaulois.- (An de Rome 515-551) - Les Gaulois Insubres
et ces habitants des Alpes avaient l'intrépidité des bêtes
féroces et une stature plus qu’humaine. Mais l'expérience
nous a démontré que si dans le premier choc ils sont plus
que des hommes, ils deviennent, dans les suivants, plus faibles que des
femmes. Leurs corps, nourris sous le ciel humide des Alpes, ont quelque
similitude avec les neiges de ces montagnes. A peine échauffés
par le combat, ils s’en vont aussitôt en sueur, et, au plus léger
mouvement, ils fondent comme la neige à la chaleur du soleil. Ils
avaient fait souvent dans d'autres occasions, et ils renouvelèrent,
sous leur chef Britomare, le serment de ne pas délier leurs baudriers
qu'ils n'eussent monté au Capitole. Il fut accompli. Émilius,
leur vainqueur, détacha leurs baudriers dans ce temple. Bientôt
après, sous la conduite d'Arioviste, ils vouèrent à
leur Mars un collier des dépouilles de nos soldats. Jupiter intercepta
le vœu; car ce fut avec les colliers des Gaulois que, lui, Flaminius
lui érigea un trophée d'or. Sous le roi Viridomare, ils avaient
promis à Vulcain les armes romaines; mais leur vœu retomba sur eux-mêmes
: car Marcellus, ayant tué leur roi, en suspendit les armes dans
le temple de Jupiter Férétrien, troisièmes dépouilles
opimes depuis Romulus, père des Romains. |
.. |
.. | V. - Bellum Illyricum.
- Illyrii seu Liburni sub extremis Alpium radicibus agunt inter Arsiam
Titiumque flumen, longissime per totum Adriani maris litus effusi. Hi,
regnante Teutana muliere, populationibus non contenti, licentiae scelus
addiderunt. Legatos quippe nostros, ob ea quae deliquerant, jure agentes,
nec gladio quidem, sed ut victimas, securi percutiunt; praefectos navium
igne comburunt; idque, quo indignius foret, mulier imperabat. Itaque, Cnaeo
Fulvio Centimalo duce, late domantur. Strictae in principum colla secures
legatorum manibus litavere. |
.... | V.
- Guerre contre les Illyriens.- (An de Rome 523-525.) - Les Illyriens ou
Liburnes habitent aux extrémités de la chaîne des Alpes,
entre les fleuves Arsias et Titius, et s'étendent fort au loin sur
toute la côte de la mer Adriatique. Ces peuples, sous le règne
d'une femme nommée Teutana, non contents de leurs brigandages, ajoutèrent
le crime à la licence. Nos ambassadeurs, envoyés pour demander
satisfaction des délits qu'ils avaient commis, sont frappés
non pas même par le glaive, mais par la hache, ainsi que des victimes.
Les commandants de nos vaisseaux sont brûlés vifs, et, pour
comble d'indignité, par l'ordre d'une femme; mais on dompte entièrement
ces Barbares sous la conduite de Cnaeus Fulvius Centimalus; et les têtes
des principaux de la nation satisfont, en tombant sous la hache, aux mânes
de nos ambassadeurs. |
.. |
.. | VI. - Bellum Punicum
secundum. - Post primum Punicum bellum, vix quadriennii requies: ecce alterum
bellum, minus quidem spatio - nec enim amplius quam decem et octo annos
patet - sed adeo cladium atrocitate terribilius ut, si quis conferat damna
utriusque populi, similior victo sit populus qui vicit. |
.... | VI. - Deuxième
guerre Punique. - ( An de Rome 555-552. ) - A peine avait-on eu quatre
années de repos, depuis la première guerre Punique, qu'on
vit éclater la seconde; moins considérable, il est vrai,
par sa durée - car elle ne dura plus de dix-huit ans - mais bien
plus terrible par l'horreur de ses désastres, au point que, si l'on
compare les pertes des deux peuples, le vainqueur paraîtra le vaincu. |
.. |
.. | Urebat nobilem populum
ablatum mare, raptae insulae, dare tributa, quae jubere consueverat. Hinc
ultionem puer Annibal ad aram patri juraverat, nec morabatur. Igitur in
causam belli Saguntus delecta est, vetus Hispaniae civitas et opulenta,
fideique erga Romanos magnum quidem sed triste monumentum. Quam in libertatem
communi foedere exceptam Annibal, causas novorum motuum quaerens, et suis
et ipsorum manibus evertit, ut Italiam sibi rupto foedere aperiret. Summa
foederum Romanis religio est; itaque ad auditum sociae civitatis obsidium,
memores icti cum Poenis quoque foederis, non statim ad arma procurrunt,
dum prius more legitimo queri malunt. Interim jam novem mensibus fessi
fame, machinis, ferro, versa denique in rabiem fide, immanem in foro excitant
rogum, tum desuper se suosque cum omnibus opibus suis, ferro et igni corrumpunt.
Hujus tantae cladis auctor Annibal poscitur. Tergiversantibus Poenis, dux
legionis Fabius : "Quae, inquit, mora est? In hoc ego sinu bellum
pacemque porto; utrum eligitis?" Subclamantibus "bellum", "bellum igitur",
inquit, "accipite". Et excusso in media curia togae gremio, non sine horrore,
quasi plane sinu bellum ferret, effudit. Similis exitus belli initio fuit.
Nam quasi has inferias sibi Saguntinorum ultimae dirae in illo publico
parricidio incendioque mandassent, ita Manibus eorum, vastatione Italiae,
captivitate Africae, ducum et regum, qui id gessere bellum, exitio parentatum
est. |
.... | C'était, pour
une nation orgueilleuse, une vive douleur de se voir enlever la mer, prendre
ses îles; de donner des tributs, qu'elle avait l'habitude d'exiger.
A la suite de cela, Annibal enfant, avait, sur les autels, juré
à son père de venger sa patrie; et il lui tardait d'accomplir
ce serment. Pour faire naître un sujet de guerre, il choisit
Sagonte, antique et opulente cité de l'Espagne, illustre mais déplorable
monument de fidélité envers les Romains. Son indépendance
lui avait été garantie par un traité commun aux deux
peuples. Annibal, cherchant de nouvelles causes de troubles, la détruisit
de ses propres mains et par celles même de ses habitants; ainsi,
en rompant l'alliance, il s'ouvrait le chemin de l'Italie. La religion
des traités est sacrée chez les Romains; aussi, à
la nouvelle du siège d’une ville, leur alliée, ils se rappellent
qu'un pacte les unit également avec les Carthaginois, et, au lieu
de se hâter de courir aux armes, ils préfèrent auparavant,
selon la coutume bien établie, faire entendre leurs plaintes. Cependant,
pressés depuis neuf mois par la famine, par les machines et par
le fer, les Sagontins changent à la fin leur constance eu fureur;
ils allument, dans la place publique, un immense bûcher, et y périssent,
avec leurs familles et toutes leurs richesses, par le fer et par le feu.
Rome demande justice d'Annibal, l'auteur de ce si grand désastre.
Voyant les Carthaginois tergiverser, "Que tardez-vous? leur dit Fabius,
chef de l'ambassade; j'apporte dans le pli de cette robe la guerre et la
paix. Que choisissez-vous?" – "La guerre", répondent à grands
cris les Carthaginois. – "Eh bien! recevez donc la guerre", reprend Fabius;
puis détachant le devant de sa loge, il la déploie, au milieu
du sénat, qu'il saisit d'épouvante, comme s'il eût
en effet porté la guerre dans son sein. L'issue de cette lutte répondit
à ce commencement. En effet, comme si les dernières imprécations
des Sagontins, au milieu de leur incendie et de leur vaste parricide, eussent
réclamé de telles funérailles, on vengea leurs Mânes
par la dévastation de l'Italie, la captivité de l'Afrique,
la mort des généraux et des rois qui prirent part à
cette guerre. |
.. |
.. | Igitur ubi semel se
in Hispania movit illa gravis et luctuosa Punici belli vis atque tempestas,
destinatumque Romanis jam diu fulmen Saguntino igne conflavit, statim quodam
impetu rapta medias perfregit Alpes, et in Italiam ab illis fabulosae altitudinis
nivibus, velut caelo missa, descendit. Ac primi quidem impetus turbo inter
Padum atque Ticinum valido statim fragore detonuit. Tunc Scipione duce,
fusus exercitus; saucius etiam ipse venisset in hostium manus imperator,
nisi protectum patrem praetextatus admodum filius ab ipsa morte rapuisset.
Hic erat Scipio, qui in exitium Africae crescit, nomen ex malis ejus habiturus.
Ticino Trebia succedit. Hic secunda Punici belli procella desaevit, Sempronio
consule. Tunc callidissimi hostes, frigidum et nivalem nancti diem, quum
se ignibus prius oleoque fovissent – horribile dictu – homines a meridie
et sole venientes nostra nos hieme vicerunt. |
.... | A peine donc
s'est formée dans l'Espagne la pénible et déplorable
tempête de la guerre Punique, à peine s'est allumée,
aux flammes de Sagonte, la foudre dès longtemps destinée
aux Romains, qu'emporté tout à coup par un mouvement impétueux,
l'orage déchire les flancs des Alpes, et, du sommet de ces neiges
à la fabuleuse élévation, il descend, comme du haut
du ciel, sur l'Italie. Les premières explosions de ce tourbillon
rapide se font entendre tout à coup entre le Pô et le Tésin,
avec un violent fracas. L'armée que commandait Scipion est mise
alors en fuite; blessé lui-même, il serait tombé entre
les mains des ennemis, si son fils, encore vêtu de la prétexte,
n'eût, en le couvrant de son corps, arraché son père
à une mort certaine. C'est le Scipion qui croît pour la ruine
de l'Afrique, et qui tirera son nom des malheurs de ce pays. Au Tésin
succède la Trébie. Là se déchaîna la
seconde tourmente de la guerre Punique, sous le consul Sempronius. Ce fut
alors que les Carthaginois, féconds en stratagèmes, et profitant
d'une journée froide et neigeuse, se chauffèrent et se frottèrent
d'huile avant le combat; et – chose horrible à dire – des hommes
venant du soleil du midi nous vainquirent par notre hiver même. |
.. |
.. | Trasimenus lacus tertium
fulmen Annibalis, imperatore Flaminio. Ibi quoque ars nova Punicae fraudis:
quippe nebula lacus, palustribusque virgultis tectus eques, terga subito
pugnantium invasit. Nec de diis possumus queri; inminentem temerario duci
cladem praedixerant insidentia signis examina, et aquilae prodire nolentes
et commissam aciem secutus ingens terrae tremor, nisi illum horrorem soli,
equitum virorumque discursus et mota vehementius arma fecerunt. |
.... | Au lac Trasimène
tomba la troisième foudre d'Annibal, sous le commandement de Flaminius.
Là, encore, un nouvel artifice de la ruse punique. Cachée
par les brouillards du lac et par les joncs des marais, la cavalerie ennemie
attaqua tout à coup par derrière nos soldats qui combattaient.
Nous ne pouvons toutefois nous plaindre des dieux; car le désastre
qui menaçait un chef téméraire lui avait été
présagé: un essaim d'abeilles s'était posé
sur les drapeaux; les aigles avaient refusé d'avancer; et, l'action
à peine engagée, on avait ressenti un grand tremblement de
terre, à moins que les évolutions des chevaux et des hommes,
et la violence du choc des armes, n'eussent produit cet ébranlement
du sol. |
.. |
.. | Quartum, id est, paene
ultimum vulnus imperii Cannae, ignobilis Apuliae vicus, sed magnitudine
cladis emersit, et quadraginta millium caede parta nobilitas. Ibi in exitium
infelicis exercitus, dux, terra, caelum, dies, tota denique rerum natura
consensit. Siquidem non contentus simulatis transfugis Annibal, qui mox
terga pugnantium ceciderunt, insuper callidissimus imperator, patentibus
in campis, observato loci ingenio, quod et sol ibi acerrimus et plurimus
pulvis, et Eurus ab Oriente [semper] quasi ad constitutum, ita instruxit
aciem, ut Romanis adversus haec omnia adversis, quasi secundum caelum tenens,
vento, pulvere, sole pugnaret. Itaque duo maximi exercitus caesi ad hostium
satietatem, donec Annibal diceret militi suo "parce ferro". Ducum effugit
alter, alter occisus est; dubium uter majore animo: Paulum puduit, Varro
non desperavit. Documenta cladis cruentus aliquamdiu Aufidus, pons de cadaveribus,
jussu ducis, factus in torrente Vergellii, modii duo anulorum Carthaginem
missi, dignitasque equestris taxata mensura. |
.... | La quatrième
et presque la dernière blessure de l'empire lui fut portée
à Cannes, bourg de l'Apulie, encore dans l'obscurité, mais
qui dut à la grandeur de notre désastre, d'en sortir, et
au carnage de quarante mille Romains, d'être devenu célèbre.
