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F L O R U S
Abrégé de l'histoire romaine
Livre deuxième
 
 
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 Prooemium. - Domita subactaque Italia, populus Romanus prope quingentensimum annum agens, quum bona fide adolevisset; si quod est robur, si qua juventas, tum ille vere robustus et juvenis et par orbi terrarum esse coepit. Ita - mirum et incredibile dictu! - qui prope quingentis annis domi luctatus est - adeo difficile fuerat dare Italiae caput! - his ducentis annis qui sequuntur, Africam, Europam, Asiam, totum denique orbem terrarum bellis victoriisque peragravit. 
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 I. – Avant propos. – L’Italie était domptée et soumise, le peuple romain, qui comptait près de cinq cents ans de durée, avait atteint l'adolescence. Fort et jeune alors, il réalisait toutes les idées de force et de jeunesse, et pouvait désormais égaler l'univers. Ainsi - chose étonnante et incroyable à dire - ce peuple qui avait lutté, sur son propre sol, pendant près de cinq cents ans, (tant il était difficile de donner un chef à l'Italie), n'employa que les deux cents années qui suivent pour promener dans l'Afrique, dans l'Europe, dans l'Asie, enfin dans le monde entier, ses guerres et ses victoires. 
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II. - Primum bellum Punicum. - Igitur victor Italiae populus Romanus, quum a terra fretum usque venisset, more ignis, qui obvias populatus incendio silvas, interveniente flumine abrumpitur, paulisper substitit. Mox quum videret opulentissimam in proximo praedam, quodam modo Italiae suae abscissam, et quasi revulsam, adeo cupiditate ejus exarsit ut quatenus nec mole jungi, nec pontibus posset, armis belloque jungenda, et ad continentem suum revocanda bello videretur. Et ecce, ultro ipsis viam pandentibus fatis, nec occasio defuit, quum de Poenorum impotentia foederata Siciliae civitas Messana quereretur. Affectabat autem, ut Romanus, ita Poenus Siciliam; et eodem tempore, paribus uterque votis ac viribus imperium orbis agitabat. Igitur specie quidem socios juvandi, re autem sollicitante praeda, quamquam territaret novitas rei, (tanta in virtute fiducia est!) ille rudis, ille pastorius populus vereque terrester ostendit nihil interesse virtutis, equis an navibus, terra an mari dimicaretur.
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II. - Première guerre punique. - ( An de Rome 489 - 511). - Vainqueur de l'Italie, il en avait parcouru la terre jusqu'au détroit, lorsque, semblable à un incendie dont la fureur, après avoir ravagé les forêts qu'elle rencontre, s'apaise devant un fleuve, il s'arrêta un moment. Bientôt, voyant près de lui la plus riche proie séparée et comme arrachée de l'Italie, son domaine, il brûla d'un tel désir de la posséder, que ne pouvant la joindre, la rendre à son continent ni par une chaussée, ni par des ponts, il eût voulu l'y réunir par la force des armes. Mais il arriva que les destins lui en ouvrirent d’eux-mêmes le chemin, et qu'il n'eut qu'à profiter de l'occasion. Messine, ville de Sicile, alliée des Romains, se plaignit de la tyrannie des Carthaginois. Ainsi que Rome, Carthage convoitait la Sicile; et, dans le même temps, toutes deux aspiraient, avec une ardeur et des forces égales, à la domination du monde. Rome prit donc les armes sous prétexte de secourir ses alliés, mais en réalité tentée par cette proie ; et, malgré la terreur qu'inspirait la nouveauté de l'entreprise, ce peuple grossier, ce peuple pasteur, et véritablement terrestre, montra (tant la valeur est une source de confiance!) qu'il est indifférent pour le courage de combattre à cheval ou sur des vaisseaux, sur terre ou sur mer.
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Appio Claudio consule, primum fretum ingressus est, fabulosis infame monstris, aestuque violentum; sed adeo non est exterritus, ut illam ipsam ferventis aestus violentiam pro munere amplecteretur; statimque ac sine mora Hieronem, Syracusanum regem, tanta celeritate vicit, ut ille ipse se prius victum quam hostem videret, fateretur. 
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Sous le consulat d'Appius Claudius, il affronta pour la première fois ce détroit tristement célèbre par ses monstres fabuleux, et par l'agitation tumultueuse de ses ondes; mais, loin d'en être épouvanté, il accueillit comme un bienfait la violence du courant, et fondant tout à coup sur Hiéron, roi de Syracuse, il mit à le battre une telle célérité que ce prince lui-même avouait qu'il avait été vaincu avant d'avoir vu l'ennemi.
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Duilio Cornelioque consulibus, etiam mari congredi ausus est, quum quidem ipsa velocitas classis comparatae, victoriae auspicium fuit. Intra enim sexagesimum diem quam caesa silva fuerat, centum sexaginta navium classis in anchoris stetit, ut non arte factae, sed quodam munere deorum conversae in naves atque mutatae arbores viderentur. Proelii vero forma mirabilis, quum illas celeres volucresque hostium naves hae graves tardaeque comprehenderent. Longe illis nauticae artes, detergere remos, et ludificari fuga rostra. Injectae enim ferreae manus, machinaeque aliae, ante certamen multum ab hoste derisae; coactique hostes quasi in solido decernere. Victor ergo apud Liparas, mersa aut fugata hostium classe, primum illum maritimum egit triumphum. Cujus quod gaudium fuit! quum Duilius imperator, non contentus unius diei triumpho, per vitam omnem, ubi a cena rediret, praelucere funalia, praecinere sibi tibias jussit, quasi quotidie triumpharet. Prae tanta victoria leve hujus proelii damnum fuit. Alter consulum interceptus Asina Cornelius; qui simulato colloquio evocatus atque ita oppressus fuit : perfidiae Punicae documentum.
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Rome osa même, sous les consuls Duillius et Cornélius, combattre sur mer. La rapide création de la flotte destinée à cette bataille fut le présage de la victoire. En effet, soixante jours après qu'on eut porté la hache dans la forêt, une flotte de cent soixante vaisseaux se trouva sur ses ancres : on eût dit qu'ils n'étaient pas l'ouvrage de l'art, mais qu’une faveur des dieux avait changé, métamorphosé les arbres en navires. Ce combat offrit un merveilleux spectacle : nos pesants et lourds bâtiments arrêtèrent ceux des ennemis, qui, dans leur agilité, semblaient voler sur les ondes. Les Carthaginois tirèrent peu d'avantage de leur science nautique, de leur habileté à désemparer les vaisseaux, et à esquiver, par la fuite, le choc des éperons; on jeta sur eux ces mains de fer et ces autres machines, dont ils avaient fait, avant l'action, un fréquent sujet de dérision; et on les contraignit de combattre comme sur la terre ferme. Ainsi, vainqueurs près des îles de Lipara, les Romains, après avoir coulé à fond et mis en fuite la flotte ennemie, célébrèrent, pour la première fois, un triomphe maritime. Quelle fut alors leur allégresse! Duillius, commandant de la flotte, non content du triomphe d’un seul jour, ordonna que, durant toute sa vie, lorsqu'il reviendrait de souper, on le reconduisît, à la lueur des flambeaux et au son des flûtes, comme s'il eût triomphé tous les jours. Une victoire aussi importante fit paraître léger l'échec qu'éprouva l'autre consul, Cornélius Asina, qui, attiré à une feinte conférence, fut accablé par les ennemis : triste exemple de la perfidie punique.
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Calatino dictatore, fere omnia praesidia Poenorum, Agrigento, Drepanis, Panormo, Eryce Lilybaeoque detraxit. Trepidatum est semel circa Camerinensium saltum; sed eximia virtute Calpurnii Flammae, tribuni militum, evasimus, qui, lecta trecentorum manu, infestum et insessum ab hostibus tumulum occupavit, adeoque moratus est hostem, dum exercitus omnis evaderet. Ac sic pulcherrimo exitu Thermopylarum et Leonidae famam adaequavit; hoc illustrior noster, quod expeditioni tantae superfuit et supervixit, licet nihil inscripserit sanguine. 
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Le dictateur Calatinus chassa presque toutes les garnisons carthaginoises, celle d'Agrigente, de Drépane, de Panorme, d'Éryx et de Lylibée. Une fois, cependant, l'armée romaine eut à trembler au passage du bois de Camérinum; mais elle dut son salut au courage héroïque de Calpurnius Flamma, tribun militaire, qui, avec trois cents hommes d'élite, s'empara d'une hauteur d'où les ennemis, qui en étaient maîtres, menaçaient notre armée; et il les retarda suffisamment pour donner le temps à toute l'armée de s'échapper. Ce succès éclatant égala la renommée des Thermopyles et de Léonidas. Notre héros l'emporta même sur le Spartiate. Il est vrai qu'il n'écrivit rien avec son sang; mais il sortit de cette périlleuse expédition sans y laisser la vie.
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Lucio Cornelio Scipione consule, quum jam Sicilia suburbana esset populi Romani provincia, serpente latius bello, Sardiniam adnexamque Corsicam transit. Ibi Olbiae, et hic Aleriae urbis excidio incolas terruit, adeoque omnes terra, mari Poenos expugnavit, ut jam victoriae nihil nisi Africa ipsa restaret. 
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La Sicile étant déjà une province et un faubourg de Rome, la guerre s'étendit plus loin, sous le consulat de Lucius Cornélius Scipion; il passa en Sardaigne, puis dans la Corse, qui en est une annexe. Par la ruine d'Olbia, dans la première de ces îles, et d'Aléria dans la seconde, il jeta l’épouvante parmi leurs habitants, et vint à bout, sur terre et sur mer, de tous les Carthaginois, si bien qu'il ne restait dès lors plus rien à vaincre que l’Afrique même.
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Marco Attilio Regulo duce, jam in Africam navigabat bellum. Nec deerant qui ipso Punici maris nomine ac terrore deficerent, insuper augente Mannio tribuno metum; in quem, nisi paruisset, securi destricta, imperator metu mortis navigandi fecit audaciam. Mox ventis remisque properatum est; tantusque terror hostici adventus Poenis fuit, ut, apertis paene portis, Carthago caperetur.
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Déjà, sous le commandement. de Marcus Atilius Régulus, la guerre, traversant les flots, passe dans l'Afrique. Il ne manquait pas de Romains pour trembler d'épouvante au seul nom de la mer Punique, et le tribun Mannius augmentait encore leur terreur; au cas où ils n'obéiraient pas, il les menaça de la hache, et leur inspira, par la crainte de la mort, la hardiesse de s'embarquer. La flotte fit bientôt force de voiles et de rames; grande fut l'alarme des Carthaginois à l'arrivée de leurs ennemis, et peu s'en fallut que l'on ne surprît Carthage les portes ouvertes.
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Primum belli praemium fuit civitas Clypea; prima enim a Punico litore quasi arx et specula procurrit. Et haec et trecenta amplius castella vastata sunt. Nec cum hominibus, sed cum monstris quoque dimicatum est; quum quasi in vindictam Africae nata mirae magnitudinis serpens posita apud Bagradam castra vexaret. Sed omnium victor Regulus, quum terrorem nominis sui late circumtulisset quumque magnam vim juventutis ducesque ipsos aut cecidisset aut haberet in vinculis; classemque ingenti praeda onustam, et triumpho gravem, in Urbem praemisisset, etiam ipsam, belli caput Carthaginem urgebat obsidio, ipsisque portis inhaerebat. Hic paullulum circumacta fortuna est, tantum ut plura essent Romanae virtutis insignia, cujus fere magnitudo calamitatibus approbatur. Nam, conversis ad externa auxilia hostibus, quum Xanthippum illis ducem Lacedaemon misisset, a viro militiae peritissimo vincimur. Tum foeda clade, Romanisque usu incognita, vivus in manus hostium venit fortissimus imperator. Sed ille quidem par tantae calamitati fuit; nam nec Punico carcere infractus est nec legione suscepta. Quippe diversa, quam hostes mandaverant, censuit, ne pax fieret nec commutatione captivorum reciperetur. Sed nec illo voluntario ad hostes suos reditu nec ultimo sive carceris, seu crucis supplicio deformata majestas. Immo his omnibus admirabilior, quid aliud quam victus de victoribus atque etiam, quia Carthago non cesserat, de fortuna triumphavit?
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Le premier fruit de la guerre fut la ville de Clypéa; car elle se présente la première sur le rivage de l'Afrique, dont elle est comme la citadelle et le poste d'observation. Cette place et plus de trois cents forteresses furent dévastées. Outre les hommes, on eut des monstres à combattre. Né comme pour la vengeance de l'Afrique, un serpent, d'une prodigieuse grandeur, désola notre camp assez près de Bagrada. Mais Régulus triompha de tout; après avoir répandu au loin la terreur de son nom, tué ou mis dans les fers une grande partie de la jeunesse, et même des généraux; après avoir envoyé d'avance à Rome une flotte chargée d'un riche butin et de l'immense appareil d'un triomphe, il pressait déjà le siège de Carthage elle-même, le foyer de la guerre, et était campé à ses portes. Ici la fortune eut un retour passager, destiné seulement à multiplier les exemples de la vertu romaine, dont la grandeur éclate surtout dans les calamités. Carthage eut recours à des auxiliaires étrangers; Lacédémone lui envoya pour général Xantippe, très habile homme de guerre, qui nous vainquit. Alors, par une catastrophe déplorable et dont les Romains n'avaient pas encore fait l'expérience, leur intrépide général tomba vivant entre les mains des ennemis. Mais il se montra égal à une telle infortune. Il ne se laissa ébranler, ni par sa prison de Carthage, ni par l’ambassade dont on le chargea. En effet, contrairement aux instructions des ennemis, il fit des propositions pour que Rome ne fît pas la paix, n'acceptât pas l'échange des prisonniers. Ni son retour volontaire chez les Carthaginois, ni les horreurs de son dernier emprisonnement, ni son supplice sur la croix, ne purent flétrir sa majesté. Il fut plus admirable encore par tout cela, et que dire d'autre? le vaincu ne triompha-t-il pas de ses vainqueurs, et, au défaut de Carthage, de la fortune même?
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Populus autem Romanus multo acrior infestiorque pro ultione Reguli quam pro victoria fuit. Metello igitur consule, spirantibus altius Poenis, et reverso in Siciliam bello, apud Panormum sic hostes cecidit, ut ne amplius eam insulam cogitarent. Argumentum ingentis victoriae, centum circiter elephantorum captivitas; sic quoque magna praeda, si gregem illum non bello, sed venatione cepisset.
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Le peuple romain fut beaucoup plus ardent et acharné à poursuivre la vengeance de Régulus qu'à obtenir la victoire. Les Carthaginois, animés par plus d'orgueil, avaient reporté la guerre en Sicile. Le consul Métellus fit un tel carnage, auprès de Panorme, qu'ils renoncèrent dès lors à tout projet sur cette île. La preuve de cette éclatante  victoire fut apportée par la prise d'environ cent éléphants. C'eût été une proie immense, alors même qu'on l'eût faite non pas à la guerre, mais à la chasse.