Ici, tout conspire la perte de notre malheureuse armée, le général
ennemi, la terre, le ciel, le temps, toute la nature enfin. Non content
de nous avoir envoyé de faux transfuges qui bientôt, pendant
l'action, massacrèrent nos soldats par derrière, Annibal,
ce général toujours rusé, observant le champ de bataille,
reconnut que c'était une vaste plaine brûlée par le
soleil, couverte de poussière, et où soufflait périodiquement
un vent d'orient. Il rangea son armée de manière que les
Romains eurent contre eux tous ces désavantages; et, comme s'il
eût tenu le ciel même à sa disposition, il se donna
pour auxiliaire le vent, la poussière, le soleil. Aussi deux grandes
armées furent taillées en pièces, et l'ennemi s'assouvit
de carnage jusqu'à ce qu' Annibal enfin dît à ses soldats
: " Ne frappez plus". De nos généraux, l'un survécut,
l'autre fut tué; on ne sait lequel montra la plus grande âme.
Paulus rougit de vivre; Varron ne désespéra pas. L'Aufide,
quelque temps ensanglanté, un pont de cadavres élevé,
par l'ordre d'Annibal, sur le torrent de Vergelles, deux boisseaux d'anneaux
envoyés à Carthage, et les pertes de la dignité équestre
évaluées à cette mesure, furent les témoignages
de notre défaite. |
.. |
.. | Dubium deinde non
erat quin ultimum illum diem habitura fuerit Roma, quintumque intra diem
epulari Annibal in Capitolio potuerit, si - quod Poenum illum dixisse Adherbalem
Bomilcaris ferunt - "Annibal quem ad modum sciret vincere, sic uti victoria
scisset." Tum quidem illum, ut dici vulgo solet, aut fatum urbis imperaturae
aut ipsius mens mala et aversi a Carthagine dii in diversum abstulerunt.
Quum victoria posset uti, frui maluit; relictaque Roma Campaniam Tarentumque
peragrare; ubi mox et ipse et exercitus ardor elanguit, adeo ut vere dictum
sit "Capuam Annibali Cannas fuisse". Si quidem invictum Alpibus, indomitum
armis, Campaniae - quis crederet? - soles et tepentes fontibus Baiae subegerunt. |
.... | Nul doute que Rome
ne touchât à sa dernière heure, et qu'Annibal ne pût,
dans cinq jours, manger au Capitole, si, selon le mot qu'on attribue à
Adherbal, fils de Bomilcar, Annibal eût su profiter de la victoire
aussi bien qu'il savait vaincre. Mais, comme on l'a souvent répété,
ou le destin de la ville à qui était réservé
l'empire, ou le mauvais génie d'Annibal, et les dieux ennemis de
Carthage, l’entraînèrent ailleurs. Alors qu'il pouvait user
de la victoire, il aima mieux en jouir; et, laissant Rome, il se mit à
parcourir les champs de Capoue et Tarente, où s'éteignit
bientôt son ardeur avec celle de son armée. Ainsi l'on a dit
avec raison que, dans Capoue, Annibal avait trouvé Cannes. Celui
que les Alpes n'avaient pu vaincre, ni nos armes dompter, fut soumis, qui
le croirait ? par le soleil de la Campanie et par les tièdes fontaines
de Baïes. |
.. |
.. | Interim respirare
Romanus et quasi ab inferis emergere. Arma non erant: detracta sunt templis.
Deerat juventus: in sacramentum militiae liberata servitia. Egebat aerarium:
opes suas libens senatus in medium protulit, nec, praeter quod in bullis
singulisque anulis erat, quidquam sibi auri reliquere. Eques secutus exemplum
imitataeque equidem tribus. Denique vix suffecere tabulae, vix scribarum
manus, Laevino Marcelloque consulibus, quum privatae opes in publicum deferrentur.
Quid autem in eligendis magistratibus, quae centuriarum sapientia, quum
juniores a senioribus consilium de creandis consulibus petivere? Quippe
adversus hostem toties victorem, tam callidum, non virtute tantum, sed
suis etiam pugnare consiliis oportebat. |
.... | Cependant le Romain
respire et semble sortir du tombeau. Il était sans armes, il arrache
celle des temples. Les jeunes manquaient : il affranchit et enrôle
les esclaves; le trésor public était vide; le sénat
s'empresse d'y porter publiquement ses richesses, et chacun ne se réserve
d'autre or que celui des bulles, et d'un seul anneau. Les chevaliers suivent
cet exemple, et les tribus imitent les chevaliers. Telle est enfin, sous
les consuls Lévinus et Marcellus, la multitude des offrandes particulières
portées au trésor public, qu'à peine les registres
et la main des greffiers peuvent suffire à les inscrire. Mais, dans
l'élection des magistrats, quelle sagesse montrent les centuries!
Les jeunes gens demandent conseil aux vieillards sur le choix des nouveaux
consuls. On sentait que, contre un ennemi tant de fois vainqueur et si
fertile en ruses, il fallait combattre avec la prudence non moins qu'avec
la valeur. |
.. |
.. | Prima redeuntis et,
ut sic dixerim, reviviscentis imperii spes Fabius fuit, qui novam de Annibale
victoriam commentus est, non pugnare. Hinc illi cognomen novum et rei publicae
salutare, Cunctator; hinc illud ex populo, ut imperii scutum vocaretur.
Itaque per Samnium totum, per Falernos Gauranosque saltus sic maceravit
Annibalem ut, qui frangi virtute non poterat, mora comminueretur. Inde
Claudio Marcello duce, etiam congredi ausus est, comminus venit et perpulit
a Campania sua et ab obsidione Nolae urbis excussit. Ausus et, Sempronio
Graccho duce, per Lucaniam sequi et premere terga cedentis, quamvis tum
- o pudor! - manu servili pugnaret: nam hucusque tot mala compulerant.
Sed libertate donati fecerant de servitute Romanos. |
.... | Le premier espoir
de l'empire revenu pour ainsi dire à la vie, fut Fabius, qui trouva
un moyen de vaincre Annibal; c'était de ne pas combattre. De là
ce surnom nouveau de Temporiseur, si salutaire à la république;
de là celui de Bouclier de l'empire, que le peuple lui donna. Par
tout le pays des Samnites, dans les défilés de Falerne et
du Gaurus, il fatigua tellement Annibal, qu'il épuisa par ses lenteurs
celui que la valeur n'avait pu dompter. Bientôt aussi, sous le commandement
de Claudius Marcellus, on ose combattre, on s’approche de lui, on le met
en fuite dans la Campanie, on l’arrache au siège de la ville de
Noles. On ose encore, sous Sempronius Gracchus, le poursuivre à
travers la Lucanie et le serrer de près dans sa retraite, bien qu'alors,
ô honte ! l'on ne combattît qu'avec une poignée d'esclaves;
car c'est à cette extrémité qu'avaient réduit
tant de malheurs; mais, après avoir reçu la liberté,
d'esclaves qu'ils étaient, ils étaient devenus des Romains. |
.. |
.. | O horribilem in tot
adversis fiduciam! o singularem animum ac spiritum populi Romani! Tam arctis
afflictisque rebus, quum de Italia sua dubitaret, ausus tamen est in diversa
respicere, quumque hostes in jugulo per Campaniam Apuliamque volitarent
mediamque de Italia Africam facerent, eodem tempore et hunc sustinebat
et in Siciliam, Sardiniam, Hispaniam divisa per terrarum orbem arma mittebat. |
.... | Etonnante confiance
au milieu de tant d'adversités! admirable force d'âme! audace
toute romaine! Dans une position si embarrassante et si déplorable,
quand le salut de son Italie est encore douteux, Rome ose cependant porter
ses regards sur d'autres contrées; et tandis qu'inondant la Campanie
et l'Apulie, les ennemis lui tiennent le fer sur la gorge, et font déjà
de l’Italie même une seconde Afrique, en même temps qu'elle
leur résiste, elle envoie et répartit ses armées en
Sicile, en Sardaigne, en Espagne, par toute la terre. |
.. |
.. | Sicilia mandata Marcello,
nec diu restitit: tota enim insula in una urbe superata est. Grande illud
et ante id tempus invictum caput, Syracusae, quamvis Archimedis ingenio
defenderentur, aliquando cesserunt. Longe illi triplex murus, totidemque
arces, portus ille marmoreus et fons celebratus Arethusae, nisi quod hactenus
profuere ut pulchritudini victae urbis parceretur. |
.... | La Sicile , assignée
à Marcellus, ne lui résista pas longtemps. Toute l'île
fut en effet vaincue dans une seule ville. Cette grande capitale, jusqu'alors
invincible, Syracuse, quoique défendue par le génie d'Archimède,
fut enfin forcée de céder. Sa triple enceinte, ses trois
forteresses, son port de marbre, et sa célèbre fontaine d'Aréthuse,
ne purent lui servir qu'à être, en faveur de sa beauté,
épargnée par le vainqueur. |
.. |
.. | Sardiniam Gracchus
arripuit. Nihil illi gentium feritas Insanorumque – nam sic vocantur –
immanitas montium profuere. Saevitum in urbes urbemque urbium Caralim,
ut gens contumax vilisque mortis saltem desiderio patrii soli domaretur. |
.... | Gracchus s'empara
de la Sardaigne. Ni le courage féroce de ses habitants, ni la hauteur
prodigieuse de ses montagnes insensées – car c'est ainsi qu'on les
appelle – ne purent la protéger. Il traita les villes avec rigueur,
surtout Caralis, la ville de ses villes, afin de dompter au moins, par
le regret de voir dévaster le sol de sa patrie, une nation obstinée
et qui se faisait un jeu de la mort. |
.. |
.. | In Hispaniam missi
Cnaeus et Publius Scipiones pene totam Poenis eripuerant, sed insidiis
Punicae fraudis oppressi, rursus amiserunt, magnis quidem illi proeliis
quum Punicas opes cecidissent. Sed Punicae insidiae alterum ferro castra
metantem, alterum, quum evasisset in turrem, cinctum facibus oppresserunt. |
.... | Les deux Scipions,
Cnaeus et Publius, envoyés en Espagne, l'avaient presque entièrement
arrachée aux Carthaginois. Mais, victimes des pièges de la
ruse punique, ils la perdirent à leur tour, après avoir néanmoins
épuisé, dans de grandes batailles, les forces carthaginoises.
L'un deux tomba sous le fer des perfides Africains, comme il traçait
son camp; l'autre périt au milieu des flammes dans une tour où
il s'était réfugié. |
.. |
.. | Igitur in ultionem
patris ac patrui missus cum exercitu Scipio, cui tam grande de Africa nomen
fata decreverant, bellatricem illam, viris armisque nobilem Hispaniam,
illam seminarium hostilis exercitus, illam Annibalis eruditricem - incredibile
dictu - totam a Pyrenaeis montibus in Herculis columnas et Oceanum recuperavit,
nescias citius an felicius. Quam velociter, quatuor anni fatentur; quam
facile, vel una civitas probat. Eodem quippe, quo obsessa est, die capta
est, omenque Africanae victoriae fuit, quod tam facile victa est Hispana
Carthago. Certum est tamen ad profligandam provinciam maxime profecisse
singularem ducis sanctitatem, quippe qui captivos pueros puellasque praecipuae
pulchritudinis barbaris restituerit, ne in conspectum quidem suum passus
adduci, ne quid de virginitatis integritate delibasse saltem oculis videretur. |
.... | Alors, Scipion fut
envoyé avec une armée pour venger son père et son
oncle; c'était à lui, que, selon le décret des destins,
l'Afrique devait donner un nom si grand. Cette belliqueuse Espagne, fameuse
par ses guerriers et par ses combats, cette pépinière des
armées ennemies, cette école d'Annibal, il la reconquit tout
entière, ô prodige! depuis les Pyrénées jusqu'aux
colonnes d'Hercule et à l'Océan. Fut-ce avec plus de rapidité
que de bonheur? la rapidité, quatre ans l'attestent; le bonheur,
une seule cité le prouve. En effet, assiégée et prise
le même jour, la Carthage de l'Espagne, si facilement vaincue, fut
le présage de la réduction de celle de l'Afrique. Cependant
la soumission de cette province doit être attribuée surtout
à la rare continence du général qui rendit aux Barbares
leurs enfants captifs et de jeunes filles d’une grande beauté, sans
même avoir permis qu'on les amenât eu sa présence, pour
ne pas paraître avoir effleuré, seulement des yeux, leur pureté
virginale. |
.. |
.. | Haec inter diversa
terrarum populus Romanus; nec ideo tamen Italia visceribus inhaerentem
submovere poterat Annibalem. Pleraque ad hostem defecerant, et dux acerrimus
contra Romanos Italicis quoque viribus utebatur. Jam tamen eum plerisque
oppidis et regionibus excusseramus. Jam Tarentos ad nos redierat, jam et
Capua, sedes et domus et patria altera Annibalis, tenebatur; cujus amissio
tantum Poeno duci dolorem dedit, ut inde totis viribus Romam converteretur.
O populum dignum orbis imperio! dignum omnium favore et admiratione hominum
ac deorum! Compulsus ad ultimos metus ab incepto non destitit; et de sua
Urbe sollicitus, Capuam tamen non omisit; sed parte exercitus sub Appio
consule relicta, parte Flaccum in urbem secuta, absens simul praesensque
pugnabat. Quid ergo miramur, moventi castra a tertio lapide Annibali iterum
ipsos deos - deos inquam, nec fateri pudebit - restitisse? Tanta enim ad
singulos illius motus vis imbrium effusa, tanta ventorum violentia coorta
est, ut divinitus hostem submoveri, nec a caelo, sed ab Urbis ipsius moenibus,
et Capitolio ferri videretur. Itaque fugit et cessit et in ultimum se Italiae
recepit sinum, quum Urbem tantum non adoratam reliquisset. Parva res dictu,
sed ad magnanimitatem populi Romani probandam satis efficax, quod illis
ipsis quibus obsidebatur diebus ager, quem Annibal castris insederat, venalis
Romae fuit, hastaeque subjectus invenit emptorem. Voluit Annibal contra
fiduciam imitari; subiecitque argentarias Urbis tabernas; nec sector inventus
est, ut scias, etiam praesagia fatis fuisse. |
.... | Le peuple romain obtenait
ces succès dans diverses parties du monde; et cependant, comme attaché
aux entrailles de l'Italie, Annibal ne pouvait en être arraché.
La plupart des villes avaient quitté notre cause pour la sienne;
et cet irréconciliable ennemi, tournait contre les Romains les forces
même de l'Italie. Déjà, toutefois, nous l'avions chassé
de quantité de places et de contrées. Tarente était
revenue à nous; déjà nous tenions assiégée
Capoue, la résidence, le domicile, la seconde patrie d'Annibal.
La perte de cette ville fut si douloureuse au général carthaginois
qu'il tourna toutes ses forces contre Rome. O peuple digne de l'empire
du monde, digne de la faveur de tous les dieux et de l'admiration de tous
les hommes! Au milieu des plus pressantes alarmes, il ne se désista
d'aucune entreprise; et, réduit à craindre pour Rome même,
il n'abandonna cependant pas Capoue. Une partie de l'armée y fut
laissée sous le consul Appius; l'autre suivit Flaccus à Rome,
et le peuple romain combattait loin d'elle et près d'elle tout à
la fois. Devons-nous donc nous étonner que, quand Annibal, pour
l'attaquer, leva son camp placé à trois milles, les dieux
eux-mêmes, oui, les dieux ( ne rougissons pas de l'avouer ), l'aient
une seconde fois arrêté? En effet, à chacun de ses
mouvements, des torrents de pluie tombèrent avec une telle force,
les vents s'élevèrent avec une telle violence, qu'il semblait
que cet orage, suscité par les dieux pour repousser l'ennemi, partit,
non du ciel, mais des murs mêmes de Rome et du haut du Capitole.
Il se retira donc en fuyant et se cacha dans le fond de l'Italie, heureux
du moins d'avoir quitté Rome sans s'être prosterné
devant elle. Une chose légère en elle-même, mais qui
prouve assez manifestement la grandeur d'âme du peuple romain, c'est
que, pendant les jours de ce siège, le champ sur lequel Annibal
avait assis son camp, fut mis à l'encan à Rome, et trouva
un acheteur. Annibal voulut imiter une semblable confiance; il mit à
son tour en vente les comptoirs des banquiers de la ville; mais il ne se
présenta pas d'acquéreur. C'était un nouveau présage
des destins. |
.. |
.. | Nihil actum erat tanta
virtute, tanto favore etiam deorum, si quidem Asdrubal, frater Annibalis,
cum exercitu novo, novis viribus, nova belli mole veniebat. Actum erat
procul dubio, si vir ille se cum fratre junxisset; sed hunc quoque castra
metantem Claudius Nero cum Livio Salinatore debellat. Nero in ultimo Italiae
angulo submovebat Annibalem : Livius in diversissimam partem, id est, in
ipsas nascentis Italiae fauces, signa converterat. Tanto, id est, omni
qua longissima Italia, solo interjacente, quo consilio, qua celeritate,
consules castra conjunxerint, inopinanterque hostem collatis signis compresserint,
neque id fieri Annibal senserit, difficile dictu est. Certe Annibal, re
cognita, quum projectum fratris caput ad sua castra vidisset, "agnosco,
inquit, infelicitatem Carthaginis". Haec fuit illius viri, non sine praesagio
quodam fati inminentis, prima confessio. Jam certum erat Annibalem etiam
ipsius confessione posse vinci; sed tot rerum prosperarum fiducia plenus
populus Romanus magni aestimabat asperrimum hostem in sua Africa debellare.
Duce igitur Scipione, in ipsam Africam tota mole conversus, imitari coepit
Annibalem, et Italiae suae clades in Africa vindicare. Quas ille, dii boni,
Hasdrubalis copias, quos Syphacis exercitus fudit! quae quanta utriusque
castra facibus illatis una nocte delevit! denique jam non a tertio lapide,
sed ipsas Carthaginis portas obsidione quatiebat. Sic factum est ut inhaerentem
atque incubantem Italiae extorqueret Annibalem. Non fuit major sub imperio
Romano dies, quam ille, quum duo omnium et antea et postea ducum maximi,
ille Italiae, hic Hispaniae victor, collatis cominus signis, direxere aciem.
Sed et colloquium fuit inter ipsos de legibus pacis. Steterunt diu mutua
admiratione defixi. Ubi de pace non convenit, signa cecinere. Constat utriusque
confessione, "nec melius instrui aciem nec acrius potuisse pugnari". Hoc
Scipio de Annibalis, Annibal de Scipionis exercitu praedicaverunt. Sed
tamen Annibal cessit; praemiumque victoriae Africa fuit, et secutus Africam
statim terrarum orbis. |
.... | Tant de preuves de
courage, tant de marques même de la faveur des dieux n'avaient rien
fait encore. Asdrubal, frère d'Annibal, s'avançait avec une
nouvelle armée, de nouvelles forces, un nouvel appareil de guerre.
C'en était fait sans aucun doute, si ce général eût
opéré sa jonction avec son frère; mais, comme il traçait
son camp, il fut, lui aussi, battu par Claudius Néron, uni à
Livius Salinator. Néron avait poussé Annibal jusqu'aux derniers
confins de l'Italie : Livius avait dirigé son armée vers
une partie tout opposée, c'est-à-dire, vers les défilés
où l'Italie prend naissance. Franchissant cet immense intervalle
que mettait entre les consuls toute la longueur de l'Italie, avec quel
concert, avec quelle célérité ils se joignent, unissent
leurs drapeaux et surprennent Asdrubal, sans qu’Annibal soupçonne
ce qui se passe! Comment l'exprimer? A la nouvelle du ce désastre,
à l'aspect de la tête de son frère jetée dans
sou camp : "Je reconnais, dit Annibal, l'infortune de Carthage. »
tel fut le premier aveu arraché à ce guerrier, sans doute
par le pressentiment du destin qui le menaçait. Dès lors
il était certain qu'Annibal, à l'en croire lui-même,
pouvait être vaincu. Mais ce n'était point assez pour le peuple
romain; plein de confiance après tant de prospérités,
il avait surtout à cœur d'accabler dans l'Afrique ce terrible ennemi.
Il s'y porta donc sous la conduite de Scipion, avec toute la masse de ses
forces, et commença d'imiter Annibal, en vengeant sur l'Afrique
les malheurs de l'Italie. Quelles troupes, grands dieux ! que celles d'Asdrubal
! quelles armées que celles de Syphax, qu'il mit eu déroute!
quelle force et quelle étendue avaient leurs deux camps, qu'il détruisit
en y mettant le feu, dans une seule nuit! Bientôt il n'était
plus seulement à trois milles de Carthage; il en battait les portes,
il en pressait le siège. Cette diversion eut pour effet d'arracher
de l'Italie Annibal, attaché à cette proie dont il se repaissait.
II n'y eut pas pour l'empire romain un plus grand jour que celui où
les deux premiers capitaines qui eussent existé jusqu'alors et qui
aient paru depuis, l'un, vainqueur de l'Italie, l'autre, de l'Espagne,
déployèrent enseignes contre enseignes, et se préparèrent
au combat. Ils eurent cependant une conférence pour traiter de la
paix. Ils restèrent longtemps immobiles, dans une mutuelle admiration.
La paix ne se conclut pas, et aussitôt les trompettes donnèrent
le signal. II est constant, de l'aveu des deux généraux,
"qu'on ne pouvait, de part et d'autre, ni faire de meilleures dispositions,
ni combattre avec plus d’ardeur". Scipion rendit ce témoignage de
l'armée d'Annibal, Annibal de celle de Scipion. Toutefois, Annibal
succomba; l’Afrique fut le prix de la victoire; et le monde ne tarda pas
à suivre le sort de l'Afrique. |
.. |
.. | VII. - Bellum Macedonicum
primum. - Post Carthaginem vinci neminem puduit. Secutae sunt statim Africam
gentes, Macedonia, Graecia, Syria caeteraque omnia, quodam quasi aestu
et torrente fortunae; sed primi omnium Macedones, affectator quondam imperii
populus. Itaque quamvis tunc Philippus regno praesideret, Romani tamen
dimicare sibi cum rege Alexandro videbantur. Macedonicum bellum nomine
amplius quam spectatione gentis fuit. Causa coepit a foedere Philippi,
quo rex jam pridem dominantem in Italia Annibalem sibi sociaverat; postea
crevit, implorantibus Athenis auxilium contra regis injurias, quum ille
ultra jus victoriae in templa, aras et sepulchra ipsa saeviret. Placuit
senatui opem tantis ferre supplicibus. Quippe jam gentium reges, duces,
populi, nationes praesidia sibi ab hac urbe petebant. |
.... | VII. - Première
guerre de Macédoine. - (An de Rome 535-558.) - Carthage vaincue,
nul peuple ne rougit de l'être. Aussitôt après furent
soumises, comme l'Afrique, les nations de la Macédoine, de la Grèce,
de la Syrie, et toutes les autres, entraînées, pour ainsi
dire, par le tourbillon, par le torrent de la fortune. On soumit tout d'abord
les Macédoniens, ce peuple qui avait jadis aspiré à
l'empire du monde. Aussi, quoique Philippe occupât alors le trône,
les Romains croyaient-ils avoir à combattre un Alexandre. Ce fut
toutefois le nom de la nation, plutôt que sa puissance, qui donna
de l'importance à la guerre de Macédoine. La cause qui la
fit commencer fut l'alliance contractée par le roi Philippe avec
Annibal, quand celui-ci dominait en Italie. Ce motif devint plus puissant
lorsque les Athéniens implorèrent notre secours contre les
violences de ce roi, qui, abusant du droit de la victoire, détruisait
les temples, les autels et même les tombeaux. Le sénat consentit
à porter assistance à d'aussi illustres suppliants. Rome
était déjà le recours et l'appui des princes, des
peuples, des nations. |
.. |
.. | Primum igitur, Laevino
consule, populus Romanus Ionium mare ingressus, tota Graeciae litora veluti
triumphanti classe peragravit. Spolia quippe Siciliae, Sardiniae, Hispaniae,
Africae praeferebat; et manifestam victoriam nata in praetoria puppe laurus
pollicebatur. Aderat sponte in auxilium Attalus, rex Pergamenorum, aderant
Rhodii, nauticus populus; quibus a mari, consul a terris omnia equis virisque
quatiebat. Bis victus rex, bis fugatus, bis exutus castris, quum tamen
nihil terribilius Macedonibus fuit ipso vulnerum adspectu, quae non spiculis
nec sagittis nec ullo Graeculo ferro, sed ingentibus pilis, nec minoribus
adacta gladiis, ultra mortem patebant. Enimvero Flaminio duce, invios antea
Chaonum montes, Aoumque amnem per abrupta vadentem, et ipsa Macedoniae
claustra penetravimus. Introisse victoria fuit. Nam postea numquam ausus
congredi rex, ad tumulos, quos Cynoscephalas vocant, uno ac ne hoc quidem
justo proelio opprimitur.Et illi quidem consul pacem dedit regnumque concessit;
mox, ne quid esset hostile, Thebas et Euboeam et grassantem sub Nabide
suo Lacedaemona compescuit. Graeciae vero veterem statum reddidit, ut legibus
viveret suis et avita libertate frueretur. Quae gaudia, quae vociferationes
fuerunt, quum hoc forte Nemeae in theatro quinquennalibus ludis a praecone
caneretur! Quo certavere plausu! Quid florum in consulem profuderunt! Et
iterum iterumque praeconem repetere vocem illam jubebant, qua libertas
Achaiae pronuntiabatur; nec aliter illa consulari sententia quam modulatissimo
aliquo tibiarum aut fidium cantu fruebantur. |
.... | Sous le consulat de
Lévinus, le peuple romain parut donc pour la première fois
sur la mer Ionienne; sa flotte parcourut comme en triomphe tous les rivages
de la Grèce, étalant les dépouilles de la Sicile,
de la Sardaigne, de l’Espagne, de l’Afrique. Un laurier né sous
la poupe du vaisseau prétorien était une promesse manifeste
de la victoire. Attale, roi de Pergame, s'était fait de lui-même
notre auxiliaire. Les Rhodiens, peuple navigateur, nous prêtèrent
aussi leurs secours; avec eux sur mer, et avec ses cavaliers et ses fantassins
sur terre, le consul battait l'ennemi partout. Philippe fut deux fois vaincu,
deux fois mis en fuite, deux fois dépouillé de son camp.