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Appio Claudio consule non ab hostibus, sed a diis ipsis superatus est, quorum auspicia contempserat; ibi statim classe demersa, ubi ille praecipitari pullos jusserat quod pugnare ab his vetaretur.
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On fut, sous le consul Appius Claudius, vaincu moins par les ennemis que par les dieux eux-mêmes, dont il avait méprisé les auspices; sa flotte fut à l'instant submergée à l'endroit même où il avait fait jeter les poulets sacrés, qui lui défendaient de combattre.
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Marco Fabio Buteone consule, classem hostium in Africo mari apud Aegimurum, jam in Italiam ultro navigantem cecidit. Quantus, o! tunc triumphus tempestate intercidit, quum opulenta praeda classis, adversis acta ventis, naufragio suo Africam et Syrtes et omnium ripas gentium, insularum litora implevit! Magna clades, sed non sine aliqua principis populi dignitate, interceptam tempestate victoriam et triumphum periisse naufragio. Et tamen, quum Punicae praedae omnibus promontoriis insulisque frustrarentur et fluitarent, populus Romanus et sic triumphavit.
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Sous le consul Marcus Fabius Butéon, l'on détruisit sur la mer d'Afrique, auprès d'Égimure, une flotte carthaginoise, qui cinglait à pleines voiles vers l'Italie. Quel triomphe, ô ciel! nous fut arraché par la tempête, alors que, chargée de riches dépouilles, notre flotte, battue des vents contraires, remplit de son naufrage l'Afrique, les Syrthes, les plages de toutes les nations, les rivages de toutes les îles! Malheur considérable, mais qui ne fut pas sans quelque gloire pour le peuple roi : la victoire ne fut dérobée que par la tempête, et le triomphe anéanti que par un naufrage. Et pourtant, les dépouilles de Carthage, en allant, sur les ondes, se briser contre tous les promontoires et toutes les îles, annonçaient ainsi partout le triomphe du peuple romain.
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Lutatio Catulo consule, tandem bello finis impositus apud insulas, quibus nomen Aegatae. Nec major alias in mari pugna;  quippe commeatibus, exercitu, propugnaculis, armis gravis hostium classis, et in ea quasi tota Carthago; quod ipsum exitio fuit. Romana classis prompta, levis, expedita et quodam genere castrensis, ad similitudinem pugnae equestris sic remis, quasi habenis, agebatur et in hos vel in illos mobilia rostra, speciem viventium, praeferebant. Itaque momento temporis laceratae hostium rates, totum inter Siciliam Sardiniamque pelagus naufragio suo operuerunt. Tanta denique fuit illa victoria, ut de exscindendis hostium moenibus non quaereretur. Supervacuum visum est in arcem murosque saevire, quum jam in mari esset deleta Carthago.
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Enfin, sons le consulat de Lutatius Catulus, la guerre fut terminée près des îles qui portent le nom d'Égates. Jamais la mer ne vit une bataille plus terrible. La flotte des ennemis, surchargée de vivres, de soldats, de machines, d'armes, semblait porter Carthage tout entière; et c'est ce qui causa sa perte. La flotte romaine, prompte, légère, agile, ressemblait à un camp. L'action offrit l'image d'un combat de cavalerie, les rames servaient comme de brides; et les mobiles éperons, dirigés successivement en tous sens, avaient l'air d'être animés. Aussi les navires des ennemis, fracassés en un moment, couvrirent de leur naufrage toute la mer qui s'étend de la Sicile à la Sardaigne. Cette victoire fut enfin si décisive que les Romains ne pensèrent plus à renverser les remparts de leurs ennemis; il leur parut superflu de sévir contre une citadelle et des murs, lorsque Carthage était déjà détruite sur la mer.
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III. - Bellum Ligusticum. - Peracto Punico bello, secuta est brevis sane, et quasi ad recipiendum spiritum, requies;  argumentumque pacis et bona fide cessantium armorum, tunc primum, post Numam, clausa porta Jani fuit; sed statim ac sine mora patuit. Quippe jam Ligures, jam Insubres Galli, nec non et Illyrii lacessebant; sic desub Alpibus, id est, desub ipsis Italiae faucibus, gentes, deo quodam assidue incitante, ne rubiginem scilicet ac situm arma sentiret. Denique utrique quotidiani, et quasi domestici hostes tirocinia militum imbuebant, nec aliter utraque gente, quam quasi cote quadam, populus Romanus ferrum suae virtutis acuebat. 
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 III. - Guerre contre les Ligures. - (An de Rome 515-581.) - La guerre punique terminée, il y eut pour Rome un intervalle de repos bien court, et comme nécessaire pour qu'elle reprît haleine. En témoignage de la paix et de la bonne foi avec laquelle elle déposait les armes, alors, pour la première fois depuis Numa, la porte du temple de Janus fut fermée; mais on la rouvrit aussitôt et tout à coup; car déjà les Ligures, déjà les Gaulois Insubres et bien évidemment les Illyriens nous provoquaient. Un dieu semblait exciter perpétuellement contre nous les peuples situés au pied des Alpes, c'est-à-dire à l'entrée même des gorges de l'Italie, pour préserver nos armes de la rouille et de la saleté. Enfin, ces ennemis journaliers, et en quelque sorte domestiques, exerçaient nos soldats dans la pratique de la guerre; et le peuple romain, dans sa lutte contre chacune de ces nations, aiguisait, comme sur une pierre, le fer de sa valeur. 
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Ligures imis Alpium jugis adhaerentes inter Varum et Macram flumen, implicitosque dumis silvestribus, major aliquanto labor erat invenire quam vincere. Tuti locis et fuga, durum atque velox genus, ex occasione magis latrocinia quam bella faciebat. Itaque quum diu multumque eluderent Salyi, Deceates, Oxybii, Euburiates, Ingauni, tandem Fulvius latebras eorum ignibus sepsit. Baebius in plana deduxit, Postumius ita exarmavit, ut vix reliquerit ferrum quo terra coleretur.
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Les Ligures, retranchés au fond des Alpes, entre le Var et la Macra, et cachés au milieu de buissons sauvages, étaient plus difficiles a trouver qu'à vaincre. En sécurité dans leurs retraites et par la promptitude à fuir, cette race infatigable et agile, se livrait à l'occasion plutôt au brigandage qu’à la guerre. Salyens, Décéates, Oxybiens, Euburiates, Ingaunes, tous surent éluder longtemps et souvent la rencontre de nos armées; enfin, Fulvius entoura  leurs repaires d'un vaste incendie; Bébius les fit descendre dans la plaine, et Postumius les désarma totalement si bien qu'à peine leur laissa-t-il du fer pour cultiver la terre.
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 IV. - Bellum Gallicum. - Gallis Insubribus et his adcolis Alpium, animi ferarum, corpora plus quam humana erant; sed  experimento deprehensum est, quippe sicut primus impetus eis major quam virorum est, ita sequens minor quam feminarum. Alpina corpora, humenti caelo educata, habent quiddam simile nivibus suis : quae mox, ut caluere pugna, statim in sudorem eunt, et levi motu quasi sole laxantur. Hi saepe et alias, sed Britomaro duce, non prius soluturos se baltea quam Capitolium ascendissent juraverant. Factum est: victos enim Aemilius in Capitolio discinxit. Mox, Ariovisto duce, vovere de nostrorum militum praeda Marti suo torquem. Intercepit Juppiter votum; nam de torquibus eorum aerum tropaeum Jovi Flaminius erexit. Viridomaro rege, Romana arma Volcano promiserant. Aliorsum vota ceciderunt : occiso enim rege, Marcellus tertia, post Romulum patrem, Feretrio Jovi opima suspendit.
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 IV. - Guerre contre les Gaulois.- (An de Rome 515-551) - Les Gaulois Insubres et ces habitants des Alpes avaient l'intrépidité des bêtes féroces et une stature plus qu’humaine. Mais  l'expérience nous a démontré que si dans le premier choc ils sont plus que des hommes, ils deviennent, dans les suivants, plus faibles que des femmes. Leurs corps, nourris sous le ciel humide des Alpes, ont quelque similitude avec les neiges de ces montagnes. A peine échauffés par le combat, ils s’en vont aussitôt en sueur, et, au plus léger mouvement, ils fondent comme la neige à la chaleur du soleil. Ils avaient fait souvent dans d'autres occasions, et ils renouvelèrent, sous leur chef Britomare, le serment de ne pas délier leurs baudriers qu'ils n'eussent monté au Capitole. Il fut accompli. Émilius, leur vainqueur, détacha leurs baudriers dans ce temple. Bientôt après, sous la conduite d'Arioviste, ils vouèrent à leur Mars un collier des dépouilles de nos soldats. Jupiter intercepta le vœu; car ce fut  avec les colliers des Gaulois que, lui, Flaminius lui érigea un trophée d'or. Sous le roi Viridomare, ils avaient promis à Vulcain les armes romaines; mais leur vœu retomba sur eux-mêmes : car Marcellus, ayant tué leur roi, en suspendit les armes dans le temple de Jupiter Férétrien, troisièmes dépouilles opimes depuis Romulus, père des Romains.
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V. - Bellum Illyricum. - Illyrii seu Liburni sub extremis Alpium radicibus agunt inter Arsiam Titiumque flumen, longissime per totum Adriani maris litus effusi. Hi, regnante Teutana muliere, populationibus non contenti, licentiae scelus addiderunt. Legatos quippe nostros, ob ea quae deliquerant, jure agentes, nec gladio quidem, sed ut victimas, securi percutiunt; praefectos navium igne comburunt; idque, quo indignius foret, mulier imperabat. Itaque, Cnaeo Fulvio Centimalo duce, late domantur. Strictae in principum colla secures legatorum manibus litavere.
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V. - Guerre contre les Illyriens.- (An de Rome 523-525.) - Les Illyriens ou Liburnes habitent aux extrémités de la chaîne des Alpes, entre les fleuves Arsias et Titius, et s'étendent fort au loin sur toute la côte de la mer Adriatique. Ces peuples, sous le règne d'une femme nommée Teutana, non contents de leurs brigandages, ajoutèrent le crime à la licence. Nos ambassadeurs, envoyés pour demander satisfaction des délits qu'ils avaient commis, sont frappés non pas même par le glaive, mais par la hache, ainsi que des victimes. Les commandants de nos vaisseaux sont brûlés vifs, et, pour comble d'indignité, par l'ordre d'une femme; mais on dompte entièrement ces Barbares sous la conduite de Cnaeus Fulvius Centimalus; et les têtes des principaux de la nation satisfont, en tombant sous la hache, aux mânes de nos ambassadeurs. 
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VI. - Bellum Punicum secundum. - Post primum Punicum bellum, vix quadriennii requies: ecce alterum bellum, minus quidem spatio - nec enim amplius quam decem et octo annos patet - sed adeo cladium atrocitate terribilius ut, si quis conferat damna utriusque populi, similior victo sit populus qui vicit. 
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VI. - Deuxième guerre Punique. - ( An de Rome 555-552. ) - A peine avait-on eu quatre années de repos, depuis la première guerre Punique, qu'on vit éclater la seconde; moins considérable, il est vrai, par sa durée - car elle ne dura plus de dix-huit ans - mais bien plus terrible par l'horreur de ses désastres, au point que, si l'on compare les pertes des deux peuples, le vainqueur paraîtra le vaincu.
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Urebat nobilem populum ablatum mare, raptae insulae, dare tributa, quae jubere consueverat. Hinc ultionem puer Annibal ad aram patri juraverat, nec morabatur. Igitur in causam belli Saguntus delecta est, vetus Hispaniae civitas et opulenta, fideique erga Romanos magnum quidem sed triste monumentum. Quam in libertatem communi foedere exceptam Annibal, causas novorum motuum quaerens, et suis et ipsorum manibus evertit, ut Italiam sibi rupto foedere aperiret. Summa foederum Romanis religio est; itaque ad auditum sociae civitatis obsidium, memores icti cum Poenis quoque foederis, non statim ad arma procurrunt, dum prius more legitimo queri malunt. Interim jam novem mensibus fessi fame, machinis, ferro, versa denique in rabiem fide, immanem in foro excitant rogum, tum desuper se suosque cum omnibus opibus suis, ferro et igni corrumpunt. Hujus tantae cladis auctor Annibal poscitur. Tergiversantibus Poenis, dux legionis Fabius :  "Quae, inquit, mora est? In hoc ego sinu bellum pacemque porto; utrum eligitis?" Subclamantibus "bellum", "bellum igitur", inquit, "accipite". Et excusso in media curia togae gremio, non sine horrore, quasi plane sinu bellum ferret, effudit. Similis exitus belli initio fuit. Nam quasi has inferias sibi Saguntinorum ultimae dirae in illo publico parricidio incendioque mandassent, ita Manibus eorum, vastatione Italiae, captivitate Africae, ducum et regum, qui id gessere bellum, exitio parentatum est.
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C'était, pour une nation orgueilleuse, une vive douleur de se voir enlever la mer, prendre ses îles; de donner des tributs, qu'elle avait l'habitude d'exiger. A la suite de cela, Annibal enfant, avait, sur les autels, juré à son père de venger sa patrie; et il lui tardait d'accomplir ce serment. Pour faire naître un sujet de guerre, il choisit  Sagonte, antique et opulente cité de l'Espagne, illustre mais déplorable monument de fidélité envers les Romains. Son indépendance lui avait été garantie par un traité commun aux deux peuples. Annibal, cherchant de nouvelles causes de troubles, la détruisit de ses propres mains et par celles même de ses habitants; ainsi, en rompant l'alliance, il s'ouvrait le chemin de l'Italie. La religion des traités est sacrée chez les Romains; aussi, à la nouvelle du siège d’une ville, leur alliée, ils se rappellent qu'un pacte les unit également avec les Carthaginois, et, au lieu de se hâter de courir aux armes, ils préfèrent auparavant, selon la coutume bien établie, faire entendre leurs plaintes. Cependant, pressés depuis neuf mois par la famine, par les machines et par le fer, les Sagontins changent à la fin leur constance eu fureur; ils allument, dans la place publique, un immense bûcher, et y périssent, avec leurs familles et toutes leurs richesses, par le fer et par le feu. Rome demande justice d'Annibal, l'auteur de ce si grand désastre. Voyant les Carthaginois tergiverser, "Que tardez-vous? leur dit Fabius, chef de l'ambassade; j'apporte dans le pli de cette robe la guerre et la paix. Que choisissez-vous?" – "La guerre", répondent à grands cris les Carthaginois. – "Eh bien! recevez donc la guerre", reprend Fabius; puis détachant le devant de sa loge, il la déploie, au milieu du sénat, qu'il saisit d'épouvante, comme s'il eût en effet porté la guerre dans son sein. L'issue de cette lutte répondit à ce commencement. En effet, comme si les dernières imprécations des Sagontins, au milieu de leur incendie et de leur vaste parricide, eussent réclamé de telles funérailles, on vengea leurs Mânes par la dévastation de l'Italie, la captivité de l'Afrique, la mort des généraux et des rois qui prirent part à cette guerre. 