Rien cependant n'effraya plus les Macédoniens que l'aspect même
de leurs blessures, qui, faites, non avec les traits, les flèches
ou les faibles armes de la Grèce, mais avec d'énormes javelots
et de non moins grandes épées, ouvraient plus d'un chemin
à la mort. Bientôt après, sous la conduite de Flamininus,
nous franchîmes les montagnes jusqu'alors inaccessibles de la Chaonie
et le fleuve Aoüs, qui se précipite entre des rocs, et les
barrières mêmes de la Macédoine. Ce fut vaincre que
d'y entrer. Car jamais, depuis ce jour, le roi n'osa en venir aux mains;
près des collines nommées Cynocéphales, on l'accabla
d'un seul coup, et ce ne fut pas même dans un véritable combat.
Le consul lui donna la paix et lui laissa son trône. Bientôt,
pour prévenir toutes les causes de guerre, il réprima Thèbes,
et l'Eubée, et Lacédémone qui s'agitait sous son chef
Nabis. Quant à la Grèce, il lui rendit son ancien état,
afin qu'elle vécût sous ses lois et jouît de son antique
liberté. Quels transports, quelles acclamations, le jour où,
sur le théâtre de Némée, pendant les jeux quinquennaux,
le héraut chanta ce décret! Quel concours d'applaudissements!
que de fleurs répandues aux pieds du consul ! combien de fois on
obligea le héraut à répéter ces paroles qui
proclamaient la liberté de l'Achaïe ! Cette sentence du consul
charmait les oreilles des Grecs autant que les plus mélodieux accords
de la flûte ou de la lyre. |
.. |
.. | VIII. - Bellum
Syriacum regis Anthiochi. - Macedoniam statim et regem Philippum Antiochus
excepit, quodam casu, quasi industria, sic adgubernante fortuna,
ut quem ad modum ab Africa in Europam, sic ab Europa in Asiam, ultro se
subgerentibus causis, imperium procederet; et cum terrarum orbis situ ipse
ordo victoriarum navigaret. Non aliud formidolosius fama bellum fuit; quippe
quum Persas et orientem, Xerxen atque Darium cogitarent, quando perfossi
invii montes, quando velis opertum mare nuntiaretur. Ad hoc caelestes minae
territabant, quum humore continuo Cumanus Apollo sudaret. Sed hic faventis
Asiae suae numinis timor erat. |
.... | VIII.
– Guerre de Syrie contre le roi Antiochus. - ( An de Rome 561-564. ) -
La soumission de la Macédoine et du roi Philippe fut suivie de près
de celle d'Antiochus : c'était le hasard, ou plutôt une heureuse
combinaison de la fortune, qui voulait que notre domination s'étendît
d'Afrique en Europe, puis d'Europe en Asie, selon les occasions qui se
présentaient d'elles-mêmes; et que le cercle de nos victoires
embrassât, d'après leur situation, tous les pays de l'univers.
Nulle guerre ne parut plus formidable aux Romains; ils se retraçaient
les Perses et l'Orient, Xerxès et Darius, et on racontait que ces
monts inaccessibles avaient été percés par la main
de l'homme, et que la mer avait disparu sous le nombre des voiles. A cette
terreur se joignait l'effroi causé par les menaces célestes
: l'Apollon de Cumes se couvrait d'une sueur continuelle; mais c'était
l'effet des alarmes de ce dieu pour sa chère Asie. |
.. |
.. | Nec sane viris, opibus,
armis quidquam copiosius Syria; sed in manus tam ignavi regis inciderat,
ut nihil fuerit in Antiocho speciosius quam quod a Romanis victus est.
Impulere regem in id bellum, illinc Thoas Aetoliae princeps, inhonoratam
apud Romanos querens adversus Macedonas militiae suae societatem; hinc
Annibal, qui in Africa victus, profugus et pacis impatiens hostem populo
Romano toto orbe quaerebat. Et quod illud fuisset periculum, si se consiliis
ejus rex tradidisset, id est, si Asiae viribus usus fuisset miser Annibal?
Sed rex suis opibus et nomine regio fretus satis habuit bellum movere. |
.... | Nulle contrée
n'est plus peuplée, plus riche, plus belliqueuse que la Syrie; mais
elle était tombée entre les mains d'un roi si lâche
que la plus grande gloire d'Antiochus est d'avoir été vaincu
par les Romains. Ce roi fut poussé à la guerre, d'un côté
par Thoas, chef des Étoliens, qui se plaignait de ce que les Romains
avaient fait peu de cas de son alliance dans la guerre contre les Macédoniens;
de l'autre, par Annibal, qui, vaincu en Afrique, fugitif, et ne pouvant
supporter la paix, cherchait par toute la terre un ennemi au peuple romain.
Et quel eût été notre péril, si le roi se fût
livré à ses conseils, c'est-à-dire, si ce malheureux
Annibal eût disposé des forces de l'Asie? Mais Antiochus,
dans la confiance que lui inspirait sa puissance et son nom de roi, se
contenta d'avoir allumé la guerre. |
.. |
.. | Europa jam, dubio
procul, jure ad Romanos pertinebat. Hic Lysimachiam, urbem in litore Thracio
positam a majoribus suis, Antiochus ut hereditario jure reposcebat. Hoc
velut sidere, Asiatici belli mota tempestas. Et maximus regum, contentus
fortiter indixisse bellum, quum ingenti strepitu ac tumultu movisset ex
Asia, occupatis statim insulis, Graeciaeque litoribus, otia et luxus
tanquam victor agitabat. Euboeam insulam continenti adhaerentem tenui freto
reciprocantibus aquis Euripus abscidit. Hic ille positis aureis sericisque
tentoriis, sub ipso freti murmure, quum inter fluenta tibiis fidibusque
concinerent, collatis undique, quamvis per hiemem rosis, ne non aliquo
genere ducem agere videretur, virginum puerorumque delectus habebat |
.... | Déjà
l'Europe, par un droit incontestable, appartenait aux Romains. Cet Antiochus
leur redemanda, comme un bien héréditaire, la ville de Lysimachie,
fondée par ses ancêtres, sur la côte de Thrace. Ce fut,
pour ainsi dire, sous l'influence de cet astre que se souleva la tempête
de la guerre asiatique; et le plus grand des rois, content de l’avoir courageusement
déclarée, partit de l'Asie avec un fracas et un tumulte extraordinaires;
il occupa aussitôt les îles et les rivages de la Grèce,
et s'y livra au repos et aux plaisirs, comme un vainqueur. L’île
d'Eubée est séparée du continent par un petit détroit
que le flux et le reflux de l'Euripe ont formé. Là, ayant
fait dresser des tentes d'or et de soie, il mariait, au bruit des ondes
du détroit, les sons de la flûte et de la lyre, faisait, malgré
l'hiver, apporter de tous côtés des roses, et s'occupait,
pour paraître jouer un peu le rôle de général,
à faire des levées de jeunes filles et d'enfants. |
.. |
.. | Talem ergo regem jam
luxuria sua debellatum populus Romanus, Acilio Glabrione consule, in insula
aggressus, ipso statim adventus sui nuntio coegit ab insula fugere. Tum
praecipitem apud Thermopylas assecutus, locum trecentorum Laconum speciosa
caede memorandum, ne ibi quidem fiducia loci resistentem, mari ac terra
cedere coegit. Statim et e vestigio itur in Syriam. Classis regia Polyxenidae
Annibalique commissa: nam rex proelium nec spectare poterat. Igitur, duce
Aemilio Regillo, adremigantibus Rhodiis tota laceratur. Ne sibi placeant
Athenae! in Antiocho vicimus Xerxem; in Aemilio Themistoclem aequavimus;
Ephesiis Salamina pensavimus. |
.... | Un tel prince était
donc déjà vaincu par son luxe. Envoyé par le peuple
romain, le consul Acilius Glabrion s'avança pour l'attaquer dans
l'Eubée, et le força, par le seul bruit de son arrivée,
à s'enfuir aussitôt de cette île. Alors, malgré
sa fuite précipitée, il l’atteignit aux Thermopyles, lieu
si célèbre par la belle mort des trois cents Spartiates.
Antiochus, loin de profiter de l'avantage du lieu, ne fit aucune résistance,
et Glabrion le força à céder la mer et la terre. Aussitôt,
et sans s'arrêter, on marche vers la Syrie. La flotte royale avait
été confiée à Polyxénidas et à
Annibal; car le roi ne pouvait pas même être spectateur d'un
combat. Aemilius Régillus, avec le secours des galères rhodiennes,
l’eut bientôt réduite tout entière. Qu’Athènes
ne soit plus si fière ! nous avons vaincu Xerxès dans Antiochus;
dans Aemilius, égalé Thémistocle; dans Ephèse,
remplacé Salamine. |
.. |
.. | Tum consule Scipione,
cui frater, ille modo victor Carthaginis Africanus, voluntaria legatione
aderat, debellari regem placet. Et jam toto cesserant mari; sed nos imus
ulterius. Maeandrum ad amnem montemque Sipylum castra ponuntur. Hic rex,
incredibile dictu, quibus auxiliis, quibus copiis consederat. Trecenta
millia peditum, equitum falcatorumque curruum non minor numerus. Elephantis
ad hoc immensae magnitudinis, auro, purpura, argento et suo ebore fulgentibus,
aciem utrimque vallaverat. Sed haec omnia praepedita magnitudine sua; ad
hoc imbre, qui subito perfusus, mira felicitate Persicos arcus corruperat.
Primum trepidatio, mox fuga, deinc triumphus fuerunt. Victo et supplici
pacem atque partem regni dari placuit, eo libentius, quod tam facile cessisset. |
.... | Alors, sous le consulat
de Scipion, que son frère, ce Scipion l'Africain, naguère
vainqueur de Carthage, voulut accompagner en qualité de lieutenant,
on résolut d'achever la ruine d'Antiochus. Déjà, il
est vrai, il nous avait abandonné toute la mer; mais nos vues se
portent plus loin. On campe près du fleuve Méandre et du
mont Sypyle. Le roi s'y trouvait avec des forces prodigieuses, soit auxiliaires,
soit nationales : trois cent mille hommes de pied et un nombre proportionné
de cavaliers et de chars armés de faux. Des éléphants
d'une grandeur monstrueuse, brillants d'or, de pourpre, d'argent et de
l’éclat de leur ivoire, servaient comme de rempart aux ailes de
son armée. Mais tout cet appareil s'embarrassait dans sa propre
grandeur. D'ailleurs, une pluie, survenue tout à coup, par un bonheur
singulier, avait détendu les arcs persans. D'abord l'épouvante
et bientôt la fuite de l’ennemi assurèrent notre triomphe.
Antiochus, vaincu et suppliant, obtint la paix et une partie de ses états;
on y consentit d'autant plus volontiers qu'il avait cédé
plus facilement. |
.. |
.. | IX. - Bellum Aetolicum.
- Syriaco bello successit, ut debebat, Aetolicum. Victo quippe Antiocho,
Romanus faces Asiatici belli persequebatur. Ergo Fulvio Nobiliori mandata
ultio est. Hic protinus, caput gentis, Ambraciam, regiam Pyrrhi, machinis
quatit. Secuta deditio est. Aderant Aetolorum precibus Attici, Rhodii;
et memineramus auxilii, sic placuit ignoscere. Serpsit tamen latius in
proximos bellum omnemque late Cephalleniam, Zacynthon et quidquid insularum
in eo mari inter Ceraunios montes jugumque Maleum, Aetolici belli accessio
fuerunt. |
.... | IX. - Guerre d'Étolie.
- ( An de Rome 564 ). - A la guerre de Syrie succéda naturellement
celle d'Etolie. En effet, après avoir vaincu Antiochus, Rome devait
poursuivre ceux qui avaient allumé les feux de la guerre d'Asie.
Fulvius Nobilior est chargé du soin de sa vengeance. Aussitôt,
Ambracie, la capitale du pays, l'ancienne résidence de Pyrrhus,
est ébranlée sous l'effort des machines; elle se rend bientôt.
Aux prières des Étoliens, Athènes et Rhodes joignent
les leurs; et, en mémoire de notre alliance avec eux, on consent
à leur pardonner. La guerre s'étendit cependant plus loin
et aux pays voisins. Céphalénie, Zacynthe et toutes les îles
de cette mer, entre les monts Cérauniens et le cap Malée,
furent l'accessoire de la guerre d'Étolie. |
.. |
.. | X. - Bellum Histricum.
- Histri sequuntur Aetolos, quippe bellantes eos nuper adjuverant. Et initia
pugnae hosti prospera fuerunt eademque exitii causa. Nam quum Cnaei Manlii
castra cepissent, opimaeque praedae incubarent, epulantes ac ludibundos
plerosque, atque, ubi essent prae poculis nescientes, Appius Pulcher invadit.
Sic cum sanguine et spiritu male partam revomuere victoriam. Ipse rex,
Aepulo equo impositus, quum subinde crapula et capitis errore lapsaret,
captum sese vix et aegre, postquam experrectus est, didicit. |
.... | X. - Guerre d'Istrie.
- (An de Rome 575 ). - Après les Étoliens, Rome attaqua l'Istrie,
qui les avait secourus dans la dernière guerre. Les commencements
de celle-ci furent à l'avantage des ennemis; mais ce succès
même causa leur perte. Ils avaient pris le camp de Cnaeus Manlius;
ne s'attachant qu'à leur riche butin, la plupart d'entre eux, ivres
de vin et de joie, s'oubliaient au milieu des festins, lorsqu'Appius Pulcher
les surprit, et leur fit revomir, dans des flots de sang, une victoire
mal assurée. Apulon, leur roi, jeté sur un cheval, avait
la tête si appesantie, si troublée par les fumées du
vin, qu'il chancelait à tout moment: après qu'il eut repris
ses sens, il apprit, avec beaucoup de peine, qu'il était prisonnier. |
.. |
.. | XI. - Bellum Gallograecum.
- Gallograeciam quoque Syriatici belli ruina convolvit. Fuerint inter auxilia
regis Antiochi, an fuisse cupidus triumphis Manlius, ac eos visos simulaverit,
dubium est. Certe negatus est victori triumphus, quia causam belli non
approbavit. Ceterum gens Gallograecorum, sicut ipsum nomen indicio est,
mixta et adulterata, reliquiae Gallorum, qui, Brenno duce, vastaverant
Graeciam, mox Orientem secuti, in media Asiae parte sederunt. Itaque, ut
frugum semina, mutato solo, degenerant; sic illa genuina feritas eorum
Asiatica amoenitate mollita est. Duobus itaque proeliis fusi fugatique
sunt, quamvis sub adventu hostis, relictis sedibus, in altissimos se montes
recepissent, quos Tolostobogi Tectosagique jam insederant. Vtrique fundis
sagittisque acti, in perpetuam se pacem dediderunt. Sed alligati miraculo
quodam fuere, quum catenas morsibus et ore tentassent; quum offocandas
invicem fauces praebuissent. Nam Orgiacontis regis uxor a centurione stuprum
passa, memorabili exemplo custodiam evasit, revulsumque militis caput ad
maritum retulit. |
.... | XI.
- Guerre contre les Gallo-Grecs. ( An de Rome 564 ). - Les Gallo-Crecs
furent aussi enveloppés dans la ruine causée par la guerre
de Syrie. Avaient-ils réellement secouru Antiochus? ou Manlius,
ambitionnant un triomphe, avait-il feint de les avoir vus dans l'armée
de ce roi? C'est ce qu'on ne sait pas. Quoi qu'il en soit, le vainqueur
n'ayant point justifié des motifs de cette guerre, le triomphe lui
fut refusé. La nation des Gallo-Grecs, comme l'indique son nom même,
était un reste mixte et abâtardi de ces Gaulois qui, sous
la conduite de Brennus, avaient dévasté la Grèce,
et qui bientôt, pénétrant dans l'Orient, s'étaient
établis dans la partie centrale de l'Asie. Mais de même que
les plantes dégénèrent en changeant de sol, ainsi
la férocité naturelle de ces peuples s'était amollie
dans les délices de l'Asie. Aussi furent-ils battus et mis en fuite
dans deux batailles, bien qu'à l'approche de l'ennemi, ils eussent
abandonné leurs demeures, et se fussent retirés sur de très
hautes montagnes, qu'occupaient déjà les Tolistoboges, et
les Tectosages. Les uns et les autres, assaillis d'une grêle de pierres
et de traits, furent en se rendant, condamnés à une éternelle
paix. Ce ne fut que par une espèce de miracle qu'on les enchaîna
: ils mordaient leurs fers, pour essayer de les rompre; ils se présentaient
mutuellement la gorge pour s'étrangler. La femme d’Orgiagonte, leur
roi, victime de la brutalité d'un centurion , laissa un exemple
mémorable : elle s'échappa de sa prison, coupa la tête
du soldat et la porta à son époux. |
.. |
.. | XII. - Bellum
Macedonicum secundum. - Dum aliae aliaeque gentes Syriatici belli sequuntur
ruinam, Macedonia rursus se erexit. Fortissimum populum memoria et recordatio
suae nobilitatis agitabat; et successerat Philippo filius Perses, qui semel
in perpetuum victam esse Macedoniam, non putabat ex gentis dignitate. Multo
vehementius sub hoc Macedones, quam sub patre consurgunt. Quippe Thracas
in vires suas traxerant, atque ita industriam Macedonum viribus Thracum,
ferociam Thracum disciplina Macedonum temperaverunt. Accessit his consilium
ducis, qui situm regionum suarum summo speculatus Haemo, positis per abrupta
castris, ita Macedoniam suam armis ferroque vallaverat, ut non reliquisse
aditum, nisi a caelo venturis hostibus, videretur. Tamen Marcio Philippo
consule, eam provinciam ingressus populus Romanus, exploratis diligenter
accessibus, per acerbos dubiosque tumulos, illa quae volucribus quoque
videbantur, invia accessit. Regem securum, et nihil tale metuentem, subita
belli irruptione terruit. Cujus tanta trepidatio fuit, ut pecuniam omnem
in mare jusserit mergi, ne periret, classem cremari, ne incenderetur. |
.... | XII. - Seconde guerre
de Macédoine. – ( An de Rome 582 - 585 ). - Tandis que la guerre
de Syrie entraînait la ruine de tant d'autres nations, la Macédoine
se releva. Ce peuple vaillant tressaillait au souvenir de sa gloire passée;
et Persée, fils et successeur de Philippe, doutait, pour l'honneur
de cette nation, qu'elle pût être vaincue pour toujours, ne
l'ayant été qu'une seule fois. Les Macédoniens font,
sous ce roi, un bien plus puissant effort que sous son père. Ils
avaient en effet attiré les Thraces dans leur parti; et l'habileté
des Macédoniens trouvait ainsi un appui dans la vigueur des Thraces,
comme la valeur farouche des Thraces, une règle dans la discipline
des Macédoniens. A ces avantages venait se joindre la prudence du
roi, qui, après avoir examiné, du sommet de l'Hémus,
la situation de ses provinces, établit des camps dans les lieux
escarpés et entoura la Macédoine d'une enceinte d'armes et
de fer qui semblait ne laisser d'accès qu'à des ennemis descendus
du ciel. Cependant, l'armée romaine, sous le consul Marcius Philippus,
pénétra dans cette province, après avoir soigneusement
exploré toutes ses avenues, suivi les bords du marais Ascuris, gravi
des hauteurs escarpées et presque impraticables, qui paraissaient
inaccessibles aux oiseaux mêmes. Le roi, qui, dans sa sécurité,
croyait n'avoir rien de tel à craindre, fut épouvanté
de cette soudaine irruption de notre armée, et son trouble fut tel,
qu'il fit jeter à la mer tous ses trésors, pour que leur
perte ne profitât pas à l'ennemi, et mettre le feu à
sa flotte, de peur qu'il ne la brûlât. |
.. |
.. | Paulo consule, quum
majora et crebra essent imposita praesidia, per alias vias Macedonia deprensa
est, summa quidem arte et industria ducis, quum alia minatus alia irrepsisset.
Cujus adventus ipse adeo terribilis regi fuit, ut interesse non auderet,
sed gerenda ducibus bella mandaverit. Absens ergo victus fugit in maria
insulamque Samothracen, fretus celebri religione, quasi templa et arae
possent defendere, quem nec montes sui nec arma potuissent. |
.... | Le consul Paul Émile,
voyant qu'on avait augmenté la force et le nombre des garnisons,
surprit la Macédoine par d'autres passages, à la faveur d'un
artifice et du plus ingénieux stratagème : la menaçant
d'un côté, il l'envahit d'un autre. Sou arrivée causa
Persée une telle terreur que ce roi, n'osant combattre en personne,
confia à ses généraux la conduite de la guerre. Vaincu
en son absence, il s'enfuit sur les mers, et alla dans l’île de Samothrace,
chercher un asile consacré par la religion, comme si les temples
et les artels eussent pu défendre celui que n'avaient point protégé
ses montagnes et ses armées. |
.. |
.. | Nemo regum diutius
amissae fortunae conscientiam retinuit. Supplex quum scriberet ad imperatorem,
ab illo quo confugerat templo, nomenque epistolae notaret suum, regem addidit.
Sed nec reverentior captae majestatis alius Paulo fuit. Quum in conspectum
venisset hostis, in templum recepit et conviviis adhibuit liberosque admonuit
suos ut fortunam, cui tantum liceret, reverentur. |
.... | Aucun roi ne conserva
plus longtemps le sentiment de sa fortune passée. Réduit
à supplier, si, du temple où il s'était réfugié,
il écrivait au général romain, il ajoutait à
son nom sur cette lettre le titre de roi; personne aussi n’eut plus de
respect que Paul Émile pour la majesté captive. Lorsque Persée
parut en sa présence, il le conduisit dans sa tente, l'admit à
sa table, et exhorta ses enfants à redouter la fortune si inconstante. |
.. |
.. | Inter pulcherrimos
hunc quoque populus Romanus de Macedonia duxit ac vidit triumphum, quippe
cujus spectaculo triduum inpleverit. Primus dies signa tabulasque, sequens
arma pecuniasque transvexit; tertius captivos ipsumque regem attonitum
adhuc tamquam subito malo stupentem. Sed multo prius gaudium victoriae
populus Romanus quam epistolis victoris perceperat. Quippe eodem die quo
victus est Perses in Macedonia, Romae cognitum est. Duo juvenes candidis
equis apud Juturnae lacum pulverem et cruorem abluebant. Hi nuntiavere.
Castorem et Pollucem fuisse creditum volgo, quod gemini fuissent; interfuisse
bello, quod sanguine maderent; a Macedonia venire, quod adhuc anhelarent. |
.... | Le peuple romain mit
au rang des plus beaux triomphes qu'il eût jamais vus celui de la
Macédoine, dont le spectacle dura trois jours. Le premier jour,
on porta par la ville les statues et les tableaux; le second les armes
et les trésors; le troisième, parurent les captifs et le
roi lui-même, encore étonné, frappé de stupeur
comme par une catastrophe soudaine. Au reste, les Romains avaient goûté
la joie de cette victoire longtemps avant l'arrivée des lettres
du vainqueur. Le jour où Persée était défait
en Macédoine, on le savait à Rome. Deux jeunes guerriers,
montés sur des chevaux blancs, vinrent laver dans le lac de Juturne
la poussière et le sang qui les couvraient. Ce fut par eux qu'on
apprit cette nouvelle. On crut généralement que c'étaient
Castor et Pollux, car ils étaient deux; qu'ils avaient pris part
à la bataille, car ils étaient couverts de sang; qu'ils arrivaient
de Macédoine, car ils étaient encore tout haletants. |
.. |
.. | XIII. - Bellum Illyricum.
- Macedonici belli contagio traxit Illyrios. Ipsi quidem, ut Romanum a
tergo distringerent, a Perse conducti pecunia militavere. Sine mora ab
Anicio praetore subiguntur. Scordam, caput gentis, delesse suffecit; statim
secuta dedito est. Denique hoc bellum ante finitum est quam geri Romae
nuntiaretur. |
.... | XIII.