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Igitur ubi semel se in Hispania movit illa gravis et luctuosa Punici belli vis atque tempestas, destinatumque Romanis jam diu fulmen Saguntino igne conflavit, statim quodam impetu rapta medias perfregit Alpes, et in Italiam ab illis fabulosae altitudinis nivibus, velut caelo missa, descendit. Ac primi quidem impetus turbo inter Padum atque Ticinum valido statim fragore detonuit. Tunc Scipione duce, fusus exercitus; saucius etiam ipse venisset in hostium manus imperator, nisi protectum patrem praetextatus admodum filius ab ipsa morte rapuisset. Hic erat Scipio, qui in exitium Africae crescit, nomen ex malis ejus habiturus. Ticino Trebia succedit. Hic secunda Punici belli procella desaevit, Sempronio consule. Tunc callidissimi hostes, frigidum et nivalem nancti diem, quum se ignibus prius oleoque fovissent – horribile dictu – homines a meridie et sole venientes nostra nos hieme vicerunt. 
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 A peine donc s'est formée dans l'Espagne la pénible et déplorable tempête de la guerre Punique, à peine s'est allumée, aux flammes de Sagonte, la foudre dès longtemps destinée aux Romains, qu'emporté tout à coup par un mouvement impétueux, l'orage déchire les flancs des Alpes, et, du sommet de ces neiges à la fabuleuse élévation, il descend, comme du haut du ciel, sur l'Italie. Les premières explosions de ce tourbillon rapide se font entendre tout à coup entre le Pô et le Tésin, avec un violent fracas. L'armée que commandait Scipion est mise alors en fuite; blessé lui-même, il serait tombé entre les mains des ennemis, si son fils, encore vêtu de la prétexte, n'eût, en le couvrant de son corps, arraché son père à une mort certaine. C'est le Scipion qui croît pour la ruine de l'Afrique, et qui tirera son nom des malheurs de ce pays. Au Tésin succède la Trébie. Là se déchaîna la seconde tourmente de la guerre Punique, sous le consul Sempronius. Ce fut alors que les Carthaginois, féconds en stratagèmes, et profitant d'une journée froide et neigeuse, se chauffèrent et se frottèrent d'huile avant le combat; et – chose horrible à dire – des hommes venant du soleil du midi nous vainquirent par notre hiver même.
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Trasimenus lacus tertium fulmen Annibalis, imperatore Flaminio. Ibi quoque ars nova Punicae fraudis: quippe nebula lacus, palustribusque virgultis tectus eques, terga subito pugnantium invasit. Nec de diis possumus queri; inminentem temerario duci cladem praedixerant insidentia signis examina, et aquilae prodire nolentes et commissam aciem secutus ingens terrae tremor, nisi illum horrorem soli, equitum virorumque discursus et mota vehementius arma fecerunt.
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Au lac Trasimène tomba la troisième foudre d'Annibal, sous le commandement de Flaminius. Là, encore, un nouvel artifice de la ruse punique. Cachée par les brouillards du lac et par les joncs des marais, la cavalerie ennemie attaqua tout à coup par derrière nos soldats qui combattaient. Nous ne pouvons toutefois nous plaindre des dieux; car le désastre qui menaçait un chef téméraire lui avait été présagé: un essaim d'abeilles s'était posé sur les drapeaux; les aigles avaient refusé d'avancer; et, l'action à peine engagée, on avait ressenti un grand tremblement de terre, à moins que les évolutions des chevaux et des hommes, et la violence du choc des armes, n'eussent produit cet ébranlement du sol.
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Quartum, id est, paene ultimum vulnus imperii Cannae, ignobilis Apuliae vicus, sed magnitudine cladis emersit, et quadraginta millium caede parta nobilitas. Ibi in exitium infelicis exercitus, dux, terra, caelum, dies, tota denique rerum natura consensit. Siquidem non contentus simulatis transfugis Annibal, qui mox terga pugnantium ceciderunt, insuper callidissimus imperator, patentibus in campis, observato loci ingenio, quod et sol ibi acerrimus et plurimus pulvis, et Eurus ab Oriente [semper] quasi ad constitutum, ita instruxit aciem, ut Romanis adversus haec omnia adversis, quasi secundum caelum tenens, vento, pulvere, sole pugnaret. Itaque duo maximi exercitus caesi ad hostium satietatem, donec Annibal diceret militi suo "parce ferro". Ducum effugit alter, alter occisus est; dubium uter majore animo: Paulum puduit, Varro non desperavit. Documenta cladis cruentus aliquamdiu Aufidus, pons de cadaveribus, jussu ducis, factus in torrente Vergellii, modii duo anulorum Carthaginem missi, dignitasque equestris taxata mensura.
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La quatrième et presque la dernière blessure de l'empire lui fut portée à Cannes, bourg de l'Apulie, encore dans l'obscurité, mais qui dut à la grandeur de notre désastre, d'en sortir, et au carnage de quarante mille Romains, d'être devenu célèbre. Ici, tout conspire la perte de notre malheureuse armée, le général ennemi, la terre, le ciel, le temps, toute la nature enfin. Non content de nous avoir envoyé de faux transfuges qui bientôt, pendant l'action, massacrèrent nos soldats par derrière, Annibal, ce général toujours rusé, observant le champ de bataille, reconnut que c'était une vaste plaine brûlée par le soleil, couverte de poussière, et où soufflait périodiquement un vent d'orient. Il rangea son armée de manière que les Romains eurent contre eux tous ces désavantages; et, comme s'il eût tenu le ciel même à sa disposition, il se donna pour auxiliaire le vent, la poussière, le soleil. Aussi deux grandes armées furent taillées en pièces, et l'ennemi s'assouvit de carnage jusqu'à ce qu' Annibal enfin dît à ses soldats : " Ne frappez plus". De nos généraux, l'un survécut, l'autre fut tué; on ne sait lequel montra la plus grande âme. Paulus rougit de vivre; Varron ne désespéra pas. L'Aufide, quelque temps ensanglanté, un pont de cadavres élevé, par l'ordre d'Annibal, sur le torrent de Vergelles, deux boisseaux d'anneaux envoyés à Carthage, et les pertes de la dignité équestre évaluées à cette mesure, furent les témoignages de notre défaite.
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Dubium deinde non erat quin ultimum illum diem habitura fuerit Roma, quintumque intra diem epulari Annibal in Capitolio potuerit, si - quod Poenum illum dixisse Adherbalem Bomilcaris ferunt - "Annibal quem ad modum sciret vincere, sic uti victoria scisset." Tum quidem illum, ut dici vulgo solet, aut fatum urbis imperaturae aut ipsius mens mala et aversi a Carthagine dii in diversum abstulerunt. Quum victoria posset uti, frui maluit; relictaque Roma Campaniam Tarentumque peragrare; ubi mox et ipse et exercitus ardor elanguit, adeo ut vere dictum sit "Capuam Annibali Cannas fuisse". Si quidem invictum Alpibus, indomitum armis, Campaniae - quis crederet? - soles et tepentes fontibus Baiae subegerunt.
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Nul doute que Rome ne touchât à sa dernière heure, et qu'Annibal ne pût, dans cinq jours, manger au Capitole, si, selon le mot qu'on attribue à Adherbal, fils de Bomilcar, Annibal eût su profiter de la victoire aussi bien qu'il savait vaincre. Mais, comme on l'a souvent répété, ou le destin de la ville à qui était réservé l'empire, ou le mauvais génie d'Annibal, et les dieux ennemis de Carthage, l’entraînèrent ailleurs. Alors qu'il pouvait user de la victoire, il aima mieux en jouir; et, laissant Rome, il se mit à parcourir les champs de Capoue et Tarente, où s'éteignit bientôt son ardeur avec celle de son armée. Ainsi l'on a dit avec raison que, dans Capoue, Annibal avait trouvé Cannes. Celui que les Alpes n'avaient pu vaincre, ni nos armes dompter, fut soumis, qui le croirait ? par le soleil de la Campanie et par les tièdes fontaines de Baïes.
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Interim respirare Romanus et quasi ab inferis emergere. Arma non erant: detracta sunt templis. Deerat juventus: in sacramentum militiae liberata servitia. Egebat aerarium: opes suas libens senatus in medium protulit, nec, praeter quod in bullis singulisque anulis erat, quidquam sibi auri reliquere. Eques secutus exemplum imitataeque equidem tribus. Denique vix suffecere tabulae, vix scribarum manus, Laevino Marcelloque consulibus, quum privatae opes in publicum deferrentur. Quid autem in eligendis magistratibus, quae centuriarum sapientia, quum juniores a senioribus consilium de creandis consulibus petivere? Quippe adversus hostem toties victorem, tam callidum, non virtute tantum, sed suis etiam pugnare consiliis oportebat.
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Cependant le Romain respire et semble sortir du tombeau. Il était sans armes, il arrache celle des temples. Les jeunes manquaient : il affranchit et enrôle les esclaves; le trésor public était vide; le sénat s'empresse d'y porter publiquement ses richesses, et chacun ne se réserve d'autre or que celui des bulles, et d'un seul anneau. Les chevaliers suivent cet exemple, et les tribus imitent les chevaliers. Telle est enfin, sous les consuls Lévinus et Marcellus, la multitude des offrandes particulières portées au trésor public, qu'à peine les registres et la main des greffiers peuvent suffire à les inscrire. Mais, dans l'élection des magistrats, quelle sagesse montrent les centuries! Les jeunes gens demandent conseil aux vieillards sur le choix des nouveaux consuls. On sentait que, contre un ennemi tant de fois vainqueur et si fertile en ruses, il fallait combattre avec la prudence non moins qu'avec la valeur.
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Prima redeuntis et, ut sic dixerim, reviviscentis imperii spes Fabius fuit, qui novam de Annibale victoriam commentus est, non pugnare. Hinc illi cognomen novum et rei publicae salutare, Cunctator; hinc illud ex populo, ut imperii scutum vocaretur. Itaque per Samnium totum, per Falernos Gauranosque saltus sic maceravit Annibalem ut, qui frangi virtute non poterat, mora comminueretur. Inde Claudio Marcello duce, etiam congredi ausus est, comminus venit et perpulit a Campania sua et ab obsidione Nolae urbis excussit. Ausus et, Sempronio Graccho duce, per Lucaniam sequi et premere terga cedentis, quamvis tum - o pudor! - manu servili pugnaret: nam hucusque tot mala compulerant. Sed libertate donati fecerant de servitute Romanos.
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Le premier espoir de l'empire revenu pour ainsi dire à la vie, fut Fabius, qui trouva un moyen de vaincre Annibal; c'était de ne pas combattre. De là ce surnom nouveau de Temporiseur, si salutaire à la république; de là celui de Bouclier de l'empire, que le peuple lui donna. Par tout le pays des Samnites, dans les défilés de Falerne et du Gaurus, il fatigua tellement Annibal, qu'il épuisa par ses lenteurs celui que la valeur n'avait pu dompter. Bientôt aussi, sous le commandement de Claudius Marcellus, on ose combattre, on s’approche de lui, on le met en fuite dans la Campanie, on l’arrache au siège de la ville de Noles. On ose encore, sous Sempronius Gracchus, le poursuivre à travers la Lucanie et le serrer de près dans sa retraite, bien qu'alors, ô honte ! l'on ne combattît qu'avec une poignée d'esclaves; car c'est à cette extrémité qu'avaient réduit tant de malheurs; mais, après avoir reçu la liberté, d'esclaves qu'ils étaient, ils étaient devenus des Romains.
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O horribilem in tot adversis fiduciam! o singularem animum ac spiritum populi Romani! Tam arctis afflictisque rebus, quum de Italia sua dubitaret, ausus tamen est in diversa respicere, quumque hostes in jugulo per Campaniam Apuliamque volitarent mediamque de Italia Africam facerent, eodem tempore et hunc sustinebat et in Siciliam, Sardiniam, Hispaniam divisa per terrarum orbem arma mittebat.
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Etonnante confiance au milieu de tant d'adversités! admirable force d'âme! audace toute romaine! Dans une position si embarrassante et si déplorable, quand le salut de son Italie est encore douteux, Rome ose cependant porter ses regards sur d'autres contrées; et tandis qu'inondant la Campanie et l'Apulie, les ennemis lui tiennent le fer sur la gorge, et font déjà de l’Italie même une seconde Afrique, en même temps qu'elle leur résiste, elle envoie et répartit ses armées en Sicile, en Sardaigne, en Espagne, par toute la terre.
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Sicilia mandata Marcello, nec diu restitit: tota enim insula in una urbe superata est. Grande illud et ante id tempus invictum caput, Syracusae, quamvis Archimedis ingenio defenderentur, aliquando cesserunt. Longe illi triplex murus, totidemque arces, portus ille marmoreus et fons celebratus Arethusae, nisi quod hactenus profuere ut pulchritudini victae urbis parceretur.
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La Sicile , assignée à Marcellus, ne lui résista pas longtemps. Toute l'île fut en effet vaincue dans une seule ville. Cette grande capitale, jusqu'alors invincible, Syracuse, quoique défendue par le génie d'Archimède, fut enfin forcée de céder. Sa triple enceinte, ses trois forteresses, son port de marbre, et sa célèbre fontaine d'Aréthuse, ne purent lui servir qu'à être, en faveur de sa beauté, épargnée par le vainqueur.
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Sardiniam Gracchus arripuit. Nihil illi gentium feritas Insanorumque – nam sic vocantur – immanitas montium profuere. Saevitum in urbes urbemque urbium Caralim, ut gens contumax vilisque mortis saltem desiderio patrii soli domaretur.
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Gracchus s'empara de la Sardaigne. Ni le courage féroce de ses habitants, ni la hauteur prodigieuse de ses montagnes insensées – car c'est ainsi qu'on les appelle – ne purent la protéger. Il traita les villes avec rigueur, surtout Caralis, la ville de ses villes, afin de dompter au moins, par le regret de voir dévaster le sol de sa patrie, une nation obstinée et qui se faisait un jeu de la mort.
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In Hispaniam missi Cnaeus et Publius Scipiones pene totam Poenis eripuerant, sed insidiis Punicae fraudis oppressi, rursus amiserunt, magnis quidem illi proeliis quum Punicas opes cecidissent. Sed Punicae insidiae alterum ferro castra metantem, alterum, quum evasisset in turrem, cinctum facibus oppresserunt.
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Les deux Scipions, Cnaeus et Publius, envoyés en Espagne, l'avaient presque entièrement arrachée aux Carthaginois. Mais, victimes des pièges de la ruse punique, ils la perdirent à leur tour, après avoir néanmoins épuisé, dans de grandes batailles, les forces carthaginoises. L'un deux tomba sous le fer des perfides Africains, comme il traçait son camp; l'autre périt au milieu des flammes dans une tour où il s'était réfugié.