- Guerre d'Illyrie. – ( An de Rome 585). - La guerre de Macédoine
se propagea jusque chez les Illyriens. Ces peuples avaient été
soudoyés par le roi Persée pour harceler par derrière
l'armée romaine. Ils furent promptement soumis par le préteur
Anicius. Il lui suffit d'avoir détruit Scorda, leur capitale, pour
les forcer à se rendre aussitôt. Enfin cette guerre était
finie avant qu'on sût à Rome qu'elle était entreprise. |
.. |
.. | XIV. - Bellum Macedonicum
tertium. - Quodam fato, quasi ita convenisset inter Poenos et Macedonas
ut tertio quoque vincerentur, eodem tempore utrique arma moverunt. Sed
prior jugum excutit Macedo, aliquanto quam ante, gravior, dum contemnitur. |
.... | XIV. - Troisième
guerre de Macédoine. ( An de Rome 604 - 605.) - Par une espèce
de fatalité, par une sorte de convention arrêtée entre
les Carthaginois et les Macédoniens pour se faire vaincre également
trois fois, ces deux peuples reprirent en même temps les armes. Mais
la Macédoine secoua le joug la première, et fut un peu plus
difficile à réduire qu'auparavant, parce qu'on la méprisa. |
.. |
.. | Causa belli prope
erubescenda. Quippe regnum pariter et bellum vir ultimae sortis Andriscus
invaserat, dubium liber an servus, mercennarius certe; sed quia vulgo ex
similitudine Philippi Pseudophilippus vocabatur, regiam formam, regium
nomen, animo quoque regio implevit. Igitur dum haec ipsa contemnit populus
Romanus, Juvencio praetore contentus, virum non Macedonicis modo, sed Thraciae
quoque auxiliis ingentibus validum temere tentavit; invictusque non a veris
regibus, ab illo imaginario et scenico rege superatus est. Sed, consule
Metello, amissum cum legione praetorem plenissime ultus est. Nam et Macedoniam
servitute multavit, et ducem belli deditum ab eo, ad quem confugerat, Thraciae
regulo in Urbem in catenis reduxit; hoc quoque illi in malis indulgente
fortuna, ut de eo populus Romanus, quasi de vero rege, triumpharet. |
.... | La cause de cette
guerre doit presque nous faire rougir. Un homme de la plus basse extraction,
Andriscus avait pris à la fois la couronne et les armes. On ignore
s'il était libre ou esclave; mercenaire, il l'était certainement.
Mais, comme sa ressemblance avec Philippe l'avait fait appeler Pseudophilippe,
il rehaussa cette figure, et ce nom de roi par un courage vraiment royal.
Le peuple romain, méprisant d'abord ses entreprises, se contenta
d'envoyer contre lui le préteur Juvencius, et attaqua témérairement
un homme appuyé par toutes les forces de la Macédoine, et
par de puissants renforts de la Thrace. Rome, que de véritables
rois n'avaient pu vaincre, fut donc vaincue par un monarque imaginaire,
par un roi de théâtre. Mais le consul Métellus vengea
complètement la perte du préteur et de sa légion.
La Macédoine fut punie par la servitude; quant à l'auteur
de la guerre, livré par un petit toi de Thrace, auprès duquel
il s'était réfugié, il fut amené à Rome,
chargé de chaînes. Ainsi, dans ses malheurs, cet homme obtint
de la fortune la faveur d'être, ainsi qu'un vrai roi, le sujet d'un
triomphe pour le peuple romain. |
.. |
.. | XV.- Bellum Punicum
tertium. - Tertium cum Africa bellum et tempore exiguum, nam quadriennio
raptum est; et in comparatione priorum minimum labore, non enim tam cum
viris quam cum ipsa urbe pugnatum est; sed plane maximum eventu: quippe
eo tandem Carthago finita est. Atque si quis trium temporum momenta consideret,
primo commissum bellum, profligatum secundo, tertio vero confectum est. |
.... | XV.
- Troisième guerre Punique. - (An de Rome 601- 607). - La troisième
guerre contre l'Afrique fut de courte durée, puisqu'on l'acheva
en quatre ans; et très peu pénible, en comparaison des deux
premières, puisqu'on eut à combattre moins contre des hommes
que contre des murs; mais elle fut sans contredit la plus importante par
son résultat, puisque Carthage finit avec elle. Si l'on veut déterminer
le caractère de ces trois époques, on verra la guerre engagée
dans la première, poussée avec vigueur dans la seconde, mais
terminée dans la troisième. |
.. |
.. | Sed hujus causa
belli, quod contra foederis legem adversus Numidas quidem, semel parasset
classem et exercitum, frequens autem Masinissae fines territaret. Sed huic
ut bono socioque regi favebatur. Quum bellum sederet, de belli fine tractatum
est. Cato inexpiabili odio delendam esse Carthaginem, et quum de alio consuleretur,
pronuntiabat : Scipio Nasica servandam, ne, metu ablato aemulae urbis,
luxuriari felicitas urbis inciperet. Medium senatus elegit, ut urbs tantum
loco moveretur. Nihil enim speciosius videbatur, quam esse Carthaginem,
quae non timeretur. |
.... | Le motif de celle-ci
fut que les Carthaginois, contre les clauses du traité, avaient
une fois envoyé une flotte et une armée contre les Numides,
et souvent menacé les frontières de Massinissa. Les Romains
protégeaient ce roi, leur fidèle allié. La guerre
était à peine résolue, qu'on délibéra
sur les mesures qui devaient la suivre. Il faut détruire Carthage
! tel était l'arrêt que prononçait Caton dans sa haine
implacable, lors même qu'on prenait son avis sur un autre sujet.
Scipion Nasica voulait qu'on la conservât, de peur que, délivrée
de la crainte d'une ville rivale, Rome ne se laissât corrompre par
la prospérité. Le sénat prit un terme moyen; ce fut
d'ordonner que la ville changerait seulement de place. Rien, en effet,
ne paraissait plus beau que de voir Carthage subsister et n'être
pas à craindre. |
.. |
.. | Igitur Manilio
Censorinoque consulibus, populus Romanus aggressus Carthaginem, spe pacis
injecta, traditam a volentibus classem sub ipso ore urbis incendit. Tum,
evocatis principibus, si salvi esse vellent, ut migrarent finibus imperavit.
Quod pro rei atrocitate adeo movit iras, ut extrema mallent. Comploratum
igitur publice statim, et pari voce clamatum est "ad arma!" seditque sententia,
quoquo modo rebellandum; non quia spes ulla jam superesset, sed quia patriam
suam mallent hostium, quam suis, manibus everti. Qui rebellantium fuerit
furor, vel hinc intelligi potest, quod in usum novae classis tecta domusque
resciderunt; in armorum officinis aurum et argentum pro aere ferroque conflatum
est : in tormentorum vincula matronae crines suos contulerunt. |
.... | Alors, sous le consulat
de Manilius et de Censorinus, le peuple romain attaque Carthage. Sur quelque
espérance de paix, elle livre volontairement sa flotte, et la voit
incendier. On mande ensuite les principaux citoyens; "il leur faut, s'ils
veulent vivre, sortir de leur territoire" : tel est l'ordre qu'on leur
donne. Cet arrêt barbare soulève tellement leur indignation
qu'ils préfèrent recourir aux dernières extrémités.
La douleur devient aussitôt publique; l'on crie tout d'une voix aux
armes, et l'on prend la résolution d'épuiser tous les moyens
de défense : ce n'est pas qu'il reste encore aux Carthaginois quelque
espoir de salut; mais ils aiment mieux voir leur patrie détruite
par les mains de l'ennemi que par les leurs. A quelle fureur les porte
ce soulèvement ! On va le comprendre : pour la construction d'une
nouvelle flotte, ils arrachent la charpente des toits et des maisons; à
défaut d'airain et de fer, ils forgent, dans les ateliers d'armes,
l'or et l'argent; pour faire les cordages des machines de guerre, les femmes
coupent leurs cheveux. |
.. |
.. | Mancino deinde
consule, terra marique fervebat obsidio. Operis portus nudatus; et primus
et sequens, jam et tertius murus; quum tamen Byrsa, quod nomen arci fuit,
quasi altera civitas resistebat. Quamvis profligato urbis excidio, tamen
fatale Africae nomen Scipionum videbatur. Igitur in alium Scipionem conversa
res publica finem belli reposcebat. Hunc Paulo Macedonico procreatum Africani
illius magni filius in decus gentis assumpserat, hoc scilicet fato, ut
quam urbem concusserat avus, nepos ejus everteret. Sed ut quam maxime mortiferi
esse morsus solent esse morientium bestiarum, sic plus negotii fuit cum
semiruta Carthagine quam integra. Compulsis in unam arcem hostibus, portum
quoque maris Romanus obsederat. Illi alterum ibi portum ab alia urbis parte
foderunt; nec ut fugerent, sed quia nemo illos hac evadere posse credebat.
Inde quasi enata subito classis erupit; quum interim jam diebus, jam noctibus,
nova aliqua moles, nova machina, nova perditorum hominum manus, quasi ex
obruto incendio subita de cineribus flamma prodibat. Deploratis novissime
rebus, quadraginta milia virorum se dediderunt, quod minus credas, duce
Hasdrubale. Quanto fortius femina, et uxor ducis! Quae, comprehensis duobus
liberis, a culmine se domus in medium misit incendium, imitata reginam
quae Carthaginem condidit. Quanta urbs deleta sit, ut de ceteris taceam,
vel ignium mora probari potest; quippe per continuos decem et septem dies
vix potuit incendium exstingui, quod domibus ac templis suis sponte hostes
inmiserant; ut, quatenus urbs eripi Romanis non poterat, triumphus arderet. |
.... | Bientôt le consul
Mancinus presse le siège par terre et par mer. Les ouvrages du port
sont renversés; le premier mur est emporté, puis le second,
puis le troisième. Cependant la citadelle, nommée Byrsa,
était comme une autre ville qui résistait encore. Quelque
inévitable que fût la ruine de Carthage, le nom des Scipion,
si fatal à l'Afrique, parut cependant nécessaire pour la
consommer. La république jeta donc les yeux sur un second Scipion,
et réclama de lui la fin de la guerre. Il devait le jour à
Paul le Macédonique ; et le fils du grand Africain l'avait adopté
pour la gloire de sa maison : le destin l'avait ainsi voulu, pour qu'une
ville ébranlée par l'aïeul fût renversée
par le petit-fils. Mais comme les morsures des bêtes aux abois sont
d'ordinaire les plus dangereuses, Carthage, à demi détruite,
coûta plus à dompter que Carthage encore entière. Après
avoir poussé les ennemis dans la citadelle, leur seul refuge, les
Romains bloquèrent le port de mer. Les assiégés en
creusèrent un second d'un autre côté de la ville, non
pour fuir, mais pour que personne ne doutât qu'ils eussent pu s'échapper
par cet endroit. On en vit tout à coup sortir une flotte, qui semblait
née par enchantement. Cependant, chaque jour, chaque nuit, apparaissaient
des môles nouveaux, de nouvelles machines, de nouveaux corps d'hommes,
que le désespoir poussait à la mort. Ainsi des cendres assoupies
d'un embrasement jaillit une flamme soudaine. Se voyant enfin perdus, quarante
mille Carthaginois se rendirent à discrétion, et, ce que
l'on croira moins facilement, à leur tête était Asdrubal.
Qu'une femme, l'épouse de ce général, montra bien
plus de courage ! Prenant avec elle ses deux enfants, elle se précipita
du comble de sa maison dans les flammes, imitant la reine qui fonda Carthage.
On peut juger de la grandeur de cette ville par la seule durée de
l'incendie : à peine, en effet, put-il être éteint
après dix-sept jours de ravages continus. Les ennemis avaient eux-mêmes
livré aux flammes leurs maisons et leurs temples. Ne pouvant arracher
la ville aux Romains, ils voulaient au moins consumer leur triomphe. |
.. |
.. | XVI. - Bellum
Achaicum. - Quasi saeculum illud eversionibus urbium curreret, ita Carthaginis
ruinam statim Corinthus excepit, Achaiae caput, Graeciae decus, inter duo
maria, Ionium et Aegaeum, quasi spectaculo exposita. Haec - facinus indignum
- ante oppressa est, quam in numerum certorum hostium referretur. Critolaus
causa belli, qui libertate a Romanis data adversus ipsos usus est, legatosque
Romanos, dubium an et manu, certe oratione violavit. |
.... | XVI.