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Igitur in ultionem patris ac patrui missus cum exercitu Scipio, cui tam grande de Africa nomen fata decreverant, bellatricem illam, viris armisque nobilem Hispaniam, illam seminarium hostilis exercitus, illam Annibalis eruditricem - incredibile dictu - totam a Pyrenaeis montibus in Herculis columnas et Oceanum recuperavit, nescias citius an felicius. Quam velociter, quatuor anni fatentur; quam facile, vel una civitas probat. Eodem quippe, quo obsessa est, die capta est, omenque Africanae victoriae fuit, quod tam facile victa est Hispana Carthago. Certum est tamen ad profligandam provinciam maxime profecisse singularem ducis sanctitatem, quippe qui captivos pueros puellasque praecipuae pulchritudinis barbaris restituerit, ne in conspectum quidem suum passus adduci, ne quid de virginitatis integritate delibasse saltem oculis videretur.
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Alors, Scipion fut envoyé avec une armée pour venger son père et son oncle; c'était à lui, que, selon le décret des destins, l'Afrique devait donner un nom si grand. Cette belliqueuse Espagne, fameuse par ses guerriers et par ses combats, cette pépinière des armées ennemies, cette école d'Annibal, il la reconquit tout entière, ô prodige! depuis les Pyrénées jusqu'aux colonnes d'Hercule et à l'Océan. Fut-ce avec plus de rapidité que de bonheur? la rapidité, quatre ans l'attestent; le bonheur, une seule cité le prouve. En effet, assiégée et prise le même jour, la Carthage de l'Espagne, si facilement vaincue, fut le présage de la réduction de celle de l'Afrique. Cependant la soumission de cette province doit être attribuée surtout à la rare continence du général qui rendit aux Barbares leurs enfants captifs et de jeunes filles d’une grande beauté, sans même avoir permis qu'on les amenât eu sa présence, pour ne pas paraître avoir effleuré, seulement des yeux, leur pureté virginale.
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Haec inter diversa terrarum populus Romanus; nec ideo tamen Italia visceribus  inhaerentem submovere poterat Annibalem. Pleraque ad hostem defecerant, et dux acerrimus contra Romanos Italicis quoque viribus utebatur. Jam tamen eum plerisque oppidis et regionibus excusseramus. Jam Tarentos ad nos redierat, jam et Capua, sedes et domus et patria altera Annibalis, tenebatur; cujus amissio tantum Poeno duci dolorem dedit, ut inde totis viribus Romam converteretur. O populum dignum orbis imperio! dignum omnium favore et admiratione hominum ac deorum! Compulsus ad ultimos metus ab incepto non destitit; et de sua Urbe sollicitus, Capuam tamen non omisit; sed parte exercitus sub Appio consule relicta, parte Flaccum in urbem secuta, absens simul praesensque pugnabat. Quid ergo miramur, moventi castra a tertio lapide Annibali iterum ipsos deos - deos inquam, nec fateri pudebit - restitisse? Tanta enim ad singulos illius motus vis imbrium effusa, tanta ventorum violentia coorta est, ut divinitus hostem submoveri, nec a caelo, sed ab Urbis ipsius moenibus, et Capitolio ferri videretur. Itaque fugit et cessit et in ultimum se Italiae recepit sinum, quum Urbem tantum non adoratam reliquisset. Parva res dictu, sed ad magnanimitatem populi Romani probandam satis efficax, quod illis ipsis quibus obsidebatur diebus ager, quem Annibal castris insederat, venalis Romae fuit, hastaeque subjectus invenit emptorem. Voluit Annibal contra fiduciam imitari; subiecitque argentarias Urbis tabernas; nec sector inventus est, ut scias, etiam praesagia fatis fuisse.
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Le peuple romain obtenait ces succès dans diverses parties du monde; et cependant, comme attaché aux entrailles de l'Italie, Annibal ne pouvait en être arraché. La plupart des villes avaient quitté notre cause pour la sienne; et cet irréconciliable ennemi, tournait contre les Romains les forces même de l'Italie. Déjà, toutefois, nous l'avions chassé de quantité de places et de contrées. Tarente était revenue à nous; déjà nous tenions assiégée Capoue, la résidence, le domicile, la seconde patrie d'Annibal. La perte de cette ville fut si douloureuse au général carthaginois qu'il tourna toutes ses forces contre Rome. O peuple digne de l'empire du monde, digne de la faveur de tous les dieux et de l'admiration de tous les hommes! Au milieu des plus pressantes alarmes, il ne se désista d'aucune entreprise; et, réduit à craindre pour Rome même, il n'abandonna cependant pas Capoue. Une partie de l'armée y fut laissée sous le consul Appius; l'autre suivit Flaccus à Rome, et le peuple romain combattait loin d'elle et près d'elle tout à la fois. Devons-nous donc nous étonner que, quand Annibal, pour l'attaquer, leva son camp placé à trois milles, les dieux eux-mêmes, oui, les dieux ( ne rougissons pas de l'avouer ), l'aient une seconde fois arrêté? En effet, à chacun de ses mouvements, des torrents de pluie tombèrent avec une telle force, les vents s'élevèrent avec une telle violence, qu'il semblait que cet orage, suscité par les dieux pour repousser l'ennemi, partit, non du ciel, mais des murs mêmes de Rome et du haut du Capitole. Il se retira donc en fuyant et se cacha dans le fond de l'Italie, heureux du moins d'avoir quitté Rome sans s'être prosterné devant elle. Une chose légère en elle-même, mais qui prouve assez manifestement la grandeur d'âme du peuple romain, c'est que, pendant les jours de ce siège, le champ sur lequel Annibal avait assis son camp, fut mis à l'encan à Rome, et trouva un acheteur. Annibal voulut imiter une semblable confiance; il mit à son tour en vente les comptoirs des banquiers de la ville; mais il ne se présenta pas d'acquéreur. C'était un nouveau présage des destins.
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Nihil actum erat tanta virtute, tanto favore etiam deorum, si quidem Asdrubal, frater Annibalis, cum exercitu novo, novis viribus, nova belli mole veniebat. Actum erat procul dubio, si vir ille se cum fratre junxisset; sed hunc quoque castra metantem Claudius Nero cum Livio Salinatore debellat. Nero in ultimo Italiae angulo submovebat Annibalem : Livius in diversissimam partem, id est, in ipsas nascentis Italiae fauces, signa converterat. Tanto, id est, omni qua longissima Italia, solo interjacente, quo consilio, qua celeritate, consules castra conjunxerint, inopinanterque hostem collatis signis compresserint, neque id fieri Annibal senserit, difficile dictu est. Certe Annibal, re cognita, quum projectum fratris caput ad sua castra vidisset, "agnosco, inquit, infelicitatem Carthaginis". Haec fuit illius viri, non sine praesagio quodam fati inminentis, prima confessio. Jam certum erat Annibalem etiam ipsius confessione posse vinci; sed tot rerum prosperarum fiducia plenus populus Romanus magni aestimabat asperrimum hostem in sua Africa debellare. Duce igitur Scipione, in ipsam Africam tota mole conversus, imitari coepit Annibalem, et Italiae suae clades in Africa vindicare. Quas ille, dii boni, Hasdrubalis copias, quos Syphacis exercitus fudit! quae quanta utriusque castra facibus illatis una nocte delevit! denique jam non a tertio lapide, sed ipsas Carthaginis portas obsidione quatiebat. Sic factum est ut inhaerentem atque incubantem Italiae extorqueret Annibalem. Non fuit major sub imperio Romano dies, quam ille, quum duo omnium et antea et postea ducum maximi, ille Italiae, hic Hispaniae victor, collatis cominus signis, direxere aciem. Sed et colloquium fuit inter ipsos de legibus pacis. Steterunt diu mutua admiratione defixi. Ubi de pace non convenit, signa cecinere. Constat utriusque confessione, "nec melius instrui aciem nec acrius potuisse pugnari". Hoc Scipio de Annibalis, Annibal de Scipionis exercitu praedicaverunt. Sed tamen Annibal cessit; praemiumque victoriae Africa fuit, et secutus Africam statim terrarum orbis.
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Tant de preuves de courage, tant de marques même de la faveur des dieux n'avaient rien fait encore. Asdrubal, frère d'Annibal, s'avançait avec une nouvelle armée, de nouvelles forces, un nouvel appareil de guerre. C'en était fait sans aucun doute, si ce général eût opéré sa jonction avec son frère; mais, comme il traçait son camp, il fut, lui aussi, battu par Claudius Néron, uni à Livius Salinator. Néron avait poussé Annibal jusqu'aux derniers confins de l'Italie : Livius avait dirigé son armée vers une partie tout opposée, c'est-à-dire, vers les défilés où l'Italie prend naissance. Franchissant cet immense intervalle que mettait entre les consuls toute la longueur de l'Italie, avec quel concert, avec quelle célérité ils se joignent, unissent leurs drapeaux et surprennent Asdrubal, sans qu’Annibal soupçonne ce qui se passe! Comment l'exprimer? A la nouvelle du ce désastre, à l'aspect de la tête de son frère jetée dans sou camp : "Je reconnais, dit Annibal, l'infortune de Carthage. » tel fut le premier aveu arraché à ce guerrier, sans doute par le pressentiment du destin qui le menaçait. Dès lors il était certain qu'Annibal, à l'en croire lui-même, pouvait être vaincu. Mais ce n'était point assez pour le peuple romain; plein de confiance après tant de prospérités, il avait surtout à cœur d'accabler dans l'Afrique ce terrible ennemi. Il s'y porta donc sous la conduite de Scipion, avec toute la masse de ses forces, et commença d'imiter Annibal, en vengeant sur l'Afrique les malheurs de l'Italie. Quelles troupes, grands dieux ! que celles d'Asdrubal ! quelles armées que celles de Syphax, qu'il mit eu déroute! quelle force et quelle étendue avaient leurs deux camps, qu'il détruisit en y mettant le feu, dans une seule nuit! Bientôt il n'était plus seulement à trois milles de Carthage; il en battait les portes, il en pressait le siège. Cette diversion eut pour effet d'arracher de l'Italie Annibal, attaché à cette proie dont il se repaissait. II n'y eut pas pour l'empire romain un plus grand jour que celui où les deux premiers capitaines qui eussent existé jusqu'alors et qui aient paru depuis, l'un, vainqueur de l'Italie, l'autre, de l'Espagne, déployèrent enseignes contre enseignes, et se préparèrent au combat. Ils eurent cependant une conférence pour traiter de la paix. Ils restèrent longtemps immobiles, dans une mutuelle admiration. La paix ne se conclut pas, et aussitôt les trompettes donnèrent le signal. II est constant, de l'aveu des deux généraux, "qu'on ne pouvait, de part et d'autre, ni faire de meilleures dispositions, ni combattre avec plus d’ardeur". Scipion rendit ce témoignage de l'armée d'Annibal, Annibal de celle de Scipion. Toutefois, Annibal succomba; l’Afrique fut le prix de la victoire; et le monde ne tarda pas à suivre le sort de l'Afrique. 
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VII. - Bellum Macedonicum primum. - Post Carthaginem vinci neminem puduit. Secutae sunt statim Africam gentes, Macedonia, Graecia, Syria caeteraque omnia, quodam quasi aestu et torrente fortunae; sed primi omnium Macedones, affectator quondam imperii populus. Itaque quamvis tunc Philippus regno praesideret, Romani tamen dimicare sibi cum rege Alexandro videbantur. Macedonicum bellum nomine amplius quam spectatione gentis fuit. Causa coepit a foedere Philippi, quo rex jam pridem dominantem in Italia Annibalem sibi sociaverat; postea crevit, implorantibus Athenis auxilium contra regis injurias, quum ille ultra jus victoriae in templa, aras et sepulchra ipsa saeviret. Placuit senatui opem tantis ferre supplicibus. Quippe jam gentium reges, duces, populi, nationes praesidia sibi ab hac urbe petebant.
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VII. - Première guerre de Macédoine. - (An de Rome 535-558.) - Carthage vaincue, nul peuple ne rougit de l'être. Aussitôt après furent soumises, comme l'Afrique, les nations de la Macédoine, de la Grèce, de la Syrie, et toutes les autres, entraînées, pour ainsi dire, par le tourbillon, par le torrent de la fortune. On soumit tout d'abord les Macédoniens, ce peuple qui avait jadis aspiré à l'empire du monde. Aussi, quoique Philippe occupât alors le trône, les Romains croyaient-ils avoir à combattre un Alexandre. Ce fut toutefois le nom de la nation, plutôt que sa puissance, qui donna de l'importance à la guerre de Macédoine. La cause qui la fit commencer fut l'alliance contractée par le roi Philippe avec Annibal, quand celui-ci dominait en Italie. Ce motif devint plus puissant lorsque les Athéniens implorèrent notre secours contre les violences de ce roi, qui, abusant du droit de la victoire, détruisait les temples, les autels et même les tombeaux. Le sénat consentit à porter assistance à d'aussi illustres suppliants. Rome était déjà le recours et l'appui des princes, des peuples, des nations.
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Primum igitur, Laevino consule, populus Romanus Ionium mare ingressus, tota Graeciae litora veluti triumphanti classe peragravit. Spolia quippe Siciliae, Sardiniae, Hispaniae, Africae praeferebat; et manifestam victoriam nata in praetoria puppe laurus pollicebatur. Aderat sponte in auxilium Attalus, rex Pergamenorum, aderant Rhodii, nauticus populus; quibus a mari, consul a terris omnia equis virisque quatiebat. Bis victus rex, bis fugatus, bis exutus castris, quum tamen nihil terribilius Macedonibus fuit ipso vulnerum adspectu, quae non spiculis nec sagittis nec ullo Graeculo ferro, sed ingentibus pilis, nec minoribus adacta gladiis, ultra mortem patebant. Enimvero Flaminio duce, invios antea Chaonum montes, Aoumque amnem per abrupta vadentem, et ipsa Macedoniae claustra penetravimus. Introisse victoria fuit. Nam postea numquam ausus congredi rex, ad tumulos, quos Cynoscephalas vocant, uno ac ne hoc quidem justo proelio opprimitur.Et illi quidem consul pacem dedit regnumque concessit; mox, ne quid esset hostile, Thebas et Euboeam et grassantem sub Nabide suo Lacedaemona compescuit. Graeciae vero veterem statum reddidit, ut legibus viveret suis et avita libertate frueretur. Quae gaudia, quae vociferationes fuerunt, quum hoc forte Nemeae in theatro quinquennalibus ludis a praecone caneretur! Quo certavere plausu! Quid florum in consulem profuderunt! Et iterum iterumque praeconem repetere vocem illam jubebant, qua libertas Achaiae pronuntiabatur; nec aliter illa consulari sententia quam modulatissimo aliquo tibiarum aut fidium cantu fruebantur.