- Guerre d'Achaïe. - (An de Rome 607). - Comme si le cours de ce siècle
eût été destiné à la destruction des
villes, la ruine de Carthage fut immédiatement suivie de celle de
Corinthe, la capitale de l'Achaïe, l'ornement de la Grèce,
et qui semblait exposée en spectacle entre deux mers, celle d'Ionie
et la mer Égée. Les Romains, par un crime odieux, accablèrent
cette ville avant de l'avoir déclarée leur ennemie. Critolaüs
fut la cause de la guerre, en tournant contre eux la liberté qu'il
leur devait. II outragea leurs ambassadeurs peut-être par des violences,
mais certainement par ses discours. |
.. |
.. | Igitur Metello
ordinanti tum maxime Macedoniam mandata est ultio; et hinc Achaicum bellum.
Ac primam Critolai manum Metellus consul per patentes Elidis campos toto
cecidit Alpheo. Et uno proelio peractum erat bellum; jam et urbem ipsam
terrebat obsidio; sed - fata rerum - quum Metellus dimicasset, ad victoriam
Mummius venit. Hic alterius ducis Diaei late exercitum sub ipsis Isthmi
faucibus fudit, geminosque portus sanguine infecit. Tandem ab incolis deserta
civitas direpta primum, deinde, tuba praecinente, deleta est. Quid signorum,
quid vestium quidve tabularum raptum incensum atque projectum est! Quantas
opes et abstulerit et cremaverit hinc scias, quod quidquid Corinthii aeris
toto orbe laudatur, incendio superfuisse comperimus. Nam et aeris notam
pretiosiorem ipsa opulentissimae urbis fecit injuria, quia incendio permistis
plurimis statuis atque simulacris, aeris, auri argentique venae commune
fluxere. |
.... | Métellus, alors
chargé spécialement de régler les affaires de la Macédoine,
le fut aussi de la vengeance de Rome, et la guerre d'Achaïe commença.
Dès la première rencontre, le consul Métellus tailla
en pièces les troupes de Critolaüs, dans les champs spacieux
de l'Élide, tout le long des rives de l'Alphée. Une seule
bataille avait terminé la guerre, et déjà Corinthe
redoutait un siège; mais, ô caprice du sort ! Métellus
avait combattu; Mummius se présenta pour la victoire. Il battit
entièrement Diéus, autre général des Corinthiens,
à l'entrée même de l'isthme, et teignit de sang les
deux ports. Abandonnée enfin de ses habitants, cette ville fut d'abord
saccagée, ensuite rasée au son de la trompette. Que de statues,
d'étoffes, de tableaux furent enlevés, brûlés,
et dispersés! On peut évaluer l'immensité des richesses
livrées au pillage et aux flammes par tout ce qu'il y a aujourd'hui
dans le monde de l'airain tant vanté de Corinthe, qui fut, dit-on,
le résultat de cet incendie. En effet, le désastre d'une
ville si opulente produisit une espèce d'airain d'une qualité
supérieure; métal formé du mélange de statues
et de simulacres sans nombre, mis en fusion par le feu, et coulant en ruisseaux
d'airain, d'or et d'argent. |
.. |
.. | XVII. - Res
in Hispania gestae. - Ut Carthaginem Corinthus, ita Corinthum Numantia
secuta est; nec deinde orbe toto quidquam intactum armis fuit. Post illa
duo clarissima urbium incendia, late atque passim, nec per vices, sed simul
pariter quasi unum undique bellum fuit; prorsus ut illae urbes, quasi agitantibus
ventis, diffudisse quaedam belli incendia toto orbe viderentur. |
.... | XVII.
- Expéditions d'Espagne. - ( An de Rome 535 - 615. ) Comme Corinthe
avait suivi Carthage, ainsi Numance suivit Corinthe. Dès lors il
n’y eut plus rien dans tout l'univers qui échappât à
l'atteinte de nos armes. Après les incendies fameux de ces deux
villes, la guerre se répandit au loin et de tous côtés,
non plus par degrés, mais partout en même temps, comme si,
du sein de ces villes, les vents déchaînés eussent
dispersé dans tout l'univers le feu des combats. |
.. |
.. | Hispaniae numquam
animus fuit adversus nos universae consurgere, numquam conferre vires suas
libuit, neque aut imperium experiri aut libertatem tueri suam publice.
Alioquin ita undique mari Pyrenaeoque vallata est, ut ingenio situs ne
adiri quidem potuerit. Sed ante a Romanis obsessa est quam se ipsa cognosceret,
et sola omnium provinciarum vires suas, postquam victa est, intellexit.
In hac prope ducentos per annos dimicatum est, a primis Scipionibus in
Caesarem Augustum, non continue nec cohaerenter, sed prout causae lacessierant,
nec cum Hispanis initio, sed cum Poenis in Hispania. Inde contagio et series
causaeque bellorum. |
.... | Jamais l’Espagne n’eut
la pensée de se lever en masse contre nous, jamais de mesurer ses
forces avec les nôtres, ni de nous disputer l'empire, ni de défendre
ouvertement sa liberté. Autrement, protégée par la
mer et les Pyrénées, cette vaste enceinte de remparts, elle
eût été inaccessible par le seul avantage de sa situation.
Mais elle fut assaillie par les Romains avant de se connaître elle-même
, et, la seule de toutes nos provinces, elle ne sentit ses forces qu'après
avoir été vaincue. On s'y battit, pendant près de
deux cents ans, depuis les premiers Scipion jusqu'à César
Auguste, non pas sans interruption ni sans relâche, mais selon que
les circonstances l'exigeaient; et même, dans l'origine, ce n'étaient
pas les Espagnols, mais les Carthaginois que l'on combattait en Espagne.
De là cette suite de guerres, dont les causes naissaient l'une de
l'autre. |
.. |
.. | Prima per Pyrenaeum
jugum signa Romana Publius et Cnaeus Scipiones intulerunt; proeliisque
ingentibus Hannonem, et Hasdrubalem fratrem Hannibalis ceciderunt; raptaque
erat impetu Hispania, nisi fortissimi viri in ipsa victoria sua oppressi
Punica fraude cecidissent, terra marique victores. Igitur quasi novam integramque
provinciam ultor patris et patrui Scipio ille, mox Africanus invasit, isque,
statim capta Carthagine, et aliis urbibus, non contentus Poenos expulisse,
stipendiariam nobis provinciam fecit; omnem citra ultraque Hiberum subjecit
imperio; primusque Romanorum ducum victor ad Gades et Oceani ora pervenit. |
.... | Publius et Cnaeus
Scipion portèrent les premiers au-delà des monts Pyrénées
les enseignes romaines. Ils défirent dans de grandes batailles Hannon
et Asdrubal, le frère d'Annibal, et ce coup allait livrer l'Espagne
à ces grands capitaines, si, vainqueurs sur terre et sur mer, ils
n'eussent succombé au milieu même de leur victoire, victimes
de la ruse punique. Ce fut donc comme dans une province nouvelle et encore
intacte qu'entra Scipion, qui, vengeur de son père et de son oncle,
reçut bientôt après le nom d'Africain. II prend aussitôt
Carthagène, avec d'autres villes; et, non content d'avoir chassé
les Carthaginois, il fait de l'Espagne notre tributaire, et soumet à
l'empire tous les pays en-deçà et au-delà de l'Ebre.
C'est le premier des généraux romains dont les armes victorieuses
soient parvenues jusqu’à Gadès et aux rivages de l’Océan. |
.. |
.. | Plus est provinciam
retinere quam facere. Itaque per partes jam huc jam illuc missi duces,
qui ferocissimas et ad id temporis liberas gentes ideoque inpatientes jugi,
multo labore, nec incruentis certaminibus servire docuerunt. Cato ille
censorius Celtiberos, id est robur Hispaniae, aliquot proeliis fregit.
Gracchus, pater ille Gracchorum, eosdem centum et quinquaginta urbium eversione
multavit. Metellus ille, cui ex Macedonia cognomen meruerat et Celtibericus
fieri, quum et Contrebiam memorabili cepisset exemplo, et Nertobrigae majore
gloria pepercit. Lucullus Turdulos atque Vaccaeos, de quibus Scipio ille
posterior singulari certamine, quum rex fuisset provocatus, opima retulerat.
Decimus Brutus aliquanto latius Celticos Lusitanosque et omnes Gallaeciae
populos, formidatumque militibus flumen Oblivionis, peragratoque victor
Oceani litore non prius signa convertit quam cadentem in maria solem obrutumque
aquis ignem non sine quodam sacrilegii metu et horrore deprehendit. |
.... | Il est plus difficile
de conserver une province que de la conquérir. Aussi envoya-t-on
des généraux dans les différentes parties de l'Espagne,
contre des nations farouches, restées libres jusqu'à cette
époque, et d'autant plus impatientes du joug; et ce ne fut pas sans
de longs travaux et de sanglants combats qu'on leur apprit à souffrir
la servitude. Quelques combats de Caton, cet illustre censeur, abattirent,
avec les Celtibères, la force de l'Espagne. Gracchus, père
des Gracches, châtia les mêmes peuples par la destruction de
cent cinquante de leurs villes. Le grand Métellus, qui au surnom
de Macédonique eût mérité d'unir celui de Celtibérique,
ajouta à l'avantage mémorable d'avoir pris Contrébie
la gloire plus grande encore d'épargner Nertobrige. Lucullus soumit
les Turdules et les Vaccéens; Scipion le jeune, vainqueur dans un
combat singulier auquel il avait provoqué leur roi, remporta sur
eux des dépouilles opimes. Décimas Brutus, poussant encore
plus loin ses conquêtes, dompta les Celtes, les Lusitaniens et tous
les peuples de la Galice; il passa le fleuve de l'Oubli, si redouté
des soldats, parcourut en vainqueur le rivage de l'Océan, et ne
ramena ses légions qu’après avoir vu le soleil se plonger
dans la mer et ensevelir ses feux sous les eaux; spectacle qu'il ne put
contempler sans craindre d’avoir commis un sacrilège; et sans une
religieuse horreur. |
.. |
.. | Sed tota certaminum
moles cum Lusitanis fuit et Numantinis. Nec inmerito: quippe solis gentium
Hispaniae duces contigerunt. Fuisset et cum omnibus Celtiberis, nisi dux
illius motus initio belli vi oppressus esset, summus vir astu et audacia,
si res cessisset, Salondicus, qui hastam argenteam quatiens, velut caelo
missam, vaticinanti similis, omnium in se mentes converterat. Sed quum
pari temeritate sub nocte castra consulis adiisset, juxta tentorium ipsum
pilo vigilis exceptus est. |
.... | Mais toutes les difficultés
de la guerre nous attendaient chez les Lusitaniens et chez les Numantins;
et cela devait être, car, des nations de l'Espagne, ils étaient
les seuls qui eussent des généraux. Il en eût été
de même de tous les Celtibères, si, dès le commencement
de la guerre, n'eût péri le chef de leur révolte, Salondicus,
qui alliait au plus haut degré la ruse et l'audace, et à
qui le succès seul a manqué. Agitant dans sa main une lance
d'argent, qu'il prétendait avoir reçue du ciel, il contrefaisait
l'inspiré, et avait entraîné tous les esprits. Mais,
par une témérité digne de lui, s'étant, à
l'entrée de la nuit, approché du camp du consul, il fut percé
d'un javelot par la sentinelle de garde près de la tente. |
.. |
.. | Ceterum Lusitanos
Viriathus erexit, vir calliditatis acerrimae, qui ex venatore latro, ex
latrone subito dux atque imperator et, si fortuna cessisset, Hispaniae
Romulus, non contentus libertatem suorum defendere, per quattuordecim annos
omnia citra ultraque Iberum et Tagum igni ferroque populatus, castra etiam
praetorum et praesidum aggressus, Claudium Unimanum paene ad internecionem
exercitus cecidit et insignia trabeis et fascibus nostris quae ceperat
in montibus suis tropaea fixit. Tandem etiam Fabius Maximus consul oppresserat;
sed a successore Popilio violata victoria est: quippe qui conficiendae
rei cupidus, fractum ducem et extrema deditionis agitantem per fraudem
et insidias et domesticos percussores aggressus, hanc hosti gloriam dedit,
ut videretur aliter vinci non potuisse. |
.... | Cependant Viriathus
releva le courage des Lusitaniens. Cet homme, d'une habileté profonde,
qui de chasseur était devenu brigand, puis, tout d'un coup, de brigand
capitaine et général d'armée, aurait été,
si la fortune l'eût secondé, le Romulus de l'Espagne. Non
content de, défendre la liberté de ses concitoyens, il porta,
pendant quatorze ans, le fer et le feu dans tous les pays situés
en-deçà et au-delà de l'Èbre et du Tage, attaqua
même dans leur camp nos préteurs et nos gouverneurs, extermina
presque entièrement l'armée de Claudius Unimanus, et possesseur
de nos trabées et de nos faisceaux, il en érigea dans ses
montagnes de superbes trophées. Le consul Fabius Maximus était
enfin parvenu à l'accabler; mais Servilius, son successeur, déshonora
sa victoire. Impatient de terminer la guerre, et quoique Viriathus, abattu
par ses revers, ne songeât plus qu'au parti extrême de se rendre,
il eut recours à la ruse, à la trahison, au poignard de ses
propres gardes; et, par là, il procura à son ennemi la gloire
de paraître n’avoir pu être vaincu autrement. |
.. |
.. | XVIII. - Bellum
Numantinum. - Numantia, quantum Carthaginis, Capuae, Corinthi opibus inferior,
ita virtutis nomine et honore par omnibus, summumque, si viros aestimes,
Hispaniae decus. Quippe quae sine muro, sine turribus, modice edito in
tumulo apud flumen Durium sita, quatuor milibus Celtiberorum quadraginta
millium exercitum per annos quatuordecim sola sustinuit, nec sustinuit
modo, sed saevius aliquanto perculit, pudendisque foederibus affecit. Novissime,
quum invictam esse constaret, opus quoque eo fuit qui Carthaginem everterat. |
.... | XVIII.