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Sous le consulat de Lévinus, le peuple romain parut donc pour la première fois sur la mer Ionienne; sa flotte parcourut comme en triomphe tous les rivages de la Grèce, étalant les dépouilles de la Sicile, de la Sardaigne, de l’Espagne, de l’Afrique. Un laurier né sous la poupe du vaisseau prétorien était une promesse manifeste de la victoire. Attale, roi de Pergame, s'était fait de lui-même notre auxiliaire. Les Rhodiens, peuple navigateur, nous prêtèrent aussi leurs secours; avec eux sur mer, et avec ses cavaliers et ses fantassins sur terre, le consul battait l'ennemi partout. Philippe fut deux fois vaincu, deux fois mis en fuite, deux fois dépouillé de son camp. Rien cependant n'effraya plus les Macédoniens que l'aspect même de leurs blessures, qui, faites, non avec les traits, les flèches ou les faibles armes de la Grèce, mais avec d'énormes javelots et de non moins grandes épées, ouvraient plus d'un chemin à la mort. Bientôt après, sous la conduite de Flamininus, nous franchîmes les montagnes jusqu'alors inaccessibles de la Chaonie et le fleuve Aoüs, qui se précipite entre des rocs, et les barrières mêmes de la Macédoine. Ce fut vaincre que d'y entrer. Car jamais, depuis ce jour, le roi n'osa en venir aux mains; près des collines nommées Cynocéphales, on l'accabla d'un seul coup, et ce ne fut pas même dans un véritable combat. Le consul lui donna la paix et lui laissa son trône. Bientôt, pour prévenir toutes les causes de guerre, il réprima Thèbes, et l'Eubée, et Lacédémone qui s'agitait sous son chef Nabis. Quant à la Grèce, il lui rendit son ancien état, afin qu'elle vécût sous ses lois et jouît de son antique liberté. Quels transports, quelles acclamations, le jour où, sur le théâtre de Némée, pendant les jeux quinquennaux, le héraut chanta ce décret! Quel concours d'applaudissements! que de fleurs répandues aux pieds du consul ! combien de fois on obligea le héraut à répéter ces paroles qui proclamaient la liberté de l'Achaïe ! Cette sentence du consul charmait les oreilles des Grecs autant que les plus mélodieux accords de la flûte ou de la lyre.
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VIII.  - Bellum Syriacum regis Anthiochi. - Macedoniam statim et regem Philippum Antiochus excepit, quodam casu, quasi  industria, sic adgubernante fortuna, ut quem ad modum ab Africa in Europam, sic ab Europa in Asiam, ultro se subgerentibus causis, imperium procederet; et cum terrarum orbis situ ipse ordo victoriarum navigaret. Non aliud formidolosius fama bellum fuit; quippe quum Persas et orientem, Xerxen atque Darium cogitarent, quando perfossi invii montes, quando velis opertum mare nuntiaretur. Ad hoc caelestes minae territabant, quum humore continuo Cumanus Apollo sudaret. Sed hic faventis Asiae suae numinis timor erat.
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 VIII. – Guerre de Syrie contre le roi Antiochus. - ( An de Rome 561-564. ) - La soumission de la Macédoine et du roi Philippe fut suivie de près de celle d'Antiochus : c'était le hasard, ou plutôt une heureuse combinaison de la fortune, qui voulait que notre domination s'étendît d'Afrique en Europe, puis d'Europe en Asie, selon les occasions qui se présentaient d'elles-mêmes; et que le cercle de nos victoires embrassât, d'après leur situation, tous les pays de l'univers. Nulle guerre ne parut plus formidable aux Romains; ils se retraçaient les Perses et l'Orient, Xerxès et Darius, et on racontait que ces monts inaccessibles avaient été percés par la main de l'homme, et que la mer avait disparu sous le nombre des voiles. A cette terreur se joignait l'effroi causé par les menaces célestes : l'Apollon de Cumes se couvrait d'une sueur continuelle; mais c'était l'effet des alarmes de ce dieu pour sa chère Asie.
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Nec sane viris, opibus, armis quidquam copiosius Syria; sed in manus tam ignavi regis inciderat, ut nihil fuerit in Antiocho speciosius quam quod a Romanis victus est. Impulere regem in id bellum, illinc Thoas Aetoliae princeps, inhonoratam apud Romanos querens adversus Macedonas militiae suae societatem; hinc Annibal, qui in Africa victus, profugus et pacis impatiens hostem populo Romano toto orbe quaerebat. Et quod illud fuisset periculum, si se consiliis ejus rex tradidisset, id est, si Asiae viribus usus fuisset miser Annibal? Sed rex suis opibus et nomine regio fretus satis habuit bellum movere.
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Nulle contrée n'est plus peuplée, plus riche, plus belliqueuse que la Syrie; mais elle était tombée entre les mains d'un roi si lâche que la plus grande gloire d'Antiochus est d'avoir été vaincu par les Romains. Ce roi fut poussé à la guerre, d'un côté par Thoas, chef des Étoliens, qui se plaignait de ce que les Romains avaient fait peu de cas de son alliance dans la guerre contre les Macédoniens; de l'autre, par Annibal, qui, vaincu en Afrique, fugitif, et ne pouvant supporter la paix, cherchait par toute la terre un ennemi au peuple romain. Et quel eût été notre péril, si le roi se fût livré à ses conseils, c'est-à-dire, si ce malheureux Annibal eût disposé des forces de l'Asie? Mais Antiochus, dans la confiance que lui inspirait sa puissance et son nom de roi, se contenta d'avoir allumé la guerre.
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Europa jam, dubio procul, jure ad Romanos pertinebat. Hic Lysimachiam, urbem in litore Thracio positam a majoribus suis, Antiochus ut hereditario jure reposcebat. Hoc velut sidere, Asiatici belli mota tempestas. Et maximus regum, contentus fortiter indixisse bellum, quum ingenti strepitu ac tumultu movisset ex Asia, occupatis statim insulis, Graeciaeque  litoribus, otia et luxus tanquam victor agitabat. Euboeam insulam continenti adhaerentem tenui freto reciprocantibus aquis Euripus abscidit. Hic ille positis aureis sericisque tentoriis, sub ipso freti murmure, quum inter fluenta tibiis fidibusque concinerent, collatis undique, quamvis per hiemem rosis, ne non aliquo genere ducem agere videretur, virginum puerorumque delectus habebat
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Déjà l'Europe, par un droit incontestable, appartenait aux Romains. Cet Antiochus leur redemanda, comme un bien héréditaire, la ville de Lysimachie, fondée par ses ancêtres, sur la côte de Thrace. Ce fut, pour ainsi dire, sous l'influence de cet astre que se souleva la tempête de la guerre asiatique; et le plus grand des rois, content de l’avoir courageusement déclarée, partit de l'Asie avec un fracas et un tumulte extraordinaires; il occupa aussitôt les îles et les rivages de la Grèce, et s'y livra au repos et aux plaisirs, comme un vainqueur. L’île d'Eubée est séparée du continent par un petit détroit que le flux et le reflux de l'Euripe ont formé. Là, ayant fait dresser des tentes d'or et de soie, il mariait, au bruit des ondes du détroit, les sons de la flûte et de la lyre, faisait, malgré l'hiver, apporter de tous côtés des roses, et s'occupait, pour paraître jouer un peu le rôle de général, à faire des levées de jeunes filles et d'enfants. 
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Talem ergo regem jam luxuria sua debellatum populus Romanus, Acilio Glabrione consule, in insula aggressus, ipso statim adventus sui nuntio coegit ab insula fugere. Tum praecipitem apud Thermopylas assecutus, locum trecentorum Laconum speciosa caede memorandum, ne ibi quidem fiducia loci resistentem, mari ac terra cedere coegit. Statim et e vestigio itur in Syriam. Classis regia Polyxenidae Annibalique commissa: nam rex proelium nec spectare poterat. Igitur, duce Aemilio Regillo, adremigantibus Rhodiis tota laceratur. Ne sibi placeant Athenae! in Antiocho vicimus Xerxem; in Aemilio Themistoclem aequavimus; Ephesiis Salamina pensavimus.
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Un tel prince était donc déjà vaincu par son luxe. Envoyé par le peuple romain, le consul Acilius Glabrion s'avança pour l'attaquer dans l'Eubée, et le força, par le seul bruit de son arrivée, à s'enfuir aussitôt de cette île. Alors, malgré sa fuite précipitée, il l’atteignit aux Thermopyles, lieu si célèbre par la belle mort des trois cents Spartiates. Antiochus, loin de profiter de l'avantage du lieu, ne fit aucune résistance, et Glabrion le força à céder la mer et la terre. Aussitôt, et sans s'arrêter, on marche vers la Syrie. La flotte royale avait été confiée à Polyxénidas et à Annibal; car le roi ne pouvait pas même être spectateur d'un combat. Aemilius Régillus, avec le secours des galères rhodiennes, l’eut bientôt réduite tout entière. Qu’Athènes ne soit plus si fière ! nous avons vaincu Xerxès dans Antiochus; dans Aemilius, égalé Thémistocle; dans Ephèse, remplacé Salamine.
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Tum consule Scipione, cui frater, ille modo victor Carthaginis Africanus, voluntaria legatione aderat, debellari regem placet. Et jam toto cesserant mari; sed nos imus ulterius. Maeandrum ad amnem montemque Sipylum castra ponuntur. Hic rex, incredibile dictu, quibus auxiliis, quibus copiis consederat. Trecenta millia peditum, equitum falcatorumque curruum non minor numerus. Elephantis ad hoc immensae magnitudinis, auro, purpura, argento et suo ebore fulgentibus, aciem utrimque vallaverat. Sed haec omnia praepedita magnitudine sua; ad hoc imbre, qui subito perfusus, mira felicitate Persicos arcus corruperat. Primum trepidatio, mox fuga, deinc triumphus fuerunt. Victo et supplici pacem atque partem regni dari placuit, eo libentius, quod tam facile cessisset.
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Alors, sous le consulat de Scipion, que son frère, ce Scipion l'Africain, naguère vainqueur de Carthage, voulut accompagner en qualité de lieutenant, on résolut d'achever la ruine d'Antiochus. Déjà, il est vrai, il nous avait abandonné toute la mer; mais nos vues se portent plus loin. On campe près du fleuve Méandre et du mont Sypyle. Le roi s'y trouvait avec des forces prodigieuses, soit auxiliaires, soit nationales : trois cent mille hommes de pied et un nombre proportionné de cavaliers et de chars armés de faux. Des éléphants d'une grandeur monstrueuse, brillants d'or, de pourpre, d'argent et de l’éclat de leur ivoire, servaient comme de rempart aux ailes de son armée. Mais tout cet appareil s'embarrassait dans sa propre grandeur. D'ailleurs, une pluie, survenue tout à coup, par un bonheur singulier, avait détendu les arcs persans. D'abord l'épouvante et bientôt la fuite de l’ennemi assurèrent notre triomphe. Antiochus, vaincu et suppliant, obtint la paix et une partie de ses états; on y consentit d'autant plus volontiers qu'il avait cédé plus facilement.
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IX. - Bellum Aetolicum. - Syriaco bello successit, ut debebat, Aetolicum. Victo quippe Antiocho, Romanus faces Asiatici belli persequebatur. Ergo Fulvio Nobiliori mandata ultio est. Hic protinus, caput gentis, Ambraciam, regiam Pyrrhi, machinis quatit. Secuta deditio est. Aderant Aetolorum precibus Attici, Rhodii; et memineramus auxilii, sic placuit ignoscere. Serpsit tamen latius in proximos bellum omnemque late Cephalleniam, Zacynthon et quidquid insularum in eo mari inter Ceraunios montes jugumque Maleum, Aetolici belli accessio fuerunt.
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IX. - Guerre d'Étolie. - ( An de Rome 564 ). - A la guerre de Syrie succéda naturellement celle d'Etolie. En effet, après avoir vaincu Antiochus, Rome devait poursuivre ceux qui avaient allumé les feux de la guerre d'Asie. Fulvius Nobilior est chargé du soin de sa vengeance. Aussitôt, Ambracie, la capitale du pays, l'ancienne résidence de Pyrrhus, est ébranlée sous l'effort des machines; elle se rend bientôt. Aux prières des Étoliens, Athènes et Rhodes joignent les leurs; et, en mémoire de notre alliance avec eux, on consent à leur pardonner. La guerre s'étendit cependant plus loin et aux pays voisins. Céphalénie, Zacynthe et toutes les îles de cette mer, entre les monts Cérauniens et le cap Malée, furent l'accessoire de la guerre d'Étolie.
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X. - Bellum Histricum. - Histri sequuntur Aetolos, quippe bellantes eos nuper adjuverant. Et initia pugnae hosti prospera fuerunt eademque exitii causa. Nam quum Cnaei Manlii castra cepissent, opimaeque praedae incubarent, epulantes ac ludibundos plerosque, atque, ubi essent prae poculis nescientes, Appius Pulcher invadit. Sic cum sanguine et spiritu male partam revomuere victoriam. Ipse rex, Aepulo equo impositus, quum subinde crapula et capitis errore lapsaret, captum sese vix et aegre, postquam experrectus est, didicit.
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X. - Guerre d'Istrie. - (An de Rome 575 ). - Après les Étoliens, Rome attaqua l'Istrie, qui les avait secourus dans la dernière guerre. Les commencements de celle-ci furent à l'avantage des ennemis; mais ce succès même causa leur perte. Ils avaient pris le camp de Cnaeus Manlius; ne s'attachant qu'à leur riche butin, la plupart d'entre eux, ivres de vin et de joie, s'oubliaient au milieu des festins, lorsqu'Appius Pulcher les surprit, et leur fit revomir, dans des flots de sang, une victoire mal assurée. Apulon, leur roi, jeté sur un cheval, avait la tête si appesantie, si troublée par les fumées du vin, qu'il chancelait à tout moment: après qu'il eut repris ses sens, il apprit, avec beaucoup de peine, qu'il était prisonnier.
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XI. - Bellum Gallograecum. - Gallograeciam quoque Syriatici belli ruina convolvit. Fuerint inter auxilia regis Antiochi, an fuisse cupidus triumphis Manlius, ac eos visos simulaverit, dubium est. Certe negatus est victori triumphus, quia causam belli non approbavit. Ceterum gens Gallograecorum, sicut ipsum nomen indicio est, mixta et adulterata, reliquiae Gallorum, qui, Brenno duce, vastaverant Graeciam, mox Orientem secuti, in media Asiae parte sederunt. Itaque, ut frugum semina, mutato solo, degenerant; sic illa genuina feritas eorum Asiatica amoenitate mollita est. Duobus itaque proeliis fusi fugatique sunt, quamvis sub adventu hostis, relictis sedibus, in altissimos se montes recepissent, quos Tolostobogi Tectosagique jam insederant. Vtrique fundis sagittisque acti, in perpetuam se pacem dediderunt. Sed alligati miraculo quodam fuere, quum catenas morsibus et ore tentassent; quum offocandas invicem fauces praebuissent. Nam Orgiacontis regis uxor a centurione stuprum passa, memorabili exemplo custodiam evasit, revulsumque militis caput ad maritum retulit. 
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 XI. - Guerre contre les Gallo-Grecs. ( An de Rome 564 ). - Les Gallo-Crecs furent aussi enveloppés dans la ruine causée par la guerre de Syrie. Avaient-ils réellement secouru Antiochus? ou Manlius, ambitionnant un triomphe, avait-il feint de les avoir vus dans l'armée de ce roi? C'est ce qu'on ne sait pas. Quoi qu'il en soit, le vainqueur n'ayant point justifié des motifs de cette guerre, le triomphe lui fut refusé. La nation des Gallo-Grecs, comme l'indique son nom même, était un reste mixte et abâtardi de ces Gaulois qui, sous la conduite de Brennus, avaient dévasté la Grèce, et qui bientôt, pénétrant dans l'Orient, s'étaient établis dans la partie centrale de l'Asie. Mais de même que les plantes dégénèrent en changeant de sol, ainsi la férocité naturelle de ces peuples s'était amollie dans les délices de l'Asie. Aussi furent-ils battus et mis en fuite dans deux batailles, bien qu'à l'approche de l'ennemi, ils eussent abandonné leurs demeures, et se fussent retirés sur de très hautes montagnes, qu'occupaient déjà les Tolistoboges, et les Tectosages. Les uns et les autres, assaillis d'une grêle de pierres et de traits, furent en se rendant, condamnés à une éternelle paix. Ce ne fut que par une espèce de miracle qu'on les enchaîna : ils mordaient leurs fers, pour essayer de les rompre; ils se présentaient mutuellement la gorge pour s'étrangler. La femme d’Orgiagonte, leur roi, victime de la brutalité d'un centurion , laissa un exemple mémorable : elle s'échappa de sa prison, coupa la tête du soldat et la porta à son époux.
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 XII. - Bellum Macedonicum secundum. - Dum aliae aliaeque gentes Syriatici belli sequuntur ruinam, Macedonia rursus se erexit. Fortissimum populum memoria et recordatio suae nobilitatis agitabat; et successerat Philippo filius Perses, qui semel in perpetuum victam esse Macedoniam, non putabat ex gentis dignitate. Multo vehementius sub hoc Macedones, quam sub patre consurgunt. Quippe Thracas in vires suas traxerant, atque ita industriam Macedonum viribus Thracum, ferociam Thracum disciplina Macedonum temperaverunt. Accessit his consilium ducis, qui situm regionum suarum summo speculatus Haemo, positis per abrupta castris, ita Macedoniam suam armis ferroque vallaverat, ut non reliquisse aditum, nisi a caelo venturis hostibus, videretur. Tamen Marcio Philippo consule, eam provinciam ingressus populus Romanus, exploratis diligenter accessibus, per acerbos dubiosque tumulos, illa quae volucribus quoque videbantur, invia accessit. Regem securum, et nihil tale metuentem, subita belli irruptione terruit. Cujus tanta trepidatio fuit, ut pecuniam omnem in mare jusserit mergi, ne periret, classem cremari, ne incenderetur. 
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XII. - Seconde guerre de Macédoine. – ( An de Rome 582 - 585 ). - Tandis que la guerre de Syrie entraînait la ruine de tant d'autres nations, la Macédoine se releva. Ce peuple vaillant tressaillait au souvenir de sa gloire passée; et Persée, fils et successeur de Philippe, doutait, pour l'honneur de cette nation, qu'elle pût être vaincue pour toujours, ne l'ayant été qu'une seule fois. Les Macédoniens font, sous ce roi, un bien plus puissant effort que sous son père. Ils avaient en effet attiré les Thraces dans leur parti; et l'habileté des Macédoniens trouvait ainsi un appui dans la vigueur des Thraces, comme la valeur farouche des Thraces, une règle dans la discipline des Macédoniens. A ces avantages venait se joindre la prudence du roi, qui, après avoir examiné, du sommet de l'Hémus, la situation de ses provinces, établit des camps dans les lieux escarpés et entoura la Macédoine d'une enceinte d'armes et de fer qui semblait ne laisser d'accès qu'à des ennemis descendus du ciel. Cependant, l'armée romaine, sous le consul Marcius Philippus, pénétra dans cette province, après avoir soigneusement exploré toutes ses avenues, suivi les bords du marais Ascuris, gravi des hauteurs escarpées et presque impraticables, qui paraissaient inaccessibles aux oiseaux mêmes. Le roi, qui, dans sa sécurité, croyait n'avoir rien de tel à craindre, fut épouvanté de cette soudaine irruption de notre armée, et son trouble fut tel, qu'il fit jeter à la mer tous ses trésors, pour que leur perte ne profitât pas à l'ennemi, et mettre le feu à sa flotte, de peur qu'il ne la brûlât.
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Paulo consule, quum majora et crebra essent imposita praesidia, per alias vias Macedonia deprensa est, summa quidem arte et industria ducis, quum alia minatus alia irrepsisset. Cujus adventus ipse adeo terribilis regi fuit, ut interesse non auderet, sed gerenda ducibus bella mandaverit. Absens ergo victus fugit in maria insulamque Samothracen, fretus celebri religione, quasi templa et arae possent defendere, quem nec montes sui nec arma potuissent.
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Le consul Paul Émile, voyant qu'on avait augmenté la force et le nombre des garnisons, surprit la Macédoine par d'autres passages, à la faveur d'un artifice et du plus ingénieux stratagème : la menaçant d'un côté, il l'envahit d'un autre. Sou arrivée causa Persée une telle terreur que ce roi, n'osant combattre en personne, confia à ses généraux la conduite de la guerre. Vaincu en son absence, il s'enfuit sur les mers, et alla dans l’île de Samothrace, chercher un asile consacré par la religion, comme si les temples et les artels eussent pu défendre celui que n'avaient point protégé ses montagnes et ses armées.
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Nemo regum diutius amissae fortunae conscientiam retinuit. Supplex quum scriberet ad imperatorem, ab illo quo confugerat templo, nomenque epistolae notaret suum, regem addidit. Sed nec reverentior captae majestatis alius Paulo fuit. Quum in conspectum venisset hostis, in templum recepit et conviviis adhibuit liberosque admonuit suos ut fortunam, cui tantum liceret, reverentur.
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Aucun roi ne conserva plus longtemps le sentiment de sa fortune passée. Réduit à supplier, si, du temple où il s'était réfugié, il écrivait au général romain, il ajoutait à son nom sur cette lettre le titre de roi; personne aussi n’eut plus de respect que Paul Émile pour la majesté captive. Lorsque Persée parut en sa présence, il le conduisit dans sa tente, l'admit à sa table, et exhorta ses enfants à redouter la fortune si inconstante.
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Inter pulcherrimos hunc quoque populus Romanus de Macedonia duxit ac vidit triumphum, quippe cujus spectaculo triduum inpleverit. Primus dies signa tabulasque, sequens arma pecuniasque transvexit; tertius captivos ipsumque regem attonitum adhuc tamquam subito malo stupentem. Sed multo prius gaudium victoriae populus Romanus quam epistolis victoris perceperat. Quippe eodem die quo victus est Perses in Macedonia, Romae cognitum est. Duo juvenes candidis equis apud Juturnae lacum pulverem et cruorem abluebant. Hi nuntiavere. Castorem et Pollucem fuisse creditum volgo, quod gemini fuissent; interfuisse bello, quod sanguine maderent; a Macedonia venire, quod adhuc anhelarent. 
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Le peuple romain mit au rang des plus beaux triomphes qu'il eût jamais vus celui de la Macédoine, dont le spectacle dura trois jours. Le premier jour, on porta par la ville les statues et les tableaux; le second les armes et les trésors; le troisième, parurent les captifs et le roi lui-même, encore étonné, frappé de stupeur comme par une catastrophe soudaine. Au reste, les Romains avaient goûté la joie de cette victoire longtemps avant l'arrivée des lettres du vainqueur. Le jour où Persée était défait en Macédoine, on le savait à Rome. Deux jeunes guerriers, montés sur des chevaux blancs, vinrent laver dans le lac de Juturne la poussière et le sang qui les couvraient. Ce fut par eux qu'on apprit cette nouvelle. On crut généralement que c'étaient Castor et Pollux, car ils étaient deux; qu'ils avaient pris part à la bataille, car ils étaient couverts de sang; qu'ils arrivaient de Macédoine, car ils étaient encore tout haletants.
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XIII. - Bellum Illyricum. - Macedonici belli contagio traxit Illyrios. Ipsi quidem, ut Romanum a tergo distringerent, a Perse conducti pecunia militavere. Sine mora ab Anicio praetore subiguntur. Scordam, caput gentis, delesse suffecit; statim secuta dedito est. Denique hoc bellum ante finitum est quam geri Romae nuntiaretur. 
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XIII. - Guerre d'Illyrie. – ( An de Rome 585). - La guerre de Macédoine se propagea jusque chez les Illyriens. Ces peuples avaient été soudoyés par le roi Persée pour harceler par derrière l'armée romaine. Ils furent promptement soumis par le préteur Anicius. Il lui suffit d'avoir détruit Scorda, leur capitale, pour les forcer à se rendre aussitôt. Enfin cette guerre était finie avant qu'on sût à Rome qu'elle était entreprise. 
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XIV. - Bellum Macedonicum tertium. - Quodam fato, quasi ita convenisset inter Poenos et Macedonas ut tertio quoque vincerentur, eodem tempore utrique arma moverunt. Sed prior jugum excutit Macedo, aliquanto quam ante, gravior, dum contemnitur. 
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XIV. - Troisième guerre de Macédoine. ( An de Rome 604 - 605.) - Par une espèce de fatalité, par une sorte de convention arrêtée entre les Carthaginois et les Macédoniens pour se faire vaincre également trois fois, ces deux peuples reprirent en même temps les armes. Mais la Macédoine secoua le joug la première, et fut un peu plus difficile à réduire qu'auparavant, parce qu'on la méprisa.
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Causa belli prope erubescenda. Quippe regnum pariter et bellum vir ultimae sortis Andriscus invaserat, dubium liber an servus, mercennarius certe; sed quia vulgo ex similitudine Philippi Pseudophilippus vocabatur, regiam formam, regium nomen, animo quoque regio implevit. Igitur dum haec ipsa contemnit populus Romanus, Juvencio praetore contentus, virum non Macedonicis modo, sed Thraciae quoque auxiliis ingentibus validum temere tentavit; invictusque non a veris regibus, ab illo imaginario et scenico rege superatus est. Sed, consule Metello, amissum cum legione praetorem plenissime ultus est. Nam et Macedoniam servitute multavit, et ducem belli deditum ab eo, ad quem confugerat, Thraciae regulo in Urbem in catenis reduxit; hoc quoque illi in malis indulgente fortuna, ut de eo populus Romanus, quasi de vero rege, triumpharet.
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La cause de cette guerre doit presque nous faire rougir. Un homme de la plus basse extraction, Andriscus avait pris à la fois la couronne et les armes. On ignore s'il était libre ou esclave; mercenaire, il l'était certainement. Mais, comme sa ressemblance avec Philippe l'avait fait appeler Pseudophilippe, il rehaussa cette figure, et ce nom de roi par un courage vraiment royal. Le peuple romain, méprisant d'abord ses entreprises, se contenta d'envoyer contre lui le préteur Juvencius, et attaqua témérairement un homme appuyé par toutes les forces de la Macédoine, et par de puissants renforts de la Thrace. Rome, que de véritables rois n'avaient pu vaincre, fut donc vaincue par un monarque imaginaire, par un roi de théâtre. Mais le consul Métellus vengea complètement la perte du préteur et de sa légion. La Macédoine fut punie par la servitude; quant à l'auteur de la guerre, livré par un petit toi de Thrace, auprès duquel il s'était réfugié, il fut amené à Rome, chargé de chaînes. Ainsi, dans ses malheurs, cet homme obtint de la fortune la faveur d'être, ainsi qu'un vrai roi, le sujet d'un triomphe pour le peuple romain.
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XV.- Bellum Punicum tertium. - Tertium cum Africa bellum et tempore exiguum, nam quadriennio raptum est; et in comparatione priorum minimum labore, non enim tam cum viris quam cum ipsa urbe pugnatum est; sed plane maximum eventu: quippe eo tandem Carthago finita est. Atque si quis trium temporum momenta consideret, primo commissum bellum, profligatum secundo, tertio vero confectum est. 
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 XV. - Troisième guerre Punique. - (An de Rome 601- 607). - La troisième guerre contre l'Afrique fut de courte durée, puisqu'on l'acheva en quatre ans; et très peu pénible, en comparaison des deux premières, puisqu'on eut à combattre moins contre des hommes que contre des murs; mais elle fut sans contredit la plus importante par son résultat, puisque Carthage finit avec elle. Si l'on veut déterminer le caractère de ces trois époques, on verra la guerre engagée dans la première, poussée avec vigueur dans la seconde, mais terminée dans la troisième.
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 Sed hujus causa belli, quod contra foederis legem adversus Numidas quidem, semel parasset classem et exercitum, frequens autem Masinissae fines territaret. Sed huic ut bono socioque regi favebatur. Quum bellum sederet, de belli fine tractatum est. Cato inexpiabili odio delendam esse Carthaginem, et quum de alio consuleretur, pronuntiabat : Scipio Nasica servandam, ne, metu ablato aemulae urbis, luxuriari felicitas urbis inciperet. Medium senatus elegit, ut urbs tantum loco moveretur. Nihil enim speciosius videbatur, quam esse Carthaginem, quae non timeretur.
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Le motif de celle-ci fut que les Carthaginois, contre les clauses du traité, avaient une fois envoyé une flotte et une armée contre les Numides, et souvent menacé les frontières de Massinissa. Les Romains protégeaient ce roi, leur fidèle allié. La guerre était à peine résolue, qu'on délibéra sur les mesures qui devaient la suivre. Il faut détruire Carthage ! tel était l'arrêt que prononçait Caton dans sa haine implacable, lors même qu'on prenait son avis sur un autre sujet. Scipion Nasica voulait qu'on la conservât, de peur que, délivrée de la crainte d'une ville rivale, Rome ne se laissât corrompre par la prospérité. Le sénat prit un terme moyen; ce fut d'ordonner que la ville changerait seulement de place. Rien, en effet, ne paraissait plus beau que de voir Carthage subsister et n'être pas à craindre.
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 Igitur Manilio Censorinoque consulibus, populus Romanus aggressus Carthaginem, spe pacis injecta, traditam a volentibus classem sub ipso ore urbis incendit. Tum, evocatis principibus, si salvi esse vellent, ut migrarent finibus imperavit. Quod pro rei atrocitate adeo movit iras, ut extrema mallent. Comploratum igitur publice statim, et pari voce clamatum est "ad arma!" seditque sententia, quoquo modo rebellandum; non quia spes ulla jam superesset, sed quia patriam suam mallent hostium, quam suis, manibus everti. Qui rebellantium fuerit furor, vel hinc intelligi potest, quod in usum novae classis tecta domusque resciderunt; in armorum officinis aurum et argentum pro aere ferroque conflatum est : in tormentorum vincula matronae crines suos contulerunt.