- Guerre de Numance. - ( An de Rome 612 – 620 ) - Numance, inférieure
en richesses à Carthage, à Capoue, à Corinthe, les
égalait cependant toutes trois en valeur et en renommée,
et elle était, à en juger par ses guerriers, le principal
ornement de l'Espagne. Sans murs, sans tours, située sur une éminence
médiocrement élevée, près du fleuve Duérius,
elle résista seule, pendant quatorze ans, avec quatre mille Celtibériens,
à une armée de quarante mille hommes : et non seulement elle
leur résista, mais elle leur porta des coups quelquefois terribles,
et leur imposa de honteux traités. Enfin, comme elle paraissait
invincible, il fallut recourir à celui qui avait détruit
Carthage. |
.. |
.. | Non temere,
si fateri licet, ullius causa belli injustior. Segidenses, socios et consanguineos,
Romanorum manibus elapsos exceperant. Habita pro eis deprecatio nihil valuit.
Quum se ab omni bellorum contagione removerent, in legitimi foederis pretium
jussi arma deponere. Hoc sic a barbaris acceptum, quasi manus abscenderentur.
Itaque statim, Megara viro fortissimo duce, ad arma conversi, Pompeium
proelio aggressi. Foedus tamen maluerunt, quum debellare potuissent. Hostilium
deinde Mancinum: hunc quoque adsiduis caedibus subegerunt, ut ne oculos
quidem aut vocem Numantini viri quisquam sustineret. Tamen cum hoc quoque
foedus maluere, contenti armorum manubiis, quum ad internecionem saevire
potuissent. |
.... | Jamais guerre, s'il
est permis de l'avouer, n'eut une cause plus injuste. Les Numantins avaient
accueilli les habitants de Sigida, leurs alliés et leurs parents,
échappés à la poursuite des Romains. Ils avaient vainement
intercédé en leur faveur; et, quoiqu'ils se fussent tenus
éloignés de toute participation aux guerres précédentes,
il leur fut ordonné, et notre alliance était à ce
prix, de poser les armes. Les Barbares reçurent cette injonction
comme un ordre de se couper les mains. Aussitôt donc, sous la conduite
de Mégara, homme intrépide, ils coururent aux armes et présentèrent
la bataille à Pompéius. Pouvant l'accabler, ils aimèrent
cependant mieux traiter avec lui. Ils attaquèrent ensuite Hostilius
Mancinus, et lui firent aussi essuyer des défaites si sanglantes
et si multipliées, qu'un Romain n'osait plus même soutenir
les regards ni la voix d'un Numantin. Toutefois, ils préférèrent
encore faire avec lui un traité, et se contentèrent de désarmer
des troupes qu'ils pouvaient anéantir. |
.. |
.. | Sed non minus
Numantini quam Caudini illius foederis flagrans ignominia ac pudore populus
Romanus, dedecus quidem praesentis flagitii deditione Mancini expiavit;
ceterum, duce Scipione, Carthaginis incendiis ad excidia urbium imbuto,
tandem etiam in ultionem excanduit.Sed tunc acrius in castris quam in campo,
nostro cum milite quam cum Numantino proeliandum fuit.Quippe assiduis et
injustis et servilibus maxime operibus attriti, ferre plenius vallum, qui
arma nescirent; luto inquinari, qui sanguine nollent, jubebantur. Ad hoc
scorta, calones, sarcinae, nisi ad usum necessariae, amputantur. Tanti
esse exercitum quanti imperatorem vere proditum est. Sic redacto in disciplinam
milite commissa acies; quodque nemo visurum se unquam speraverat, factum
est ut fugientes Numantinos quisquam videret. Dedere etiam se volebant,
si toleranda viris imperarentur; sed quum Scipio veram vellet et sine exceptione
victoriam, eo necessitatum compulsi, primum ut destinata morte in proelium
ruerent, quum se prius epulis, quasi inferiis, inplevissent, carnis semicrudae
et celiae; sic vocant indigenam ex frumento potionem. Intellectum ab imperatore
consilium: itaque non est permissa pugna morituris. Quum fossa atque lorica
quatuorque castris circumdatos fames premeret, ab duce orantes proelium,
ut tamquam viros occideret, ubi non inpetrabant, placuit eruptio. Sic conserta
manu, plurimi occisi, et quum urgeret fames, aliquantisper inde vixere.
Novissime consilium fugae sedit; sed hoc quoque, ruptis equorum cingulis,
uxores ademere, summo scelere, per amorem. Itaque deplorato exitu, in ultimam
rabiem furoremque conversi, postremo mori hoc genere destinarunt: duces
suos, seque, patriamque, ferro et veneno, subjectoque undique igni
peremerunt. |
.... | Mais, non moins indigné
de l'ignominie éclatante de cet infâme traité de Numance
que de celui de Caudium, le peuple romain expia l'opprobre de cette dernière
lâcheté en livrant Mancinus aux Numantins; puis il fit enfin
éclater sa vengeance, sous la conduite de Scipion, que l'incendie
de Carthage avait instruit à la destruction des villes. Mais alors
ce général eut de plus rudes combats à livrer dans
son propre camp que sur le champ de bataille, avec nos soldats qu'avec
les Numantins. Il accabla ses troupes de travaux continuels, excessifs
et serviles, les contraignit à porter une charge extraordinaire
de pieux pour la construction des retranchements, puisqu'ils ne savaient
pas porter leurs armes, et à se souiller de boue, puis-qu'ils ne
voulaient pas se couvrir du sang ennemi. De plus, il chassa les femmes
perdues, les valets, et ne laissa de bagage que ce qui était d'un
usage nécessaire. On a dit avec vérité : «Tant
vaut le général, tant vaut l'armée." Le soldat ainsi
formé à la discipline, on livra bataille; et, ce que personne
n'avait jamais espéré de voir, chacun le vit alors, ce fut
la fuite des Numantins. Ils voulaient même se rendre, si on leur
eût fait des conditions sup-portables pour des hommes; mais Scipion,
voulant une victoire réelle et entière, les réduisit
à la dernière extrémité. Dès lors ils
résolurent de chercher, dans un dernier combat, une mort certaine,
Mais, préludant à ce combat par une sorte de repas funèbre,
ils s'étaient gorgés de viandes à demi crues et de
célia. Ils nomment ainsi une boisson de leur pays, qu'ils tirent
du froment. Scipion pénétra leur dessein, et refusa le combat
à des hommes qui ne voulaient que mourir. II les entoura d'un fossé,
d'une palissade et de quatre camps. Pressés par la famine, ils supplièrent
ce général de leur accorder la bataille et la mort qui convient
à des guerriers. Ne l'ayant pas obtenu, ils arrêtèrent
de tenter une sortie. Un grand nombre furent tués dans l'action
qui s'engagea, et leurs compagnons affamés se nourrirent quelque
temps de leurs cadavres. Ils formèrent enfin le projet de fuir;
mais leurs femmes leur ôtèrent cette dernière ressource
en cou-pant les sangles des chevaux; crime odieux commis par amour. Tout
espoir leur étant donc ravi, ils s'abandonnèrent aux derniers
excès de la fureur et de la rage, et se déterminèrent
enfin à ce genre de mort : eux, leurs chefs et leur patrie, périrent
par le fer, par le poison et par le feu qu'ils avaient mis partout. |
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.. | Macte fortissimam,
et meo judicio beatissimam in ipsis malis civitatem! Asservit cum fide
socios, populum orbis terrarum viribus fultum sua manu, aetate tam longa
sustinuit. Novissime maximo duce oppressa civitas, nullum de se gaudium
hosti reliquit. Unus enim vir Numantinus non fuit qui in catenis duceretur.
Praeda, ut de pauperibus, nulla: arma ipsi cremaverunt. Triumphus fuit
tantum de nomine. |
.... | Gloire à cette
cité si courageuse, si heureuse, à mon sens, au milieu même
de ses malheurs! Elle défendit avec fidélité ses alliés;
elle résista pendant une longue suite d'années, avec une
poignée d'habitants, à un peuple qui disposait des forces
de l'univers. Accablée enfin par le plus grand des généraux,
cette cité ne laissa à son ennemi aucun sujet de joie. Il
n'y eut pas un seul Numantin qu'on pût emmener chargé de chaînes.
Point de butin; car les vaincus étaient pauvres, et avaient eux-mêmes
brûlé leurs armes. Rome ne triompha que d'un nom. |
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.. | XIX. - Hactenus
populus Romanus pulcher, egregius, pius, sanctus atque magnificus: reliqua
saeculi, ut grandia aeque, ita vel magis turbida et foeda, crescentibus
cum ipsa magnitudine imperii vitiis; adeo ut, si quis hanc tertiam ejus
aetatem transmarinam, quam ducentorum annorum fecimus, dividat, centum
hos priores, quibus Africam, Macedoniam, Siciliam, Hispaniam domuit, aureos,
sicut poetae canunt, jure meritoque fateatur; centum sequentes ferreos
plane et cruentos et si quid inmanius; quippe qui Jugurthinis, Cimbricis,
Mithridaticis, Parthicis bellis, Gallicis atque Germanicis, quibus caelum
ipsum gloria adscendit, Gracchanas Drusianasque caedes, ad hoc servilia
bella miscuerunt et, ne quid turpitudini desit, gladiatoria. Denique in
se ipse conversus Marianis atque Syllanis, novissime Pompeii et Caesaris
manibus, quasi per rabiem et furorem - nefas! - semet ipse laceravit. |
.... | XIX. Jusqu'ici le
peuple romain s'était montré beau, magnanime, pieux, juste
et magnifique: le siècle qui reste à parcourir offre un spectacle
également imposant; mais aussi plus de troubles et de forfaits;
et les vices croissent avec la grandeur même de l'empire. Si l'on
fait deux parts de son troisième âge, époque de ses
guerres au-delà des mers, et qui comprend, dans mon calcul, un intervalle
de deux cents ans, il faudra nécessairement avouer que les cent
premières années, pendant lesquelles il a dompté l'Afrique,
la Sicile et l'Espagne, ont été pour lui le siècle
d'or, pour parler le langage des poètes; et que les cent années
qui suivirent furent véritablement un siècle de fer, de sang,
et, s'il est possible, de pire. En effet, aux guerres de Jugurtha, des
Cimbres, de Mithridate, des Parthes, des Gaulois et des Germains, qui firent
monter notre gloire jusqu'au ciel même, se mêlent les meurtres
des Gracches et de Drusus, puis la guerre des esclaves, et, pour comble
de honte, celle des gladiateurs. Rome enfin tourne ses armes contre elle-même;
et, par les mains de Marius et de Sylla, bientôt après par
celles de Pompée et de César, elle déchire son propre
sein, comme dans le délire d'une fureur criminelle. |
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.. | Quae etsi juncta
inter se sunt omnia atque confusa, tamen quo melius appareant, simul et
ne scelera virtutibus obstrepant, separatim perferentur; priusque, ut coepimus,
justa illa et pia cum exteris gentibus bella memorabimus, ut magnitudo
crescentis in dies imperii appareat; tum ad illa civium scelera, turpesque
et impias pugnas revertemur. |
.... | Bien que tous ces
événements soient liés et confondus ensemble, il faudra
cependant, pour qu'ils ressortent mieux, et en même temps pour que
les vertus ne soient pas effacées par les crimes, les exposer séparément;
et d'abord, selon notre plan, nous retracerons ces guerres justes et légitimes
que Rome a faites aux nations étrangères. Elles nous montreront
l'accroissement successif de la grandeur de l'empire; ensuite nous reviendrons
aux crimes de nos troubles civils, à ces combats honteux et sacrilèges. |
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