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Alors, sous le consulat de Manilius et de Censorinus, le peuple romain attaque Carthage. Sur quelque espérance de paix, elle livre volontairement sa flotte, et la voit incendier. On mande ensuite les principaux citoyens; "il leur faut, s'ils veulent vivre, sortir de leur territoire" : tel est l'ordre qu'on leur donne. Cet arrêt barbare soulève tellement leur indignation qu'ils préfèrent recourir aux dernières extrémités. La douleur devient aussitôt publique; l'on crie tout d'une voix aux armes, et l'on prend la résolution d'épuiser tous les moyens de défense : ce n'est pas qu'il reste encore aux Carthaginois quelque espoir de salut; mais ils aiment mieux voir leur patrie détruite par les mains de l'ennemi que par les leurs. A quelle fureur les porte ce soulèvement ! On va le comprendre : pour la construction d'une nouvelle flotte, ils arrachent la charpente des toits et des maisons; à défaut d'airain et de fer, ils forgent, dans les ateliers d'armes, l'or et l'argent; pour faire les cordages des machines de guerre, les femmes coupent leurs cheveux.
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 Mancino deinde consule, terra marique fervebat obsidio. Operis portus nudatus; et primus et sequens, jam et tertius murus; quum tamen Byrsa, quod nomen arci fuit, quasi altera civitas resistebat. Quamvis profligato urbis excidio, tamen fatale Africae nomen Scipionum videbatur. Igitur in alium Scipionem conversa res publica finem belli reposcebat. Hunc Paulo Macedonico procreatum Africani illius magni filius in decus gentis assumpserat, hoc scilicet fato, ut quam urbem concusserat avus, nepos ejus everteret. Sed ut quam maxime mortiferi esse morsus solent esse morientium bestiarum, sic plus negotii fuit cum semiruta Carthagine quam integra. Compulsis in unam arcem hostibus, portum quoque maris Romanus obsederat. Illi alterum ibi portum ab alia urbis parte foderunt; nec ut fugerent, sed quia nemo illos hac evadere posse credebat. Inde quasi enata subito classis erupit; quum interim jam diebus, jam noctibus, nova aliqua moles, nova machina, nova perditorum hominum manus, quasi ex obruto incendio subita de cineribus flamma prodibat. Deploratis novissime rebus, quadraginta milia virorum se dediderunt, quod minus credas, duce Hasdrubale. Quanto fortius femina, et uxor ducis! Quae, comprehensis duobus liberis, a culmine se domus in medium misit incendium, imitata reginam quae Carthaginem condidit. Quanta urbs deleta sit, ut de ceteris taceam, vel ignium mora probari potest; quippe per continuos decem et septem dies vix potuit incendium exstingui, quod domibus ac templis suis sponte hostes inmiserant; ut, quatenus urbs eripi Romanis non poterat, triumphus arderet.
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Bientôt le consul Mancinus presse le siège par terre et par mer. Les ouvrages du port sont renversés; le premier mur est emporté, puis le second, puis le troisième. Cependant la citadelle, nommée Byrsa, était comme une autre ville qui résistait encore. Quelque inévitable que fût la ruine de Carthage, le nom des Scipion, si fatal à l'Afrique, parut cependant nécessaire pour la consommer. La république jeta donc les yeux sur un second Scipion, et réclama de lui la fin de la guerre. Il devait le jour à Paul le Macédonique ; et le fils du grand Africain l'avait adopté pour la gloire de sa maison : le destin l'avait ainsi voulu, pour qu'une ville ébranlée par l'aïeul fût renversée par le petit-fils. Mais comme les morsures des bêtes aux abois sont d'ordinaire les plus dangereuses, Carthage, à demi détruite, coûta plus à dompter que Carthage encore entière. Après avoir poussé les ennemis dans la citadelle, leur seul refuge, les Romains bloquèrent le port de mer. Les assiégés en creusèrent un second d'un autre côté de la ville, non pour fuir, mais pour que personne ne doutât qu'ils eussent pu s'échapper par cet endroit. On en vit tout à coup sortir une flotte, qui semblait née par enchantement. Cependant, chaque jour, chaque nuit, apparaissaient des môles nouveaux, de nouvelles machines, de nouveaux corps d'hommes, que le désespoir poussait à la mort. Ainsi des cendres assoupies d'un embrasement jaillit une flamme soudaine. Se voyant enfin perdus, quarante mille Carthaginois se rendirent à discrétion, et, ce que l'on croira moins facilement, à leur tête était Asdrubal. Qu'une femme, l'épouse de ce général, montra bien plus de courage ! Prenant avec elle ses deux enfants, elle se précipita du comble de sa maison dans les flammes, imitant la reine qui fonda Carthage. On peut juger de la grandeur de cette ville par la seule durée de l'incendie : à peine, en effet, put-il être éteint après dix-sept jours de ravages continus. Les ennemis avaient eux-mêmes livré aux flammes leurs maisons et leurs temples. Ne pouvant arracher la ville aux Romains, ils voulaient au moins consumer leur triomphe.
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 XVI. - Bellum Achaicum. - Quasi saeculum illud eversionibus urbium curreret, ita Carthaginis ruinam statim Corinthus excepit, Achaiae caput, Graeciae decus, inter duo maria, Ionium et Aegaeum, quasi spectaculo exposita. Haec - facinus indignum - ante oppressa est, quam in numerum certorum hostium referretur. Critolaus causa belli, qui libertate a Romanis data adversus ipsos usus est, legatosque Romanos, dubium an et manu, certe oratione violavit. 
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 XVI. - Guerre d'Achaïe. - (An de Rome 607). - Comme si le cours de ce siècle eût été destiné à la destruction des villes, la ruine de Carthage fut immédiatement suivie de celle de Corinthe, la capitale de l'Achaïe, l'ornement de la Grèce, et qui semblait exposée en spectacle entre deux mers, celle d'Ionie et la mer Égée. Les Romains, par un crime odieux, accablèrent cette ville avant de l'avoir déclarée leur ennemie. Critolaüs fut la cause de la guerre, en tournant contre eux la liberté qu'il leur devait. II outragea leurs ambassadeurs peut-être par des violences, mais certainement par ses discours.
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 Igitur Metello ordinanti tum maxime Macedoniam mandata est ultio; et hinc Achaicum bellum. Ac primam Critolai manum Metellus consul per patentes Elidis campos toto cecidit Alpheo. Et uno proelio peractum erat bellum; jam et urbem ipsam terrebat obsidio; sed - fata rerum - quum Metellus dimicasset, ad victoriam Mummius venit. Hic alterius ducis Diaei late exercitum sub ipsis Isthmi faucibus fudit, geminosque portus sanguine infecit. Tandem ab incolis deserta civitas direpta primum, deinde, tuba praecinente, deleta est. Quid signorum, quid vestium quidve tabularum raptum incensum atque projectum est! Quantas opes et abstulerit et cremaverit hinc scias, quod quidquid Corinthii aeris toto orbe laudatur, incendio superfuisse comperimus. Nam et aeris notam pretiosiorem ipsa opulentissimae urbis fecit injuria, quia incendio permistis plurimis statuis atque simulacris, aeris, auri argentique venae commune fluxere. 
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Métellus, alors chargé spécialement de régler les affaires de la Macédoine, le fut aussi de la vengeance de Rome, et la guerre d'Achaïe commença. Dès la première rencontre, le consul Métellus tailla en pièces les troupes de Critolaüs, dans les champs spacieux de l'Élide, tout le long des rives de l'Alphée. Une seule bataille avait terminé la guerre, et déjà Corinthe redoutait un siège; mais, ô caprice du sort ! Métellus avait combattu; Mummius se présenta pour la victoire. Il battit entièrement Diéus, autre général des Corinthiens, à l'entrée même de l'isthme, et teignit de sang les deux ports. Abandonnée enfin de ses habitants, cette ville fut d'abord saccagée, ensuite rasée au son de la trompette. Que de statues, d'étoffes, de tableaux furent enlevés, brûlés, et dispersés! On peut évaluer l'immensité des richesses livrées au pillage et aux flammes par tout ce qu'il y a aujourd'hui dans le monde de l'airain tant vanté de Corinthe, qui fut, dit-on, le résultat de cet incendie. En effet, le désastre d'une ville si opulente produisit une espèce d'airain d'une qualité supérieure; métal formé du mélange de statues et de simulacres sans nombre, mis en fusion par le feu, et coulant en ruisseaux d'airain, d'or et d'argent.
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 XVII. - Res in Hispania gestae. - Ut Carthaginem Corinthus, ita Corinthum Numantia secuta est; nec deinde orbe toto quidquam intactum armis fuit. Post illa duo clarissima urbium incendia, late atque passim, nec per vices, sed simul pariter quasi unum undique bellum fuit; prorsus ut illae urbes, quasi agitantibus ventis, diffudisse quaedam belli incendia toto orbe viderentur.
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 XVII. - Expéditions d'Espagne. - ( An de Rome 535 - 615. ) Comme Corinthe avait suivi Carthage, ainsi Numance suivit Corinthe. Dès lors il n’y eut plus rien dans tout l'univers qui échappât à l'atteinte de nos armes. Après les incendies fameux de ces deux villes, la guerre se répandit au loin et de tous côtés, non plus par degrés, mais partout en même temps, comme si, du sein de ces villes, les vents déchaînés eussent dispersé dans tout l'univers le feu des combats.
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 Hispaniae numquam animus fuit adversus nos universae consurgere, numquam conferre vires suas libuit, neque aut imperium experiri aut libertatem tueri suam publice. Alioquin ita undique mari Pyrenaeoque vallata est, ut ingenio situs ne adiri quidem potuerit. Sed ante a Romanis obsessa est quam se ipsa cognosceret, et sola omnium provinciarum vires suas, postquam victa est, intellexit. In hac prope ducentos per annos dimicatum est, a primis Scipionibus in Caesarem Augustum, non continue nec cohaerenter, sed prout causae lacessierant, nec cum Hispanis initio, sed cum Poenis in Hispania. Inde contagio et series causaeque bellorum.
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Jamais l’Espagne n’eut la pensée de se lever en masse contre nous, jamais de mesurer ses forces avec les nôtres, ni de nous disputer l'empire, ni de défendre ouvertement sa liberté. Autrement, protégée par la mer et les Pyrénées, cette vaste enceinte de remparts, elle eût été inaccessible par le seul avantage de sa situation. Mais elle fut assaillie par les Romains avant de se connaître elle-même , et, la seule de toutes nos provinces, elle ne sentit ses forces qu'après avoir été vaincue. On s'y battit, pendant près de deux cents ans, depuis les premiers Scipion jusqu'à César Auguste, non pas sans interruption ni sans relâche, mais selon que les circonstances l'exigeaient; et même, dans l'origine, ce n'étaient pas les Espagnols, mais les Carthaginois que l'on combattait en Espagne. De là cette suite de guerres, dont les causes naissaient l'une de l'autre.
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 Prima per Pyrenaeum jugum signa Romana Publius et Cnaeus Scipiones intulerunt; proeliisque ingentibus Hannonem, et Hasdrubalem fratrem Hannibalis ceciderunt; raptaque erat impetu Hispania, nisi fortissimi viri in ipsa victoria sua oppressi Punica fraude cecidissent, terra marique victores. Igitur quasi novam integramque provinciam ultor patris et patrui Scipio ille, mox Africanus invasit, isque, statim capta Carthagine, et aliis urbibus, non contentus Poenos expulisse, stipendiariam nobis provinciam fecit; omnem citra ultraque Hiberum subjecit imperio; primusque Romanorum ducum victor ad Gades et Oceani ora pervenit.
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Publius et Cnaeus Scipion portèrent les premiers au-delà des monts Pyrénées les enseignes romaines. Ils défirent dans de grandes batailles Hannon et Asdrubal, le frère d'Annibal, et ce coup allait livrer l'Espagne à ces grands capitaines, si, vainqueurs sur terre et sur mer, ils n'eussent succombé au milieu même de leur victoire, victimes de la ruse punique. Ce fut donc comme dans une province nouvelle et encore intacte qu'entra Scipion, qui, vengeur de son père et de son oncle, reçut bientôt après le nom d'Africain. II prend aussitôt Carthagène, avec d'autres villes; et, non content d'avoir chassé les Carthaginois, il fait de l'Espagne notre tributaire, et soumet à l'empire tous les pays en-deçà et au-delà de l'Ebre. C'est le premier des généraux romains dont les armes victorieuses soient parvenues jusqu’à Gadès et aux rivages de l’Océan.
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 Plus est provinciam retinere quam facere. Itaque per partes jam huc jam illuc missi duces, qui ferocissimas et ad id temporis liberas gentes ideoque inpatientes jugi, multo labore, nec incruentis certaminibus servire docuerunt. Cato ille censorius Celtiberos, id est robur Hispaniae, aliquot proeliis fregit. Gracchus, pater ille Gracchorum, eosdem centum et quinquaginta urbium eversione multavit. Metellus ille, cui ex Macedonia cognomen meruerat et Celtibericus fieri, quum et Contrebiam memorabili cepisset exemplo, et Nertobrigae majore gloria pepercit. Lucullus Turdulos atque Vaccaeos, de quibus Scipio ille posterior singulari certamine, quum rex fuisset provocatus, opima retulerat. Decimus Brutus aliquanto latius Celticos Lusitanosque et omnes Gallaeciae populos, formidatumque militibus flumen Oblivionis, peragratoque victor Oceani litore non prius signa convertit quam cadentem in maria solem obrutumque  aquis ignem non sine quodam sacrilegii metu et horrore deprehendit. 
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Il est plus difficile de conserver une province que de la conquérir. Aussi envoya-t-on des généraux dans les différentes parties de l'Espagne, contre des nations farouches, restées libres jusqu'à cette époque, et d'autant plus impatientes du joug; et ce ne fut pas sans de longs travaux et de sanglants combats qu'on leur apprit à souffrir la servitude. Quelques combats de Caton, cet illustre censeur, abattirent, avec les Celtibères, la force de l'Espagne. Gracchus, père des Gracches, châtia les mêmes peuples par la destruction de cent cinquante de leurs villes. Le grand Métellus, qui au surnom de Macédonique eût mérité d'unir celui de Celtibérique, ajouta à l'avantage mémorable d'avoir pris Contrébie la gloire plus grande encore d'épargner Nertobrige. Lucullus soumit les Turdules et les Vaccéens; Scipion le jeune, vainqueur dans un combat singulier auquel il avait provoqué leur roi, remporta sur eux des dépouilles opimes. Décimas Brutus, poussant encore plus loin ses conquêtes, dompta les Celtes, les Lusitaniens et tous les peuples de la Galice; il passa le fleuve de l'Oubli, si redouté des soldats, parcourut en vainqueur le rivage de l'Océan, et ne ramena ses légions qu’après avoir vu le soleil se plonger dans la mer et ensevelir ses feux sous les eaux; spectacle qu'il ne put contempler sans craindre d’avoir commis un sacrilège; et sans une religieuse horreur.
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 Sed tota certaminum moles cum Lusitanis fuit et Numantinis. Nec inmerito: quippe solis gentium Hispaniae duces contigerunt. Fuisset et cum omnibus Celtiberis, nisi dux illius motus initio belli vi oppressus esset, summus vir astu et audacia, si res cessisset, Salondicus, qui hastam argenteam quatiens, velut caelo missam, vaticinanti similis, omnium in se mentes converterat. Sed quum pari temeritate sub nocte castra consulis adiisset, juxta tentorium ipsum pilo vigilis exceptus est. 
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Mais toutes les difficultés de la guerre nous attendaient chez les Lusitaniens et chez les Numantins; et cela devait être, car, des nations de l'Espagne, ils étaient les seuls qui eussent des généraux. Il en eût été de même de tous les Celtibères, si, dès le commencement de la guerre, n'eût péri le chef de leur révolte, Salondicus, qui alliait au plus haut degré la ruse et l'audace, et à qui le succès seul a manqué. Agitant dans sa main une lance d'argent, qu'il prétendait avoir reçue du ciel, il contrefaisait l'inspiré, et avait entraîné tous les esprits. Mais, par une témérité digne de lui, s'étant, à l'entrée de la nuit, approché du camp du consul, il fut percé d'un javelot par la sentinelle de garde près de la tente.
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 Ceterum Lusitanos Viriathus erexit, vir calliditatis acerrimae, qui ex venatore latro, ex latrone subito dux atque imperator et, si fortuna cessisset, Hispaniae Romulus, non contentus libertatem suorum defendere, per quattuordecim annos omnia citra ultraque Iberum et Tagum igni ferroque populatus, castra etiam praetorum et praesidum aggressus, Claudium Unimanum paene ad internecionem exercitus cecidit et insignia trabeis et fascibus nostris quae ceperat in montibus suis tropaea fixit. Tandem etiam Fabius Maximus consul oppresserat; sed a successore Popilio violata victoria est: quippe qui conficiendae rei cupidus, fractum ducem et extrema deditionis agitantem per fraudem et insidias et domesticos percussores aggressus, hanc hosti gloriam dedit, ut videretur aliter vinci non potuisse. 
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Cependant Viriathus releva le courage des Lusitaniens. Cet homme, d'une habileté profonde, qui de chasseur était devenu brigand, puis, tout d'un coup, de brigand capitaine et général d'armée, aurait été, si la fortune l'eût secondé, le Romulus de l'Espagne. Non content de, défendre la liberté de ses concitoyens, il porta, pendant quatorze ans, le fer et le feu dans tous les pays situés en-deçà et au-delà de l'Èbre et du Tage, attaqua même dans leur camp nos préteurs et nos gouverneurs, extermina presque entièrement l'armée de Claudius Unimanus, et possesseur de nos trabées et de nos faisceaux, il en érigea dans ses montagnes de superbes trophées. Le consul Fabius Maximus était enfin parvenu à l'accabler; mais Servilius, son successeur, déshonora sa victoire. Impatient de terminer la guerre, et quoique Viriathus, abattu par ses revers, ne songeât plus qu'au parti extrême de se rendre, il eut recours à la ruse, à la trahison, au poignard de ses propres gardes; et, par là, il procura à son ennemi la gloire de paraître n’avoir pu être vaincu autrement.
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 XVIII. - Bellum Numantinum. - Numantia, quantum Carthaginis, Capuae, Corinthi opibus inferior, ita virtutis nomine et honore par omnibus, summumque, si viros aestimes, Hispaniae decus. Quippe quae sine muro, sine turribus, modice edito in tumulo apud flumen Durium sita, quatuor milibus Celtiberorum quadraginta millium exercitum per annos quatuordecim sola sustinuit, nec sustinuit modo, sed saevius aliquanto perculit, pudendisque foederibus affecit. Novissime, quum invictam esse constaret, opus quoque eo fuit qui Carthaginem everterat. 
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 XVIII. - Guerre de Numance. - ( An de Rome 612 – 620 ) - Numance, inférieure en richesses à Carthage, à Capoue, à Corinthe, les égalait cependant toutes trois en valeur et en renommée, et elle était, à en juger par ses guerriers, le principal ornement de l'Espagne. Sans murs, sans tours, située sur une éminence médiocrement élevée, près du fleuve Duérius, elle résista seule, pendant quatorze ans, avec quatre mille Celtibériens, à une armée de quarante mille hommes : et non seulement elle leur résista, mais elle leur porta des coups quelquefois terribles, et leur imposa de honteux traités. Enfin, comme elle paraissait invincible, il fallut recourir à celui qui avait détruit Carthage.
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 Non temere, si fateri licet, ullius causa belli injustior. Segidenses, socios et consanguineos, Romanorum manibus elapsos exceperant. Habita pro eis deprecatio nihil valuit. Quum se ab omni bellorum contagione removerent, in legitimi foederis pretium jussi arma deponere. Hoc sic a barbaris acceptum, quasi manus abscenderentur. Itaque statim, Megara viro fortissimo duce, ad arma conversi, Pompeium proelio aggressi. Foedus tamen maluerunt, quum debellare potuissent. Hostilium deinde Mancinum: hunc quoque adsiduis caedibus subegerunt, ut ne oculos quidem aut vocem Numantini viri quisquam sustineret. Tamen cum hoc quoque foedus maluere, contenti armorum manubiis, quum ad internecionem saevire potuissent.
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Jamais guerre, s'il est permis de l'avouer, n'eut une cause plus injuste. Les Numantins avaient accueilli les habitants de Sigida, leurs alliés et leurs parents, échappés à la poursuite des Romains. Ils avaient vainement intercédé en leur faveur; et, quoiqu'ils se fussent tenus éloignés de toute participation aux guerres précédentes, il leur fut ordonné, et notre alliance était à ce prix, de poser les armes. Les Barbares reçurent cette injonction comme un ordre de se couper les mains. Aussitôt donc, sous la conduite de Mégara, homme intrépide, ils coururent aux armes et présentèrent la bataille à Pompéius. Pouvant l'accabler, ils aimèrent cependant mieux traiter avec lui. Ils attaquèrent ensuite Hostilius Mancinus, et lui firent aussi essuyer des défaites si sanglantes et si multipliées, qu'un Romain n'osait plus même soutenir les regards ni la voix d'un Numantin. Toutefois, ils préférèrent encore faire avec lui un traité, et se contentèrent de désarmer des troupes qu'ils pouvaient anéantir.
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 Sed non minus Numantini quam Caudini illius foederis flagrans ignominia ac pudore populus Romanus, dedecus quidem praesentis flagitii deditione Mancini expiavit; ceterum, duce Scipione, Carthaginis incendiis ad excidia urbium imbuto, tandem etiam in ultionem excanduit.Sed tunc acrius in castris quam in campo, nostro cum milite quam cum Numantino proeliandum fuit.Quippe assiduis et injustis et servilibus maxime operibus attriti, ferre plenius vallum, qui arma nescirent; luto inquinari, qui sanguine nollent, jubebantur. Ad hoc scorta, calones, sarcinae, nisi ad usum necessariae, amputantur. Tanti esse exercitum quanti imperatorem vere proditum est. Sic redacto in disciplinam milite commissa acies; quodque nemo visurum se unquam speraverat, factum est ut fugientes Numantinos quisquam videret. Dedere etiam se volebant, si toleranda viris imperarentur; sed quum Scipio veram vellet et sine exceptione victoriam, eo necessitatum compulsi, primum ut destinata morte in proelium ruerent, quum se prius epulis, quasi inferiis, inplevissent, carnis semicrudae et celiae; sic vocant indigenam ex frumento potionem. Intellectum ab imperatore consilium: itaque non est permissa pugna morituris. Quum fossa atque lorica quatuorque castris circumdatos fames premeret, ab duce orantes proelium, ut tamquam viros occideret, ubi non inpetrabant, placuit eruptio. Sic conserta manu, plurimi occisi, et quum urgeret fames, aliquantisper inde vixere. Novissime consilium fugae sedit; sed hoc quoque, ruptis equorum cingulis, uxores ademere, summo scelere, per amorem. Itaque deplorato exitu, in ultimam rabiem furoremque conversi, postremo mori hoc genere destinarunt: duces suos, seque, patriamque, ferro et  veneno, subjectoque undique igni peremerunt.
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Mais, non moins indigné de l'ignominie éclatante de cet infâme traité de Numance que de celui de Caudium, le peuple romain expia l'opprobre de cette dernière lâcheté en livrant Mancinus aux Numantins; puis il fit enfin éclater sa vengeance, sous la conduite de Scipion, que l'incendie de Carthage avait instruit à la destruction des villes. Mais alors ce général eut de plus rudes combats à livrer dans son propre camp que sur le champ de bataille, avec nos soldats qu'avec les Numantins. Il accabla ses troupes de travaux continuels, excessifs et serviles, les contraignit à porter une charge extraordinaire de pieux pour la construction des retranchements, puisqu'ils ne savaient pas porter leurs armes, et à se souiller de boue, puis-qu'ils ne voulaient pas se couvrir du sang ennemi. De plus, il chassa les femmes perdues, les valets, et ne laissa de bagage que ce qui était d'un usage nécessaire. On a dit avec vérité : «Tant vaut le général, tant vaut l'armée." Le soldat ainsi formé à la discipline, on livra bataille; et, ce que personne n'avait jamais espéré de voir, chacun le vit alors, ce fut la fuite des Numantins. Ils voulaient même se rendre, si on leur eût fait des conditions sup-portables pour des hommes; mais Scipion, voulant une victoire réelle et entière, les réduisit à la dernière extrémité. Dès lors ils résolurent de chercher, dans un dernier combat, une mort certaine, Mais, préludant à ce combat par une sorte de repas funèbre, ils s'étaient gorgés de viandes à demi crues et de célia. Ils nomment ainsi une boisson de leur pays, qu'ils tirent du froment. Scipion pénétra leur dessein, et refusa le combat à des hommes qui ne voulaient que mourir. II les entoura d'un fossé, d'une palissade et de quatre camps. Pressés par la famine, ils supplièrent ce général de leur accorder la bataille et la mort qui convient à des guerriers. Ne l'ayant pas obtenu, ils arrêtèrent de tenter une sortie. Un grand nombre furent tués dans l'action qui s'engagea, et leurs compagnons affamés se nourrirent quelque temps de leurs cadavres. Ils formèrent enfin le projet de fuir; mais leurs femmes leur ôtèrent cette dernière ressource en cou-pant les sangles des chevaux; crime odieux commis par amour. Tout espoir leur étant donc ravi, ils s'abandonnèrent aux derniers excès de la fureur et de la rage, et se déterminèrent enfin à ce genre de mort : eux, leurs chefs et leur patrie, périrent par le fer, par le poison et par le feu qu'ils avaient mis partout.
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 Macte fortissimam, et meo judicio beatissimam in ipsis malis civitatem! Asservit cum fide socios, populum orbis terrarum viribus fultum sua manu, aetate tam longa sustinuit. Novissime maximo duce oppressa civitas, nullum de se gaudium hosti reliquit. Unus enim vir Numantinus non fuit qui in catenis duceretur. Praeda, ut de pauperibus, nulla: arma ipsi cremaverunt. Triumphus fuit tantum de nomine.
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Gloire à cette cité si courageuse, si heureuse, à mon sens, au milieu même de ses malheurs! Elle défendit avec fidélité ses alliés; elle résista pendant une longue suite d'années, avec une poignée d'habitants, à un peuple qui disposait des forces de l'univers. Accablée enfin par le plus grand des généraux, cette cité ne laissa à son ennemi aucun sujet de joie. Il n'y eut pas un seul Numantin qu'on pût emmener chargé de chaînes. Point de butin; car les vaincus étaient pauvres, et avaient eux-mêmes brûlé leurs armes. Rome ne triompha que d'un nom.
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 XIX. - Hactenus populus Romanus pulcher, egregius, pius, sanctus atque magnificus: reliqua saeculi, ut grandia aeque, ita vel magis turbida et foeda, crescentibus cum ipsa magnitudine imperii vitiis; adeo ut, si quis hanc tertiam ejus aetatem transmarinam, quam ducentorum annorum fecimus, dividat, centum hos priores, quibus Africam, Macedoniam, Siciliam, Hispaniam domuit, aureos, sicut poetae canunt, jure meritoque fateatur; centum sequentes ferreos plane et cruentos et si quid inmanius; quippe qui Jugurthinis, Cimbricis, Mithridaticis, Parthicis bellis, Gallicis atque Germanicis, quibus caelum ipsum gloria adscendit, Gracchanas Drusianasque caedes, ad hoc servilia bella miscuerunt et, ne quid turpitudini desit, gladiatoria. Denique in se ipse conversus Marianis atque Syllanis, novissime Pompeii et Caesaris manibus, quasi per rabiem et furorem - nefas! - semet ipse laceravit. 
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XIX. Jusqu'ici le peuple romain s'était montré beau, magnanime, pieux, juste et magnifique: le siècle qui reste à parcourir offre un spectacle également imposant; mais aussi plus de troubles et de forfaits; et les vices croissent avec la grandeur même de l'empire. Si l'on fait deux parts de son troisième âge, époque de ses guerres au-delà des mers, et qui comprend, dans mon calcul, un intervalle de deux cents ans, il faudra nécessairement avouer que les cent premières années, pendant lesquelles il a dompté l'Afrique, la Sicile et l'Espagne, ont été pour lui le siècle d'or, pour parler le langage des poètes; et que les cent années qui suivirent furent véritablement un siècle de fer, de sang, et, s'il est possible, de pire. En effet, aux guerres de Jugurtha, des Cimbres, de Mithridate, des Parthes, des Gaulois et des Germains, qui firent monter notre gloire jusqu'au ciel même, se mêlent les meurtres des Gracches et de Drusus, puis la guerre des esclaves, et, pour comble de honte, celle des gladiateurs. Rome enfin tourne ses armes contre elle-même; et, par les mains de Marius et de Sylla, bientôt après par celles de Pompée et de César, elle déchire son propre sein, comme dans le délire d'une fureur criminelle.
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 Quae etsi juncta inter se sunt omnia atque confusa, tamen quo melius appareant, simul et ne scelera virtutibus obstrepant, separatim perferentur; priusque, ut coepimus, justa illa et pia cum exteris gentibus bella memorabimus, ut magnitudo crescentis in dies imperii appareat; tum ad illa civium scelera, turpesque et impias pugnas revertemur.
 
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Bien que tous ces événements soient liés et confondus ensemble, il faudra cependant, pour qu'ils ressortent mieux, et en même temps pour que les vertus ne soient pas effacées par les crimes, les exposer séparément; et d'abord, selon notre plan, nous retracerons ces guerres justes et légitimes que Rome a faites aux nations étrangères. Elles nous montreront l'accroissement successif de la grandeur de l'empire; ensuite nous reviendrons aux crimes de nos troubles civils, à ces combats honteux et sacrilèges.
 
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